Danièle Lochak – conférence Nantes Histoire 15 janvier 2018 Trente années de combats contre les politiques migratoires et pour la reconnaissance des droits des étrangers
I. Quarante ans de politique d’immigration [1945] 1977-2017
1945-1981 1945 – Ordonnance de 1945 qui encadre strictement l’entrée en France des travailleurs 1972 – circulaires Marcellin-Fontanet qui interdisent pour l'avenir la régularisation des travailleurs entrés en France sans être munis d'un contrat de travail. Premières grèves de la faim des sans-papiers Septennat giscardien 1974 : suspension officielle de l’immigration de travail 1977 : Politique Stoléru visant à obtenir la diminution du nombre d’étrangers résidant en France. Loi Bonnet de 1980 qui permet d’expulser les étrangers en situation irrégulière et légalise l’enfermement pour faciliter les expulsions.
1981-1986 1981 – arrivée de la gauche au pouvoir. La loi d’octobre 1981 introduit des garanties contre l’éloignement, au profit des mineurs et des étrangers ayant des attaches en France. La loi de juillet 1984 crée la carte de résident, valable dix ans et renouvelable automatiquement, qui donne le droit d'exercer sur l'ensemble du territoire la profession de son choix. Mais : Recul sur la question du droit de vote, qui figurait pourtant parmi les 110 propositions du candidat Mitterrand. La lutte contre l'immigration clandestine reste un objectif prioritaire. Est conservée la possibilité de maintenir les étrangers en instance de départ forcé dans des locaux placés sous surveillance policière jusqu'à leur départ effectif. À partir de 1983 : la fermeté redevient la ligne de conduite du gouvernement
1986-1993 1986 : première cohabitation et première loi Pasqua 1988-1993 : fin de l’époque socialiste 1989 : Loi Joxe, qui revient à l'esprit des textes votés en 1981 et 1984 1992 : création des zones d’attente Deuxième cohabitation et nouvelle ère Pasqua Loi Méhaignerie du 22 juillet 1993 réformant le droit de la nationalité et subordonne l’accès des jeunes étrangers nés en France à la nationalité française, jusque-là automatique, à une « manifestation de volonté ». Loi du 10 août 1993 facilitant les contrôles d'identité. Loi Pasqua du 24 août 1993 qui renforce le dispositif répressif visant à éloigner du territoire les étrangers en situation irrégulière et limite le droit au séjour de nombreuses catégories d'étrangers.
1998-2012 La loi Chevènement de 1998 atténue les effets déstabilisateurs de la loi Pasqua en créant la carte « vie privée et familiale » pour les personnes ayant des attaches en France. Mais elle entérine la précarisation puisqu’on leur délivre des cartes d’un an là où la loi de 1984 avait prévu pour eux une carte de résident. Lois Sarkozy de 2003 et 2006 suppriment presque complètement l’accès direct à la carte de résident : la carte d’un an devient la norme. Elles subordonnent la garantie de la stabilité du séjour à des gages d’intégration donnés par l’étranger, inversant la logique de la loi de 1984. Quinquennat Hollande Loi de 2015 sur le droit d’asile qui transpose les directives européennes Loi de 2016 réformant les conditions de séjour et d’éloignement. En dépit de quelques avancées sur des points de détail, elles confortent l’évolution antérieure.
II. Des Droits sacrifiés aux politiques migratoires
Au niveau national La dérive répressive
Restrictions croissantes aux droits et libertés Développement des instruments répressifs Accroissement des pouvoirs de surveillance, de contrôle et de contrainte Place attribuée à l’outil pénal Affaiblissement des garanties juridictionnelles
AU NIVEAU de l’union européenne
Tenir les migrants à distance La mise à distance juridique : la politique des visas La surveillance des voies d’accès illégales : le rôle de Frontex Externalisation, délocalisation Accords de réadmission Processus de Khartoum, agenda UE-Ethiopie, accord UE-Turquie…
Les droits violés Droit de quitter son pays Droit d’asile Obligation de non refoulement Droit à la vie Droit de ne pas être soumis à des traitements inhumains et dégradants Droit à la liberté et à la sûreté contre l’enfermement La complicité de crimes contre l’humanité
III. CAMPAGNES ET MOBILISATIONS 1977-2017
Quelles modalités ? Mobilisations contre des projets de lois Mobilisations au long cours Création de nouvelles structures Tribunaux d’opinion La bataille des idées
MOBILISATIONS PONCTUELLES contre des projets de lois
1986 – Campagne contre le projet de modification du Code de la nationalité – collectif animé par la LDH et regroupant 200 associations 1988 – Collectif « Pour l’abrogation de la loi Pasqua » 1993 – Mobilisations contre les réformes Pasqua 2003 – Mobilisation contre la loi Sarkozy I 2006 – Collectif « Uni(e)s contre une immigration jetable » (UCIJ) pour lutter contre le projet de loi Sarkozy II
Mobilisations AU LONG COURS Thématiques, modalités
Sans-papiers 1972 – Grèves de la faim contre les circulaires Marcellin-Fontanet Juin 1978 – SOS refoulement : des associations et des syndicats prennent en charge les dossiers d’étrangers privés de leur droit au séjour et au travail et pour dénoncer la politique d’immigration. 1990-1991 – Les déboutés du droit d’asile Juillet 1990 – Un réseau d’information et de solidarité met en place des permanences pour les demandeurs d’asile déboutés Mai 1991 – Grèves de la faim des déboutés du droit d’asile Eté 1996 – Mouvement des sans-papiers avec occupation des Eglises Saint-Ambroise puis Saint-Bernard 2008 – Mobilisation des syndicats et des travailleurs sans-papiers qui déclenchent des grèves dans plusieurs entreprises de l’île de France pour réclamer leur régularisation
La carte de dix ans Octobre 1978 – Plateforme revendicative sur les problèmes de l’immigration élaborée par des syndicats et des associations, revendiquant une carte unique de dix ans valant autorisation de séjour et de travail 1983 – Constitution du collectif pour la carte de dix ans qui regroupe une cinquantaine d’associations et qui aboutira à l’adoption de la loi du 17 juillet 1984 sur la carte de résident.
