Thérapie comportementale et cognitive appliquée à la migraine Rémy Amouroux, Psychologue clinicien Hôpital d’enfant Armand Trousseau Unité Fonctionnelle d’Analgésie Pédiatrique Centre de la Migraine de l’Enfant
La migraine de l’enfant et de l’adolescent Migraine et troubles psychopathologiques Les thérapeutiques psychologiques Les groupes TCC migraine à l’hôpital Trousseau Cas clinique Quentin, migraine et CDT Cas clinique Samuel, migraine, vomissement cyclique et trouble anxieux
La migraine de l’enfant et de l’adolescent
La migraine de l’enfant et de l’adolescent Prévalence: 5 – 10 % (Abu-Arefeh and Russell 1994) Forte agrégation familiale Certaines formes génétiques identifiées (migraine hémiplégique familiale)
Migraine sans aura A) Au moins cinq crises répondant aux critères B,C et D B) Crise d’une durée de une à 48 heures C) Au moins deux des caractéristiques suivantes : uni ou bilatérale (chez l’enfant), pulsatile, modérée à sévère, aggravée par l’activité physique D) Associée à au moins une des caractéristiques suivantes : nausée ou vomissement, photo ou phonophobie E) Symptômes non attribués à une autre affection
Dessin d’une migraine
Dessin d’une migraine
Migraine avec aura A) Au moins deux crises répondant aux critères B,C et D des migraines avec aura B) Au moins un des symptômes suivant à l’exclusion d’un déficit moteur : troubles visuels bilatéraux, homonymes et totalement réversibles paresthésie ou engourdissement unilatéraux totalement réversibles aphasie ou difficultés de langage inclassable C) Au moins deux des caractères suivants : troubles visuels homonymes et/ou symptômes sensitifs unilatéraux l’aura se développe progressivement en cinq minutes ou plus la durée de chaque symptôme est de cinq à 60 minutes D) Céphalée accompagnant l’aura répondant aux critères B,C et D des migraines sans aura
Migraine avec aura
Migraine avec aura
Critères IHS céphalée de tension Au moins 10 épisodes d’une durée variant entre 30 minutes et 7 jours Au moins deux des critères suivants localisation bilatérale sensation de pression (non pulsatile) Intensité légère ou modérée aucune aggravation par l' activité physique Absence des 2 caractéristiques suivantes Nausée ou vomissement Photophobie et phonophobie
Profil des céphalées EVA Migraine 7-10 3- 4 Céphalée de tension temps
céphalée chronique quotidienne Il repose sur la présence d’une céphalée plus de 15 jours par mois évoluant depuis plus de 3 mois d’une durée quotidienne supérieure à 4 heures en l’absence de traitement sans cause lésionnelle. Les céphalées peuvent être de 3 types elles ont les caractéristiques sémiologiques de la migraine elles ont les caractéristiques sémiologiques des céphalées de tension sur un fond céphalalgique permanent s’ajoutent des crises d’allure migraineuse
Les équivalents migraineux Certains syndromes récurrents de l’enfance sont considérés par l’International Headache Society comme des précurseurs ou des équivalents de crise migraineuse : le vertige paroxystique la « migraine abdominale » les vomissements cycliques
Migraine et troubles psychopathologiques
Migraine anxiété et dépression chez l’adulte Comorbidité entre migraine et troubles anxieux (TAG, troubles panique, TOC) (Radat et al. 2005;Silberstein et al. 1995) Comorbidité entre migraine et dépression majeure (Radat et al. 2005;Silberstein et al. 1995)
Migraine anxiété et dépression chez l’enfant et l’adolescent Chez l’enfant et l’adolescent céphalalgique (Powers et al. 2006) ? Chez l’enfant et l’adolescent migraineux ? (Karwautz et al. 1999;Martin et al. 1995) Littérature décevante Critères I.H.S. ? Outils d’évaluations validés ? On n’est jamais mieux servi que par soi même …
Migraine anxiété et dépression chez l’enfant et l’adolescent Étude épidémiologique en cours à Trousseau + RDL : 11 articles entre 1980 et janvier 2007 Ils se réfèrent aux critères I.H.S Ils utilisent des tests validés pour l’anxiété et la dépression
Migraine anxiété et dépression chez l’enfant et l’adolescent La majorité des 8 études en population clinique trouvent des scores moyens de dépression et d’anxiété légèrement supérieurs pour Gpe Mig /Gpe Cont (Mazzone et al., 2006; Just et al., 2003 ; Lanzi et al., 2001) Aucune des 3 études menées en population générale ne trouve de différences (Laurell et al., 2005; Antilla et al., 2004 ; Kowal et al., 1990).
