Dysfonction cérébrale postopératoire Dr Stéphane Lammens UFR médecine & CHU, Caen
Dysfonction cérébrale postopératoire Confusion postopératoire Précoce Dysfonctionnement cérébral transitoire Dysfonction cognitive postopératoire prolongée (DCPOP) Dure plusieurs mois voire années Réversibilité ? Silverstein et coll. Anesthesiology 2007;106:622-8
Dysfonction cérébrale postopératoire: confusion vs DCPOP Début soudain progressif Durée jours mois à années Evolution nycthémérale exacerbation nocturne stable Conscience somnolence normale Attention perturbée Cognition altérée Hallucinations visuelles ou auditives - Orientation Activité psychomotrice augmentée, réduite, alternance Elocution incohérente difficultés pour trouver les mots Mouvements involontaires tremblements Intoxication médicamenteuse + Langeron. Conférence d’Actualisation, Sfar 1999
Dysfonction cérébrale postopératoire Comment en faire le diagnostic? anesthésie douleur chirurgie DCPO anxiété hospitalisation Environnement socio-familial
Classification nosologique Confusion au réveil Confusion postopératoire DCPOP SSPI 24 – 72 h postop Semaines - mois Silverstein et coll. Anesthesiology 2007;106:622-8
1. Confusion post opératoire
Confusion PO Comment en faire le diagnostic? Association symptomatique définie : Nécessité de répéter les questions Discours répétitif et inapproprié fermeture des yeux ou endormissement pendant l’examen défaut d’interprétation, illusion, hallucination troubles du rythme veille-sommeil hyperactivité psychomotrice désorientation dans le temps absence de mémorisation des faits récents cauchemars, sensation de «rêves éveillés» hypersensibilité aux stimuli visuels/auditifs Un des 2 signes 2 signes
Confusion : incidence Mal évaluée 5 à 70% selon les études Le risque augmente avec l’âge et l’importance de la chirurgie Fréquence plus élevée en cas de perturbations neuropsychologiques préopératoires
Que faire en cas de confusion postopératoire ?
Rechercher une étiologie Les médicaments Surdosage absolu ou relatif (pénicilline, ciclosporine…) Sevrage brutal (benzo, alcool, morphiniques) Perturbation des mécanismes cholinergiques centraux (hypnotiques, morphiniques, antidépresseurs…)
Rechercher une étiologie Facteurs généraux âge, perturbations de la circulation cérébrale, pathologie initiale grave, défaillance monoviscérale (rein, coeur, foie) Facteurs spécifiques problèmes urinaires, anémie, hypoalbuminémie, médicaments, hyponatrémie, hypoglycémie sevrage : alcool, morphine, benzodiazépines Facteurs perop. hypotension artérielle, CEC de longue durée, anesthésie de longue durée, kétamine, choix de la sédation en cas d’ALR Facteurs postop. bas débit cardiaque, hypothermie, complications postopératoires, hypoxie, perturbations métaboliques, douleur, rétention aiguë d’urine Facteurs environnemtx privation de sommeil, immobilisation, difficultés à communiquer, absence de contacts sociaux et/ou familiaux
Prise en charge, conséquences Évaluation de la gravité Difficile (variabilité temporelle) Augmentation de la mortalité, morbidité (incluant le risque de blessure) et durée d’hospitalisation Marcantonio et coll. JAMA 1994;271:134-9 Redmond et coll. Ann Thorac Surg 1996;61:42-7 Franco et coll. Psychosomatics 2001;42:68-73
Prise en charge Sédation Si agitation importante Possibilité d’aggravation du syndrome confusionnel (benzodiazépine) Neuroleptiques (halopéridol : 0,5 à 1 mg / 10-15 min à renouveler) ou benzodiazépines (effet paradoxal, sevrage alcoolique) Bataglia et coll. Drugs 2005;65:1207-22 Relocalisation du patient dans son environnement. Contention (à éviter)
Prévention? Lutter contre l’altération cognitive Orientation temps, espace, emploi du temps, relationnel du personnel soignant Respect du rythme veille sommeil Environnement sonore, surveillance Mobilisation précoce Autonomie visuelle (lunettes) et auditive (prothèse) Assistance nutritionnelle & hydratation Silverstein et coll. Anesthesiology 2007;106:622-8
Prévention Stratégie multimodale 852 patients >70 ans Randomisés en deux groupes: intervention vs standard care Intervention: contrôle de la détérioration cognitive, respect du sommeil, mobilisation précoce, hydratation correcte, lunettes et prothèses auditives Réduction significative (9% vs 15%) de l’incidence et de la durée des épisodes de délire. Inouye et coll. N Engl J Med 1999;340:669-76
