Mardi 18 novembre 2003 Séminaire du Laboratoire de Psychologie Expérimentale et Quantitative Université de Nice-Sophia Antipolis La théorie des buts d’accomplissement, le passé, le présent et le futur. Des études en contexte sportif. Philippe Sarrazin E.A. 540. UFRAPS, BP 53 38041 GRENOBLE cedex 9. Site web : www.ujf-grenoble.fr/ufraps/Recherche/SENS/index_labo_sens.htm
La motivation, une variable explicative centrale des comportements scolaires et sportifs
La théorie des buts d’accomplissement Une des théories les plus populaires pour expliquer la motivation des individus en contexte scolaire (mais aussi dans le monde du travail, le domaine sportif, etc.) Une théorie parcimonieuse au pouvoir explicatif et prédictif important
I- Racines de la théorie et définitions Murray (1938) : besoin d'accomplissement (need of achievement) = « désir d'accomplir quelque chose de difficile, de maîtriser, manipuler ou organiser des objets physiques, des êtres humains ou des idées, de faire cela aussi rapidement et aussi indépendamment que possible, de surmonter des obstacles et d'atteindre un haut standard, d'exceller, de rivaliser et de surpasser les autres, d'accroître son amour propre par la mise en œuvre efficace du talent » Pour McClelland, Atkinson, Clark & Lowell (1953), « aspiration à atteindre dans une compétition un standard conforme à des normes d'excellence » La motivation était essentiellement une question de « besoin », « pulsion », « instinct ».
Une attention de plus en plus grande apportée aux processus cognitifs. « Compétence perçue » : White (1959) l’effectance; Harter (1981) rôle du sentiment de compétence. Les travaux sur les attributions causales (Heider, 1954; Weiner, 1985, 1986) : succès et échecs peuvent attribués à une variété de causes; il existe des variations liées au genre à la culture dans les explications apportées aux succès/ échecs. Les travaux de Maehr (1974), Maehr & Nicholls (1980)…. Le concept de « but » (une perspective « intentionnelle »)
- une variable « cognitive » (et non un besoin ou une pulsion) Le but poursuivi par l’individu, l’amène à expérimenter des états psychologiques spécifiques, détermine ses émotions, cognitions et comportements. Elliot & Dweck (1988), « … chaque but d’accomplissement entraîne avec lui différents “ programmes ” avec différentes commandes, règles de décision, et règles d’inférence, et au bout du compte, différentes conséquences cognitives, affectives et comportementales. En un sens, chaque but crée et organise son propre monde – chacun évoquant différentes pensées et émotions et mettant en avant différents comportements » Le but est : - une variable « cognitive » (et non un besoin ou une pulsion) - sur les raisons de s’engager dans une tâche visant l’accomplissement Buts d ’accomplissement « Pourquoi je viens en cours ?» « quand suis-je en réussite/ échec ? » Buts de la tâche « avoir 15 à mon exam. » - il est affecté par l’expérience, le contexte du moment, et plus généralement l’environnement socio-culturel
II- Quatre idées fortes... Première idée : La recherche de la compétence L’un des buts prioritaires des individus dans les situations telles l’école ou le sport est de : « (1) témoigner ou manifester - à soi ou aux autres - une compétence élevée, et (2) éviter de faire preuve d’incompétence » (Nicholls, 1989).
Deuxième idée : Deux buts d ’accomplissement liés à la compétence Deuxième idée : Deux buts d ’accomplissement liés à la compétence. Il y a deux manières de se sentir compétent :
Les expériences d’apprentissage, de résolution de problèmes, de meilleure compréhension des choses peuvent procurer un sentiment de compétence. Un but de maîtrise (ou but d’apprentissage, ou implication dans la tâche). Le sentiment de compétence repose sur des critères personnels (sa propre performance) et sur un processus de comparaison temporelle Les questions que l’individu se pose : ai-je progressé ? ai-je appris ?
Une conception indifférenciée de la compétence Avec un but de maîtrise, les individus pensent que plus ils font des efforts, plus ils seront compétents : effort et compétence « co-varient » L’impression d’avoir donné son maximum procure un sentiment de compétence.