Migraine anxiété et dépression chez l’enfant et l’adolescent Troubles psychopathologiques ou niveaux d’anxiété ou de dépression supérieurs à la norme ? (validité clinique ?) L’association entre migraine et psychopathologie n’est pas aussi forte chez l’enfant que chez l’adulte
Qualité De Vie (QDV) Powers et al., Pediatrics, 2003 572 enfants (5-18 ans) 4 groupes : Migraine Arthrite rhumatoïde juvénile Cancer Contrôle
Qualité De Vie La QDV des enfants migraineux était inférieure a celle des enfants du groupe contrôle La QDV des enfants migraineux était comparable à celle des enfants du groupe cancer et du groupe arthrite rhumatoïde juvénile.
Les thérapeutiques psychologiques
Les recommandations ANAES (HAS) de 2002 Traitement non médicamenteux La relaxation, le rétrocontrôle (biofeedback) et les thérapies cognitives et comportementales de gestion du stress peuvent être recommandés (grade B) Ces traitements sont plus efficaces que les bêta-bloquants (grade B). Il est recommandé de faire appel au traitement médicamenteux de fond après échec des traitements non pharmacologiques (accord professionnel).
Revue de la littérature 3 Méta-analyses sur les traitements psychologiques de la migraine et des cdt : Trautmann et al., Cephalalgia, 2006 Eccleston et al., Pain, 2002 Hermann et al., Pain, 1995 La Relaxation, le BFB et les TCC sont trois traitements efficaces et durables.
Les groupes TCC migraine à l’hôpital Trousseau
Les groupes 8 enfants et adolescents migraineux (6 à 18 ans) regroupés par âge 10 séances hebdomadaires d’une heure Une dizaine de groupes par an 2 psychologues et une stagiaire psychologue
Objectifs 1 - Devenir acteur dans la gestion de la crise céphalalgique 2 - Développer de nouvelles stratégies pour faire face à l’événement douloureux
Programme des groupes Séances 1-2 : Séance 3 : évaluation en groupe (questionnaires, dessins) « dynamique de groupe » (+++) éducation à la santé (différence entre la migraine et la céphalée de tension, les facteurs déclenchants etc …) Séance 3 : première séance de biofeedback en groupe
Programme des groupes Séances 4-7 : Séance 8-9 : Séance 10 : Dialogue tonique relaxation hypnose Séance 8-9 : les émotions et les pensées Séance 10 : Deuxième séance biofeedback bilan évaluation finale
Les moyens thérapeutiques Les techniques d’affirmation de soi La gestion des émotions Le biofeedback La relaxation et l’hypnose La restructuration cognitive La prescription de tâches
Les techniques d’affirmation de soi Pourquoi l’ADS dans la migraine ? Beaucoup des enfants que nous voyons sont, à divers degrés, des anxieux sociaux Pour les plus jeunes il est nécessaire de définir ce que l’on peut faire ou ne pas faire avec les autres membres du groupe (= cmpt assertif)
Les techniques d’affirmation de soi Généralement on utilise ces aspects de l’ADS: Apprendre à différencier les émotions chez les autres Apprendre à se présenter et à parler de soi
La gestion des émotions Les émotions constituent un des facteurs déclenchants les plus communs dans la migraine Avant d’apprendre les techniques de gestion des émotions (relaxation et hypnose) il est nécessaire d’identifier leur rôle
La gestion des émotions Travail en groupe sur les émotions : Qu’est-ce qu’une émotion ? Quelles sont les émotions de base ? Est-ce que je suis capable de mimer ces émotions? Quelle est l’impact de mes émotions sur mes migraines ? (+++)
La colère, la tristesse et la joie
La tristesse
Le biofeedback Le biofeedback permet une prise de conscience rapide et ludique des liens entre les pensées, les émotions et le corps Ce lien est loin d’être évident et/ou accepté par tous (migraineux ou pas!)
