Les principes d’accompagnement des adultes avec autisme sévère Dr Jacques Constant SYNERGIES AVIGNON 29 avril 2015 Les principes d’accompagnement des adultes avec autisme sévère Si faciles à comprendre… Si difficiles à appliquer ?
PLAN I – Constat d’un écart entre la simplicité des principes et les difficultés des pratiques II – Comment expliquer cet écart ? III – Quelques réflexions sur nos positions dans l’accompagnement
I – Constat d’un écart entre la simplicité des principes et les difficultés des pratiques
4 sources de représentations servent de références depuis l’année 2000 pour l’accompagnement des AAS Le discours de la connaissance Issu de nombreuses études scientifiques Le discours militant Des associations de parents relayé par les média Le discours du vécu Des témoignages des personnes autistes sans déficit intellectuel Le discours de la perfection Publié par les Agences ANESM et HAS
Naissent des représentations contemporaines majoritaires De ces 4 sources Naissent des représentations contemporaines majoritaires Représentations des modalités de fonctionnement psychique des personnes TSA Des représentations du contenu de notre travail d’accompagnement
« Nécessitent un soutien très substantiel » RAPPEL : les AAS Vivent dans nos établissements dans leur grande majorité Se classent aujourd’hui dans le niveau 3 du DSM 5 « Nécessitent un soutien très substantiel »
Simplicité officielle ? Dans la représentation dominante actuelle, les personnes TSA sont : Toutes semblables par leur fonctionnement autistique Ce sont les conduites visibles décrites par les classifications Et la psychopathologie invisible : mode de perception, mode de percevoir, de ressentir, de s’exprimer Toutes différentes par leurs caractéristiques individuelles Leur âge Niveau de développement Pathologies associées Contexte familial et social Parcours de vie personnel et institutionnel
A partir de ces représentations, les recommandations officielles de l’ANESM et de la HAS constituent une carte Orienter nos objectifs en accord avec les parents Evaluer les limites et les potentialités de chacun Préciser les moyens pour les atteindre Coordonner les interventions
Officiellement, on applique les mêmes principes aux adultes qu’aux enfants Chacun peut constater la clarté des recommandations officielles raisonnables, utiles, majoritairement consensuelles et le brouillard des pratiques quotidiennes dans les institutions et dans les familles
II – Comment expliquer cet écart ?
4 sources d’explications de l’écart entre principes et pratiques Le discours de perfection des recommandations Principes Pratiques Définition de notre travail bonnes intentions Fait l’impasse sur affects et conflictualité et les nuances de la clinique Le discours de connaissance des études scientifiques Principes Pratiques Eclaire et mesure les mécanismes Analyse les fonctions psychologiques Essaie de définir la nature des troubles Ne tient pas compte du mal fou que nous avons à intégrer une théorie de l’esprit autiste
4 sources d’explications de l’écart entre principes et pratiques Le discours militant des associations de parents Principes Pratiques Revendique le handicap et le pragmatisme comportemental A fait évoluer nos techniques mais ignore les paradoxes Le discours du vécu des témoignages des autistes SDI Principes Pratiques Négation de la maladie et du handicap Affirmation d’une manière d’être autiste Accent mis sur les spécificités de fonctionnement et les potentialités Ignore nos difficultés à vivre avec des semblables si différents
Le discours de perfection des recommandations officielles EST NECESSAIRE Il correspond à un travail d’experts, d’usagers, de gestionnaires C’est un repère très utile qui nous permet de nous situer dans notre travail MAIS La carte n’est pas le territoire La carte qui nous sert à nous orienter est vite remplacée par le GPS qui guide nos conduites…
NECESSAIRE MAIS PAS SUFFISANT Le discours de perfection des recommandations officielles NECESSAIRE MAIS PAS SUFFISANT Il élimine affect et conflictualité toujours présents dans le quotidien du monde du travail Par ailleurs, il dit s’appuyer sur la médecine par les preuves Mais nous sommes aussi dans la santé mentale et la médecine par les valeurs et le partage des croyances A noter dans les recommandations ANESM : « Accompagner les professionnels dans leurs démarches de bientraitance » Pour moi, ça veut dire : tenir compte de nos affects, de nos sentiments, de notre conflictualité interne, entre idéal et réalité, surmoi et moi professionnel