Un but impliquant l’Ego Progrès et maîtrise personnelle peuvent ne pas suffire pour se sentir compétent. Certains ont besoin de faire la démonstration qu’ils sont les meilleurs. Un but impliquant l’Ego (ou but de résultat, but de compétition) Il y a but impliquant l’Ego chaque fois que l’individu est préoccupé de son positionnement par rapport aux autres :quand il veut (1) « démontrer » sa compétence ou (2) « dissimuler » son incompétence.
Les questions que l’individu se pose : où je me situe par rapport à la norme ? Suis-je bon ? Suis-je ridicule ? Avec un but impliquant l’Ego, le sentiment de compétence repose sur des critères externes (la performance des autres), et sur un processus de comparaison normative. Une conception différenciée de la compétence Avec un but impliquant l’Ego, on peut avoir appris et ne pas se sentir compétent parce qu’on reste en dessous de la norme.
Avec un but impliquant l’Ego, on peut se sentir compétent quand on obtient le même résultat que les autres, mais avec moins d’effort : effort et compétence varient en sens inverse. L’effort est considéré comme une « épée à double tranchant » (Covington & Omelich): d’un côté il peut aider à augmenter sa performance, mais d’un autre il signale encore plus l’incompétence en cas d’échec. certains élèves (ou sportifs) préfèrent ne pas faire d’effort... plutôt que d’en faire et d’échouer.
le but que poursuit un individu dépend à la fois Troisième idée : le but que poursuit un individu dépend à la fois Du contexte (facteur situationnel) De facteurs dispositionnels (d’orientations)
Les facteurs « dispositionnels » Il existe des différences individuelles dans la tendance à poursuivre de manière privilégiée un but particulier. On parle d’ « orientations d’accomplissement » … Dans le domaine du sport, ces orientations peuvent être mesurées par le Questionnaire de Perception du Succès en Sport (Durand, Cury, Sarrazin, & Famose. International Journal of Sport Psychology, 1996)
Quatre « profils motivationnels » Plus de filles Plus de garçons Les « bons » élèves
D’où viennent ces orientations ? Ces orientations préférentielles sont le résultat de la socialisation des individus. Les feedback apportés par les autrui significatifs - le climat motivationnel (Ames, 1992) dans lequel baigne l’enfant - contribuent à façonner ses « orientations ». Exemple les filles de deux institutions scolaires différentes : le collège de la Légion d’honneur vs. le collège Decroly (Famose, Durand, Sarrazin, et Cury, 1993)
L’école de la légion d’honneur est un établissement exclusivement féminin, réservé aux enfants dont les parents ou les grands parents sont titulaires de la Légion d’Honneur ou de l’Ordre National du Mérite. Il s’agit surtout de famille de militaire. Cette école se caractérise par une discipline très stricte; les élèves doivent respecter à la lettre un règlement intérieur et se voient attribuer des notes de conduites (tenue vestimentaire, attitude au travail). Elles portent en permanence un uniforme, des médailles récompensent leurs performances scolaires et leur discipline. Le climat d’apprentissage se caractérise par une pédagogie traditionnelle, des évaluations normatives portant sur les résultats des apprentissages, des classements deux fois par trimestre, l’attribution de sanctions et de récompenses (par exemple, les élèves risque un “ mauvais rapport ” pour une note inférieure à 7; et un “ tableau d’honneur ” pour une note supérieure à 12; et une “ médaille du travail ” pour une note supérieure à 14). Toutes les évaluations revêtent un caractère public affirmé et une cérémonie solennelle de distribution des prix est organisée à la fin de chaque année scolaire. Ce climat pédagogique correspond plutôt à un “ climat scolaire suscitant des buts impliquant l’ego ”.
