2. Développement durable et environnement naturel
2.1. De la gestion des ressources naturelles à l’économie de l’environnement : le rôle des « défauts » du marché 2.1.1. Ressources naturelles – environnement - économie de l’environnement : éléments de définition Les ressources naturelles : Désignent les éléments présents dans la nature (l'eau, l'air, la terre, la forêt, les poissons, la faune sauvage, les minéraux, …) qui répondent à une demande humaine.
L’environnement (naturel): s'intéresse à la nature au regard des activités humaines, aux interactions entre l'homme et la nature : Non seulement par prélèvement, pour la production (exploitation et utilisation des matières premières, des ressources énergétiques, halieutiques….,) ou pour la consommation humaine, Mais aussi par altération, destruction : l’air pur, l’eau potable, les aménités procurées par un paysage,…. qui peuvent être altérés par les pollutions, les déchets,.. issus de l’activité humaine.
Point central : Certains de ces actifs naturels sont renouvelables = non épuisables a priori « pas de problème », aujourd’hui, mais qu’en sera-t-il dans le futur ? D’autres sont irréversiblement détruits = non renouvelables faut-il, et comment, les « gérer » ?
L’économie de l’environnement est abordée : - à travers la « mauvaise » exploitation des ressources naturelles et leur transmission aux générations futures, - et/ou à travers les conséquences sur l’environnement des activités de consommation et de production (y compris transport, ....)
2.1.2. Les défaillances du marché et les externalités a. Eléments généraux / défaillances du marché Le succès d’une économie dépend du bon fonctionnement du marché qui transmet par l’intermédiaire des prix la rareté relative des différentes ressources. Or ce mécanisme peut ne pas jouer, particulièrement en ce qui concerne l’environnement naturel.
Pourquoi ? Parce qu’on peut interpréter l’environnement comme un bien public pur . Qu’est-ce qu’un bien public pur ? Il satisfait à deux caractéristiques : non rivalité ou indivisibilité - non exclusion
Plusieurs catégories de biens Non exclusion Exclusion Non rivalité Bien public pur Bien (de)club Rivalité Bien public impur Bien privé Les biens publics sont toujours associés à des externalités (positives ou négatives).
Le concept d’externalités Définition : on désigne par « externalité » ou « effet externe » le fait que l'activité de production ou de consommation d'un agent affecte (positivement ou négativement) le bien-être d'un autre sans qu'aucun des deux reçoive ou paye une compensation pour cet effet. En général, dans le domaine de l’environnement, on considère des externalités négatives.
(affecté par l’action de A) Externalité négative Externalité positive A (auteur) N’a pas à payer pour le dégât qu’il cause N’est pas compensé pour le bien-être apporté B (affecté par l’action de A) N’est pas compensé pour le dégât subi N’a pas à payer pour le bien-être reçu
Liens biens publics / externalités Dans le cas d’une externalité positive chaque agent a intérêt à consommer du bien public sans contribuer à son financement Dans le cas d’une externalité négative, chaque agent « pollueur » a intérêt à ce que les autres diminuent leurs atteintes à l’environnement et à ne rien faire lui-même.
Mais une externalité peut être ou pas indivisible : Externalité « indivisible » ou « non rivale ». Exemples : les nuisances en termes d’odeurs issues d’une décharge d’ordures s’imposent à tous les habitants d’un quartier. - Par contre, externalité « divisible » ou « rivale » : lorsque des sacs en plastiques issus de la décharge, atterrissent dans un jardin, ils ne tombent pas dans le jardin voisin.
On retiendra le concept d’externalité comme le plus général, celui qui permet de traiter de questions relatives à l’environnement (même lorsque certaines ressources sont exploitées de façon privative) . Ainsi, la non prise en compte des externalités (principalement négatives) de certaines actions par rapport à l’environnement sont des défaillances du marché auxquelles il faut remédier.
b. Le concept d’externalité dans la littérature économique : A. Pigou, 1920 : le caractère hors marché de l’effet externe « Une personne A, en même temps qu’elle fournit à une personne B un service déterminé pour lequel elle reçoit un paiement, procure par la même occasion à d’autres personnes, des avantages ou des inconvénients d’une nature telle qu’un paiement ne puisse être imposé à ceux qui en bénéficient, ni une compensation pour ceux qui en souffrent »
J. Meade, 1952 : les externalités pécuniaires « Une économie (ou déséconomie) externe est un phénomène qui apporte un bénéfice appréciable (ou inflige un préjudice significatif) à une ou plusieurs personnes qui n’ont pas été parties prenantes du processus de décision qui a abouti directement ou indirectement à l’effet produit ».