Le biofeedback L’enfant place deux capteurs de la conductance cutanée sur deux doigts La diminution de la conductance conditionne la progression dans un labyrinthe sur un écran Utiliser la relaxation pour arriver « au bout du labyrinthe » Labyrinthe comme métaphore des situations stressantes L’objectif n’est pas la « détente à tout prix » mais de mettre en évidence le lien entre les émotions et le corps
Le Biofeedback
La pratique de la relaxation Les objectifs de la relaxation et de l’hypnose : Apprentissage d’une méthode de gestion des émotions Apprentissage d’une méthode de gestion des crises céphalalgiques Autres …
La pratique de la relaxation On aborde différentes méthodes (Jacobson, wintrebert, hypnose ou « relaxation avec visualisation », Schultz etc …) L’objectif est que chaque participant élaborent au cours du training « sa propre pratique » de relaxation et d’hypnose On débute par des exercices de dialogue tonique (contracter un bras, puis l’autre etc), puis Jacobson, puis la visualisation.
La pratique de la relaxation En début de séance on revient systématiquement sur la pratique à la maison (difficultés, conseils au groupes, questions …) On peut aussi renforcer l’usage de la relaxation en demandant aux enfant de décrire leur pratique (dessin ou texte)
Le monde des bonbons
Le lieu refuge
La restructuration cognitive Identifier certaines façons de penser, qui se répètent et qui ont un impact négatif Favoriser des modes de penser et d’agir alternatifs et adaptés au problème
La restructuration cognitive Par exemple : Les croyances liées à la migraine (« pendant la crise, ma tête risque d’exploser », « on peut mourir de la migraine » etc…) Le catastrophisme (« Quand ma crise commence, je ne peux plus rien faire », « rien ne peut m’aider quand j’ai la migraine » etc…)
La restructuration cognitive Une partie des séances est consacrée à l’éducation à la santé (c’est quoi la migraine, la CDT, les auras, etc) En groupe on travaille sur les croyances des enfants en réfléchissant ensemble sur les moyens de faire face à telle ou telle situation (« résolution de problème en groupe » pour modifier les croyances de certains des participants)
Croyances sur la migraine
L’absence de pensée alternative : migraine ou travail
La restructuration cognitive On utilise aussi des bandes dessinés avec des situations liées à la migraine Les bulles sont vides et on demande aux enfants de les remplir L’objectif est d’avoir accès à certaines cognitions
A l’école
A la maison
La prescription de tâches La pratique de la relaxation (question ouverte +++) L’identification des pensées et des émotions qui peuvent poser problème (les colonnes de Beck) La tenue de l’agenda migraine
Quentin: migraine et CDT
Quentin Quentin a 11 ans, 2 frères + âgés, père médecin, mère informaticienne 6ième, collège bon collège, très bon niveau scolaire (et très bonne pression!) Tennis, piano, nbx copains Adressé au CME par médecin généraliste en octobre 2006
Les céphalées Céphalées d’intensité modérée et peu fréquentes depuis l’âge de 8 ans Depuis 1 an aggravation de la symptomatologie (fréquence et intensité) Depuis la rentrée scolaire 2006: 3 mig/mois (ENS = 8/10 ; durée = 3-6 heures) 6-7 CDT/semaine (ENS = 3-4; durée 1 heure)
A l’école 2 ½ jours d’absentéisme scolaire pour céphalée depuis la rentrée Résultats scolaires très mauvais par rapport à l’année dernière Disputes avec le père au sujet des devoirs
La situation familiale Depuis septembre 2006, la mère de Quentin a quitté le domicile familiale: Dépression maternelle et de problème de couple (dixit le père) Prendre de la distance et réfléchir à l’avenir (dixit la mère) Quentin est triste et inquiet quant à un éventuel divorce (père lui a promis que non …) Minimisation de l’impact de la situation familiale sur les migraines
Analyse fonctionnelle (grille du cercle vicieux de Cungi) Situation déclenchante : rentre de l’école et personne n’est là pour « l’accueillir » Conséquences : Disputes avec son père lorsqu’il rentre (tard) + céphalées Cognitions: « je suis seul, abandonné » Comportements: N’arrive pas à faire ses devoirs Émotions: Tristesse et peur (divorce)
Prise en charge thérapeutique Participation aux groupes TCC (10 séances) apprentissage de la relaxation identifier les facteurs déclenchants de la migraine et des CDT Entretiens individuels et « familiaux » (4 séances) Identifier le cercle vicieux (+auto-observation) Résolution de problème
