Infections Associées aux Soins Point de vue de l’Avocat de la victime Maître Denis BENAYOUN, Avocat à la Cour Spécialisé en Droit de la Santé et en Réparation du dommage corporel Maître Simon ARHEIX, Avocat à la Cour
PLAN : I. DEFINITIONS II. PREUVE DE L’INFECTION / EXPERTISE III. REGIMES JURIDIQUES APPLICABLES AUX IAS A. REGIME JURIDIQUE APPLICABLE AUX ETABLISSEMENTS DE SANTE B. REGIME JURIDIQUE APPLICABLE AUX PROFESSIONNELS DE SANTE C. RUPTURE D’EGALITE ENTRE LES VICTIMES D’IAS ? IV. VOIES DE RECOURS V. ETUDE DE CAS / JP
A. Infection associée aux soins (IAS) I. DEFINITIONS A. Infection associée aux soins (IAS) Tout événement infectieux en rapport plus ou moins proche avec un processus, une structure, une démarche de soins Acte ou prise en charge de soins au sens large* Aucune distinction n’est faite quant au lieu où est réalisée la prise en charge ou la délivrance de soins. Les IAS comprennent donc : -l’infection dite « nosocomiale » (prise en charge en EdS) -l’infection en rapport avec des soins délivrés en dehors des EdS Distinction (objet de l’expertise) : - Infections associées à l’environnement de soins (IAES) : air, eau, niveau d’hygiène de la structure… - Infections associées aux actes de soins * - Indifférence de la nature endogène ou exogène de l’infection Rq : est également une IAS toute infection contractée par un professionnel de santé du fait de sa profession (maladie professionnelle, accident du travail). *Prise en charge préventive, diagnostique, thérapeutique, palliative ou éducative - par des professionnels de santé ou par des non professionnels de santé dans le cadre d’un protocole de soins (patient, famille)
B. L’infection dite « nosocomiale » Nosokomeion (grec) / Nosoconium (latin) = hôpital, et par extension, EdS Pas de définition légale, mais acception largement entendue : Art. R.6111-6 CSP : « les infections associées aux soins contractées dans un établissement de santé sont dites infections nosocomiales. » Construction jurisprudentielle : « infection survenant au cours ou au décours d’une prise en charge et qui n’était ni présente, ni en incubation au début de la prise en charge* » (CE 21 juin 2013)
II. PREUVE DE L’IAS / EXPERTISE PRINCIPE : le patient doit rapporter la preuve par tout moyen que l’infection est associée aux soins (CCASS, 26 mai 2011) PRESOMPTIONS SIMPLES : - Appréciation du délai de survenue de l’infection avec avec la date d’admission/soins - Imputation de l’infection aux soins : logique similaire Présomptions dégagées par la JP sur la base des « 100 recommandations pour la surveillance et la prévention des infections nosocomiales», Comité Technique des Infections Nosocomiales (CTINILS) : CAS GENERAL : 48 heures après l’admission CAS PARTICULIERS : - infection dûe à un germe pour lequel il existe une durée d’incubation : infection se manifestant dans un délai supérieur à la durée de l’incubation. - Infections du Site Opératoire (ISO) : 30 jours après l’acte chirurgical inaugural en l’absence d’implantation de matériel étranger - Infections du Site Opératoire (ISO) : 1 an si implantation de matériel étranger (prothèse articulaire, vasculaire, cardiaque, plastique...) . - Infections urinaires associées aux soins (IUAS), en particulier en lien avec du matériel endo-urinaire, pour lesquelles l’infection est à rapporter à un matériel encore présent ou enlevé dans les 7 jours précédant la survenue de l’infection.
EXPERTISE : MISSION DETAILLÉE: - Causes et origines de l’état de santé actuel - Gravité : État antérieur Nature des préjudices - Manquement aux règles professionnelles - Faute ou négligence - Lien causal entre manquements et préjudices IMPORTANCE + + + : Les conclusions expertales conditionnent le régime d’indemnisation applicable = Professionnels/EdS mis en cause, détermination du seuil de gravité… Normes applicables (hygiène, asepsie) : préciser si toutes les précautions ont enté prises Moyens personnel / matériel mis en œuvre Facteurs de vulnérabilité susceptibles de contribuer à la survenue /développement de l’IAS Si possibilité d’infection communautaire (hors EdS) Si la pathologie, ayant justifié́ l’hospitalisation initiale ou les thérapeutiques mises en œuvre, est susceptible de complications infectieuses. Dans l’affirmative, en préciser la nature / fréquence / conséquences Si cette infection présentait un caractère inévitable et expliquer pourquoi Si le traitement de cette infection a été conduit conformément aux données acquises de la science à l’époque où ils ont été́ dispenses.