(clic !) L’école Decroly ( Frénet) prône comme principe éducatif la coopération entre élèves, la solidarité, la responsabilité et l’autonomie. Le règlement qui régit la vie collective est défini collectivement par les enseignants et les élèves. Il peut être modifié par vote. Le climat d’apprentissage se caractérise par une très grande souplesse, les apprentissages se font en groupe ou individuellement. Les élèves établissent un contrat d’apprentissage par discipline. L’évaluation est individualisée et formative; elle porte sur le processus d’apprentissage et non sur ses conséquences. Il n’y a ni punition, ni récompense, ni notation, ni classement en fonction des résultats. Ce climat pédagogique correspond plutôt à un “ climat scolaire suscitant des buts de maîtrise ”. Nous pensions que les élèves de Decroly auraient une propension plus grande à rechercher la maîtrise que ceux de la Légion; par contraste, nous pensions que ceux de la Légion auraient une orientation plus marquée vers un but impliquant l’Ego que les élèves de Decroly. Il est à noter que une forte osmose entre le climat scolaire et le climat familiale. Généralement, n ’importe qui ne va pas à la Légion ou à Decroly. Les parents mettent leurs enfants dans ces établissements en fonction des valeurs particulières qu ’ils développent (lien famille <--> école)
Orientations motivationnelles (en sport et à l’école) des filles des deux établissements scolaires (Légion vs. Decroly) Les résultats sont conformes aux prévisions. (clic !) A l’école, Les filles du collège Decroly sont plus orientées vers la maîtrise que les filles de la Légion d’honneur (clic !) inversement, à l’école, les filles de la Légion d’honneur sont plus orientées vers l’ Ego que les filles du collège Decroly. D’autre part, quand nous avons mesurés les orientations motivationnelles des sujets en sport - parmi ceux qui ne pratiquaient pas en club - nous avons constaté un effet de “ contamination ”. (clic !) Les élèves de la légion se sont avérées plus orientés vers la compétition - en sport - que celles de Decroly. On a donc trouvé une corrélation pour l’orientation vers la compétition, entre le domaine scolaire et le domaine sportif, ce qui semble attester de la relative généralité de ces orientations. Cela devient presque un “ trait ” de caractère: quand on est orienté vers un but impliquant l’Ego, on semble l’être pour beaucoup de situation. En ce qui concerne l’orientation vers la maîtrise, la distinction n’était pas nette entre les deux populations même si l’école Decroly était un peu plus orientée vers la maîtrise dans le domaine du sport, que celle de la légion. Cette étude apporte un relatif soutien à l ’hypothèse d ’une influence des expériences de socialisation sur la construction des orientations motivationnelles des élèves.
Liens orientations théories implicites Selon Nicholls (e.g., 1989), les orientations sont reliées de manière rationnelle aux croyances ou valeurs plus fondamentales sur le fonctionnement du monde (les théories implicites ou naïves). Théorie de l’Entité vs. Incrémentielle de l’intelligence (Dweck, 1986, 1999). Dans le domaine du sport le CNAAQ (Sarrazin, Biddle, Famose, Cury, Fox & Durand, Brit. J. Soc. Psy., 1996) mesure les croyances des individus relatives à la nature et aux déterminants de l’habileté sportive. Un des postulats de Nicholls (1989 ; Duda & Nicholls, 1992) est de présumer une liaison rationnelle entre les buts ou les orientations des individus d’une part,... et leurs croyances ou valeurs plus fondamentales sur le fonctionnement du “ monde ” - croyances ou valeurs qu’il dénomme “ théorie naïve ou profane ” (lay theory). Selon lui, si les individus poursuivent différentes priorités, ils se posent forcément des questions différentes et interprètent la réalité environnante de manière singulière. En d’autres termes, les concepts que les individus utilisent, les données qu’ils collectent, et la manière dont ils interprètent ces données sont consubstantiellement liés à leurs préoccupations. Une des théorie naïve qui a été étudiée… en particulier par Carole Dweck, porte sur les « théories de l ’intelligence ». Certains individus considèrent que l ’intelligence est essentiellement une qualité fixe, peu contrôlable, et assez résistante au changement…. En bref, on aurait une certaine quantité d ’intelligence, et celle-ci n ’évoluerait pas beaucoup. Elle parle dans ce cas de théorie de l ’entité. A l ’inverse, d ’autres personnes adhèrent à une théorie incrémentielle de l ’intelligence. Ils considèrent que l ’intelligence est une qualité malléable, contrôlable et susceptible de s ’améliorer dans le temps. (J ’y reviendrais plus loin, mais Dweck accorde une autre fonction à ces théories… elle considère qu ’elles sont des « déterminants » des buts poursuivis. Nicholls les envisagent plutôt comme des conséquences ou des corrélats. Dans le domaine du sport, nous avons travaillé il y a quelques années sur les liens entre les orientations motivationnelles et les croyances des individus relatives à la nature et aux déterminants de l ’habileté sportive. En nous basant sur les travaux de Dweck, mais surtout à partir d ’entretien semi-directif, nous avons isolés 6 croyances inter-reliées : son caractère améliorable ou stable, général ou spécifique, déterminé par l’apprentissage, ou par des prédispositions naturelles (flèche)...