Rendent les AAS environnemento-dépendants L’intensité des déficits cognitifs et développementaux Le degré de difficulté dans la communication Le vieillissement Rendent les AAS environnemento-dépendants Leur qualité de vie dépend de la qualité de notre accompagnement Leurs troubles traduisent le dysfonctionnement de nos institutions Et ces phénomènes angoissent et culpabilisent les accompagnants et les parents
Le discours de connaissance issu des recherches scientifiques Vaste effort de la collectivité scientifique Porteur d’espoir pour mieux définir, mieux comprendre, éventuellement pour trouver des actions possibles sur leurs mécanismes MAIS Dans l’immédiat, les recherches sur l’origine du trouble ne débouchent pas directement sur des applications dans l’accompagnement des personnes Les recherches sur le développement psychologique des troubles permettent, elles, partiellement d’orienter les modalités d’accompagnement
Le discours de connaissance issu des recherches scientifiques …CEPENDANT Dire que les seuls résultats des recherches scientifiques doivent dicter les conduites des praticiens de terrain n’est pas un discours scientifique Et le discours scientiste ne nous aide pas Il nous fait miroiter des mirages qui flattent notre inépuisable mégalomanie réparatrice En adhérant sans esprit critique à un seul point de vue, on risque de tomber dans des pratiques sectaires Un écart sera toujours à maintenir entre les recherches et les pratiques
Le discours militant des associations de parents Trace une conduite à tenir correspondante au portrait contemporain de l’ AAS neuro-développemental Etroite collaboration professionnels/familles Evaluation précise des capacités et des limitations de chaque personne Compensations des déficiences : Déficiences de communication compensées par la recherche du meilleur canal de communication, le plus souvent visuel, et par les méthodes de communication alternatives au langage Déficiences des modes de percevoir et de penser compensées par la pré-visibilité de l’environnement et l’analyse méticuleuse des comportements Déficiences d’interactions sociales compensées par l’apprentissage d’attitudes adaptées
Le discours militant des associations de parents Ces prescriptions parentales utiles, exigeantes, sont tout de même paradoxales : Agir sur l’environnement externe pour obtenir un apaisement interne Moins parler pour mieux communiquer en utilisant les images, les gestes et la séquentialisation des actions Pré-voir paradoxe de prévoir l’imprévu Protocoliser les relations dans l’espoir paradoxal de diminuer les ritualisations de la personne qui, apaisée, pourra mettre un peu de jeu dans la rigueur de ses mécanismes autistiques
Le discours du vécu des témoignages TSA SDI Un moyen trop peu utilisé de comprendre ceux qui ne peuvent pas s’exprimer Tous les témoignages convergent pour souligner : La priorité des troubles de perception et de sensorialité La priorité du fonctionnement logico-cognitif sur le psycho-affectif La priorité du rapport visuel plutôt que langagier avec l’environnement
Le discours du vécu des témoignages TSA SDI Les témoignages nous disent que ces personnes sont nos semblables… Comme nous, ils sont des êtres humains avec les mêmes problématiques que nous (la vie, la mort, l’amour, etc…) Ils n’ont pas la même façon que nous de traiter ces problèmes Ce sont des semblables différents Ils doivent cependant vivre dans notre monde. Nous avons à les aider à vivre parmi nous (et non pas comme nous) Mais nous avons un mal fou à intégrer une théorie de l’esprit autiste car notre fonctionnement psychique normal est en opposition avec leur fonctionnement psychique autiste
Pensée des accompagnants non AAS Fossé opposition Pensée des personnes AAS Pensée des accompagnants non AAS
Mode de pensée normale/« neurotypique » Mode de pensée autiste/TSA Mode de pensée normale/« neurotypique » Pensée qui intègre difficilement les codes sociaux Pensée qui intègre facilement les codes sociaux Pensée rigide, non associative, très peu interprétative Pensée souple, associative, interprétative Pensée concrète, non métaphorique Pensée symbolique, métaphorique, jouant des images et des abstractions Pensée sensible au contexte certes, mais pouvant se détacher Pensée contextuelle Pensée séquentielle Pensée capable de logique mais aussi d’associations En principe, pas de « théorie de l’esprit » En principe bonne « théorie de l’esprit »
