D’Euclide à Legendre, autour du 5ème Postulat

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D’Euclide à Legendre, autour du 5ème Postulat II - To prove or not to prove, That is the question

Autour du 5ème Postulat C – Les essais de démonstrations L’énoncé du 5e Postulat tel qu’il figure dans les Éléments ressemble à une proposition. Sa contraposée (logiquement équivalente) est la proposition 29 : une droite qui tombe sur deux droites parallèles fait les angles intérieurs placés du même côté égaux à deux droits. Proclus (Vème siècle) se demande : « Comment ce dont la réciproque est consignée parmi les théorèmes comme démontrable serait-il indémontrable ? » De nombreuses tentatives de démonstrations ont marqué trois grandes périodes de l’histoire de ce Postulat: – l’antiquité, tentatives et commentaires rapportées par Proclus de Lycie (Commentaires sur le premier Livre des Éléments d’Euclide, 412-486), – les multiples propositions des arabes ou orientaux dont la plus significative est celle d’Omar al Khayyâm (commentaires sur les postulats problématiques d’Euclide, 1040-1131), – les essais occidentaux de la Renaissance à Legendre : la tentative de Wallis (De Postulato Quinto et Definitione Quinta, Opera Mathemartica, 1616-1703), les travaux de Girolamo Saccheri (Euclide lavé de toute tache, 1677-1733) et de Johann Heinrich Lambert (Theorie der Parallellinien, 1728-1777).

Autour du 5ème Postulat C1 – Les essais grecs de démonstrations 1 - Claude Ptolémée, rapporté par Proclus de Lycie Proclus présente d'abord la tentative de Claude Ptolémée dans son ouvrage Sur la rencontre de droites prolongées à partir d'angles plus petits que deux angles droits (seconde moitié du IIème siècle, ouvrage perdu). L’idée est de démontrer la proposition 29 comme réciproque de la proposition 28 d'Euclide, valable en géométrie absolue : Si une droite tombant sur deux droites fait les angles intérieurs, placés du même côté, égaux à deux droits, ces deux droites seront parallèles, sans faire usage du 5ème Postulat qui serait alors « démontré » comme contraposée. Que les droites AB et CD soient parallèles et que la droite HK tombe sur celles-ci ; je dis que cette droite ne forme pas les angles internes situés du même côté ni plus grands que deux droits ni plus petits

C1 – Les essais grecs de démonstrations 1 - Claude Ptolémée Autour du 5ème Postulat C1 – Les essais grecs de démonstrations 1 - Claude Ptolémée Ptolémée suppose d’abord que de chaque côté de (HK) les angles intérieurs sont ensemble plus grands que deux droits : AHK + HKC > 2 droits et BHK + HKD > 2 droits. Mais les angles supplémentaires aux deux premiers sont plus petits que deux droits : BHK + HKD < 2 droits, ce qui est absurde. Même raisonnement pour montrer que les angles internes d'un même côté ne sont pas ensemble plus petits que deux droit. Ptolémée montre aisément que, dans l’hypothèse du 5ème Postulat, les deux droites prolongées se rencontrent du côté des angles internes plus petits que deux droits. Proclus souligne la faute logique de cette "démonstration" et remarque de plus qu'elle conduirait à la même conclusion si les droites données n'étaient pas parallèles.

Autour du 5ème Postulat C1 – Les essais grecs de démonstrations 2 - Une autre tentative critiquée par Proclus de Lycie : Un raisonnement basé sur les paradoxes de Zénon, rapporté par Proclus : On suppose que (AB) et (CD) font avec la sécante (AC) des angles CAB et ACD inférieurs ensembles à 2 droits. On montre que les droites prolongées (AB) et (CD) ne se coupent pas. Soit E le milieu de [AC], H sur (AB) et K sur (CD) tels que AH = AE et CK = CE. (AB) et (CD) ne se rencontrent pas en H, ni entre A et H ou C et K sinon le triangle AHC aurait son côté AC supérieur ou égal à la somme des deux autres, ce qui est contraire à la proposition 20. On peut donc mener la droite (HK) (1er postulat) et recommencer ce raisonnement avec le point F milieu de [HK] et les points distincts I et J tels que HI = HF et KJ = KF et le poursuivre ainsi indéfiniment. En raisonnant comme Zénon d'Élée, si les droites (AB) et (CD) se coupaient à distance finie en P, il apparaîtrait impossible de pouvoir placer une infinité de segments successifs entre A et P.