D. Pearce, 1976 : externalités statiques / dynamiques Externalités statiques : spécifiques, localisées, réversibles Externalités dynamiques ; effets prolongés sur l’environnement (altération de la couche d’ozone, renforcement de l’effet de serre…) caractérisés par leur globalité, leur irréversibilité et leur complexité.
2.1.3. L’internalisation des externalités Si l’échec du marché conduit à ce qu’une détérioration de l’environnement ne soit pas compensée monétairement (phénomène hors marché), il est nécessaire de corriger ce défaut. L’environnement doit être intégré dans la sphère marchande, par internalisation des externalités signal-prix.
L’internalisation des effets externes passe, du point de vue économique, par deux grandes possibilités : soit, comme le préconise Pigou, par l’instauration d’une taxe administrative sur les activités à l’origine d’une externalité négative, soit, comme le préconisent Coase ou Dales, par l’instauration des conditions d’une négociation bilatérale entre émetteur et victime de l’externalité ; c’est-à-dire, définition d’un marché, là où il n’existe pas a priori.
Pigou et l’internalisation par la tarification Pour Pigou, l’externalité négative, est analysable en termes de divergence entre : le coût privé d’une activité et le coût que devra supporter la collectivité, ou coût social, lorsque cette activité génère, par exemple, une dégradation de l’environnement à la charge de la collectivité.
C'est l'effet prix ou signal-prix/intervention étatique. La solution proposée par PIGOU consiste à internaliser l'effet externe en instaurant une taxe sur l’activité considérée. Le coût marginal privé devient égal au coût marginal social et, compte tenu de la courbe de demande, le niveau de prix passe de P1 (trop bas) à P2 et le niveau de production diminue de Q1 (trop abondante) à Q2. En supposant qu’il existe un lien technologique fixe entre la quantité de bien produite et la quantité de pollution émise, la taxe augmente le prix des biens et fait décroître la quantité demandée. C'est l'effet prix ou signal-prix/intervention étatique.
b. Ronald Coase, John Dales : négociation, droits de propriété Coase (1960), négociation bilatérale en fonction des droits de propriété L’internalisation d’effets externes ne peut être effectuée que lors d’une négociation entre émetteur et victime a priori, pas d’intervention étatique. Point d’équilibre de la négociation : le montant que chacun accepte de recevoir et/ou de payer, selon l’allocation initiale des droits de propriété signal-prix.
Pour Coase, la négociation bilatérale aboutit à deux variantes symétriques. Exemple : le cas d’une pollution issue de A et touchant B : - si A possède les droits de propriété sur l’environnement, alors B, la victime, doit le dédommager pour l’empêcher de continuer son émission polluante sans arrêter son activité ; - si B possède ces droits, A doit compenser les dommages subis par B du fait de son activité.
Dales (1968), l’échange de droits de propriété Problème de l’analyse précédente: la négociation n’est pas toujours possible du fait de l’absence de droits de propriété sur les «biens» environnementaux. L'intervention de l’État peut alors consister en la définition de droits de propriété ou de droits d’usage pour rétablir le bon fonctionnement de l’économie.
il faut définir des droits de propriété exclusifs et transférables chaque fois qu’il est nécessaire sur des biens jugés jusque là non appropriables et comme tels, sources d’externalités la constitution des droits de propriété et leur échange marchand aboutit à la fixation d’un prix d’équilibre. A ce prix l’externalité est réintégrée dans le calcul économique des agents (elle est internalisée) et disparaît en tant que phénomène hors marché.
c. Remarques Les analyses précédentes ont deux caractéristiques en commun : 1. Il n’est pas question de remédier aux dégâts causés à l’environnement en supprimant l’activité qui en est à l’origine, mais d’internaliser les externalités négatives en donnant un signal-prix. 2. A ce niveau de prix correspond un niveau de pollution (ou de dépollution) optimal au sens de Pareto.
d. La notion d’optimum de pollution (ou de dépollution) Rappel : un équilibre est un optimum au sens de Pareto s’il n'est plus possible de réallouer les biens pour augmenter la satisfaction des uns sans diminuer celle des autres. L’instauration d’une taxe ou les mécanismes de négociation suppose de déterminer le niveau de pollution optimal ou optimum de pollution (ou de dépollution). Celui-ci peut être illustré sur le graphique de Ralph Turvey (1963)
Le graphique de Turvey ProfitsCoûts PM = profit marginal de la tannerie P OR = perte marginale de la brasserie R N N = niveau «optimum de pollution » O Q M Quantités produites par la tannerie Le graphique de Turvey
PM représente le profit marginal de la tannerie = l’offre de dépollution du pollueur, qui est d’autant plus forte que le niveau de pollution est fort. OM = quantité produite pour un profit maximum pour la tannerie OR représente la perte marginale de la brasserie = la demande de dépollution de la part de la victime, qui augmente avec le niveau de pollution OM = quantité produite par la tannerie pour laquelle la perte de la brasserie est maximum
Optimum de pollution (ou niveau optimal de pollution) Situation telle que : le profit marginal du pollueur (son offre de dépollution) = la perte marginale de la victime (sa demande de dépollution) Dans ce cas le coût de la dépollution d'une unité additionnelle est égal au bénéfice retiré de la dépollution de cette unité additionnelle.