III – Quelques réflexions sur nos positions dans l’accompagnement
Quelques réflexions sur nos positions dans l’accompagnement Position institutionnelle Position personnelle Position dans l’évaluation des adultes Position dans le projet individualisé Position face aux comportements problèmes Position face aux potentialités positives, même chez les AAS
Position institutionnelle Les AAS vivent dans nos établissements L’ambiance institutionnelle peut être infiltrée des mécanismes autistiques Elle peut être utilisée pour limiter les effets de ces mécanismes Parfois l’organisation du travail est orientée par l’adaptation des procédures au mode de perception de la pensée autiste Parfois, il y a divorce entre l’organisation du travail et le mode de fonctionnement des AAS
L’indispensable cohérence de l’équipe repose sur : Position institutionnelle L’indispensable cohérence de l’équipe repose sur : Une attitude de compréhension permanente de la psychopathologie singulière pour chaque personne L’acceptation du style particulier de chacun et le respect de sa façon de vivre La protocolisation de la rencontre et le contrôle des attitudes spontanées des professionnels Le respect des procédures institutionnelles : engagement personnel et retour sur réunions collectives Un partenariat avec les parents réfléchi et garanti par le fonctionnement institutionnel
Position institutionnelle Nous sommes entraînés dans une incontournable conflictualité entre : Les pesanteurs du monde du travail Les pesanteurs du fonctionnement autistique des AAS et Paradoxalement, cette conflictualité peut être notre chance… Les AAS sont repliés sur eux et communiquent mal Ils peuvent nous obliger à nous ouvrir et à communiquer avec les autres Les AAS sont morcelés, démantelés, clivés Ils peuvent nous obliger à nous réunir en équipe au-delà de nos catégories professionnelles, et même à créer des réseaux efficaces inter-institutions
Avec les AAS, la 1ère question à se poser : Position personnelle Avec les AAS, la 1ère question à se poser : Professionnels/ Parents Personne autiste adulte déficitaire Rencontrer Agir avec Vivre avec Qui est le plus handicapé des deux ?
Des handicapés/handicapants Position personnelle Des handicapés/handicapants Les Adultes avec Autisme Sévère sont des handicapés incapables d’autonomie dans leur propre vie Mais ce sont des AAS pour nous rendre incapables dans nos fonctions sociales Ils nous rendent incapables de remplir notre fonction enseignante éduquante soignante
De plus, nous ne pouvons nous empêcher d’interpréter Position personnelle De plus, nous ne pouvons nous empêcher d’interpréter Ce n’est pas en leur prêtant nos merveilleux mécanismes psychiques à nous, que nous les aiderons à vivre dans notre monde C’est plutôt en comprenant leurs motivations comportementales à la lumière de leurs mécanismes autistiques et en « utilisant » leur façon de percevoir, de sentir, de penser, qu’on pourra les aider à mieux comprendre leur environnement Encore un paradoxe: Beaucoup de nos difficultés proviennent de notre générosité à leur prêter nos mécanismes Les savants disent qu’ils manquent de théorie de l’esprit mais il faudrait préciser qu’ils manquent d’une théorie de notre esprit et que nous, nous manquons d’une théorie de l’esprit autiste
Les recommandations nous demandent de bien distinguer : Position dans l’évaluation des adultes Les recommandations nous demandent de bien distinguer : Le diagnostic médical Le diagnostic fonctionnel L’importance du somatique lié à l’âge du thymique lié souvent à l’environnement des établissements des phénomènes de mémoire souvent négligés nécessitant des enquêtes auprès des accompagnants témoins du passé du sujet
Avec les AAS, évaluer c’est démêler Position dans l’évaluation des adultes Avec les AAS, évaluer c’est démêler Démêler Ce qui revient aux mécanismes autistiques Ce qui est à mettre au compte : du vieillissement du niveau de développement (intellectuel et affectif) à l’évolutivité des pathologies associées épilepsies, syndromes génétiques, dépression, troubles psychiatriques