III. REGIMES JURIDIQUES APPLICABLES AUX IAS 2 régimes légaux de responsabilité Etablissements de Santé Professionnels libéraux responsabilité sans faute = présomption de responsabilité Le patient doit « seulement » démontrer que l’infection dont il est atteint présente un caractère nosocomial « présomptions graves, précises et concordantes. » = OK responsabilité de droit commun : (faute) Responsabilité pour faute = moins protecteur pour les intérêts du patient
A. REGIME JURIDIQUE APPLICABLE AUX ETABLISSEMENTS DE SANTE 1. Responsabilisation des EdS : un régime de responsabilité spécifique... Volonté: alignement du régime de l’IN sur celui des produits de santé responsabilisation des EdS art. L. 1142-1 alinéa 2 CSP : « Toutefois, les établissements de santé sont responsables des dommages résultant d'infections nosocomiales, sauf s'ils rapportent la preuve d'une cause étrangère ». PRINCIPE = « RESPONSABILITE DE PLEIN DROIT » CE, 6 mars 2015 Responsabilité quasi automatique : à mi-chemin entre obl. de sécurité de résultat et resp. sans faute CAUSE D’EXONERATION : CAUSE ETRANGERE Exonération assez théorique car quasi absolue à démontrer en pratique (IN n’est jamais « imprévisible »). Schématiquement, un EdS ne pourra dénier sa responsabilité qu’en apportant la preuve que l’infection... n’est pas nosocomiale Rq : Prise en charge par l’ONIAM de l’indemnisation des IN (quel que soit le seuil de gravité) pour lesquelles l’EdS aurait pu s’exonérer Fronde : dénonciation de contrats en cours, augmentation des primes d’assurance... Aménagements sur la charge de l’indemnisation : une partie des IN solidarité nationale (via l’ONIAM)
...et à géométrie variable PARTAGE DE LA CHARGE DE L’INDEMNISATION PRINCIPE = transfert de la charge de l’indemnisation entre les EdS et l’ONIAM en fonction du seuil de gravité SEUIL DE GRAVITE : AIPP = 24 % (D.1142-1 CSP) Ou Appréciation des conséquences sur la vie priée et professionnelle mesurées en tenant compte du taux d’AIPP, de la durée de(s) arrêt(s) de travail, taux/durée du DFT... INDEMNISATION : AIPP ≤ 24 % = EdS / Assureur AIPP > 24 % = ONIAM
B. REGIME JURIDIQUE APPLICABLE AUX PROFESSIONNELS DE SANTE IAS hors EdS : responsabilité « classique » pour faute Principe : obligation de réparer les dommages causés par sa faute/imprudence/négligence FAUTE + PREJUDICE + LIEN DE CAUSALITE Pb: Dans la mesure où tant le médecin exerçant à titre libéral que les établissements de santé doivent respecter des règles d’asepsie rigoureuses, comment justifier une telle différence de responsabilité ?
C. RUPTURE D’EGALITE ENTRE LES VICTIMES D’IAS ? QPC : Existe-t-il une rupture d’égalité entre patients quant à l’administration de la preuve en matière d’IAS ? (1er avril 2016) Dans la mesure où tant le médecin exerçant à titre libéral que les établissements de santé doivent respecter des règles d’asepsie rigoureuses, comment justifier une telle différence de responsabilité ? Solution : le principe d’égalité ne s’oppose pas à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes. une absence de méconnaissance du principe d’égalité dans la mesure où la différence de traitement qui résulte de la loi repose sur une différence de situation. Les patients de médecins exerçant à titre libéral seraient moins exposés à la contraction d’une IAS un régime de responsabilité plus lourd peut alors, sans méconnaitre les principes fondamentaux, peser sur eux.
