Master 1 soins palliatifs – UE 4 éthique Paris, le 13 décembre 2016

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Transcription de la présentation:

Master 1 soins palliatifs – UE 4 éthique Paris, le 13 décembre 2016 Quelques points d’appui pour décider au cœur de l’incertitude et du provisoire Pr Jacquemin Dominique Centre d’éthique médicale (EA7446) Faculté de Médecine et de Maïeutique Université Catholique de Lille HELESI-TECO-RIRESP Université Catholique de Louvain

Des repères théoriques pour la décision et l’action Visée éthique-3 pôles- « Règles »-Incertitude

I. La visée éthique chez Paul Ricoeur

La visée éthique selon P. Ricœur* « La visée éthique : visée de la vie bonne, avec et pour les autres, dans des institutions justes » Souci de soi : (pôle « je ») Souci de l’autre : (pôle « tu ») Souci de la collectivité : (pôle « il ») Paul Ricœur C’est une intention, un projet, un cheminement Trois pôles interdépendants et auto-limitatifs * Support des diapositives: Dr D. Mallet –CHU de Tours

Pole « je » Mon identité, ma liberté, ma subjectivité Ma liberté veut être, mais elle ignore en anticipation sa détermination. Elle ne se révèle que par ce qu’elle entreprend. La liberté s’arrache au cours des choses (besoins, habitudes, normes collectives, lois) Il y a écart entre l’aspiration et la réalisation.

Pole « tu » « Comme moi, tu dis « je » » « Toi aussi, tu es libre » L’autre est mon semblable Position de reconnaissance de l’autre « Toi aussi, tu es libre » Ta liberté est, croit en elle-même et cherche à s’attester « Je veux que ta liberté soit » Faire advenir la liberté de l’autre comme capacité semblable à la mienne

Pole « il » Dimension historique : le « je » et le « tu » sont précédés Le projet de liberté surgit dans un milieu déjà éthiquement marqué (préférences, valeurs, règles) Dimension spatiale : le « je » et le « tu » se déploient dans un milieu avec d’autres libertés L’autre, l’absent du colloque singulier

dans des institutions justes Je Tu Il Dimension individuelle La vie bonne avec et pour autrui dans des institutions justes Je Tu Il Dimension individuelle Dimension inter individuelle Dimension sociétale La vie accomplie Le sujet responsable, capables d’actions réfléchies et d’initiatives Le mouvement de soi vers l’autre L’interpellation de soi par l’autre L’autre comme soi-même La médiation des structures Les droits et devoirs L’autre comme chacun Liberté Estime de soi Fraternité Responsabilité Sollicitude Égalité Solidarité Justice d’apres J.-Ph.Cobbaut

Les 3 niveaux de la décision éthique Viser à tenir trois dimensions: La situation (TU) Situationnisme La conscience (JE) Individualisme Les normes (IL) Traditionalisme Quelles sont nos inclinations spontanées?

II. Quelques règles classiques

Le double effet Il s’agit d’un même geste qui, d’un côté aura des bénéfices et de l’autre des maléfices, des inconvénients. On le sait dès le départ mais on s’efforce de tout mettre en œuvre pour que les effets positifs pèsent plus lourds que les inconvénients : c’est la visée positive, la visée de bien qui est à la source du comportement et de l’évaluation morale. Par exemple: c’est le cas bien connu de l’utilisation de morphiniques dans la thérapie de la douleur. Ce qui est recherché, c’est une sédation du malade, même si leur utilisation comporte un risque de raccourcir la vie du patient. La visée est bonne puisque ce n’est pas une abréviation de la vie qui est recherchée mais le fait que le malade ne souffre plus.

Adéquation des moyens Cette règle est certainement la plus simple à comprendre : il s’agit de ne pas utiliser des moyens qui vont à l’encontre du but qu’on poursuit. Il s’agit donc d’utiliser des moyens adéquats pour être en cohérence avec le but poursuivi. Par exemple: si je veux entrer en dialogue vrai avec une personne, je ne vais pas utiliser le mensonge, la non vérité systématique comme moyen de communication.

Règle de la proportionnalité « Il s'agit de mettre en rapport le genre de thérapeutique à utiliser, son degré de risques, son coût et donc les possibilités de son emploi avec les résultats que l'on peut attendre compte tenu de l'état du malade et de ses ressources ».

Règle du moindre mal Comme le dit J.-F. Malherbe, « ce sont ces situations, moins rares qu’on ne le voudrait, dans lesquelles quoiqu’on fasse pour en sortir, y compris s’abstenir d’agir, il s’ensuivra des conséquences inacceptables du point de vue de l’éthique ». Ce qu’on va alors essayer de faire, c’est faire le moins de dégâts possible, c’est choisir le meilleur chemin parmi toutes les alternatives disponibles. D’un point de vue positif et ayant moins de connotation culpabilisante, on parlera également de règle du meilleur chemin possible. Par exemple: on pourra parler d’un conflit de valeurs entre des valeurs qui ne peuvent trouver de hiérarchie entre elles : la vie de la mère ou la vie de l’enfant en cas de certaines interruptions médicales de grossesse. La réponse sera parfois la plus fondamentale: la recherche d’autonomie pour un maximum de personnes concernées.