e. L’évaluation monétaire des externalités Comment fixer la réparation d’un dommage à un bien, si ce bien est sans valeur ? La valeur des biens environnementaux : Valeur d’usage Valeur de non-usage consentement à payer ou consentement à recevoir une compensation
Deux principales méthodes d’évaluation : Les méthodes indirectes ou « des marchés de substitution » révélation des préférences Fondées sur l’observation des comportements, elles relient la demande de services par nature non marchands à des achats de biens marchands.
(2) Une méthode directe – la méthode d’évaluation contingente expression des préférences Approche théorique : Sur la base de la théorie du consommateur, le principe consiste à identifier la valeur d’un bien pour un individu à la satisfaction (l’utilité) qu’il lui procure. Hypothèse : la satisfaction d’un individu dépend de sa consommation de biens marchands, mais également des quantités disponibles de biens environnementaux (non marchands).
En pratique Sur la base d’enquêtes, cette méthode conduit donc à associer aux biens environnementaux une valeur monétaire à partir : - Du supplément de revenu que l’individu est prêt à recevoir pour compenser une perte d’environnement = consentement à revoir (CAR) Ou de la part de revenu qu’il est prêt à consacrer à l’environnement (en renonçant à d’autres biens) = consentement à payer (CAP)
- Cette méthode permet en plus d’approcher la valorisation du phénomène « NIMBY » (Not In My Back Yard) : rejet d’installations utiles collecti-vement, mais susceptibles d’induire des baisses de bien-être pour les riverains de ces installations. Cette approche sera faite par l’estimation d’un consentement à payer (CAP) des personnes éloignées pour ne pas voir s’implanter une telle infrastructure à proximité de chez elles. Exemple : les réactions au développement des éoliennes ou à la construction des C.E.T.
2.2. Les instruments d’une politique de régulation environnementale 2.2.1. Définition et justification d’une politique de régulation environnementale : Définition : Ensemble de mesures institutionnelles dont le rôle est de susciter chez les «pollueurs» un comportement moins «polluant» ou de définir les conditions d’accès à une ressource naturelle.
La courbe de Kuznets environnementale Justification. Pourquoi des mesures publiques ? La courbe de Kuznets environnementale
Deux forces contraires : Augmentation du revenu par habitant augmentation de la consommation de biens et de services augmentation de la production augmentation de la pollution - La qualité environnementale devient un «bien supérieur» augmentation de la demande sociale pour la qualité environnementale utilisation de techniques moins polluantes / progrès technique
Dans les faits: - La courbe de Kuznets environnementale n’est vérifiée que dans un nombre limité de cas et pour certains types de polluants seulement ; La décroissance des dégradations dépendra essentiellement des politiques environnementales ; Effets pouvant dépendre également de la structure industrielle et de la capacité de substitution entre facteurs de production.
2.2.2. Les instruments traditionnels On distingue : Les instruments non économiques = juridiques ou administratifs, mais qui ont des incidences économiques, sur le niveau des coûts de production, l’activité des firmes, l’emploi, les prix…. - Les instruments économiques = qui portent directement sur l’activité économique qu’ils tentent d’orienter dans un sens favorable à l’environnement en faisant émerger un signal-prix.
Les instruments non économiques Définition : ce sont des mesures institutionnelles qui visent à contraindre le comportement des agents économiques sous peine de sanctions administratives, financières ou pénales; elles reposent sur le contrôle direct du régulateur. Les obligations, autorisations, interdictions Les normes
b. Les instruments économiques Définition :ce sont des mesures institutionnelles qui visent à modifier le coût des comportements sources d'externalités, tout en laissant aux agents toute flexibilité pour trouver eux-mêmes les stratégies de contrôle de la « pollution » à moindre coût. Ils sont en général classés en deux grandes catégories : régulation par les prix (taxes ou subventions) ou régulation par les quantités (quotas / permis d’émission).
b.1. Les taxes L’idée générale, à la suite de Pigou, est de rendre la pollution coûteuse pour le «pollueur » en lui faisant payer une taxe dont le montant a une relation avec la pollution qu’il émet « pollueur-payeur » C’est un signal prix clair et stable applicable à tous les agents et qui présenterait l’avantage d’exercer un effet permanent d’incitation à l’innovation.
Définition pratique des taxes Choix du taux ? Choix de l’assiette ?
Que faire de la taxe ? - affectation directe à des dépenses de même nature - affectation au budget général principe du « double dividende ».
