Thérapies comportementales et cognitives en addictologie Nikoleta Kostogianni, Docteur en Psychologie Clinique, Thérapeute TCC Centre d’enseignement, de recherche et de traitement des addictions CHU Paul Brousse, Villejuif
Comportementalisme Association apprise (entre les antécédents, la réponse comportementale et les conséquences) non influencée par croyances du sujet Corpus théorique unifié : Le conditionnement
Bases théoriques Conditionnement classique (ou répondant), Pavlov Avec le temps, la consommation de substances peut être associée à des endroits, à des personnes, à des périodes du jour ou de la semaine, à des états émotionnels etc. Au final, l’exposition isolée à ces indices est suffisante pour provoquer la consommation.
Bases théoriques Conditionnement opérant (1), Skinner Sélection d’une réponse par renforcement Stimulus Réponse Conséquences Renforcement positif : l’apparition des conséquences positives augmente l’intensité et la fréquence de la réponse Renforcement négatif : le retrait des conséquences négatives
Bases théoriques Conditionnement opérant (2) Interrompt la sensation de manque (R-) Comportement addictif Apporte des sensations positives (R+)
Cognitivisme Réfute déterminisme des conditionnements (rôle des différences individuelles cognitives - croyances -) Corpus théorique éclectique et intégrative
Bases théoriques Apprentissage social (1), Bandura Apprentissage par l’observation d’un modèle Introduction des variables cognitives : Ce n’est pas le renforcement qui augmente la réponse mais l’anticipation de ce renforcement (croyance aux effets positifs attribués aux produits) Le renforcement est un élément facilitateur de l’apprentissage mais pas une condition nécessaire.
Bases théoriques Apprentissage social (2), Bandura Sentiment d’efficacité personnelle est un principe général de changement utilisable en psychothérapie Le changement psychothérapique a lieu dans la mesure où un sujet se considère capable de présenter un comportement et qu’il pense que ce comportement aboutira à un résultat (attentes de résultat).
Bases théoriques Théories Cognitives (1) Les cognitions ont un rôle déterminant dans les émotions et les réponses comportementales: La dépendance n’est pas du tout un apprentissage mécanique Plus que la réalité, c'est sa représentation interne qui détermine les réponses de l'organisme: Les croyances influencent la réactivité au produit et le désir de consommer peut apparaître en fonction de la seule présence de certaines cognitions, sans autres stimuli externes. Un traitement de l'information dysfonctionnel est à l'origine des pathologies: L’interprétation cognitive des stimuli entraîne ou non des réponses conditionnées aux substances.
Bases théoriques Théories Cognitives (2) Elles sont plus ou moins centrées sur : Produits cognitifs : cognitions, attributions, pensées automatiques Opérations cognitives (fonctionnement) : distorsions cognitives, biais systématiques de jugement Structures cognitives (causales) : Schémas Cognitifs Les schémas sont des croyances fondamentales qui maintiennent une perception, une interprétation et une mémoire de soi et de ses relations au monde Ils biaisent le jugement et produisent les pensées automatiques
Bases théoriques Croyances alcooliques (3), Beck L'utilisation du produit alcool pour obtenir des effets précis amène le sujet à développer, dans le temps, 3 types de croyances : anticipatoires: attentes positives liées à l’alcool (ex: «je serai gai et amusant avec l'alcool») Soulageantes : attentes de réduction du manque ou d’un malaise (ex:«l'alcool m'aide à oublier»; «si je bois, je suis moins anxieux») permissives: autorisent la consommation d’alcool (ex: «je l’ai bien mérité après ce travail»; «je suis invité; je ne peux pas refuser à un copain»).
Bases théoriques Modèle transactionnel de Lazarus Introduit le rôle prépondérant de l ’évaluation de la situation par le sujet dans sa façon de répondre face au stress Le fait de penser pouvoir contrôler son comportement et/ou son environnement constitue un facteur important dans la régulation des réactions au stress Les réponses au stress dépendent pas seulement de la situation stressante mais surtout de la représentation que l ’on a de cette situation (stress perçu) et de sa capacité à y faire face (capacité de contrôle perçu) Lorsque les capacités d’adaptation du sujet sont débordées, le sujet va alors manifester des réactions inadaptés voire pathologiques
Intégration théorique Extension cognitive des théories de l’apprentissage Rôle reconnu du traitement non conscient de l’information Évaluations conscientes et associations apprises involontaires sont capables d’engendrer des émotions et des comportements.
Intégration en pratique : TCC (1) Elles ne se définissent pas par un seul modèle théorique mais par un modèle méthodologique qui propose de se centrer sur l’état actuel du patient et de juger l’efficacité de la thérapie sur des critères précis Les techniques thérapeutiques utilisées ont été développées empiriquement
Intégration en pratique : TCC (2) L’évaluation clinique avant thérapie Le rôle accordé à l’apprentissage La prise de conscience ne suffit pas pour provoquer un changement L’adoption des actions liées à cette prise de conscience a des effets thérapeutiques. Approche très structurée, brève et avec des indications bien précises.