Conclusion / épilogue Après deux mois ½, « disparitions » des CDT mais migraines inchangées (bien que mieux gérées) Thérapie de couple entreprise par les parents depuis janvier 2007 Depuis février la mère de Quentin à réintégré le domicile familiale Appel en mars : 1 seule crise de migraine en février …
Cas clinique: Samuel : entre migraine, vomissement cyclique et trouble anxieux
Anamnèse Samuel a 9 ans ½, est fils unique, est en CM1 Sa mère est comptable son père est routier Céphalées depuis l’âge de 18 mois. Crises violentes et cycliques (1/mois) avec vomissements et vertiges. bilans (sanguin, IRM, EEG etc.) négatifs Pas de traitement efficace (abus médicamenteux ?) Diag :Migraine avec Aura +/- vomissements cycliques
Motifs de la consultation au CME Sa mère est très inquiète car les crises sont de plus en plus handicapantes et il a beaucoup manqué l’école Récemment il a été à plusieurs reprises aux urgences -> RDV Trousseau
Les comportements ’’ bizarres ’’ la mère décrit son fils comme un enfant calme, mais « parfois nerveux ». Son comportement changerait avant et pendant les crises. Il deviendrait alors particulièrement anxieux Le reste du temps Samuel est dynamique et sportif (foot, console vidéo,vélo …)
Les comportements ’’ bizarres ’’ Au moment des crises, avant même qu’elle n’aient débutées, il « s’interdit » de nombreuses choses. Il préfère alors rester à la maison et devient anxieux lorsqu’on lui propose de sortir. Pendant les crises, il maintient sa tête bloquée et ralentie sa vitesse de marche. Depuis peu, il a peur d’aller à l’école lorsqu’il « sent venir » une crise
Répercutions sur l’entourage Anticipation Situation Émotion Signification personnelle Répercutions sur l’entourage Il ne veut pas aller à l’école car peur d’y déclencher une migraine. Sa mère doit alors le garder Cognition Imagerie « Quoi que je fasse si je commence à avoir mal à la tête je ferai une crise » Je ressens une douleur de faible intensité (E.N.S. = 1 à 3/10) Peur que la crise se déclenche Il semble qu’à partir du moment où il a mal à la tête, quelque soit le niveau de douleur, il met sa vie « entre parenthèse ». « Elle revient, elle veut me faire du mal », « Je ne dois pas la ’’provoquer’’», « Peur de mourir » Samuel se voit avoir mal à la tête, vomir et tomber sans que personne ne l’aide Comportement ouvert Empêcher la crise d’arriver en : -marchant « bizarre » -restant chez soi
Objectifs thérapeutiques surinterprétation anxieuse des conséquences de la douleur. le développement du sentiment d’efficacité personnelle / la douleur la rationalisation de la prise du traitement anti-migraineux ...
Principales techniques thérapeutiques utilisées La relaxation / hypnose donner à Samuel un moyen de gérer son anxiété et en particulier la peur de la douleur. la restructuration cognitive identifier les pensées automatiques associées à la douleur. faire des liens entre certaines situations, certains comportements, pensées ou émotion et la douleur. la résolution de problème réévaluer positivement sa capacité à faire face à ses crises de migraine. L’ancienneté et l’intensité de ses crises ont en effet fortement diminué son sentiment d’efficacité personnelle à ce sujet et l’amène actuellement à développer des conduites d’évitement par anticipation, en dehors de crises migraineuses.
La restructuration cognitive Exercices d’auto observation en préalable à la restructuration cognitive Colonnes de Beck Dessins Nombreuses situations anxiogènes Croyances centrées sur le risque à être seul pendant une crise douloureuse.
La restructuration cognitive On a discuté ensemble ces croyances au cours de plusieurs séances : Questionnement socratique … Identification des distorsions cognitives (surinterprétation des conséquences des crises de migraine) Samuel est convaincu que s’il est hors de chez lui lors d’une crise de migraine: Il va tomber par terre et perdre connaissance Il sera perdu, abandonné
La résolution de problème Une fois certaines distorsions cognitives identifiées, on a travaillé ensemble à partir de situations concrètes qui lui faisait très peur: Aller au cinéma alors qu’il pense qu’une crise pourrait arriver Aller au Macdo alors qu’il pense qu’une crise pourrait arriver Aller au musée alors qu’il pense qu’une crise pourrait arriver
Conclusion et épilogue Toujours une crise par mois Diminution des « comportements bizarres » qui précédaient les crises Diminution notable de l’anxiété d’anticipation de Samuel La prochaine étape de la thérapie devait être l’anxiété de séparation mère-enfant Déménagement en province …
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