Définition des langues et statuts. L’exemple des créoles Marie-Christine Hazaël-Massieux, séminaire, 2008-09 Définition des langues et statuts. L’exemple des créoles Introduction au cours
Définitions On peut certes définir les langues comme (déf. de G. Mounin) « Tout système de signes vocaux doublement articulés, propre à une communauté humaine donnée. » (Dict. de Linguistique, Quadrige – PUF, éd. 1993, p. 196 Mais dans l’imaginaire collectif, cela ne suffit pas à faire une langue ! Les langues sont de facto conçues comme des moyens de communication répondant à certaines fonctions (surtout nobles) : on peut les écrire, elles ont des grammaires (écrites), des dictionnaires, sont dotées de littératures, concourent à l’identité nationale... On est toujours prêt à utiliser d’autres termes pour distinguer des parlers plus ordinaires, plus quotidiens, non écrits, différents des « grandes langues » dont l’évidence s’impose : on parle de jargons, de patois, de dialectes...
peut-être de « créoles » pour certaines langues « mélangées » ... peut-être de « créoles » pour certaines langues « mélangées »... si l’on n’évoque pas « le créole » comme étant une seule et même langue ! Tout ceci semble bien sûr très approximatif au linguiste qui s’intéresse à toutes les langues, quel que soit leur statut... tout en étant bien conscient de la difficulté qu’il y a à tracer des « frontières linguistiques » : où s’arrête une langue, où commence une autre ??? La variation est considérable dans les langues. On distingue classiquement avec W. Labov (http://creoles.free.fr/sociolinguistique/variation.htm) : La variation historique : diachronique La variation géographique : diatopique La variation sociale : diastratique La variation stylistique : diaphasique...
Evolutions et classements La philologie explique l’évolution linguistique en partant d’un système (terminus a quo) et elle voit par quels procédés phonétiques et morphologiques il convient de passer pour expliquer le point d’arrivée (terminus ad quem) « [...] les langues créoles doivent leur existence aux « grandes découvertes ». C'est dire qu'il existe pour elles un terminus a quo que l'on peut dater de 1434, année où le navigateur portugais Gil Eanes doubla le cap Bojador au sud du Maroc et ouvrit la voie à l'exploration de la côte africaine et au-delà. » — Source : Hombert Jean-Marie et al. (2005), "Aux origines des langues et du langage", Fayard, Paris, p. 392.
Rosa > rose en fr. par affaiblissement de la consonne sourde entre deux voyelles : s>z, chute de la voyelle finale (du fait de l’accent tonique sur l’avant-dernière syllabe), etc. De fait la linguistique comparée établit ses règles, construit des évolutions nécessaires à la cohérences des évolutions, en comparant des langues établies dès lors comme apparentée. Mais quelles sont les raisons de ces évolutions, comment ont-elles été franchies... ? Tout est reconstruction et on ne se soucie guère de la « réalité » (contacts avec certaines langues ou autres facteurs déclenchant...), en admettant qu’on puisse les établir ! On établit des règles indispensables pour expliquer une évolution qu’autrement on ne peut justifier... Pour les curieux lire Ruhlen, Merritt, 1997 L’origine des langues, Belin, Débats, 287 p. (éd. orig. 1994)
C’est à partir de là qu’on peut dégager des langues qui viennent de la même langue, et donc qu’on établit la notion de famille, de parenté... : cf. les langues romanes, différences, mais similitudes aussi entre français, espagnol, italien, portugais, roumain, provençal, etc. qui toutes viennent du latin : mêmes règles, pas dans le même ordre, et pas nécessairement aussi nombreuses, en tout cas pas à la même époque. Rosa rosa (esp), roza (ital.) roz (fr.) Pourquoi ces règles ? Parce qu’elles marchent ! Pourquoi ces évolutions et pas d’autres : On ne sait pas. Cela pourrait relever de l’histoire des sociétés (contacts, formation de différents groupes, etc.), mais on est très prudent quand il s’agit d’établir des corrélations sociologiques à époque si ancienne, car on s’estime mal renseigné. Cf. variantes libres >< variantes conditionnées, et la nouveauté de W. Labov.
Pour les créoles... Langues de formation récente, on est assez bien renseigné, si l’on sait interpréter les « textes anciens » ! Pour les créoles français, par exemple, classiquement on donne une définition socio-historique : « langues nées au cours des XVIIe – XVIIIe siècles de la colonisation, du fait des contacts de langues et des communications orales approximatives entre maîtres et esclaves ». Pour opposer pidgin et créole, on considère qu’on a un « créole » quand il y a « nativisation » : c-à-d. quand naissent des enfants qui n’ont plus que le créole comme langue. Définition typologique : frappé par les ressemblances entre les créoles quelle que soit leur base (il faut dire qu’ils viennent pour les plus connus de langues romanes ou marqué par la Romania), nés tous comme langues strictement orales dans des conditions de communication influencées par la situation de discours, on essaye aussi de démontrer que ces langues correspondent à un type particulier.