Le droit de vote (1) Dès 1973, le PSU puis la LCR se déclarent en faveur du droit de vote des étrangers. 1980 – La LDH adopte une résolution pour le droit de vote. 1981 – Le droit de vote fait partie des 110 propositions du candidat Mitterrand. 1985 – Des maires prennent l’initiative de faire élire des conseillers associés. La Marche pour les droits civiques met le droit de vote au centre de ses revendications 1989-90 – SOS Racisme lance une campagne « 89 pour l’égalité ». La LDH prend l’initiative d’une campagne « Liberté, égalité, citoyenneté » et suscite dans la foulée la constitution d’un collectif « J’y suis, j’y vote », qui regroupe plus de 250 associations.
Le droit de vote (2) 1999-2000 – Nouvelle campagne pour le droit de vote : trois collectifs voient le jour : « Même sol = mêmes droits, même voix », « Un(e) résident(e), une voix », formé par des associations d’immigrés, et « Pour une véritable citoyenneté européenne ». 2002 – Réunion des organisations mobilisées en 1999-2000 au sein du collectif national « Votation citoyenne » pour organiser chaque année, dans une centaine de municipalités, une « votation » permettant à plusieurs dizaines de milliers de personnes d’exprimer leur adhésion au projet. 2012 – Le collectif « Votation citoyenne », renommé « Droit de vote 2014 », lance une grande campagne nationale pour maintenir la pression sur le gouvernement afin qu’il engage la procédure de révision constitutionnelle.
La « double peine » Juin 1990 – Comité national contre la double peine 2001 – Campagne nationale contre la double peine à l’initiative de la Cimade : « Une peine./» (une peine point barre)
Le droit de vivre en famille 1993 – Création de la coordination française pour le droit des immigrés à vivre en famille 1993 – Création de la coordination européenne pour le droit des étrangers de vivre en famille 2007 – Création des Amoureux au ban public pour la défense des couples franco-étrangers
Délit de solidarité Février 1997 – Appel à la désobéissance civile en réaction au projet de loi Debré visant à « responsabiliser » les hébergeants et à la condamnation d’une femme ayant hébergé son ami zaïrois 2003 – Manifeste des délinquants de la solidarité pour dénoncer la multiplication des mises en examen et condamnations pour aide au séjour irrégulier et l’aggravation des peines prévues par le projet de loi Sarkozy. 2009 – Pétition des « délinquants solidaires » : « Nous déclarons que nous avons soutenu, soutenons ou soutiendrons des étrangers en situation irrégulière (etc.) ». Janvier 2017 – Manifeste : « La solidarité, plus que jamais un délit ?», signé par plusieurs centaines d’organisations, en réaction contre la multiplication des procès dans la vallée de la Roya, à Calais, Paris, Boulogne, etc.