Orientations Tâche/ Ego et Croyances sur la nature et les déterminants de l’habileté sportive Dans une étude conduite avec plus de 300 collégiens et lycéens, nous avons examiné à partir d ’une analyse canonique, les liens qu ’entretenaient les orientations d ’accomplissement et ces théories naïves. L ’analyse canonique a fait ressortir l’existence de deux réseaux de relations : la première en jaune et la seconde en rouge... Tout d’abord, l’orientation vers la tâche était reliée positivement à la croyance selon laquelle l’habileté sportive est (1) “ améliorable ” (et donc “ instable ”), (2) liée au travail et à l’effort, et (3) plutôt “ spécifique ” à une tâche ou activité. Il semble donc qu’avec une forte orientation vers un but d’implication dans la tâche, on adhère de manière concomitante à une vision “ optimiste ” de l’habileté, selon laquelle ses déterminants essentiels sont “ sous contrôle ” de l’individu (i.e., l’habileté est toujours perfectible grâce au travail fourni). D’autre part, l’orientation vers un but d’implication de l’ego s’est avérée reliée à la croyance selon laquelle l’habileté sportive est à la fois liée à la possession d’un don et “ générale ” (i.e., quand on est “ bon ”, on est bon dans tous les sports). Il semblerait qu’avec une forte orientation vers un but d’implication de l’ego, l’explication de la compétence dans le domaine sportif se porte essentiellement sur les aptitudes, le talent, ou les prédispositions naturelles, en bref, les attributs que l’on a ou non en sa possession, et qui permettent d’être bon immédiatement et quelle que soit l’activité.
le but que poursuit un individu dépend à la fois Du contexte (facteur situationnel) De facteurs dispositionnels Si les prédispositions ou les tendances personnelles sont présumées influencer le but poursuivi par un individu dans une situation particulière, Dweck (1986, 1999) et Nicholls (1984, 1989) ont également fortement insisté sur l’importance des facteurs situationnels. Le contexte dans lequel évolue l’individu aurait également la capacité à susciter un but d’implication dans la tâche ou de l’ego. Dans les conceptualisations de Dweck et de Nicholls, les variables situationnelles font essentiellement référence à l’environnement objectif. Par exemple, selon Nicholls (1984, 1989), un but d’implication de l’ego a plus de chance d’être suscité, quand les tâches (surtout si elles impliquent des habiletés socialement valorisées) sont présentées comme des tests (faisant référence à des normes situant le bon, le moyen et le “ mauvais ”), dans une situation de compétition ou de comparaison sociale, ou quand la facette publique du Soi est activée, en particulier en présence d’une audience, d’une caméra, etc. D’un autre côté, un but d’implication dans la tâche a plus de chance d’être suscité par des contextes qui minimisent la facette publique du Soi et les évaluations sociales, et qui simultanément mettent l’accent sur le processus d’apprentissage, la maîtrise de tâches adaptées au niveau de l’individu, l’investissement et les progrès.
Les facteurs situationnels « objectifs » Un but impliquant l’Ego a plus de chance d’être induit : quand les tâches sont présentées comme des tests (faisant référence à des normes) dans un contexte de compétition (feed-back normatifs) dans toutes les situations qui augmentent la “ conscience de soi ” Dans les conceptualisations de Dweck et de Nicholls, les variables situationnelles font essentiellement référence à l’environnement objectif. Par exemple, selon Nicholls (1984, 1989), un but d’implication de l’ego a plus de chance d’être suscité, quand les tâches (surtout si elles impliquent des habiletés socialement valorisées) sont présentées comme des tests (faisant référence à des normes situant le bon, le moyen et le “ mauvais ”), dans une situation de compétition ou de comparaison sociale, ou quand la facette publique du Soi est activée, en particulier en présence d’une audience, d’une caméra, etc.