Types linguistiques : caractéristiques morphologiques avec la typologie des frères Schlegel (inspirée de Humboldt), revue par Sapir (langues isolantes, flexionnelles, agglutinantes, synthétiques, voire polysynthétiques). A noter l’apparentement des langues n’implique pas qu’elles soient de même type, et vice-versa : il convient de faire très attention à ne pas confondre les deux ordres de comparaison (cf. Meillet). Mais on peut aussi chercher des traits particuliers pour construire une typologie : les créoles, très variés, présenteraient-ils tous les même traits ? Lesquels ? Des linguistes se sont interrogés sur l'existence, dans les langues créoles, de traits linguistiques particuliers qui fonderaient un type (Taylor 1971, ou plus récemment McWhorter 1998 : 3 traits). Si c'était le cas, il pourrait exister des langues structurellement identifiables comme « créoles » alors même qu'elles ne sont pas habituellement désignées comme telles ; et le mot créole renverrait alors une catégorie en typologie linguistique.
Difficulté : L’établissement de traits communs suppose que l’on ait d’abord une définition de ce que sont les langues créoles... (au-delà du nom que certains leur donnent !). Si l’on essaye de classer tous les créoles supposés (les langues dont s’occupent les créolistes ?), très vite, d’autres langues qui ne sont pas du tout candidates, se retrouvent classées comme créoles (cf. Salikoko Mufwene le souligne pour l’anglais, et même pour le chinois).
Une nouvelle définition, liée à étude des textes anciens ?... Les créoles sont des langues nées dans des situations de contacts de langues qui font que le langage dit commun, et qui est en fait marqué par une extrême variation, est perçu, et donc reçu et interprété différemment selon les divers groupes, selon leurs langues de départ, selon leurs habitudes linguistiques et selon leur appartenance sociale. Si le créole, dès sa naissance, permet la communication immédiate pour des réalités quotidiennes, il va s’élaborer en quelques générations au fil précisément des interprétations... Les « interprétations » des maîtres ne sont pas celles des esclaves... Ex de múndèlé / moune dé lé ; ba / bay / baille... « Eh ! eh ! Bomba, hen ! Canga bafio té Canga moune dé lé Canga do ki la Canga li. »[1] [1] Texte donné par Moreau de St-Méry, 1796, p. 67 de l’Edition de 1958 qui nous sert de référence (tome 1er).
Même si l’on communique globalement et même si l’on se comprend, on ne classe pas, on ne structure pas les unités de la même façon : deux (ou NN) systèmes interprétatifs coexistent, et les interprétations s’ajustent progressivement... La langue est définitivement constituée quand on peut dire que les interprétations se rejoignent, quand elles collent mieux ensemble, c’est-à-dire quand le degré de conscience des structures linguistiques a crû des deux côtés, que les systèmes de référence initiaux se sont un peu éloignés dans le temps, (de fait le système français laisse plus de traces en raison de l’apprentissage écrit qui en fait par tous progressivement). On a (re)constitué un nouveau système, différent des systèmes antérieurs, même si des interprétations (des descriptions grammaticales) restent marquées par les grammaires des autres langues connues (cf. là encore domination du français, langue de l’école : on cherche en créole des « passés simples » et des « plus-que-parfaits », on s’étonne que le masculin et le féminin soient semblables !)
A partir de l’abolition, de l’accès à l’écriture des anciens esclaves, de la montée sociale des libres de couleur qui prennent davantage la parole formelle et l’écriture, on assiste à des évolutions souvent considérables : cf. « va » remplacé par « ké » dans les petites Antilles pour le futur (le système des Particules Préverbales comporte déjà ka / té /... : « ké » trouve rapidement sa place (cf. système des langues des esclaves d’origine bantou à PPv et marques de classe), ressemblances perçues en Haïti entre « ap » < après et « kap » < capable ???
Français Langues africaines 1700-1750… Époque du « créole » 1820… 1ère rupture : du français au créole 1700-1750… Cr. parlé par les maîtres : témoi-gnages écrits Cr. parlés par les esclaves Époque du « créole » 2e rupture : du « créole » marqué par la variation aux langues diverses 1820… Se dégagent paradigmes caractéristiques de chaque nouvelle langue hai Forces qui s’exercent sur le créole visible (écrit) des colons : les esclaves, libérés, les mulâtres, les engagés libres…arrivés d’Afrique, de l’Inde… qui parlent un créole (différent du créole des maîtres) se mettent à écrire ou à influencer l’écrit). gua mar
Langues et statuts Si tous les moyens de communication propres à l’homme, vocaux, doublement articulés... sont des langues, il convient d’être bien conscients que toutes ces langues n’ont pas le même statut et qu’elles s’opposent, se distinguent par leurs fonctions, leurs finalités... On précisera donc quelques notions : Langues nationales Langues officielles Langues « régionales » Langues vernaculaires Langues véhiculaires...
Dès lors les « créoles » n’ont pas tous le même statut Dès lors les « créoles » n’ont pas tous le même statut. Comparer l’haïtien et le mauricien, le martiniquais et le seychellois... Mais le français lui-même n’a pas partout le même statut : en France, au Québec, dans le reste du Canada, avant 1960 ou maintenant, en Belgique, ou en Afrique sub-saharienne... Il faut prendre la situation dans chaque pays pour parler de statut... Le « statut » est fonction du « corpus » mais le corpus dépend du statut... ! Les langues régionales en France ont changé de « statut » depuis l’Ancien Régime (cf. le rôle de la Révolution française) : maintenant en voie de disparition, en situation « patoisante »...