LES MECANISMES DE LA DEPENDANCE A L’ALCOOL
Comment expliquer l’émergence d’une dépendance ? 60 millions d’habitants en France 30 à 40 millions d’usagers d’alcool Au moins 5 millions d’usagers à problème 1,5 à 2 millions de sujets alcoolo-dépendants
Usage avec DEPENDANCE (3 à 4%) LA PYRAMIDE DU RISQUE Usage avec DEPENDANCE (3 à 4%) MESUSAGE Usage NOCIF (6 à 7%) (25%) Usage à RISQUE (15%) USAGE (65 à 70%) NON-USAGE Primaire Secondaire (5 à 10%)
Les premières expériences d’alcoolisation se font généralement lors de l’enfance ou de l’adolescence et sont initialement désagréable, l’alcool étant une substance amère donc spontanément aversive contrairement aux produits sucrés. Il existe donc, sous la pression socioculturelle, un véritable apprentissage à boire aboutissant secondairement à des sensations plaisantes : goût, convivialité, euphorie… Au-delà de ces expériences inaugurales, la plupart des individus adoptent une consommation modérée et contrôlée.
L’effet « psycho-actif » de l’alcool va chez certains individus les pousser à répéter les prises d’alcool pouvant se faire sur un mode compulsif de sorte à retrouver ces effets. Cela suppose un « état cérébral vulnérable » à prédisposition génétique ou lié à un déséquilibre acquis ou secondaire à certains événements de vie (facteurs de vulnérabilité ou facteurs de risque). La répétition de cette consommation et le désir de la renouveler conduit progressivement à la dépendance psychique ou psychologique. Elle provoque des phénomènes adaptatifs au niveau cérébral responsables de l’apparition d’une dépendance physique.
L’évolution d’un comportement de consommation vers la dépendance résulte schématiquement de l’interaction de ces 3 facteurs : Une substance psycho-active L’ALCOOL Un individu « vulnérable » Avec ses facteurs prédisposants Un environnement favorable Avec ses facteurs précipitants
L’histoire de la dépendance Le cheminement vers la dépendance passe donc par différentes phases successives : L’expérience de la « psychotropie » La dépendance psychique La tolérance La dépendance physique
L’expérience de la psychotropie L’alcool a un effet pharmacologique « biphasique » Euphorisant et dés-inhibiteur à faible dose (stimulant) Sédatif par dépression cérébrale pouvant coma (dépresseur) Cet effet psycho-actif de l’alcool ressenti comme agréable et plaisant va conduire l’individu à reproduire son comportement de consommation par la mise en action des systèmes de récompense et de renforcement positif. Ce comportement, appris, mémorisé, renforcé des dizaines de milliers de fois pendant des mois et des années abouti finalement au développement d’une dépendance
Le modèle de renforcement positif Alcool consommé pour ses effets positifs Reproduction de la consommation Apprentissage, Mémorisation, renforcement Développement de la dépendance La dépendance psychique serait liée aux effets positifs sur le système de récompense (théorie comportementale)
Les études chez l’animal ont prouvé l’existence anatomique et fonctionnelle de ces systèmes de récompense. Chez l’homme, les techniques récentes de neuro-imagerie ont permis de confirmer ces hypothèses (tomographie à émission de positrons, angio-scan, PET scan, IRM fonctionnelle) déterminant un système fonctionnel de récompense appelé aussi système hédonique. Les circuits de récompenses se situent au niveau de l’aire tegmentale ventrale, du noyau accumbens et du cortex préfrontal, formant le système mésocorticolimbique(au niveau du rhinencéphale).
La dépendance psychique Elle apparaît à partir du moment ou l’alcoolisation devient la réponse unique en solution à des difficultés personnelles, psychologiques ou existentielles. L’alcool envahit progressivement le fonctionnement psychique de l’individu La relation alcool-individu devient de plus en plus exclusive et totalitaire au détriment des autres pôles d’intérêt qui progressivement sont totalement désinvestis. La poursuite du comportement se fait en dépit de la connaissance de ses conséquence négatives, ce comportement visant à produire du plaisir mais surtout à écarter une sensation de malaise interne.
La tolérance L’organisme s’adapte progressivement à l’alcool L’intensité des effets psychotropes diminue S’il veut obtenir les mêmes effets, l’individu est obligé d’augmenter les doses.