Le Climat motivationnel « perçu » (Ames, 1992) Un but de maîtrise a plus de chance d’être induit par des contextes : qui offrent des tâches de niveau de difficulté adapté aux possibilités de chacun, par des feed-back qui insistent sur l’investissement et les progrès, quand on réduit tout ce qui peut miner l’apprentissage en lui-même (récompenses, punitions, etc.). Le Climat motivationnel « perçu » (Ames, 1992) Mesurer le climat motivationnel dans le domaine du sport et de l’Éducation Physique, à partir de l’Échelle de Perception du Climat Motivationnel (Biddle, Cury, Goudas, Sarrazin, Famose, & Durand. Brit. J. of Ed.Psy., 1995) D’un autre côté, un but d’implication dans la tâche a plus de chance d’être suscité par des contextes qui minimisent la facette publique du Soi et les évaluations sociales, et qui simultanément mettent l’accent sur le processus d’apprentissage, la maîtrise de tâches adaptées au niveau de l’individu, l’investissement et les progrès. Si Nicholls a mis l’accent sur l’environnement objectif, d’autres auteurs, et en particulier Ames (Ames, 1992; Ames & Archer, 1988), ont insisté sur l’importance de la perception que les individus pouvaient avoir de la structure sociale. Elle utilise le terme de “ climat motivationnel perçu ” (Ames, 1992) pour faire allusion à ces évaluations ou représentations composites relatives à la structure des buts qui est fortement accentuée dans une situation particulière. En d’autres termes, ce n’est pas le contexte objectif qui compte, mais la manière dont l’individu le perçoit. Ce dernier peut rendre les buts d’implication dans la tâche ou d’implication de l’ego différemment saillants. A ce jour, il existe plusieurs outils destinés à mesurer le climat motivationnel perçu en sport ou en éducation physique ; la plupart tirent leurs racines des travaux princeps d’Ames et Archer (1988). Dans le cadre d ’un projet européen, nous avons il y a quelques années construit un outil spécifique à l ’EPS ou au sport: l’Échelle de Perception du Climat Motivationnel ; EPCM) par Biddle, Cury, Goudas, Sarrazin, Famose, & Durand (1995).
Quatrième idée : les buts d’accomplissement sont reliés à des comportements particuliers En dernier lieu (c’est la quatrième idée forte), il existe une convergence conceptuelle parmi les théoriciens qui s’inscrivent dans le paradigme de la théorie des buts d’accomplissement, au niveau des conséquences comportementales des buts. Selon Nicholls (1989, p. 106), quand on connaît le but que poursuit un individu dans une situation donnée (ego vs. tâche), et ce qu’il doit faire pour accomplir ce but (i.e., le processus motivationnel), alors il est possible d’élaborer des prévisions précises de sa motivation. Dans le contexte scolaire, celle-ci pourra se manifester (1) par une préférence particulière pour un niveau de difficulté quand plusieurs sont proposés, (2) par un certain niveau d’effort consenti, (3) par une persévérance plus ou moins importante face aux obstacles rencontrés, et également (4) par la nature de l’information prioritairement recherchée
Compétence perçue élevée But de l’élève But impliquant l’Ego Perception (cognition) Compétence perçue élevée perception assez stable que l’individu a de lui même, relative à son niveau dans une activité Priorité: « démontrer sa compétence ; Faire mieux que les autres » Comportements : Choix de tâches d’une difficulté supérieure ou égale à la moyenne Persévérance et effort élevés tant que cela permet de se montrer supérieur aux autres Recherche d’une information essentiellement « normative » La compétence est un « modulateur » des buts. La motivation des individus qui poursuivent un but impliquant l ’ego va être différente en fonction du sentiment de compétence….
Faible compétence perçue But de l’élève But impliquant l’Ego Perception (cognition) Faible compétence perçue Priorité: « éviter de paraître ridicule » Comportements : Choix de tâches trop faciles ou trop difficiles Effort et persévérance sont faibles pour protéger son « estime de soi » Recherche d’une information normative et refus d’aide Dévalorisation de la tâche (« c’est nul… »)
But de maîtrise ….. compétence perçue ….. But de l’élève But de maîtrise ….. Perception (cognition) compétence perçue ….. Priorité: « apprendre » ... Comportements : Préférence pour des tâches de « défi personnel » Effort important quand perspective d’apprendre Recherche d’une information utile pour l’apprentissage
Des données empiriques qui corroborent ces hypothèses… Les travaux sont souvent de nature corrélationnelle (les orientations préférentielles des sujets sont mises en correspondance avec divers indicateurs) ; quelques uns (rares) manipulent les buts en jouant sur le contexte de présentation. Peu contrôlent la compétence perçue. Si les hypothèses de la théorie des buts ont été formulées il y a déjà plusieurs années, force est de constater que la plupart des travaux destinés à les éprouver (1) n’ont apporté que des validations partielles la théorie (e.g., l’influence de l’habileté perçue et de la difficulté de la tâche sont rarement investiguées), (2) sont restés de nature corrélationnel, et (3) ont utilisé essentiellement des mesures auto-rapportés (e.g., questionnaire sur l’effort fourni ou la préférence des tâches, rempli par les individus eux-mêmes ou par des proches comme les enseignants, les entraîneurs ou les parents) En réaction à ces limites, nous avons tenté de bâtir des plans quasi-expérimentaux, et d’utiliser des mesures du comportement “ réel ” manifesté par les sujets, et non auto-rapportées.