Outre-mer Décembre 1995 – Mission en outre-mer (Guyane et Saint-Martin) effectuée par sept organisations (dont Assoka, Gisti, Cimade, SAF, SM), débouchant sur un rapport : « Des étrangers sans droits dans une France bananière » (mars 1996) 1998 – Création du collectif Caraïbe par le CCFD, Emmaüs France et le Gisti. 2006 – Création du collectif « Migrants outre-mer » (MOM) (CCFD, Collectif Haïti, Cimade, Gisti, LDH, MDM, puis Anafé, Adde, Mrap…)
Mineurs étrangers isolés 2000 – Premières mobilisations pour l’accueil des mineurs étrangers isolés 2012 – Création du Collectif MIE pour la défense des droits des mineurs isolés étrangers qui réunit des associations de défense de l’enfance, la Cimade, le Gisti, des syndicats – Sud et CGT-, RESF). Mise en place de la permanence « Adjie » (Accompagnement et Défense des jeunes isolés étrangers)
Mobilisations au niveau européen (1) 1993 – Création de la coordination européenne pour le droit des étrangers à vivre en famille regroupant plus de 150 associations Fin 2002 – Naissance de Migreurop, réseau européen de militants et de chercheurs, pour dénoncer la généralisation de l’enfermement des étrangers dans la politique de l’Union européenne. Le réseau devient euro- africain et se constitue en association en 2005. 2004 – Appel européen « contre la création de camps aux frontières de l’Europe » 2008 – Appel international contre la « directive de la honte » (directive « retour »)
Mobilisations au niveau européen (2) 2011 – Lancement, à l’initiative du réseau Migreurop, de la campagne européenne « Open Access Now » pour alerter sur les dérives de l’enfermement un accès inconditionnel à l’information et aux lieux de privation de liberté pour les journalistes et la société civile. 2015 – Lancement de la campagne « Close the camps » destinée à obtenir la fermeture de tous les camps. Mars 2013 – Lancement de la campagne Frontexit (« L’Europe est en guerre contre un ennemi qu’elle s’invente ») pour dénoncer les violations des droits humains résultant des opérations de l’agence Frontex. )
Création de nouvelles structures
1977 – Création de la commission de sauvegarde du droit d’asile pour dénoncer la Convention européenne pour la répression du terrorisme (campagne contre l’extradition des réfugiés basques) Décembre 1989 – Création de l’Anafé – Association nationale d’assistance aux frontières pour les étrangers qui réunit des associations et des organisations syndicales 1993 – Création de la coordination française et de la coordination européenne pour le droit de vivre en famille 1998 – Création du collectif Caraïbe par le CCFD, Emmaüs France et le Gisti. 2000 – Création de la Coordination française pour le droit d’asile (CFDA) regroupant une vingtaine d’organisations.
1998-2000 – A l’occasion de la mise en place de la CMU, rédaction d’une plateforme pour l’accès aux soins des sans-papiers, puis mise en place d’un « observatoire CMU » qui se transformera en Observatoire du droit à la santé des étrangers (ODSE). Octobre 2000 – Création du Collectif national Droits de l’Homme Romeurope pour soutenir les droits des personnes originaires d’Europe de l’Est, roms ou présumées Roms, vivant en bidonville, squat ou autres lieux de survie en France. Fin 2002 – Naissance de Migreurop, réseau européen de militants et de chercheurs, pour documenter et dénoncer la généralisation de l’enfermement des étrangers, au cœur de la politique de l’Union européenne. Le réseau devient euro- africain et se constitue en association en 2005. .
2004 – Création de RESF (Réseau éducation sans frontières), à l’initiative d’enseignants mobilisés pour la régularisation des élèves et parents d’élèves sans papiers. 2006 – Création du collectif « Migrants outre-mer » (MOM) (CCFD, Collectif Haïti, Cimade, Gisti, LDH, MDM, puis Anafé, Adde, Mrap…) 2007 – Création des Amoureux au ban public pour la défense des couples franco-étrangers 2009 – Création de la plateforme « En finir avec les contrôles au faciès » (Gisti, Human Rights Watch, LDH, SAF, SM, etc.)
2010 – Création de l’Observatoire de l’enfermement des étrangers (OEE) (ADDE, Acat, Comede, Cimade, Emaüs, Fasti, Gisti, LDH, Mrap, SAF, Secours catholique, SM) pour défendre le droit d’accès aux lieux d’enfermement, faire respecter les droits des étrangers enfermés et témoigner sur les atteintes aux droits et à la dignité engendrées par l’enfermement. 2012 – Création du Collectif MIE pour la défense des droits des mineurs isolés étrangers qui réunit des associations de défense de l’enfance, la Cimade, le Gisti, des syndicats – Sud et CGT-, RESF). Mise en place de la permanence « Adjie » (Accompagnement et Défense des jeunes isolés étrangers)
Tribunaux d’opinion
Mai 2011 – Tribunal d’opinion : procès de l’enfermement des enfants étrangers, organisé par l’Anafé, le Gisti, la Cimade, le SM, Hors la rue, la LDH, l’Admie (Association pour la défense des mineurs isolés étrangers), etc. Juin 2015 – Tribunal d’opinion sur les droits des enfants Roms, organisé par des syndicats et des associations Janvier 2018 – Session du Tribunal permanent des peuples sur la violation des droits humains des personnes migrantes et réfugiées et son impunité
LA BATAILLE DES IDÉES
La liberté de circulation Juillet 1997 – « Lettre ouverte à Lionel Jospin » sur la liberté de circulation signée par Act Up-Paris, Droits devant!, le Cedetim, la Fasti, le Gisti, le Syndicat de la Magistrature
États généraux des migrations Juin 2017 – Appel à un changement radical de politique migratoire en France Novembre 2017 – Lancement des « États généraux des migrations » pour « faire ressortir des revendications communes et des propositions concrètes pour une autre politique migratoire, respectueuse des droits fondamentaux »