La dépendance physique Au fur et à mesure que les alcoolisations se répètent, des modifications apparaissent au niveau des neurones et de leur fonctionnement. Ces modifications sont responsables : Du besoin irrésistible de boire quand le taux d’alcoolémie baisse, De l’apparition de troubles physiques et psychiques quand la prise d’alcool est suspendue expliquant le syndrome de sevrage.
Le problème de la trace La dépendance à l’alcool est un phénomène complexe qui met en jeu des mécanismes biologiques, des facteurs psychologiques, des facteurs génétiques… Une fois installée, la dépendance laisse une trace dans l’organisme ; un peu comme après une vaccination ou comme dans les maladies allergiques. Cette trace fait que, même après une période prolongée sans consommation d’alcool, toute ré alcoolisation risque tôt ou tard de ré enclencher le processus d’une alcoolisation de plus en plus répétée et de plus en plus importante (la réactivation de la dépendance) C’est l’existence de cette trace qui justifie la proposition d’une abstinence stricte et au long cours.
Les mécanismes neuro-biologiques de la dépendance Deux grandes théories sont actuellement retenues pour expliquer l’origine biologique de la dépendance à l’alcool : La théorie des membranes La théorie des neurotransmetteurs
La théorie des membranes Lors d’une alcoolisation aiguë, la membrane des neurones se fluidifie, ce qui augmente les échanges entre l’intérieur et l’extérieur de la cellule : c’est ce qui explique les effets psychotropes de l’alcool. En cas d’alcoolisation chronique, la membrane s’adapte en s’épaississant, en se rigidifiant, de manière à limiter les échanges : c’est ce qui explique le phénomène de la tolérance. Lors du sevrage, la membrane, devenue rigide, fait barrage. Sans l’intervention de l’alcool, elle empêche les échanges : c’est ce qui explique le syndrome de manque.
Membrane cellulaire à l’état normal Membrane cellulaire en cas d’alcoolisation aiguë
Rigidification pour limiter les échanges Membrane cellulaire à l’état normal Membrane cellulaire en cas d’alcoolisation chronique Rigidification pour limiter les échanges
Membrane cellulaire à l’état normal Lors du sevrage la membrane rigidifiée empêche les échanges ioniques au travers de la membrane
La théorie des neurotransmetteurs Entre les neurones, circulent toute une série de substances chimiques (les neurotransmetteurs) par l’intermédiaire desquels sont transmis les influx nerveux au travers des synapses. L’alcool modifie la circulation des neurotransmetteurs : c’est ce qui explique les modifications psychiques et comportementales de l’alcoolisation, aiguë ou chronique. L’éthanol agit sur les systèmes cathécholergiques (dopamine, noradrénaline) sur le système GABAergique, enfin sur la sérotonine.
De plus, certains produits de dégradation de l’alcool viennent se combiner avec les neurotransmetteurs, donnant naissance à des substances chimiques nouvelles (des nouveaux neurotransmetteurs), proches des opiacés : c’est ce qui explique le développement possible d’une dépendance.
Alcoolisation chronique Alcoolisation aiguë Faible dose Phase de stimulation psychomotrice Forte dose Dépression du SNC coma Alcoolisation chronique Hyperexcitabilité Syndrome de sevrage Tremblements, tachycardie, agitation, sueurs délire
LES FACTEURS DE VULNERABILITE OU FACTEURS DE RISQUE DE L’ALCOOLISME
Le déterminisme de l’alcoolisme est multifactoriel. Pour se développer, une conduite d’alcoolisation pathologique nécessite le concours de facteurs de vulnérabilité : D’ordre biologique et génétique D’ordre psychologique D’ordre socio-culturel D’ordre environnemental
Les facteurs biologiques et génétiques (1) Les études sur les jumeaux et les enfants adoptés de parents alcooliques ont pu établir, de façon quasi certaine, le déterminisme génétique de certaines formes d’alcoolisme 25% des cas d’alcoolisme seraient à transmission génétique, donc héréditaires. Il s’agit de formes masculines, à début précoce (avant l’âge de 20 ans), d’évolution rapidement grave, souvent associées à des comportements délinquants.
Les facteurs biologiques et génétiques (2) Le mode de transmission génétique ou les gènes impliqués ne sont pas encore précisément connus. On parle actuellement plus de prédisposition familiale par le biais d’une transmission polygénique complexe portant plus sur les facteurs de vulnérabilité que sur la maladie elle-même. L’allèle A1 serait fortement associé à une hypo-sensibilité des récepteurs D2 à la dopamine.