Prévention spécialisée Consultation de gériatrie en préopératoire de PTH Réduction 1/3 de incidence de confusion PO Réduction de la moitié des cas sévères Marcantonio et coll. J Am Geriart Soc 2001;49:516-22
2. Dysfonctions cognitives postopératoires prolongées
Dysfonctions cognitives postopératoires prolongées Comment en faire le diagnostic? Tests neuropsychologiques : MMS : facile, pratique mais trop « grossier » Création puis validation de batteries de tests Test de mémorisation verbale (mémoire) Test d’interférence entre mots et couleurs (attention, concentration) Test de codage (attention, mémoire à court terme) Test de déplacement conceptuel (sensible aux modifications mineures, motricité)
Les tests cognitifs utilisés Mini-Mental State Orientation Mémorisation Calcul et attention Re mémorisation Langage Moller et coll. Lancet 1998;351:857-61
Dysfonctions cognitives postopératoires Problèmes méthodologiques Nécessité de comparaison : À la norme (population témoin appariée) Au patient lui-même (avant et après anesthésie) Influence de l’effet d’apprentissage Sensibilité modeste des tests cognitifs Durée de l’évaluation (environ 40 minutes par patient et par évaluation) Moller et coll. Lancet 1998;351:857-61
Incidence des DCPOP (chirurgie non cardiaque) ISPOCD1 : 1998 1218 patients, > 60 ans Tests neuropsychiques à 1 semaine et trois mois Chirurgie non cardiaque majeure Résultats incidence : 25,8% à 1 semaine (3,4% groupe contrôle) 9,9% à 3 mois (2,8% groupe contrôle) Moller et coll. Lancet 1998;351:857-61
Incidence des DCPOP (chirurgie cardiaque) Pontages sous CEC 261 patients. 60,9±10,6 ans Tests neuropsychiques à la sortie, 6 semaines, 6 mois, 5 ans Résultats incidence 53% à la sortie 36% à 6 semaines 24% à 6 mois 42% à 5 ans Newman et coll. N Engl J Med 2001;344:395-402
Facteurs de risque de DCPO Étude ISPOCD1 Moller JT et al. Lancet. 1998;351:857-61. Odds ratio (IC95%) 1 semaine 3 mois Âge (différence de 10 ans) 1,3 (1,0-1,7)* 2,1 (1,4-2,9)* Hypoxémie per ou postop 0,8 (0,5-1,3) 1,2 (0,6-2,4) Hypotension per ou postop 1,0 (0,7-1,6) 0,9 (0,5-1,4) Benzodiazépines avant la chirurgie - 0,4 (0,2-1,0) * Durée d’anesthésie (différence de 1h) 1,1 (1,0-1,3)* Réintervention 2,7 (1,1-6,5)* Complication respiratoire 1,6 (1,0-2,6)* Complication infectieuse 1,7 (1,0-2,8)* Éducation (lycée vs moins) 0,6 (0,4-0,9)* Éducation (> lycée vs moins) 0,5 (0,3-0,8)* Hypoxémie = SpO2 < 80% 2 minutes hypoTA = baisse de la PAM de 40% pendant 30 minutes
Facteurs de risque de DCPO Facteurs prédictif de DCPO et de modification de l’index cognitif composite à 5 ans (analyse multivariée) Dysfonction cognitive Modification de l’index cognitif composite Dysfonction cognitive à la sortie 0,03* < 0,001* Score d’index cognitif composite plus élevé de base 0,07 Plus âgé 0,01* Niveau éducatif moins élevé 0,003* Newman et coll. N Engl J Med 2001;344:395-402
Pronostic d’une DCPO précoce Newman et coll. N Engl J Med 2001;344:395-402
Au total En chirurgie non cardiaque, pathologie fréquente mais fugace Moller et al.Lancet 1998; 351: 857-62 Abilstrom et al Acta Anaesthesiol Scand 2000; 44: 1246-51 Johnson et al Anesthesiology 2002; 96: 1351-7 Canet et al Acta Anaesthesiol Scand 2003; 47: 1204-10 En chirurgie cardiaque pathologie fréquente et durable Newman et al N Engl J Med 2001; 344: 395-402 Slogoff et al Anesth Analg 1982; 61: 903-11 Kuroda et al Anesth Analg 1993; 76: 222-7 Heyer et al Arch Neurol 2002; 59: 217-22
Fibrillation auriculaire Hyperthermie précoce postopératoire Facteurs de risque des dysfonctions cognitives persistantes en chirurgie cardiaque. Mécanisme embolique Fibrillation auriculaire Hyperthermie précoce postopératoire Pathologie préexistante AVC
En pratique : un cas clinique Vous voyez en consultation une patiente de 74 ans en préopératoire d’une prothèse totale de hanche. Elle vous signale que lors d’une sigmoïdectomie pour cancer elle a présenté une confusion postopératoire avec hallucinations et désorientation et que depuis, elle souffre de pertes de mémoire et de troubles de l’attention. Elle souhaite une anesthésie générale et vous demande la garantie que la prochaine anesthésie n’aggravera pas ses troubles cognitifs.