Entraînement aux compétences pour faire face
Objectif Développer des stratégies comportementales et cognitives pour faire face à des situations à haut risque de rechute identifiées à partir de l’analyse fonctionnelle et des changements de mode de vie compatibles avec l’abstinence Utilisé à la fois pour l’initiation et le maintien de l’abstinence (prévention de la rechute) 17 17
La prévention de la rechute “Relapse Prevention: Maintenenance Strategies in the Treatment of Addictive Behaviors”, by G. Alan Marlatt and Judith R. Morgan (1985) Nouvelle édition : 2005 18
La prévention de la rechute Modalité thérapeutique appliquée dans le domaine des addictions. Elle vise le maintien à long terme des changements du comportement induit par le traitement. Elle est mise au point par Alain Marlatt suite à des recherches empiriques auprès de patients addicts traités. 19
LA RECHUTE Le retour à une consommation excessive et problématique pour la personne après une période d’abstinence concerne à un très grand nombre de patients Marlatt se distingue d’une logique dichotomique qui assimile l’abstinence à la guérison et la rechute à l’échec du traitement 20
LE PROCESSUS DE LA RECHUTE Complexe qui se caractérise par des interactions multiples entre des facteurs situationnels et personnels Longitudinal puisqu’il démarre avant même la première reprise de la consommation et qui aboutit à la perte du contrôle de la consommation. 21
MODELE DE PREVENTION DE LA RECHUTE Intègre des théories et des techniques émanant des courants cognitif et comportemental. L’objectif étant d’intervenir sur ce processus dans le but d’éviter ou de réduire les écarts et par là de prévenir un retour en arrière. 22
ÉVALUATION Étape initiale de la thérapie Potentiel individuel de risque de rechute 23
POTENTIEL INDIVIDUEL DU RISQUE DE RECHUTE Identification A). Des facteurs qui peuvent déclencher de façon directe la reprise de la consommation appelés également des situations à haut risque (SHR) 24
POTENTIEL INDIVIDUEL DU RISQUE DE RECHUTE Identification A). Des facteurs qui peuvent déclencher de façon directe la reprise de la consommation appelés également des situations à haut risque (SHR) B). Des Réponses du sujet pour y faire face 25
POTENTIEL INDIVIDUEL DU RISQUE DE RECHUTE Identification A). Des facteurs qui peuvent déclencher de façon directe la reprise de la consommation appelés également des situations à haut risque (SHR) B). Des réponses du sujet pour y faire face C). Des facteurs qui contribuent à l’exposition aux situations à haut risque et donc indirectement à la rechute (mode de vie). 26
LES SITUATIONS À HAUT RISQUE DE RECHUTE (SHR) Définies par la présence d’indices internes et/ou externes antérieurement associés à la consommation. Ces indices représentent une menace pour la capacité de contrôle de la personne addicte abstinente et augmentent sensiblement la probabilité que la personne succombe à l’envie de consommer. Multiples et subjectives 27
Les situations à haut risque de rechute Taxinomie Intra-personnelles: contact avec le produit, émotions négatives ou positives, mauvais état physique, pensées en relation avec le produit, idée de pouvoir contrôler sa consommation. Inter-personnelles: contact avec les consommateurs, confits, pression sociale, états émotionnels partagés avec d’autres. 28
Modèle CC du Processus de la Rechute Gestion efficace du risque Situation à risque Pas de gestion efficace 29
Gestion Efficace de la SHR Gestion efficace du risque Augmentation du sentiment d’efficacité personnelle Réduction du risque de rechute Situation à risque 30
Gestion Inefficace de la SHR Situation à risque Baisse du sentiment d’efficacité personnelle Pas de gestion efficace Effet de violation de l’abstinence Augmentation du risque de rechute 1ère consommation Attente d’effets positifs de la consommation 31
Effet de Violation de l’Abstinence Augmente le risque de rechute par la présence : Émotions négatives, culpabilité, honte Dissonance cognitive (consommation / engagement dans l’abstinence) Attribution de « cet échec » à des facteurs internes stables (personnalité) 32
Facteurs Indirects de la Rechute . Désir d'indulgence ou de gratification immédiate (je mérite bien...) Style de vie déséquilibré 33
Facteurs Indirects de la Rechute Style de vie déséquilibré Désir d'indulgence ou de gratification immédiate (je mérite bien...) Envies et attentes d'effets positifs immédiats du produit Rationalisation, déni et DASC SHR 34
Déroulement Analyses fonctionnelles de la consommation Entraînement individualisé à reconnaître et à faire face aux envies, à gérer les pensées relatives à l’usage de substances et à la résolution de problèmes, à construire des plans d’urgence, à reconnaître les décisions apparemment non pertinentes quant à l’arrêt de substances 35 35
Déroulement Examen des contenus cognitifs liés à l’utilisation de substances Identification et analyse des situations à haut risque passées et futures Encouragement et examen de la pratique de compétences en dehors des séances Pratique de compétences en séance 36 36
Identifier les SHR Monitoring des circonstances habituelles de consommation (avant sevrage) ou des situations dans lesquelles le sujet éprouve des envies (si abstinent). Description des circonstances des éventuelles rechutes. L 37 37
