Inégalités scolaires et politiques éducatives

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Transcription de la présentation:

Inégalités scolaires et politiques éducatives Georges Felouzis Chaire Francqui 2015 – Université de MONS

Introduction: objectifs de la Chaire Francqui « Promouvoir le développement du haut enseignement et de la recherche scientifique en Belgique » «  Stimuler le prestige de la recherche fondamentale désintéressée »

Trois réflexions introductives Responsabilité et place du chercheur en éducation 2. Les inégalités scolaires comme objets de science et comme action publique 3. Discontinuité culturelle et discrimination négative

1. Responsabilité et place du chercheur en éducation Responsabilité scientifique et responsabilité sociale. Gisèle Sapiro, La responsabilité de l’écrivain, Seuil, 2011 Auteur, responsabilité pénale et responsabilité sociale des écrivains. Le chercheur, comme l’écrivain, n’est mandaté par personne. C’est ce qui donne du poids à ses propos.

Le savant et la politique Max Weber, Le savant et le politique, 1919 L’engagement du chercheur Pierre Bourdieu, La misère du monde, Seuil, 1993 : « donner la parole aux gens sans parole »

2. Les inégalités scolaires comme objet et comme politique Joseph Stiglitz, Le prix de l’inégalité, 2012 L’inégalité résulte de choix politiques. Dans le domaine scolaire : Quel arbitrage entre les fonctions de reproduction et les fonctions d’innovation sociale de l’école ? Les inégalités scolaires comme fait social, fruit de choix politiques, de rapports de force; de pratiques professionnelles, etc. Multitude d’acteurs en présence.

Inégalités: de quoi parle-t-on ? Georges Felouzis, Les inégalités scolaires, QSJ?, 2014 Inégalités de quoi ? Entre qui ? Pour quelles conséquences ? Égalité, équité, efficacité Rôle de l’école et des politiques éducatives dans la production de ces inégalités: Filières, ségrégation, opportunités, qualité de l’enseignement, etc...

Inégalités et justice à l’école Raisonner sur les liens entre politiques et inégalités demande d’éclaircir nos conceptions du « juste » en matière scolaire. Doit-on récompenser chacun en fonction de ses efforts et de ses talents ? Et donner plus (d’éducation, de qualité, d’enseignement, etc.) à ceux qui ont déjà le plus ? Ou doit-on être attentif aux conséquences de l’échec ? (sur les trajectoires, l’accès à l’emploi, sur la possibilité d’exercer sa liberté et sa citoyenneté) Ces deux conceptions n’ont pas les mêmes conséquences en termes d’action publique en éducation.

a. Une conception « morale » de la justice Une conception « morale » de la justice scolaire: tu ne récoltes que ce que tu as semé (égalité des chances) C’est le principe de la « méritocratie »: l’école récompense le « talent » et « l’effort ». Ceux qui échouent n’ont ni l’un ni l’autre. Ils ne « méritent » donc pas de réussir. Donner plus à ceux qui ont le plus. Une traduction en termes d’organisation scolaire: les filières dans l’enseignement obligatoire comme en Allemagne et en Suisse. Dans ce cadre intellectuel, les inégalités sociales, ethniques, genrées, etc. ne sont conçues que comme le reflet des différences de talents et d’efforts et n’ont donc rien d’injuste.

b. Une conception « humaniste » de la justice Basée sur les conséquences de l’échec et des inégalités scolaires (égalité des acquis). Être un homme libre implique aujourd’hui un certain niveau d’éducation. Sans cette éducation, il est impossible d’exercer sa liberté et ses droits de citoyen. Un niveau trop élevé d’inégalité est donc une menace pour la démocratie, la cohésion sociale et le libre exercice de la liberté de chacun. Compétences de base, enseignement obligatoire, « smic » culturel.

c. L’exemple français C. Baudelot et Roger Establet, Le niveau monte, Seuil, 1989. Thierry Rocher, Lire, écrire, compter. Les performances des élèves de CM2, 2008 A. Prost, Du changement dans l’école. Les réformes de l’éducation de 1936 à nos jours, Seuil, 2013 Politiques scolaires depuis la fin des années 1950: massification, unification du système, création du collège unique, augmentation de l’âge de l’obligation scolaire, développement du secondaire post-obligatoire, développement de l’enseignement supérieur, …

Conséquences Conséquence 1: démocratisation quantitative dont les effets ne sont pas à négliger sur la société: accroissement du niveau de diplôme, des qualifications, des acquis, des connaissances, ouverture de l’enseignement supérieur, etc. Conséquence 2: maintien voire renforcement des inégalités sociales à l’école, au plan de l’accès aux diplômes, aux filières les plus prestigieuses, etc. Pas de démocratisation qualitative Au plan des acquis, et sur une temporalité plus courte, qu’observe-t-on en France ?

Commentaire Si l’on prend en compte l’évolution vers le haut de la structure sociale de la population en France, la baisse de performance est bien plus forte. Pourquoi une telle baisse des résultats et une telle augmentation des inégalités ? Réforme de l’éducation ? Pas vraiment ! Dégradation du service éducatif dans le primaire ? Augmentation de la ségrégation scolaire ? Hétérogénéité de l’offre et de la qualité éducative ?