Ego - Compétence perçue élevée Ego - faible compétence perçue Quatre groupes d’élèves de collège sélectionnés sur la base du but qu’ils poursuivent préférentiellement en EPS (ego vs. Maîtrise) et de leur compétence perçue dans l’activité (élevée vs. faible) : Ego - Compétence perçue élevée Ego - faible compétence perçue Maîtrise - Compétence perçue élevée Maîtrise - faible compétence perçue Ces sujets sont placés dans des situations expérimentales conformes au but qu’ils poursuivent préférentiellement Sujet Maîtrise « Cours particulier » Sujet Ego Compétition, prestation filmée. Nous, nous avons conduit une série d ’études dans lesquelles nous jouions sur ces deux antécédents possibles des buts…. Je vais vous présenter à présent le résultats de travaux portant sur différentes variables motivationnelles : (1) le choix d ’un niveau de difficulté en situation de libre choix, (2), l ’effort et la performance réalisée, (3) la persévérance après échec, et (4) le type d ’information préférentiellement choisi.
Tâche : choisir et grimper une voie parmi 5 Sélection d’un niveau de difficulté en situation de libre choix, en fonction du but d’accomplissement et de la compétence perçue. Sarrazin, Cury, & Famose (Revue STAPS, 1995) 82 garçons de 12 à 15 ans Tâche : choisir et grimper une voie parmi 5 VI: But d’accomplissement (Ego vs. tâche) Compétence perçue (élevée vs. faible) VD: Difficulté de la voie choisie (Très Facile, Facile, Moyenne, Difficile, Très Difficile) Probabilité subjective de réussir la voie choisie
Sélection d’un niveau de difficulté (une voie à grimper) en fonction du but et de la compétence perçue (C.P.) (Sarrazin, Famose, Cury, 1995)
Chances perçues de réussir la voie choisie (i. e Chances perçues de réussir la voie choisie (i.e., facilité de la voie pour le sujet), en fonction du groupe
Tâche : grimper 5 voies (moyenne en 1er, puis ordre aléatoire) Effort fourni en fonction du but d’accomplissement, de la compétence perçue et de la difficulté de la voie en escalade. Sarrazin, Roberts, Cury, Biddle, & Famose (Research Quarterly for Exercise and Sport, 2002) 78 garçons de 12 à 15 ans Tâche : grimper 5 voies (moyenne en 1er, puis ordre aléatoire) VI: But d’accomplissement (Ego vs. tâche) Compétence perçue (élevée vs. faible) Difficulté de la voie (T.Facile, Facile, Moyenne, Difficile, T. Difficile) VD: Effort fourni : pourcentage de la fréquence cardiaque de réserve pour chacune des voies : (FC instantanée max. - FC repos) / (220 - âge - FC repos) * 100 Performance réalisée : nombre de voies réussies.