Analyse fonctionnelle des SHR Situation déclenchante Pensées Emotions Comportements (consommation ou comportements altératifs) Conséquences positives Conséquences négatives 38 38
Exemple d’analyse fonctionnelle
Définir des objectifs
Hiérarchie Ordre Priorité SHR à travailler Objectifs par rapport à ces situations Plan de traitement Stratégies 1 Tâches complexes à accomplir au travail + pression du patron Mieux gérer le stress Gestion des émotions Activités gratifiantes Relaxation 2 Pression des amis à boire un verre lors des sorties Refuser sans grande anxiété Affirmation de soi
Renforcement de l’Efficacité Personnelle Un principe général de changement utilisable en psychothérapie Le changement psychothérapique a lieu dans la mesure où un sujet se considère capable de présenter un comportement et qu’il pense que ce comportement aboutira à un résultat (attentes de résultat). 42 42
Renforcement de l’Efficacité Personnelle La rechute n’est pas une preuve de manque de volonté mais le résultat de multiples facteurs. La prévention de la rechute est un apprentissage progressif et perfectible. Techniques : confrontation répétée à des SHR de difficulté croissante, résolution de problèmes, modelage. 43 43
Gérer les SHR Gestion des émotions négatives (colère, pensées négatives) avec des techniques de relaxation et de gestion du stress. Développement des compétences sociales afin de mieux gérer la pression sociale et de réduire les risques de conflits interpersonnels (jeux de rôle, modelage). 44 44
Restructuration Cognitive Modifier les attentes positives associées à la consommation Atténuer un éventuel effet de violation de l’abstinence. 45 45
Thèmes abordés Savoir refuser l’alcool Pensées dangereuses Gérer les envies Gérer les critiques Décisions apparemment sans conséquences Plan d’urgence pour la gestion d’un faux pas
Approche individualisée Le patient participe de façon très active Le thérapeute adapte le contenu, le déroulement et la façon de présenter le matériel à chaque patient = > importance de l’analyse fonctionnelle C’est la répétition et la pratique qui permettent de maîtriser les compétences 47
Séance type en individuel (1) Chaque séance dure 60 minutes Elle est divisée en trois partie de 20 minutes 48
Séance type (2) Première partie: Évaluer l'abus de substance, les envies et les situations à haut risque depuis la dernière séance Écouter / susciter les préoccupations des patients Passer en revue et discuter l'exercice pratique 49
Séance type (3) Deuxième partie: Présenter et discuter le sujet de la séance Adapter le contenu de la séance aux préoccupations actuelles du patient 50
Séance type (4) Troisième partie: Explorer la compréhension du patient et ses réactions à propos du sujet Proposer un exercice pratique pour la semaine prochaine Passer en revue les plans pour la semaine et anticiper les situations potentiellement à haut risque 51
Première séance Objectifs : Établir l’alliance thérapeutique Renforcer la motivation Anamnèse Présentation de la TCC Introduction de l’analyse fonctionnelle Négociation des objectifs et du contrat thérapeutique Expliquer l’utilité des exercices à faire entre les séances 52
Indications Patient motivé pour l’abstinence Patient motivé pour la TCC 53
Contre - indications Patients psychotiques ou bipolaires non stabilisés Mode de vie peu stable Problèmes somatiques aigus Polytoxicomanie (quand le patient compense par d’autres substances que le produit cible) Détérioration cognitive (surtout en groupe) Pour le format groupe : personnalités pathologiques 54 54
Phase de maintien (1) Séances additionnelles de rappel durant les 6 mois suivant la phase initiale de la thérapie Plutôt que d’introduire du nouveau matériel ou de nouvelles stratégies, la phase de maintien de la TCC vise à élargir et à maîtriser les compétences auxquelles le patient a été exposé pendant la phase initiale de la thérapie
Phase de maintien (2) Identifier les situations, les affects et les cognitions restant problématiques pour les patients dans leurs efforts de maintien de l'abstinence Consolidation des stratégies les plus efficaces pour faire face et des stratégies que le sujet a mis en application Encourager l’engagement du patient dans des activités et des relations incompatibles avec l’usage de drogues
Points forts de la TCC en Addictologie Stratégies applicables dans tous les comportements addictifs En individuel mais aussi en groupe Approches individualisées et bien accueillies par les patients et les équipes En ayant un objectif précis, la TCC n’est pas incompatible avec d’autres formes de la prise en charge 57 57
Références Marlatt GA et Gordon JR. Relapse prevention : Maintenance stragegies in the treatment of addictive behaviors, The Guilford Press - New York ; 1985. Monti PM, Abrams DB, Kadden RM, Cooney NL. Treating alcohol dependence. A coping skills training guide. The Guilford Press - New York ; 1989. Uehlinger C. Abstinence. Editions Médecine et Hygiène - Genève ; 1996. Beck AT, Wright FD, Newman CF, Liese BS. Cognitive therapy of substance abuse. The Guilford Press - New York ; 1993.