IV. VOIES DE RECOURS A. REGLEMENT AMIABLE 1. La victime s’adresse directement à l’EdS/professionnel de santé ou à l’assureur indemnisation 2. Tentative de médiation ; 3. CCI : Tentative de conciliation (non-obligatoire) cf. intervention M.LIPPMAN Avis CCI = proposition d'indemnisation Transmission assureur / ONIAM Décision = prise par le payeur (assureur / ONIAM). Si absence d’offre contestation possible devant le juge RQ : si refus, possibilité pour la victime de demander à l’ONIAM d’indemniser par substitution avant la saisine du juge - ONIAM OK = action récursoire de l’ONIAM - refus ONIAM : la victime peut saisir le juge B. REGLEMENT CONTENTIEUX Phase juridictionnelle différentes juridictions selon l’objectif poursuivi par le patient : 1. Sanction du professionnel de santé : plainte pénale et/ou ordinale
Prescription : 10 ans à compter de la consolidation 2. Indemnisation : a. Etablissement public TRIBUNAL ADMINSITRATIF expertise si l’expert reconnaît l’infection : recours préalable obligatoire refus/absence d’offre = procédure au fond (délai 2 mois) Appel : CAA puis CE b. Etablissement privé ou d’un professionnel libéral TRIBUNAL DE GRANCE INSTANCE si l’expert reconnaît l’infection : procédure au fond Appel : CA puis CCASS Prescription : 10 ans à compter de la consolidation
V. Etude de cas / JP 1. Action récursoire-ONIAM : Possible qu’en cas de faute caractérisée de l’EdS à l’origine de l’IN (L.1142-21 CSP): CE et CCASS ont assoupli les conditions de recevabilité du recours récursoire : faute simple suffit (CE, 28 nov. 2014) 2. Action récursoire - EdS : Condamnation de l’EdS + faute du médecin : « l’infection litigieuse résultait des seules conditions dans lesquelles M.X avait procédé à l’opération, seul fautif, à garantir la clinique des condamnation prononcées contre elle au titre de sa responsabilité de plein droit envers les victimes d’infections nosocomiales contractées dans l’établissement. » (CCASS 7 juil. 2011) 3. Tiers payeurs légalement subrogés – ONIAM – refus : La réparation qui incombe à l'ONIAM ne lui confère pas la qualité d'auteur responsable du dommage, ce qui rend irrecevables les recours subrogatoires des tiers payeurs ayant versé des prestations à la victime; mais il appartient au juge de déduire les sommes versées par les tiers payeurs de la réparation due par l'ONIAM (CE, avis, 22 janv. 2010) 4. Exonération de l’EdS : La faute du praticien exerçant en libéral au sein d'un centre hospitalier privé constitue une cause étrangère exonératoire de responsabilité de l'établissement de santé. (CA, Caen, 2 févr. 2016) 5. Hospitalisations successives dans différents EdS : Responsabilité « de plein droit » de chacun des EdS dans lesquels a séjourné le patient. Néanmoins, au niveau de la contribution à la dette, en présente de coresponsables de plein droit, les juges partageront à parts égales et le responsable non fautif pourra par ailleurs exercer un recours pour le tout contre le responsable fautif. (cf. CCASS, 3 nov. 2016, Nvle Clinique de l’Union et autres).
6. SCM n’est pas un EdS : 1 SCM a pour objet exclusif de faciliter à chacun de ses membres l’exercice de sa profession, sans possibilité de l’exercer elle-même (cf. CCASS, 12 oct. 2016) 7. Greffon infecté: application du régime des IN – rejet du régime des produits infectieux Responsabilité de l’ONIAM / rejet responsabilité du producteur (CE, 30 juin 2017) : critiquable car un greffon est, au sens du droit européen, un produit de santé soumis aux règles de la responsabilité du producteur 8. Aggravation des conséquences d’une IN du fait d’un refus de soins : pas de limitation du droit à indemnisation du patient du fait de son refus de soins (CCCASS, 15 janv. 2015) 9. Indemnisation des conséquences d’une IN : la réparation par l’ONIAM s’étend aux préjudices personnels des proches de la victime (CE 9 déc. 2016 ; CCASS, 8 fév. 2017) La solidarité nationale est donc plus généreuse en matière d’IN qu’en matière d’accidents médicaux Stricte application du principe d’égalité (cf. supra) : rien ne justifierait que les victimes par ricochet ne puissent obtenir de l’ONIAM la réparation de leur préjudice propre, là où elles pourraient obtenir une telle réparation de l’EdS responsable de plein droit (pour IN « inférieures » au seuil de gravité).
Cabinet d’Avocats Denis BENAYOUN Avocats à la Cour Maître Denis BENAYOUN, Avocat à la Cour Spécialisé en Droit de la Santé et en Réparation du dommage corporel Maître Simon ARHEIX, Avocat à la Cour, Master II Droit de la Santé et de la Protection Sociale www.cabinetbenayoun-avocats.fr