II. Assumer sa finitude, son incertitude, sa solitude

Une éthique anthropologique 3 interdits Reconnaissance 3 valeurs Assumer de l’autre dans: Meurtre sa présence la solidarité sa solitude Inceste sa différence la dignité sa finitude Mensonge son équivalence la responsabilité son incertitude

Des repères cliniques pour la décision et l’action Corps-Temps-limite-normes

Le rapport au temps

Quel est notre temps? Nous vivons dans un temps de l’immédiateté, de la maîtrise du temps (rapidité de l’information, rapport à la satisfaction…) Plus dans un temps « de soi » que dans un temps « de l’autre », un temps « collectif » (mythes, rites, symboles) avec un risque de solitude.

Quel est le temps de la personne souffrante? Le temps de l’histoire du patient et de son propre devenir: incertitude Le temps de la maladie en un autre lieu qui a sa propre temporalité. Le temps du devenir du sujet Le temps, porteur de sens et qui épuise (le temps du long mourir) Et il y a « notre temps » qui est à la fois chronos et kaïros.

Le temps en soins palliatifs Une approche réintégrée du temps: « Accepter le temps du mourir comme un temps qui, marqué d’une particularité propre, n’en est pas moins, lui aussi, une partie de l’histoire de la personne; il est nécessaire, d’autre part, de tenter, durant ce temps, de ‘faire’ société avec les grands malades et leurs familles. » Invitation faite à lever nos résistances… Etre présent, solidaire à son propre temps… B. Matray, Les soin palliatifs: approche éthique, dans Laennec, octobre 1995, p. 7

Les enjeux en images…. La Maison Médicale Jeanne Garnier Les enjeux en images… La Maison Médicale Jeanne Garnier Photo de Anne Thomès

Le rapport au corps

Une vision contemporaine du corps Quelle est notre représentation spontanée du corps, soutenue par un imaginaire social? Un corps dont le rapport au « bonheur » passe quasi exclusivement par la médecine. Un risque de réduction anthropologique: mon corps = moi. Le corps altéré (physique-psychique) ne peut être moi.

Quelques points d’appui philosophiques Notre rapport au corps: Le corps comme lieu de l’être: unité de l’homme dont le corps est le lieu, l’objet et l’agent (Vergote) Le corps, lieu de la vie spirituelle comme trace de la dimension historique du sujet (Lévinas) Le corps porteur d’un excès du vivre sur le vécu (Richir) D. Jacquemin, Corps à corps et dimension spirituelle du soin palliatif, dans Les Cahiers de soins palliatifs, vol 4, n°2, 2003, p. 63-83

Corps et soins palliatifs L’accompagnement, manifestation de la dignité d’autrui La reconnaissance que l’autre reste un humain comme moi (un terrain d’égalité, risqué) Importance de « se libérer de toute violence »: Projection de notre temporalité et de nos projections de la fin de vie Nécessaire travail de compréhension de nous-mêmes: à quoi nous renvoie l’image de l’autre altéré? B. Matray, Les soin palliatifs: approche éthique, dans Laennec, octobre 1995, p. 10.

Le rapport à la maîtrise et à la limite

Un enjeu de fond… « Il ne s’agit pas de mettre en opposition deux pratiques alternatives, mais de s’interroger sur la manière d’entendre -et pour certains, de répondre par l’action- la requête qu’un patient formule du plus intime de sa subjectivité » B. Cadoré Ceci nécessite un questionnement de fond sur notre rapport à la maîtrise et à la limite…

Rapport à la maîtrise Notre rapport à la maîtrise: Soins palliatifs entre acharnement et euthanasie: un « entre deux » possible? Maîtrise de soi et de l’autre: le risque de l’instrumentalisation. Maîtrise du temps: « il n’en a plus que pour quelques jours… » Maîtrise du sens et de la « bonne mort »

Rapport à la limite Notre rapport à la limite: De l’efficacité technique au cœur de la médecine, du seul « rapport au faire » De l’autre qui résiste à nos idéaux et visées du bien, y compris en soins palliatifs. Du corps, porteur de son langage et de son temps. De la mort « qui résiste ».

Le rapport à la normativité

Simplement, questionner nos « normes » Au cœur d’une société où, majoritairement, le rapport à la mort est médiatisé par la seule médecine. La mort: un lieu, un temps à « gérer » ou l’acceptation de l’irruption d’un tragique de l’existence? Risque d’une seule normativité technique, d’efficacité, pour penser aujourd’hui le rapport à la mort.

Et au cœur de tout cela, il s’agit d’assumer son incertitude, la non-maîtrise

Un défi pour la médecine… «  Si la mission de la médecine est de faire entendre que l’homme visant le bien pour ses semblables est à la fois obstiné et compatissant, elle ne doit pas oublier la fragilité éthique qui caractérise l’humanité de l’homme… C’est dire qu’en aucun cas elle ne saurait s’ériger ni en législateur, ni en juge, ni prétendre avoir, une fois pour toutes, trouvé la vérité. Au contraire, et les soins palliatifs sont exemplaires de ce point de vue, la médecine doit constamment apprendre à développer, au nom de la sollicitude qu’elle veut traduire en pratique, une exigeante autocritique. » B. Cadoré, Manuel de soins palliatifs, Paris, Dunod, 2001, p. 754.