3. Discontinuité culturelle VS discrimination systémique Modèle de la « discontinuité culturelle » entre les attentes de l’école d’une part et la socialisation familiale de l’autre. Bernard Lahire, La raison scolaire, PUR, 2008 Lahire (2008) se demande si « l’inégale réussite scolaire des élèves issus des différents groupes sociaux ne met pas fondamentalement en jeu le rapport de ces groupes sociaux aux formes objectivées de culture et si les dispositions « méta » (le rapport scriptural-scolaire au langage), socialement constituées au sein de ces formes objectivées de culture, ne sont pas au centre des processus d’échec scolaire » (p. 56)

Le modèle de la discontinuité culturelle Dans ce schéma explicatif, on questionne la distance sociale entre l’école et les familles, entre la culture scolaire et la culture de classe. Conséquences de cette approche: l’école est pensée « indifférente aux différences » et c’est bien pour cela qu’elle est inégalitaire. Elle ne prend pas en compte le rapport spécifique à l’écrit, à la culture, au raisonnement, etc. des élèves des classes sociales les plus éloignées de l’école. Reproduction plus que production d’inégalités

La discontinuité culturelle Pour pertinent qu’il soit, ce modèle ne nous aide pas à rendre compte des évolutions récentes et rapides dévoilées au tableaux 1. Rien ne laisse penser que la distance culturelle des classes populaire en France s’est accrue en 12 ans à peine. Cela signifie que cette théorie ne suffit pas à rendre compte des données, et que l’école n’est pas si « indifférente aux différences » que ça.

Discriminations systémiques Un modèle alternatif, bien que non totalement contradictoire, renvoie plus spécifiquement à l’école elle- même et à son fonctionnement. Discriminations systémiques: Les élèves n’ont pas les mêmes opportunités d’apprentissage. On ne donne pas le même enseignement, les maîtres aussi expérimentés, des contextes d’apprentissage aussi positifs aux élèves socialement et ethniquement défavorisés. - « Effet Matthieu »: on donne plus à ceux qui ont le plus: les meilleurs établissements, les meilleurs enseignants, les meilleures conditions d’apprentissage, etc.

Une première étude de cas: les élèves migrants en France Felouzis, Fouquet-Chauprade et Charmillot, « Les descendants d’immigrés à l’école en France. Entre discontinuité culturelle et discrimination systémique », à paraître. Évolution globale: Évolution à la baisse des compétences des élèves migrants et issus de l’immigration entre 2003 et 2012. Renforcement de l’effet des caractéristiques ascriptives sur les résultats. Entre 2003 et 2012, plus faible effet de l’origine socioéconomique parmi les élèves migrants: les plus favorisés au plan socioéconomiques ont des scores faibles.

PISA 2003 France – Score en mathématiques prédit en fonction du statut Migratoire et du niveau de diplôme des parents (Felouzis, Fouquet-Chauprade et Charmillot, à paraître)

PISA 2012 France – Score en mathématiques prédit en fonction du statut Migratoire et du niveau de diplôme des parents (Felouzis, Fouquet-Chauprade et Charmillot, à paraître)

Commentaire Ainsi, le handicap scolaire des élèves non-natifs s’explique moins aujourd’hui qu’hier par leur origine sociale ou leurs conditions de vie, et beaucoup plus par le seul fait d’être non-natifs de 1ère et surtout de 2ème génération. Plafond de verre ? Les enfants de migrants, même ceux dont le capital culturel est élevé, ne dépassent pas un certain niveau de compétence. Discrimination systémique ? Accentuation de la ségrégation sociale et ethnique, établissements ghetto, dégradation de la qualité de l’enseignement.

Une deuxième étude de cas: les filières en Suisse « Ce que l’école fait aux plus faibles », in G. Felouzis et G. Goastellec, Les inégalités scolaires en Suisse, Peter Lang, 2015. Sur-échantillon PISA suisse 2009. 20 000 élèves Échantillon représentatif par canton Les politiques scolaires dépendent du canton et non de la confédération. Chaque canton possède son propre système éducatif (pour la plupart filières dès la fin du primaire)

PROBABILITÉ D’ÊTRE SOUS LE NIVEAU 2 EN COMPRÉHENSION DE L’ÉCRIT EN FONCTION DU QUINTILE ESCS DANS 7 CANTONS (PISA2009)

Conclusion: inégalités scolaires et politiques publiques Une grande part des inégalités scolaires dépendent des dispositifs, des systèmes, des politiques scolaires. Ce résultat peut sembler pessimiste. En fait, il n’en est rien. Au contraire, il montre que l’action publique en éducation peut améliorer l’école, à condition d’identifier les sources et les mécanismes de production des inégalités scolaires. Je centrerai les prochaines conférences sur ces mécanismes en tentant de les identifier dans différents contextes éducatifs.

MERCI DE VOTRE ATTENTION