Les facteurs biologiques et génétiques (3) De manière plus générale, il est montré que les fils d’alcooliques ont une moindre sensibilité à l’alcoolisation aiguë moindre sensation d’ébriété, moindre atteinte des performances psychomotrices. Ce facteur génétiquement influencé, favorise l’usage excessif d’alcool. Par ailleurs, le capital enzymatique, présent dans l’organisme et capable de dégrader plus ou moins d’alcool, serait à transmission génétique. C’est ce qui expliquerait la différence entre hommes et femmes mais aussi l’impossibilité dans certaines ethnie de pouvoir métaboliser l’alcool (forme moins active de l’aldéhyde-déshydrogénase dans certaines populations du sud-est asiatique apparaissant comme protectrice de l’émergence d’une alcoolo-dépendance).
Les facteurs psychologiques (1) Les études épidémiologiques prospectives mettent en évidence le rôle essentiel de facteur de personnalité proche de la « sociopathie » ou du « déséquilibre psychique », chez les sujets appelés à devenir alcoolique à l’âge adulte. Certains traits de caractère favorisent la consommation excessive d’alcool : L’impulsivité L’instabilité L’intolérance à l’ennui L’intolérance à la frustration La recherche de sensation forte (high reponder) S’y rattachent les troubles de personnalité des « états limites » ou « border line ».
Les facteurs psychologiques (2) Certains troubles mentaux favorisent le recours à l’alcool en tant que conduite « d’auto-médication ». Les troubles anxieux Les troubles phobiques et surtout la phobie sociale (crainte d’être exposé à l’observation attentive d’autrui : crainte de parler en public, de manger en public, d’écrire en présence de quelqu’un…) Les troubles dépressifs. Certains troubles de la communication favorisent le recours répétitif à l’alcool, pour ses propriétés dés-inhibitrices Ces le cas des déficits « d’affirmation de soi » ou « d’assertivité » (difficulté à entrer en contact avec autrui, à défendre ses droits, à oser demander, à oser refuser, à émettre une critique…)
Les facteurs socio-culturels (1) Le sexe L’alcoolisme demeure plus fréquent chez l’homme (5 hommes pour 1 femme environ) La morbidité et la mortalité par alcoolisme sont 3 à 4 fois plus importantes chez l’homme que chez la femme (cette différence rend particulièrement compte de la surmortalité masculine) Le niveau socio-économique L’appartenance à une classe socio-économique défavorisée est considérée comme un facteur de risque de l’alcoolisme. Le lieu d’habitation La consommation d’alcool est plus importante dans les régions les plus défavorisées sur le plan socio-économique et en moyenne plus importante en milieu rural qu’en milieu urbain.
Les facteurs socio-culturels (2) La profession : certaines professions sont considérées comme à risque : Celle où le travail est pénible : Exposition à la chaleur : mine, sidérurgie… Efforts physiques importants : déménageur, manutentionnaire… Profession agricole… Celle où le travail est stressant : Enseignement, force de l’ordre… Celle où il y a un contact avec le public : Voyageur de commerce, facteur, restaurateur… Celle où l’on boit par tradition : Métier du bâtiment, milieu militaire…
Les facteurs socio-culturels (3) Le contexte culturel incitatif En France toute une série de pression culturelle incite à boire et influence la fréquence des comportements d’abus et de dépendance. C’est le problème d’une culture « alcoolophile » : culture d’inspiration chrétienne où le vin est sang du Christ, où l’alcool est eau de vie, où la réception est vin d’honneur, où le buveur d’alcool est bon vivant… L’abstinence d’alcool préconisée au patient se heurte à des pressions culturelles incitant fortement à reboire.
Les facteurs environnementaux (1) L’environnement dans l’enfance : Certains facteurs semblent favoriser le développement futur d’un abus d’alcool : Famille désunie Carences affectives dans l’enfance Séparations précoces du milieu familiale Mauvaises relations avec le père (carence ou excès d’autorité paternelle) Mauvaise qualité de la relation mère/enfant. Mais ces facteurs ne sont pas spécifiques de l’alcoolisme.
Les facteurs environnementaux (2) Les évènements de vie Les alcooliques ont vécus plus d’évènements stressants que la population moyenne dans les deux ans qui ont précédé l’installation de l’alcoolisation pathologique (trois fois plus selon certaines études). Chômage Maladie Déménagement Deuil d’un proche Divorce Avortement Accident grave Changement de travail…
Augmentation de la probabilité De développer un problème alcool Facteurs socio-culturels Événements de vie Augmentation de la probabilité De développer un problème alcool Facteurs individuels Facteurs génétiques Facteurs biologiques Facteurs psychologiques