Comment l’anthropologie permet de comprendre autrement les acteurs sociaux à par partir du cas de la consommation Dominique Desjeux Professeur d’anthropologie sociale et culturelle à la Sorbonne (Université Paris 5) www.argonautes.fr D. Desjeux, 2006, La consommation, Que sais-je?, PUF D. Desjeux, 2004, Les sciences sociales, Que sais-je?, PUF Paris le 20 mars 2007
Les trois outils de bases Les échelles d’observation La méthode des itinéraires Les effets de cycles de vie
L’anthropologie : un outil flexible pour comprendre les problèmes du quotidien qui conditionnent les décisions d’acheter Les échelles d’observation permettent de changer la focale pour trouver l’information pertinente macro-sociale ou micro-sociale par rapport à l’action à mener. La méthode des itinéraires se centrer sur les pratiques, les objets et les espaces pour comprendre les problèmes que les consommateurs ont à résoudre en fonction des étapes du processus d’achat Les effets de cycles de vie pour comprendre l’usage et le sens des biens et services en fonction des moment de passage tout au long des étapes du cycle de vie. Les biens de consommation sont des marqueurs des étapes de cycle de vie.
I - Les échelles Mode de vie, Style de vie Appartenances sociales, Riches, pauvres Cycle de vie Macro-social Organisations, marché, État groupes de pressions Meso-social Interactions Mise en scène, normes, codes Pratiques et objets marqueurs de passage et d’appartenance dans le cycle de vie Micro-social Itinéraire Micro-individuel Individu Cellule biologique 5
Ex: Effet de taxe douanière Méthode des itinéraires La liberté de choix apparaît surtout à cette échelle, C’est l’échelle d’observation de l’effet marque
Ex: l’échelle macro-sociale permet de comprendre les effets d’appartenance sur l’achat comme les effets de genre hétéro ou homo Les effets de budget : les achats qui touchent à l’alimentation et aux vêtements rentre en concurrence avec le coût de la mobilité (prix de l’essence), le coût de la santé, du logement et des NTIC (téléphone mobile, Internet) dans les budgets familiaux populaire en France, aux USA, en Grande Bretagne
Ex. d’effet d’appartenance : le bricolage français pour la saint Valentin, 02 2003 Hétéro Expression des usages sexuées du bricolage, ce qui est plus français qu’américain ou chinois Homo
II - La méthode des itinéraires base de l’ethnomarketing Analyser les problèmes à résoudre du point de vue du consommateur
Les deux sens de l’ethnomarketing Un sens d’anthropologie appliquée à la consommation et qui se centre sur les pratiques des consommateurs (anthropology applied to marketing) Un sens de « marché ethnique » et de pratiques spécifiques liées particulièrement : au corps à l’alimentation à la famille à la religion (Ethnomarketing : D. Desjeux, S. Taponier, 1990, Sciences Humaines n°1, L’Express, etc.)
Pratiques alimentaires La méthode des itinéraires un outil qui part des pratiques des consommateurs A la maison, processus de décision Déplacement vers le lieu d’acquisition courses vol Recevoir un cadeau Rangement à la maison (caché, montré, exposé) Kitchen cabinets (placard, élément de cuisine) Breadcrumbs: chapelure (near flour or rice, nuddles, pasta, polenta; it not for baking) Oven and stove top Utilisation Pratiques alimentaires déchets, Restes Cooling Préparation à l’usage, cuisine Il y a a souvent plusieurs itinéraires pour un même produite: Formel/informel ; grande surface/petits commerces
Techniques de recueils de l’information Interviews sur les lieux de la pratique Observation des pratiques quand c’est possible Prise de photos et photos stimulus (photo que l’on montre aux personnes interviewées) Toutes les photos ci-dessous sont tirées d’enquêtes que j’ai faites ou dirigées Animation de groupe Histoire de vie centrée pour reconstituer les étapes du cycle de vie
Un exemple d’application de la méthode des itinéraires Repérer tout au long de l’itinéraire les problèmes à résoudre, les contraintes pratiques à lever
la marque est un facteur explicatif de la décision parmi d’autres Une méthode qui relativise la marque et les motivations au profit des objets, des pratiques et des contraintes la marque est un facteur explicatif de la décision parmi d’autres dont l’importance varie en fonction des problèmes rencontrés à chaque étape de l’itinéraire et des étapes du cycle de vie Le plus souvent il n’y a pas d’achat s’il n’y a pas d’usages pour le consommateur dans sa vie quotidienne
Etape 1: la liste de course Danemark, 1999 Photos D. Desjeux
Exemple de problèmes à résoudre du point de vue des consommateurs La routine est une des bases de la liste. La liste se fait à partir de ce qui manque Problème à résoudre comment ne rien oublier comment ne pas dépasser mon budget comment faire les courses le plus vite possible comment rendre les courses plus agréables et me faire un petit plaisir (Treat, D. Miller) Est-ce que mon produit ou ma marque réponds à ces questions ?