Des exemples : Suède: écotaxe mise en place en 1988 pour réduire les émissions de souffre (So2) - Allemagne: taxe sur l’électricité (1999) - La « contribution climat-énergie » ou « taxe carbone» prévue dans le budget 2014.
b.2. Les subventions Un autre moyen de modifier les comportements des agents économiques consiste à verser des subventions sous forme d’aides versées ou de prêts consentis aux industries, aux collectivités locales ou aux ménages, pour les soutenir dans leurs efforts. On trouve deux formes de subvention : - Subventions à la réduction des émissions polluantes des producteurs - Subventions à l’adoption de nouvelles technologies
b.3. Les permis d’émission négociables ou le marché « des droits à polluer »* Suite aux travaux de Coase et de Dales, on se propose d’établir un système de droits de propriété exclusifs et échangeables sur un marché, sur des biens jusque là libres, puisque hors-marché, les externalités. (* Expression générale puisqu’il s’agit du cas le plus courant, mais les permis peuvent concerner le droit d’usage d’une ressource naturelle)
Le fonctionnement (cas du marché des émissions de CO2.) (1) Les autorités publiques décident de la quantité globale de rejets polluants autorisés (quotas) et créent une quantité équivalente de permis chaque permis donne le droit d’émettre une certaine quantité de polluant pendant une période donnée. (2) Les permis peuvent être attribués gratuitement ou vendus (aux enchères).
(2) Ces permis peuvent : - être utilisés pour émettre la quantité de polluant correspondante ; une entreprise ne peut pas émettre plus de pollution qu‘elle ne possède de «permis à polluer ». ou - être échangés entre entreprises sur le marché un prix va émerger de la confrontation de l’offre et de la demande de permis. Ce prix donne à la pollution un coût d’opportunité (manque à gagner) ou un coût direct.
Chaque entreprise compare les coûts supportés en cas de réduction d’une unité supplémentaire de pollution à ce que lui coûterait l’achat d’un permis supplémentaire (le prix obtenu sur le marché). - Pour les entreprises dont le coût marginal de dépollution < au prix du permis: intéressant de dépolluer et vendre leurs permis. - Pour les entreprises dont le coût marginal de dépollution > au prix du permis : plus intéressant d’acheter de nouveaux permis de polluer.
b.4. Conclusion sur les politiques traditionnelles : efficacité, application et acceptabilité politique La notion d’efficacité : 2 conceptions - Efficacité environnementale : capacité de l’instrument à atteindre l’objectif environnemental visé - Efficacité économique (ou efficacité au sens de Pareto) : capacité à atteindre un objectif environ-nemental donné à moindre coût pour l’ensemble de l’économie
Application Si en théorie, les instruments économiques permettent de protéger l’environnement de manière efficace, ils sont peu ou mal appliqués. Ce qui peut s’expliquer par : - des contraintes techniques (problèmes d’information, problèmes des pollutions diffuses, problèmes de définition de droits..), - des contraintes économiques (liées par exemple à l’introduction d’une nouvelle fiscalité..), - des contraintes administratives (mise en place d’un système de sanctions fiable).
Acceptabilité et incitation à frauder Dans beaucoup de pays on remarque le manque d’acceptabilité politique de certains types de mesure, principalement la fiscalité + problème de l’équité sociale. Enfin on remarque que plus les mesures sont coûteuses, plus l’incitation à la fraude est importante nécessité de sanctions financières importantes efficacité environnementale au détriment de l’éfficacité économique ?
2.2.3. «Nouveaux instruments» : les approches volontaires Principe Une entreprise, ou un groupe d’entreprises (mais ce peut être un quartier...), prend des engagements en faveur de l’environnement, unilatéralement ou après négociation ou accord avec les pouvoirs publics.
Exemples : - les négociations directes entre pollueurs et pollués - les accords négociés - les programmes publics volontaires - l’engagement unilatéral.
Conclusion 1. Les difficultés de l’évaluation monétaire des bénéfices attendus des politiques environ-nementales amènent souvent à renoncer à fixer le niveau de production de l’externalité par le calcul économique. décision politique/critères « scientifiques » déformation par rapport à l’analyse théorique : pas d’« optimum de pollution »
2. Les politiques environnementales, en voulant corriger ou prévenir les conséquences sur l’environnement (aujourd’hui et/ou dans le futur) des actions économiques, influencent la sphère économique (contraintes sur la production, contraintes sur la consommation, mais aussi création de nouveaux produits, nouveaux marchés, nouveaux procédés de production..) Économie Environnement
3. Comme le rappelle le schéma précédent, le développement durable est souvent compris et intégré à l’économie, du seul point de vue de la relation environnement naturel/économie. Comment intégrer la 3ème dimension, humaine et sociale ?