Priorité à la logique par rapport au psycho-affectif et au relationnel Position dans le projet individualisé Les études de psychologie développementale Les témoignages vécus des personnes autistes SDI convergent Priorité au sensoriel par rapport à l’élaboration perceptive Priorité au canal de communication visuel par rapport au canal langagier Priorité à la logique par rapport au psycho-affectif et au relationnel Souvent, nous avons tendance à mettre l’obtention d’un rapport langagier en priorité de nos efforts Oublier ces priorités, c’est les mettre et nous mettre en difficulté
Nous n’avons pas le choix : Position dans le projet individualisé Nous n’avons pas le choix : Plus l’AAS est déficitaire Plus l’environnement doit s’adapter Plus l’AAS est autiste Plus l’environnement doit être pré-vu (structuré) (contenant)
Position d’anthropologue : Pour soutenir cette position : Position dans le projet individualisé Position d’anthropologue : Découvrant les mœurs, les usages du pays autiste Sachant que les indigènes vont être obligés de vivre dans notre monde civilisé En cherchant à leur donner les moyens d’y vivre En sachant aussi qu’ils garderont : leurs mécanismes autistiques leur manière d’être leur manière de traiter les informations venues de l’extérieur leur manière de percevoir leur manière de ressentir leur manière de penser Pour soutenir cette position : Nécessité de personnaliser les procédés, de les hiérarchiser, de les prioriser En cherchant le plus souvent, d’abord à communiquer sans langage articulé
Position dans le projet individualisé Dans leur pays autiste, les AAS s’expriment préférentiellement par le comportement Donc Rendre notre monde compréhensible, c’est les rassurer En structurant le temps et l’espace En découpant les activités en séquences En filtrant certaines stimulations repérées comme désorganisatrices En s’appuyant sur le visuel : pré-visible En matérialisant les notions abstraites (time timer pour durées par ex.)
L’accompagnement est une psychothérapie par l’environnement Position dans le projet individualisé L’accompagnement est une psychothérapie par l’environnement Quand les équipes arrivent à maintenir cette structuration, il devient possible de partager des activités de proposer des apprentissages d’acquisition d’autonomie à tout âge et pour tout niveau Mais ça demande un effort permanent aux accompagnants Ce ne sont pas des attitudes spontanées, elles s’oublient vite Il faut souvent restructurer…
Position face aux comportements problèmes Certains AAS manquent de savoir vivre… Au point de nous rendre la vie insupportable (crises à répétition, cris, automutilations, masturbations compulsives, agressivité, rituels dangereux, etc… Ces troubles sont parfois liés au fonctionnement autistique Mais, le plus souvent, ils ont des réactions aux imprévus de l’environnement Certaines équipes favorisent le déclenchement des crises par leurs attitudes trop spontanées, trop excitantes, trop ignorantes des bases du fonctionnement autistique D’autres équipes en diminuent l’occurrence par l’effet structurant et psychothérapique de l’organisation du temps, de l’espace et en établissant la communication alternative au langage articulé
Position face aux potentialités positives, même chez les AAS Une autre intelligence… Eviter l’accrochage sur les échecs Favoriser les interactions avec des objets sans sollicitation relationnelle interpersonnelle Proposer, à leur rythme, des centres d’intérêt
Nous avons besoin, nous les accompagnants, de travailler dans l’espoir Position face aux potentialités positives, même chez les AAS Nous avons besoin, nous les accompagnants, de travailler dans l’espoir Encore faut-il savoir où placer cet espoir Nous pouvons espérer pour ces personnes Une meilleure communication Si nous trouvons leur canal et si nous savons l’utiliser Une meilleure autonomie Une meilleure adaptation aux codes sociaux ordinaires
Position face aux potentialités positives, même chez les AAS Si nous espérons les sortir de l’autisme, nous sommes certains de connaître des burn-out professionnels et des déconvenues Cependant, certains travaux modernes, notamment sur la plasticité neuronale, sur la capacité d’apprentissage la vie durant, sur la découverte de médicaments favorisant le contact relationnel, peuvent aussi nous soutenir Et puis, nous pouvons regarder en arrière… Depuis 40 ans, la vie des personnes autistes adultes ne cesse de s’améliorer, même s’il y a encore beaucoup, beaucoup à travailler dans leur accompagnement