Ex. de point de départ de l’itinéraire : la salle de bain (Paris, 1995) Un espace ordinaire qui détermine en partie les choix face au linéaire du fait de la place disponible ou non ou de la routine Photos D. Desjeux
Événement déclencheur A cette première étape on cherche l’événement qui déclenche l’achat : Le week-end et la routine des courses en France Une fête : la saint Valentin au Brésil Le changement d’heure d’Hiver et d’Été en France pour les vitamines
La Saint Valentin au Brésil, 12 06 2006 Photos D. Desjeux
Etape 2: la mobilité Danemark, 1999 Courses à pieds Mobilité par la voiture, USA, FL, 2001 Photos D. Desjeux
Exemple de problèmes à résoudre du point de vue des consommateurs seniors Comment limiter le poids des courses pour des seniors à l’étape de la mobilité Acheter en petite quantité, à l’unité comme les bouteilles d’eau Pour les soupes prendre des sachets plutôt que des briques Se faire aider par la famille Acheter un filtre à eau ce qui évite d’acheter l’eau en bouteille (enquête Magistère Sorbonne/TNSofres, 2005, Mémoire Sabrina Edebeau, 2006, direction D. Desjeux)
Etape 3: l’achat La carte de crédit et le caddy : les objets Photos D. Desjeux La carte de crédit et le caddy : les objets de la consommation Israël, 2004 La place dans la vitrine visible ou invisible Métro, Paris, 2003
Ex: Chine, réinterpréter les moyens de vente en fonctions de la culture En Chine une société de vente par correspondance est limitée dans son expansion par le faible usage des cartes de crédit par Internet Elle va utiliser des vélos pour livrer et recevoir les paiements en liquide.
Ex : Perpignan, France, 2000 Comment choisir entre tous ces packagings qui se ressemble Trop de signes tue les signes, trop de choix augmente la charge mentale Comment simplifier la visibilité de la marque Photos D. Desjeux
Brésil, 12 06 2006 Photos D. Desjeux
Etape 4 : Rangement France, 2003: frigo d’un non cuisinier Photo D. Desjeux Photo Magistère Paris 5
Ex. de rangement inattendu de produits de beauté France (1998): produits de beauté dans le bas du réfrigérateur Photos D. Desjeux
Danemark (2000): rangement sur le bord de la baignoire
Produit adapté à la baignoire et pour bien tout utiliser le contenu, Brésil 12 06 2006, Rio Photos D. Desjeux
Questions à se poser Est-ce que nous savons où les consommateurs rangent le produit ? Est-ce que le packaging permet un rangement facile ? Est-ce qu’il correspond à l’endroit où le produit est rangé ? Est-ce qu’il n’est pas trop gros pour la porte du réfrigérateur ? Est-ce qu’il tient sur le bord de la baignoire ?