Autour du 5ème Postulat C1 – Les essais grecs de démonstrations 2 - Une autre tentative critiquée par Proclus de Lycie : Il souligne que si CAB + ACD < 2 droits, cette hypothèse ne se reporte pas nécessairement en KHI + HKJ < 2 droits (sauf à considérer que la somme des angles du quadrilatère AHKC est égale à 4 droits, ce qui serait admettre le 5ème Postulat). Proclus invalide le raisonnement en remarquant que traçant (CH) (on le peut puisque H n'est pas sur (CD)), il s'appliquerait aussi aux droites (AH) et (CH) qui font avec (AC) deux angles encore plus petits que CAH + ACK, ce qui conduit à l'absurdité que (AH) et (CH) ne se couperaient pas. 3 - Proclus propose alors SA démonstration. Pour cela, il admet un axiome dû à Aristote, qui semble admissible, mais qui en fait entraîne le 5ème Postulat : Si deux droites formant un angle sont prolongées à l'infini, elles s'écartent indéfiniment.

Autour du 5ème Postulat C1 – Les essais grecs de démonstrations 3 - La démonstration de Proclus. Il démontre d’abord le lemme suivant : Deux parallèles étant données, toute droite qui coupe l'une coupe l'autre. Si (EF) coupe (AB) en H, elle coupe aussi sa parallèle (CD). En effet, (HB) et (HF) prolongées à l'infini s'écarteront d'une distance plus grande que celle qui sépare les parallèles. Ainsi, il y a sur (HF), du côté de (CD), un point P dont la distance à (AB) est plus grande que la distance de (AB) à (CD). Ce point P ne peut être entre ces deux parallèles, H et P sont donc de part et d'autre de (CD) et (EF) coupe (CD). En admettant que la distance entre deux parallèles est bornée, Proclus admet implicitement le 5ème Postulat. Il peut ensuite terminer sa démonstration : Soient deux droites (AB) et (CD) et une sécante (HK), telle que les angles intérieurs BHK et HKD soient plus petits que 2D. On construit l'angle BHF supplémentaire à BHK + HKD, ce que l'on sait faire (prop. 23 des Éléments). On prolonge (FH) au delà de H en E. Comme (HK) coupe (EF) et (CD) en faisant des angles intérieurs égaux à 2 droits, les droites (EF) et (CD) sont parallèles (prop. 28). Mais (AB) coupe (EF). D'après le lemme précédent, (AB) coupe aussi (CD), du côté où les angles avec (HF) sont plus petits que 2 droits. C.Q.F.D.

Autour du 5ème Postulat C2 – Tentatives arabo-musulmanes Dans les Éléments, le mouvement et les transformations géométriques sont explicitement absents. Mais, les déplacements sont implicitement nécessaires pour comparer des figures (comme pour la prop. 4, le premier cas d’égalité des triangles) : Euclide les superpose. Une référence explicite au mouvement dans le plan de la géométrie peut amener à des remarques qui semblent totalement de bon sens, alors qu’elles cachent le 5ème Postulat. Par exemple, faire glisser une figure parallèlement à elle-même suppose de conserver des angles et admet implicitement la proposition 29, contraposée du 5e Postulat. C’est le vice caché des premières tentatives arabo-musulmanes : – Tabit ibn Qurra (IXè siècle, Bagdad : Le livre sur la démonstration du célèbre postulat d’Euclide) prouve par le mouvement l’existence de rectangles de laquelle découle le 5è postulat. – Ibn al-Haytam (965-1040, Le Caire : Le livre du commentaire des propositions non démontrées du Livre d’Euclide), explique que : Par le mouvement d’un segment [AB] se déplaçant perpendiculairement à la droite (d), A étant sur (d), l’autre extrémité B décrit une droite parallèle à (d), qui de plus est équidistante de (d).