Question La réalisation d’une ALR chez cette patiente permettrait-elle de diminuer le risque de DCPOP?
Recherche bibliographique Résultats 19 études retrouvées 3 évaluant la confusion postopératoire 10 évaluant la DCPOP 6 évaluant les 2
Classement des articles selon le niveau de preuve Etudes aléatoires avec un faible risque de faux positifs (α) et de faux négatifs (β) (puissance élevée : β = 5 à 10 %) Niveau 2 Risque a élevé, ou faible puissance Niveau 3 Etudes non aléatoires. Sujets " contrôlés " contemporains Niveau 4 Etudes non aléatoires. Sujets " contrôlés " non contemporains Niveau 5 Etudes de cas. Avis d'experts
Résultats confusion étude n résultats Niveau de preuve Papaioannou, 2005 47 Pas de différence significative 2 Williams, 1995 262 1 Campbell, 1993 157 Crul, 1992 60 Scores moins bon dans le groupe rachi Chung, 1989 44 Berggren, 1987 57 Chung, 1987 Cook, 1986 101 Bigler, 1985 40
Résultats DCPO étude n résultats Niv. de preuve Papaioannou, 2005 47 Moins de DCPO dans le groupe ALR 2 Rasmussen, 2003 428 Moins de DCPO à J7 dans le groupe ALR Pas de différence à J90 1 Somprakit, 2002 60 Pas de différence significative Fredman, 1998 100 Williams, 1995 262 Campbell, 1993 157 Crul, 1992 101 Forster, 1990 64 Jones, 1990 146
Résultats DCPO étude n résultats Niveau de preuve Nielson, 1990 64 Pas de différence significative 2 Asbjorn, 1989 40 Chung, 1989 44 Ghoneim,1988 91 1 Chung, 1987 Pas de différence significative à J5 Bigler, 1985 Riis, 1983 30 Hole, 1980 60 Moins de DCPO groupe ALR hospit Pas de différence significative après sortie 16 études 2755 patients
Conclusions L’anesthésie générale n’est pas associée a une augmentation significative des modifications cognitives postopératoires par rapport à l’anesthésie loco-régionale.
Recommandations pour la pratique pour notre patiente Grade A Deux (ou plus) études de niveau 1 Grade B Une étude de niveau 1 Grade C Etude(s) de niveau 2 Grade D Une étude (ou plus) de niveau 3 Grade E Etude(s) de niveau 4 ou 5
Recommandations pour la pratique pour notre patiente Rassurer la patiente Lui expliquer que la confusion et les DCPOP sont relativement fréquentes Mais transitoires dans le contexte d’une chirurgie non cardiaque Le choix de la technique (AG ou ALR) n’influe pas sur le risque de survenue de la confusion (grade B) et de la DCPOP (grade A)
Messages pour la maison Les dysfonctions cérébrales postopératoires sont Fréquentes notamment chez le sujet âgé Encore mal étudiées Pour la confusion à l’origine d’un allongement de la durée de séjour et de la morbi-mortalité La DCPOP est fugace en chirurgie non cardiaque et durable en chirurgie cardiaque Pour les dysfonctions prolongées source de gène pour les patients et d’angoisse en cas de nouvelle intervention