Etape 5: l’étape des usages Les usages et les normes sont un des conditionnements de l’achat L’anthropologie met l’accent sur ce qui est socialement et culturellement : Prescrit Permis Prohibé Ces normes varient en fonction des espaces du logement. Elles peuvent être appliquées ou transgressées
Un habitat peut être divisé en 3 différents types d’espaces qui varient entre les cultures public privé intime Living danois It depends on culture Cuisine française Photo Mark Neumann, 1999 Chambre danoise
L’exposition des objets dans les trois espaces Les objets sont traités de trois façons différentes dans le logement, en fonction des cultures et des couches sociales. Ils sont Exposés Montrés Cachés
En public Exposer Montrer Cacher 2000, USA, exposer le drapeau américain devant sa maison Exposer 2004, Israël, l’arme est portée en faisant de courses (achat de bijoux) Montrer 2003, Algérie, cacher les cheveux Cacher Photos D. Desjeux
2004, Israël, signe religieux exposé à côté de la porte. En privé 2000, USA, casserole en cuivre Exposées dans la cuisine 2000, France Post-it et notes visible dans l’entrée 1995, USA, Aliments cachés dans le réfrigérateur Photos D. Desjeux
Ex : L’usage des produits liés au soin du corps Les produits liés au soin du corps résolvent trois grands problèmes: L’hygiène du corps (propreté) Les pratique de soin (poil, hydrater, mincir,…) Les pratique d’artifice (maquillage, odeur, coiffure) La salle de bain joue le rôle d’une loge privée pour se préparer à entrer sur la scène publique. L’achat dépend de la taille de la salle de bain et de son équipement lui-même lié au revenu
En 1997, la salle de bain est sommaire en Chine pour les classes moyennes supérieures Une douche avec peu de place pour poser ou ranger les produits La priorité c’est l’accès à l’eau chaude
En 2005 : tout l’équipement moderne, les produits de beauté peuvent se développer
Comment élargir l’usage du produit : segmentation par l’usage Mon produit a-t-il plutôt un usage festif ou ordinaire, formel ou informel occasionnel ou fréquent en faible quantité ou forte quantité (cf. J.N. Kapferrer et la croissance per capita)
Etape 6: déchet Espagne, 2001 Photos D. Desjeux
Ne pas savoir comment jeter un produit peut empêcher l’achat Est-il possible de jeter ou non le produit qui va être remplacer ? Ex : que faire du vieil électroménager? Si il n’est pas repris je vais chercher un autre distributeur qui va me le reprendre
Conclusion L’anthropologie se centre sur l’observation directe ou sur les lieux de la pratique : des usages : à quoi le produit ou le service sert, quel problème il résout des pratiques : ce que font les personnes
L’anthropologie voit la consommation comme une suite de résolutions de problèmes quotidiens Pendant l’enquête on cherche à savoir à partir des pratiques, des objets et des espaces de vie : Comment faire baisser les charges mentales Comment faire gagner du temps Comment se construit l’image de soi et de sa mise en scène Quel sens chacun donne à son action
Question à se demander pour chaque produit ou service Est-ce que mon produit, mon service ou ma marque résout un problème ou augmente la charge mentale à une des étapes de l’itinéraires La marque ne fait pas acheter car il n’y a pas d’achat sans usage, mais elle aide à choisir : ma marque aide-t-elle mieux à choisir ou non?
L’anthropologie permet de comprendre le jeu entre: L’écart entre l’intention d’achat et le passage à l’acte s’explique par le jeu des contraintes sociales L’anthropologie permet de comprendre le jeu entre: La culture matérielle Les rapports sociaux Le symbolique ou l’imaginaire C’est un jeu où ce qu’on dit ne correspond pas forcément à ce qu’on pense ni à ce qu’on fait Entre ce qu’on déclare, en terme d’intention, de sens ou d’imaginaire, il y a les contraintes du jeu social, des rapports de pouvoir, et des normes.
Annexe
Les effets de cycle de vie : le cas des pratiques de maquillage Étude qualitative exploratoire auprès de 60 étudiantes à Paris sur le cycle de leurs objets personnels (2005) Objectif : faire apparaître la diversité des pratiques et du rapport à la marque
Quelques cycle liés aux usages produits du corps et de la marque Le cycle de l’école primaire de 6 à 11 ans : imitation et inversion Le cycle du collège de 11 ans à 16 ans : le cycle de la transgression Le cycle du lycée de 16 à 19 ans : le cycle de la séduction vers les garçons et importance du groupe de pairs dans le choix de la marque Le cycle de l’université : le cycle de la discrétion et de la séduction sélective vers un garçon Le cycle du travail : le cycle de la socialisation par élimination des signes qui font jeune (Percing, cheveux teints, jeans, etc)
Le cycle du jeu entre 6 et 10 ans, à l’école primaire Le maquillage symbolise la féminité et l’attrait pour l’âge adulte. Les petites filles peuvent se déguiser et vivrent ce moment comme un rite d’inversion des pratiques adultes, comme un carnaval. Tout ce qui peut rappeler la séduction relève de l’interdit ce qui ne veut pas dire que les petites filles ne jouent pas avec les frontières de la transgression Celles-ci se jouent avec les parties du corps sur lesquelles le maquillage est prescrit, autorisé ou interdit. Certaines ne se maquillent que les yeux, d’autres se maquillent aussi les lèvres ou d’autres les joues « pour ressembler à une indienne. » Le matériel de maquillage appartient à la maman
Le cycle de la transgression : l’entrée au collège La deuxième étape est celle de l’entrée au collège. Pour certaines le maquillage est frappé d’un interdit parental fort et « aucune de mes copines ne se maquillaient. » Des pères expriment un fort interdit. Certaines mères acceptent le maquillage de leur fille mais en leur imposant des limites de discrétion. Pour d’autres c’est l’époque des premières permissions de sortie, des « soirées pyjamas » et le début du maquillage en cachette. Pour celles qui se maquillent c’est le début de l’acquisition de son propre maquillage. Il est acheté avec son argent de poche. C’est le début de l’autonomie par rapport à la famille mais l’entrée sous contrôle du groupe de pairs.