C2 – Tentatives arabo-musulmanes Autour du 5ème Postulat C2 – Tentatives arabo-musulmanes – Al-Mu’taman Ibn Hud (roi de Saragosse de 1081 à 1085 : Le livre de la perfection), décrit la « preuve » suivante dans sa proposition 14 dont l’énoncé est celui du 5e Postulat. Les droites (EZ) et (HT) étant données, coupées par la droite (AD) en B et G, faisant les angles intérieurs en B et G ensemble plus petits que deux droits. On trace la droite (BK) de telle sorte que l’angle GBK soit égal à DGT, et on prolonge (BK) à l’infini des deux côtés en la droite (LK). Faisant glisser (LK) en (L’K’) parallèlement à elle-même, le point B’ décrivant (BG) se « sépare » de l’intersection C’ de (L’K’) avec (EZ) prolongée à l’infini. Quand B’ est en G, C’ vient sur (HT) prolongée, ce qui montre que les droites (EZ) et (HT) prolongées se coupent du côté où les angles internes sont plus petits que deux droits E L A B K Z C’ B’ H G D T L’ K’

Autour du 5ème Postulat C3 – Une démarche analogue de John Wallis – John Wallis (1616-1703 : De Postulato Quinto et Definitione Quinta, Opera Mathematica), juge “naturel” de supposer que pour une figure donnée, il en existe une autre de grandeur quelconque qui lui soit semblable (axiome équivalent au 5è Postulat qui permet de faire glisser un angle restant égal à lui-même). Wallis base sa « démonstration » sur l’idée suivante : Dans la configuration du 5è postulat où les segments [AB] et [CD] font avec une sécante (d) des angles intérieurs  et  plus petits que 2 droits, si l’on déplace le point A sur (d) en direction de C, le segment [AB] faisant toujours un angle  avec (d), on passera par une position [A’B’] qui rencontrera [CD] en un point P. En prolongeant [CD] et [AB] de ce même côté, on obtient nécessairement un triangle CAQ semblable à CA’P. Les droites prolongées (AB) et (CD) se rencontrent donc en Q

Autour du 5ème Postulat C4 – Construire un rectangle, telle est la question L’existence d’un rectangle suffit pour démontrer le 5ème Postulat (axiome de Clairaut). Cela revient à admettre l’existence de deux droites équidistantes, donc parallèles. Certains auteurs ont d’ailleurs pris cette définition du parallélisme, admettant alors implicitement le 5ème Postulat. De nombreuses tentatives de démonstrations reprennent donc la construction du carré traitée par Euclide à la proposition 46 en essayant de ne pas utiliser le 5è postulat. Cette configuration, à la suite des travaux rigoureux de Omar Al-Khayyam, Saccheri et Lambert, sera à la base de l’invention des géométries non euclidiennes. Le segment [AB] étant donné, on construit en A et B les segments de même longueur (prop. 2 des Éléments) [AC] et [BD] perpendiculaires à [AB] (prop. 11). Il faut prouver que ABCD est un rectangle, ou encore que les angles en C et D sont droits. C A B D

Autour du 5ème Postulat C5 – Le travail fondateur d’Omar Al-Khayyam – Omar Al-Khayyam (1040-1131, Iran : Commentaires sur les difficultés de certains postulats du Livre d’Euclide, composé par le très-illustre et très-véridique shaykh et imam Abu Al-Fath ‘Umar Ibn Ibrahim Al-Khayyami). Le Livre Premier : De la véritable nature des parallèles, et de l’exposé de la célèbre difficulté (démonstration du 5ePostulat), est introduit ainsi: « Nous devrons admettre vingt-huit propositions de l'ouvrage Les Éléments, car elles ne dépendent pas de cette prémisse: seule la vingt-neuvième proposition, où nous voulons rapporter les lois des lignes parallèles, en dépend ». Omar Al-Khayyam propose d’insérer à cet endroit 8 nouvelles propositions constituant la « démonstration » du 5e Postulat. Proposition Première, soit la 29e du Livre I : Je dis que l'angle ACD sera égal à l'angle BDC. C’est un simple exercice d’égalités d’angles et de triangles pour montrer que les angles en C et D sont égaux : les triangles DAB et CBA sont égaux (prop. 4), d’où AD = BC et les triangles EAB et ECD sont isocèles (prop. 5 et 6), d’où ACD = BDC. C A B D E