Hypothèses:
Effort fourni (pourcentage de la fréquence cardiaque de réserve) Les résultats font ressortir un effet principal du but : sur les 5 voies, les sujets qui poursuivaient un but de maîtrise ont fait plus d ’effort (73.4 vs. 68.4%)… et ont obtenu plus de succès (60% vs. 42%) que ceux qui poursuivaient un but impliquant l ’ego Au niveau de l ’effort, une interaction de niveau 3 but x habileté x difficulté, est ressortie... Comme on peut le voir sur la figure, les sujets qui poursuivaient un but d’implication dans la tâche ont fourni le plus d’effort, sur des niveaux de difficultés conformes à leur habileté perçue. Les sujets Tâche/HP- (rouge) ont fait le plus d’effort sur les voies facile et moyenne, alors que les sujets Tâche/HP+ (jaune) ont fait le plus d’effort sur les voies les plus difficiles. Quand les individus recherchent la maîtrise et le progrès, ils consacrent un maximum d’énergie sur les niveaux de difficulté qu’ils considèrent comme leur posant des défis personnels. C’est la raison pour laquelle, ceux qui avaient une habileté perçue supérieure ont fourni le plus d’effort sur les niveaux de difficulté les plus élevés, alors que ceux qui avaient une plus faible habileté perçue ont fourni le plus d’effort sur des niveaux de difficulté inférieurs Le groupe Ego/HP- (vert) a exercé le plus d’effort sur les voies très facile, facile et difficile, significativement plus que sur les deux autres. Quand on veut dissimuler son incompétence “ l’effort est élevé sur les tâches faciles où l’échec – qui indiquerait une faible habileté – apparaît évitable en fournissant des efforts ”. Cependant, il semble, que la perspective de démontrer son incompétence peut induire l’échec. En effet, si les Ego/HP- semblent avoir fourni autant d ’effort que lesTâche/HP-, sur la voie facile… ils ont obtenu moins de succès. L’anxiété face aux situations de test, comme le retrait partiel de l’attention peuvent expliquer cet échec supérieur. Comme Nicholls (1984) le disait, la performance chez les participants qui poursuivent un but d’implication de l’ego, “ peut être diminuée du fait des évaluations désobligeantes relatives à leur niveau d’habileté (self-derogatory ability evaluations), même quand l’effort est élevé ”. (Revenir) Enfin, comme prédit par la théorie, les sujets Ego/HP- ont exercé significativement moins d’effort et obtenu les pires performances (par rapport aux trois autres groupes) sur la difficulté moyenne.
Performance réalisée (i.e., pourcentage de réussite) En accord avec les prédictions de la théorie des buts, les sujets Ego/HP+ (bleu) ont fourni le plus d’effort sur les voies moyenne et difficile, significativement plus que sur les voies très facile, facile et très difficile. Quand les individus veulent démontrer leur supériorité aux autres et quand ils sont convaincus d’être capables de pouvoir le faire (i.e., habileté perçue élevée), alors ils estiment qu’ils doivent réussir les tâches dont le niveau de difficulté révèle une habileté supérieure. Ils sont prêts, pour cela, à y consacrer un effort important…. MAIS (diapo 38), cette préoccupation de vouloir démontrer sa supériorité à tout prix, peut conduire à l’échec. Comme on peut le voir sur la figure, 30% des sujets Ego/HP+ n’ont pas réussi la voie moyenne, alors que tous les sujets Tâche/HP+ l’ont réussi. Encore une fois, il est probable qu’une préoccupation trop importante sur l’image que l’on donne de soi peut conduire à un retrait partiel de l’attention des aspects pertinents de la tâche qui permettent de réussir Revenir arrière : D’autre part, avec un but d’implication de l’ego, l’effort est moins intense quand les tâches (1) sont atteignables sans trop forcer, ou (2) si difficiles que l’échec apparaît certain malgré un effort maximum : pourquoi trop forcer quand la combinaison effort échec ne permet que de démontrer un manque d’habileté ? Contrairement aux Tâche/HP+, les Ego/HP+ ont fourni moins d’effort sur la voie très difficile
Motivation d’accomplissement et persévérance après un échec (Cury, Biddle, Sarrazin, & Famose, Brit. J. of Ed. Psy., 1997). 99 sujets de 12 à 16 ans Tâche : s’entraîner avant de passer un deuxième test (parcours chronométré en basket) quand le premier parcours n’a pas été bon (feed-back d’échec). VI: But d’accomplissement (Ego vs. tâche) Compétence perçue (élevée vs. faible) VD: Temps passé à s’entraîner en l’absence de toute contrainte
Temps (en secondes) consacré à travailler, pour préparer l'essai suivant en fonction du groupe
Motivation d’accomplissement et nature de l’information recherchée. Cury, Sarrazin, & Famose (European Yearbook of Sport Psychology, 1997) 108 sujets de 12 à 16 ans Tâche : Réaliser 2 parcours chronométrés entrecoupés d’une phase d’entraînement. Un feedback d’échec est communiqué après le 1er parcours. VI: But d’accomplissement (Ego vs. tâche) Compétence perçue (élevée vs. faible) VD: sentiment de réussite (pour le 2ème parcours) Information recherchée.
