LA BANQUE DE FRANCE ET LE CHAPITRE 11 1- L'impact de la variation des changes Selon nos estimations, l’appréciation d’environ 20% du dollar depuis mi-2014 aurait ponctionné de 0,2 pt la croissance américaine. La ZE, quant à elle, a bénéficié de la dépréciation de l’euro jusqu’au 1er trimestre 2015 mais le retournement de tendance depuis mi-2015 aurait coûté 0,2 pt de % à la croissance de la ZE.
2- Le Taux d'Intérêt Naturel en zone euro Le taux naturel d’intérêt est le taux d’intérêt réel théorique qui implique ni hausse, ni baisse de l’inflation. Déterminé indépendamment de la politique monétaire, c’est un indicateur qui sert à évaluer le caractère accommodant ou restrictif d’une politique. Il n’est pas directement observable mais on estime qu’il est négatif dans la zone euro ces dernières années. Les difficultés à augmenter l’inflation par les politiques monétaires conventionnelles, avec des anticipations d’inflation faible et des taux d’intérêts nominaux à leur valeur plancher, justifient le recours de la BCE à des instruments non-conventionnels.
En tout état de cause, le fait que les TINs soient significativement négatifs est problématique pour les politiques monétaires conventionnelles. Le taux directeur nominal ne peut aller plus bas que le taux plancher et compte tenu des prévisions basses d’inflation à court terme, il existe aussi une limite basse pour les taux directeurs réels. Ce contexte peut donc expliquer les difficultés à obtenir une hausse de l’inflation sous-jacente, avec les stimuli des politiques monétaires conventionnelles et ce malgré des taux directeurs nominaux à leur valeur plancher. Par conséquent, l’Eurosystème a introduit des mesures de politique monétaire non-conventionnelles (voir Marx et al. (2017)) afin de compenser la contrainte des taux planchers sur les taux nominaux à court terme, et d’obtenir une orientation de la politique monétaire en adéquation avec ce qu’indiquent ces estimations du TIN. More ? https://blocnotesdeleco.banque-france.fr/billet-de-blog/taux-dinteret-naturel-estimations-pour-la-zone-euro
3- Quel impact pour la politique monétaire de la BCE ? L’inflation en zone euro aurait été négative en 2015 et 2016 sans la politique menée par la BCE depuis 2014. L’impact de cette politique sur l’inflation, mesurée par l’IPCH (Indice des Prix à la Consommation Harmonisé) est estimé à environ +0,3 point de pourcentage (pp) dès 2015 et +0,8 pp en 2016 selon une étude de l’Eurosystème (la BCE et les 19 banques centrales nationales). L’effet cumulé sur 2015-18 des mesures prises en 2014-16 atteindrait presque +1,6 pp.
La politique de l’Eurosystème et ses canaux de transmission à l’économie Depuis mi-2014, l’Eurosystème a mis en œuvre trois types de mesures pour assouplir les conditions monétaires et favoriser la transmission de la politique monétaire à l’économie réelle : (1) des taux directeurs négatifs et un guidage des taux d’intérêt (forward guidance), (2) un refinancement et un soutien au crédit, notamment en direction des entreprises, et (3) un programme d’achats d’actifs privés et publics (APP, voir encadré). La transmission de la politique monétaire s’effectue au moins à travers trois canaux : l’effet de signal sur la détermination à maintenir durablement les taux d’intérêt à des niveaux bas ; l’amélioration des conditions de crédit ; et une réallocation de portefeuille entraînant une revalorisation des prix d’actifs.
Les trois volets de mesures pris par l’Eurosystème entre mi-2014 et mi-2016 (1) Les taux directeurs ont été abaissés : en mars 2016, le taux des opérations principales de refinancement (MRO) a été fixé à 0% et le taux de la facilité de dépôt (taux plancher du corridor du corridor de l’Eurosystème) à -0,40%. Ces baisses de taux sont venues renforcer le guidage des taux d’intérêt mis en place dès juillet 2013. Ce dernier correspond à un engagement sur les décisions de taux à venir de manière à influencer non seulement les taux à court terme, mais également les taux à plus long terme qui sont majoritairement déterminés par l’anticipation des taux de court terme futurs. (2) Une série d’opérations de refinancement à plus long terme ciblées (TLTRO) a été annoncée en juin 2014 et mise en place en septembre. Ces opérations permettent aux institutions de crédit de se refinancer pour des périodes allant jusqu’à quatre ans. Elles fournissent aux banques un financement de long terme à taux très bas, pour assouplir encore plus les conditions de crédit au secteur privé et stimuler le financement de l’économie réelle. Ces mesures renforcent ainsi l’orientation accommodante de la BCE et renforcent la transmission de la politique monétaire en incitant fortement les banques à prêter aux entreprises et aux ménages. (3) Enfin, l’Eurosystème a lancé en octobre 2014 un premier dispositif d’assouplissement quantitatif sous la forme d’un double programme d’achat de titres privés (des titres adossés à des actifs de financement de l’économie et des obligations sécurisées) destiné à promouvoir la titrisation de bonne qualité et la réduction des primes de risque. En janvier 2015, ce dispositif fut étendu (APP) pour inclure des obligations du secteur public, et rehausser la taille du bilan de la BCE autour de 3000 milliards d’euros. Par la suite, le programme a été étendu en termes de durée (en décembre 2015, la fin du programme est passée de septembre 2016 à au moins mars 2017) et de volume : le montant des achats mensuels est passé de 60 milliards à 80 milliards en mars 2016.
4- Une limite des politiques monétaires non conventionelles : les entreprises zombies On appelle entreprises-zombies celles que des banques conservent dans leur clientèle bien qu’elles soient non rentables et fortement endettées ou insolvables grâce à des financements aux taux d’intérêt très bas (voir Caballero et al., 2008). Les prêts zombies pourraient être interprétés comme une politique volontariste positive au sens où ils permettent d’assurer la survie d’entreprises en grande difficulté. Toutefois, l’allocation des crédits peut alors être sous-optimale pour l’économie dans son ensemble au sens où les ressources humaines et les capitaux détenus par les entreprises zombies auraient dû être réalloués vers les entreprises plus rentables. Les coûts du travail et du capital s’en trouvent augmentés ; ceci réduit la rentabilité des entreprises en meilleure santé ou de celles entrant sur le marché et peut décourager l’investissement ou la création d’entreprises. Ainsi, les industries à forte proportion d’entreprises zombies affichent des flux d’emplois et des taux de productivité plus faibles que les autres. Selon Acharya et al. (2016), « en 2013, 50 %, 40 % et 30 % de la dette, étaient respectivement détenus au Portugal, en Espagne et en Italie par des entreprises qui n’étaient pas en mesure de couvrir leurs charges d’intérêt grâce à leurs bénéfices avant impôts. ». Or des études récentes ont mis en exergue le ralentissement de la productivité en France, comme dans les autres pays avancés (voir Bergeaud et al., 2016, France Stratégie 2016). Ce ralentissement résulterait-il d’une poussée de la part relative des entreprises zombies en France ?
Les entreprises en difficulté bénéficiant de crédits aux taux très bas, dites « zombies », restent assez rares en France. Leur part par taille d’entreprise est globalement stable depuis une décennie. En 2014, elles représentaient environ 2,5 % des PME et un peu plus de 1 % des autres (grandes entreprises, entreprises de taille intermédiaire et holdings). Les prêts zombies ne sauraient donc être un des facteurs-clé handicapant la productivité du travail en France.