Autour du 5ème Postulat C5 – Le travail fondateur d’Omar Al-Khayyam La clé du problème est donc de montrer que les angles en C et D sont droits. Omar Al-Khayyam procède en deux étapes: Il élimine d’abord l’hypothèses qu’ils sont - aigus, car dans ce cas CD serait plus grand que AB et les droites (AC) et (BD) s’écarteraient l’une de l’autre de part et d’autre de [AB]) - ou obtus, car (AC) et (BD) se rapprocheraient l’une de l’autre de part et d’autre de [AB]. Il remarque: « On a donc deux lignes droites qui coupent une ligne droite selon deux angles droits, et la distance entre elles augmente ou diminue des deux côtés de cette ligne. C'est là une absurdité première, dès lors que l'on conçoit la linéarité et que l'on réalise la distance entre les deux lignes…» « … Il est donc impossible que les deux lignes [AB] et [CD] soient inégales. Et dès lors qu'elles sont égales, les deux angles seront deux angles droits ». Cet argument d’Omar Khayyâm relève donc de l’appréhension sensitive et ne s’appuie sur aucune donnée de géométrie théorique. Il met en valeur le sens profond du 5è postulat pour lequel les droites de la géométrie euclidienne sont “bien droites”, telles qu’on se les représente intuitivement. En rejetant cette intuition, on ouvre la porte aux géométries non euclidiennes.

Autour du 5ème Postulat C6 – Vers les géométries non euclidiennes La configuration du rectangle fut encore reprise par: Nasïr ad-Dïn at-Tüsï (1201-1274, Persan : L’opuscule qui délivre des doutes concernant les droites parallèles) , et sera aussi à la base des travaux essentiels de : – Girolamo Saccheri (1677-1733, Italie : Euclide lavé de toute tache). Saccheri réfute facilement l’hypothèse que les angles C et D sont obtus (qui aboutit à une géométrie sphérique), en contradiction avec la proposition 16 d’Euclide (propriété de l’angle extérieur d’un triangle qui suppose qu’une droite peut être prolongée indéfiniment), mais ne peut conclure dans l’hypothèse de l’angle aigu, ne pouvant exclure que deux droites soient asymptotes : Dans le même dilemme qu’Omar Khayyam, Saccheri ne peut qu’affirmer : “L’hypothèse de l’angle aigu est absolument fausse car cela répugne à la nature de la ligne droite”. C A B D

2droits – (a+b+c) = k aire(ABC) Autour du 5ème Postulat C6 – Vers les géométries non euclidiennes La configuration du rectangle fut également reprise par : – Johann Heinrich Lambert (1728-1777, Suisse : Theorie der Parallellinien). Lambert montre que l’hypothèse de l’angle obtus est impossible dans une géométrie où les droites sont infinies, mais remarque que cette propriété est vérifiée sur une sphère. Il pousse l’hypothèse de l’angle aigu le plus loin possible, et obtient les premiers résultats en géométrie hyperbolique (par exemple, l’existence d’une mesure absolue et la somme des angles a, b, c d’un triangle ABC dépend de son aire : 2droits – (a+b+c) = k aire(ABC) Comparant cette formule à celle de Girard (1625) donnant sur une sphère de rayon R : (a+b+c) – 2droits = (1/R2) aire(ABC), il conclut que l’hypothèse de l’angle aigu mène à une géométrie sur une sphère de rayon imaginaire iR. Mais, considérant qu’il n’y a pas de mesure absolue des longueurs en physique et convaincu que les axiomes de la géométrie doivent refléter notre perception de l’espace, il écarte aussi l’hypothèse de l’angle aigu pour obtenir le 5e postulat qui n’est donc pas mathématiquement démontré. Il paraît que Lambert fut traumatisé par ces propriétés non euclidiennes à la fausseté improuvable.

Autour du 5ème Postulat C7 – Mises en garde et recherches prometteuses 1 - Jean Le Rond D’Alembert (1717-1783) écrira dans l’Encyclopédie (v. 1765) : « la définition et les propriétés de la ligne droite, ainsi que des lignes parallèles sont l’écueil et pour ainsi dire le scandale des éléments de géométrie ». 2 - Wolfgang Farkas Bolyaï (1775-1856), après 8 tentatives infructueuses, découragé, écrit à son fils Janos qui sera l’un des créateurs des GNE : « Je vous supplie de laisser cette science des parallèles tranquille... J'ai traversé cette nuit insondable, qui éteignit toute lumière et joie de ma vie... Je suis revenu quand j'ai vu qu'aucun homme ne pouvait atteindre le fond de la nuit… Je m’en reviens inconsolé, m’apitoyant sur mon sort... La ruine de mon humeur et ma chute datent de ce temps. J'ai, bêtement, risqué ma vie et mon bonheur… » 2 - Réponse du fils Janos Bolyaï, indocile, en 1823 : « Je suis décidé à publier mon travail sur la théorie des parallèles [..] Le but n'est pas encore atteint mais j'ai fait des découvertes merveilleuses qui m'ont subjuguées, et ce serait une cause de regret éternel si elles étaient perdues… La seule chose que je puisse dire, c'est que j'ai créé un nouvel univers à partir de rien. Tout ce que je vous ai envoyé jus que là est un château de cartes à côté de la tour ».