Possibilité de choisir entre : - une information objective (quel progrès ai-je réalisé entre le 1er et le 2ème test ?) - une information technique (comment progresser ?) - une information normative (où je me situe, par rapport à la norme ?) - refus de toute information (partir tout de suite)
Type d’information choisie en fonction du groupe (en pourcentage)
Résumé des travaux antérieurs Les buts impliquant la tâche (orientation et/ ou suscités par le climat) conduisent généralement à une constellation de résultats comportementaux, affectifs et cognitifs qui facilitent l’apprentissage ou la performance. Une orientation motivationnelle « adaptative » (Dweck, 1986) Les buts impliquant l’ego sont par contraste « non adaptatif », surtout quand ils sont associés à une faible compétence perçue. Les travaux dans le domaine scolaire sont plus inconsistants, parfois les buts impliquant l’ego sont associés à des résultats positifs ou pas forcément associés à des résultats négatifs (souvent le cas quand l’habileté perçue n’est pas contrôlée).
III- Le « futur » de la théorie 1. Réintégrer la distinction approche vs. évitement de la motivation d’accomplissement (e.g., Elliot, 1997) Motivation d’approche (appétitive) recherche d’un événement désirable e.g., rechercher le succès Motivation d’évitement (aversive) crainte d’un événement négatif e.g., éviter l ’échec Une évolution récente de la théorie qui semble prometteuse provient des travaux d ’Andy Elliot (Université de Rochester). Elliot propose de réhabiliter la distinction approche évitement qui existait dans les théories antérieures de l ’accomplissement, dans le cadre de la théorie des buts. Comme je l ’avais signalé au début de mon exposé, les 1er modèles de la motivation d ’accomplissement - comme ceux d ’Atkinson (1957), mais aussi McClelland et Murray, … ces modèles originels distinguaient deux besoins ou deux tendances : une forme appétitive (ou motivation d ’approche) vs.. une forme aversive (ou motivation d ’évitement). Dans la motivation d ’approche le comportement est initié ou dirigé vers un événement positif ou désirable (e.g., rechercher le succès). Par contraste, avec une motivation d ’évitement, c ’est la crainte de l ’occurrence d ’un événement négatif ou non désiré qui est à l ’origine du comportement (e.g., éviter l ’échec) Les résultats non concluants des recherches antérieures, concernant les buts impliquant l’ego pourraient être liés à une confusion de ces deux formes de motivation …. Vers un modèle tri- puis quadri- dimensionnel
But d’approche de la performance But d’évitement de la performance Motivation d’approche Motivation d’évitement Ego Tâche But d’approche de la performance démontrer une compétence normative But d’évitement de la performance éviter de dévoiler son incompétence (% autres) But de maîtrise améliorer ses compétences personnelles et sa maîtrise des tâches But d’évitement de la maîtrise craindre/ éviter de ne pas comprendre, progresser Elliot & McGregor, 2001 Dans des écrits récents, Elliot et McGregor (2001) suggèrent l’existence de buts d’évitement de la maîtrise. Dans cette configuration motivationnelle, l’individu éviterait les situations sociales au cours desquelles il ne peut maîtriser la tâche ou progresser. Ce construit pourrait concerner par exemple, les personnes confrontées à des performances intellectuelles ou sportives qui déclinent… après l’apogée de leur carrière ou de leur vie. Dans le cadre des pratiques sportives, un athlète en fin de carrière qui constate que ses compétences déclinent, ou un sportif confronté à des exercices techniques irréalisables pourraient manifester des comportements d ’évitement et de renoncement. Dans le domaine scolaire, l ’élève perfectionniste qui sent qu ’il ne sera pas capable d ’apprendre ce qui est demandé dans le temps imparti pourrait également manifester des comportements d ’évitement et de renoncement… pour éviter de se faire la démonstration qu ’il n ’est pas capable d ’apprendre.
Déterminants des 3 buts (Cury, DaFonséca, Rufo, & Sarrazin, Perceptual and Motor Skills, 2002). Climat de compétition Climat de Maîtrise .32 .26 .30 -.18 -.27 .27 -.29 .18 .26 .23 .27 -.09 But d’approche de la performance But d’évitement de la performance But de maîtrise Théorie de l’entité Théorie incrémentielle Compétence perçue 682 collégiens de 13 à 16 ans (M=14,3) Seules 2 sous-échelles du CNAAQ ont été utilisées : Incrémentielle et entité (stable)