Le collège: une pratique encore occasionnelle Elle se limite pour certaines aux week-ends. C’est une époque de tests, voire de pratiques provocantes et d’achats de produits les moins chers possibles : « la plupart n’avait même pas de marque. » Certains lieux d’achat sont privilégiés comme Monoprix ou Sephora. La pratique du maquillage peut se limiter aux yeux avec du fond de paupière et du mascara. La salle de bain et la chambre sont les deux lieux protégés du maquillage A 14 ans « nous avons toutes acheté le Rouge Pulp de l’Oréal qui était à la mode et dont la publicité était partout. » La circulation des produits favorise l’intégration au sein du groupe de pairs et la construction de la féminité. L’intérêt porté à la marque dépend en fait de l’intérêt que le groupe lui porte ou non.
Le cycle de la séduction: le lycée Le maquillage change de sens, il devient un moyen de séduction. « En 1ère, à 16 ans, avec ma meilleure amie on passait des heures à se maquiller lorsqu’on avait rendez-vous avec des ‘copains’. » Pour attirer les garçons il faut un maquillage voyant, « alors on y va à fond. » Pour certaines c’est le début du fond de teint et surtout du rouge à lèvres, un objet important de signe de passage entre l’adolescence et la jeunesse. Il est un signe fort de féminisation. C’est une période importante de catégorisation et de stigmatisation entre groupes de pairs, entre les « babas », les « grunges » ou les « fashion victims » qui se maquillent trop, par exemple. Le groupe de pairs détermine la marque à acheter ou la fin des marques : l’Oréal, Bourgeois ou Nivea. « Arrivé au lycée, j’abandonne tout maquillage puisque mon groupe de référence est ‘grunge’. La tendance est donc au naturel. »
Le cycle de la discrétion : l’université: Pour une partie des jeunes filles, c’est une période qui perd pour objectif de paraître provocante car la norme de groupe change. Au niveau des vêtements c’est une étape où la marque disparaît pour certaines Pour une partie des jeunes, c’est une période fortement anti-marque. Ce sont eux que l’on retrouve en partie dans les mouvements anti-publicitaires.
Valorisation du maquillage par la marque et le prix les sorties en soirée sont plus importantes. Il faut à la fois séduire et se sentir belle. C’est pour certaines le moment de la première vie de couple. Le maquillage devient plus « personnel » mais la norme de groupe reste aussi contraignante, c’est celle de la discrétion. Pour certaines, les couleurs se font moins voyantes car l’intérêt pour les garçons demande un « maquillage discret et léger. » Les pratiques se routinisent. La pratique peut devenir quotidienne. Le prix des produits et leur qualité augmentent. Pour certaines c’est même leur mère qui leur offre leur premier produit de marque. Le maquillage devient permis ou prescrit.
Spécialisation des usages un maquillage léger de jour un maquillage « plus marqué et plus lourd en soirée », avec du gloss sur les lèvres et des paillettes sur les joues. Se maquiller les lèvres, et pas seulement les yeux, est vécu par certaines comme un signe d’aboutissement, une sortie de l’adolescence pour entrer dans l’âge adulte. C’est même dans certain cas l’étape où le maquillage disparaît presque ou en tout cas devient occasionnel.
Les sens du corps Le corps à protéger (préservatif) Le corps comme transgression et comme marqueur de passage (tatouage) Le corps comme sociabilité, comme appartenance à un groupe Le corps à décorer Le corps à soigner
A la sortie de l’hiver: le corps saisonnier
Le corps, la maladie comme marqueur de passage des cycles de vie La presbytie (USA, 1997), le diabète (Espagne 2001), le cholestérol, comme les maladies d’enfant, sont des marqueurs de passage vers le « vieillissement », en occident, comme la mémoire en Chine Les produits liés aux soins du corps suivent aussi ces passages
Il n’y a pas de crise de La marque Il faudra toujours des poins de repère et donc il y aura toujours besoin de marque. Ce qui peut varier c’est le fait que la marque ne soit plus utile pour certains produits « refroidis » pour lequel le prix sera un facteur premier d’achat. La marque distributeur jouera alors la fonction d’indicateur de prix bas, mais il y aura toujours une marque quelque part en fonction des gammes de produit C’est donc le contenu du signe que représente la marque qui pose problème et non pas l’existence de la marque.