Autour du 5ème Postulat C8 – Carl Friedrich Gauss (1777-1855), le précurseur 1 - Réponse à Farkas Bolyaï qui lui avait communiqué les travaux de son fils : « le contenu lui-même du travail, le chemin suivi par votre fils et les résultats auxquels il est conduit, coïncident presque entièrement avec les méditations qui ont occupé mon esprit en partie pour les 30 à 35 dernières années ». Gauss ajoute : « Mon intention était de ne rien publier de mon vivant… Je suis très heureux que ce soit le fils d'un vieil ami qui me précède d'une manière si remarquable. » 2 - Lettre à Wolfgang Farkas Bolyaï de 1799 : « J'ai déjà fait quelques progrès dans mon travail ; si on pouvait prouver qu’il existe un triangle dont l'aire est plus grande que tout nombre donné à l’avance, alors je pourrais établir la géométrie euclidienne rigoureusement". 3 - Lettre de 1817 à Burkhard : « Je suis de plus en plus convaincu que la nécessité de notre géométrie euclidienne ne peut être prouvée en tout cas par une pensée humaine et pour une raison humaine. Peut être dans une autre vie il nous sera possible d'avoir une indication sur la nature de l'espace qui nous est pour le moment inaccessible ».

Autour du 5ème Postulat C8 – Carl Friedrich Gauss (1777-1855), le précurseur 4 - Lettre à Taurinus de 1824, annonçant une nouvelle géométrie qui sera développée par Lobatchevski en 1829 (en russe, publié en français en 1837) : « l'hypothèse que la somme des angles d'un triangle est inférieure à 180 degrés conduit à une géométrie curieuse, assez différente de la nôtre, mais cohérente que j'ai développée à mon entière satisfaction et dans laquelle je peux résoudre tout problème à l'exception de la détermination d'une constante qui ne peut être définie a priori. Plus cette constante est grande, plus on est proche de la géométrie euclidienne et les deux coïncident si elle est prise infinie ». 5 - Dans cette même lettre de 1824, Gauss ajoute : « Tous mes efforts pour découvrir une contradiction, une incohérence dans cette géométrie non euclidienne ont échoué, (...) Mais il me semble que nous ne connaissons que si peu, pour ne pas dire rien du tout, de la vraie nature de l'espace qu'il n'est pas possible de qualifier d'impossible ce qui nous apparaît comme non naturel ». 5 -Appréciation de Düring vers 1880 sur la géométrie non euclidienne : « Insanité démentielle, théorèmes et figures mystiques et délirants nés d'une pensée maladive ! Les parties dégénérées du cerveau de Gauss ».

Autour du 5ème Postulat C9 – Un géomètre entêté : Legendre Ni les tentatives historiques de démonstration ni les travaux contemporains de Saccheri et Lambert n’ont empêché Adrien-Marie Legendre (1752-1833), de proposer d’autres “démonstrations” dans ses Éléments de Géométrie, faisant preuve d’une grande invention, mais aussi d’un grand entêtement : « La démonstration de la théorie des parallèles, telle qu’elle avait été présentée dans la 3e édition de cet ouvrage et dans les éditions suivantes jusqu’à la 8e inclusivement, n’étant pas à l’abri de toute objection, on s’était déterminé dans la 9e édition à rétablir cette théorie à-peu-près sur la même base qu’Euclide. Depuis, on a découvert deux nouvelles manières de démontrer le théorème sur les trois angles du triangle, sans le secours d’aucun postulatum… » (note de la 12ème édition) C10 – L’avis des physiciens Point de vue d’Einstein, (devant l’Académie des Sciences de Berlin en 1921): « La géométrie pratique est une science dérivée de l’expérience, nous la distinguons de la géométrie axiomatique. La question de savoir si la géométrie pratique du monde est euclidienne ou non, a un sens précis et la réponse ne peut être fournie que par l’expérience.  » Reichenbach (1927) : « Les mathématiques révèlent les espaces possibles ; la physique décide lequel parmi eux correspond à l’espace physique ».