Quelles dimensions pour l’économie informelle ? Hubert GERARDIN Jacques POIROT BETA-CNRS Université de Lorraine
Selon le BIT (1972), le secteur informel est défini à partir de 7 critères : « - la facilité d’entrée, -des marchés de concurrence non réglementés, -la propriété familiale des entreprises, -la petite échelle des opérations, -l’utilisation de ressources locales, -de technologies adaptées et à forte intensité de travail, -des formations acquises en dehors du système scolaire ».
Pour la Commission européenne (1998), le secteur informel correspond à l’ensemble de toutes les activités, -qui ne sont pas déclarées auprès des autorités publiques « dans le but principal d’échapper à l’impôt », -mais, qui demeurent légales par rapport au reste de la réglementation.
En nous inspirant de ces définitions, nous avons distingué, dans toute activité, deux grandes dimensions susceptibles de lui donner un caractère informel : - « le non-respect de la réglementation légale ou administrative » - « la non-conformité par rapport aux principes, règles et normes de l’économie formelle »
Le caractère informel d’une activité est repéré par rapport aux caractéristiques des activités formelles. l’économie formelle correspond à des activités de production, effectuées par des entreprises, respectant la réglementation et ayant, comme objectif principal, le profit. Les entreprises de l’économie formelle sont capables de déployer, le cas échéant, leurs activités sur les marchés nationaux ou même internationaux (marché du travail, marchés financiers, marchés des matières premières, marchés du produit ou des services proposés par l’entreprise etc.)
Pour chacune des deux dimensions précédentes, nous avons recherché leurs principales sous-dimensions. Des indicateurs ont été proposés pour repérer leur « degré d’informalité ».
1ère dimension de l’économie informelle : Non-respect de la réglementation légale ou administrative 1ère sous dimension : Non-respect du droit d’exercer un type d’activité 2ème sous dimension : Non-respect de la légalité dans l’exercice de l’activité 3ème sous dimension : Non-respect de la légalité dans l’emploi des facteurs de production : le travail et le capital 4ème sous dimension : Non-respect de la légalité dans le domaine fiscal
1ère dimension de l’économie informelle : Non-respect de la réglementation légale ou administrative 1ère sous dimension : Non-respect du droit d’exercer un type d’activité Activités illicites comme la drogue, la prostitution etc … Indicateur pour l’ensemble d’une économie : montant des revenus du secteur illicite par rapport au PIB
2ème sous dimension : Non-respect de la légalité dans l’exercice de l’activité Autorisation administrative d’exercer l’activité (qui n’est pas illicite) Normes de sécurité (par exemple, usage de produits dangereux par les salariés) Ententes non légales entre entreprises (notamment sur les prix ou sur la gestion des appels d’offre)
Indicateurs : part des entreprises exerçant sans autorisation administrative dans un secteur donné ou dans l’ensemble de l’économie (ou part des actifs travaillant dans des entreprises n’ayant pas d’autorisation administrative). Indicateurs analogues pour les critères, « normes de sécurité » ou « ententes illégales ».
3ème sous dimension : Non-respect de la légalité dans l’emploi des facteurs de production : le travail et le capital Pour le facteur travail : tout ou partie des salariés ne sont pas déclarés. Pour le facteur capital : accumulation « d’actifs non légaux », par exemple dans l’immobilier avec des constructions sans autorisation.
Indicateurs : Part des salariés non déclarés dans l’effectif total au niveau d’une entreprise ou de l’ensemble des entreprises d’un secteur
4ème sous dimension : Non-respect de la légalité dans le domaine fiscal Fraude dans le règlement des taxes et prélèvements assimilés Fraude dans le règlement de l’impôt sur les bénéfices Indicateurs susceptibles d’être retenus : Montant de la fraude présumée rapporté aux montants des impôts ou taxes qui devraient être payés au niveau d’une entreprise ou d’un secteur.
Seconde Dimension de l’économie informelle : Non-conformité (ou déviance) par rapport aux principes, règles et normes de l’économie formelle 1ère sous dimension : Non-conformité avec les objectifs de profit des entreprises de l’économie formelle 2ème sous dimension : caractéristiques spécifiques des facteurs de production 3ème sous dimension : caractéristiques spécifiques du marché pour le produit final
1ère sous dimension : Non-conformité avec les objectifs de profit des entreprises de l’économie formelle Repérer des types d’activités ou éventuellement des secteurs d’activités pour lesquels, le profit n’est pas l’objectif principal recherché, notamment les entreprises du « social business ».
Entreprises d’insertion, pour permettre, aux personnes en difficulté, de retrouver un emploi durable. Sociétés coopératives d’intérêt collectif (SCIC) Coopératives de production ayant un objectif d’utilité publique (par exemple : collecte ou traitement des déchets) et permettant d’associer les salariés- coopérateurs et les autres parties prenantes à la gestion de l’entreprise (collectivités territoriales, apporteurs de capitaux etc.) Coopératives de production, qui n’ont pas comme but d’assurer une rentabilité minimale du capital investi. Existence de mécanismes de solidarité destinés à garantir la pérennité des emplois en cas de difficultés économiques (exemple de la coopérative espagnole Mondragon)
Il serait possible de classer les entreprises ou types d’entreprises selon leur « degré d’informalité ». Seraient en fin de classement, les entreprises qui ne recherchent exclusivement que le profit, et … en haut de classement, les entreprises sans aucun objectif de profit ou de rentabilité financière des capitaux mobilisés.
2ème sous dimension : caractéristiques spécifiques des facteurs de production -Degré de qualification de la main-d’œuvre L’économie informelle se caractérise, en opposition à l’économie formelle, par le recours à une main- d’œuvre non diplômée, formée « sur le tas ». -Localisation des ressources en main- d’œuvre et en capital L’économie informelle se caractérise, en opposition à l’économie formelle, par le recours privilégié à des ressources locales : main-d'œuvre locale, capitaux locaux, souvent familiaux.
-Type de technologie mobilisée L’économie informelle utilise des technologies peu capitalistiques utilisant une main- d’œuvre non qualifiée. -Techniques de gestion Les acteurs de l’économie informelle n’ont pas recours à des techniques sophistiquées dans le domaine de la gestion : absence de comptabilité ou de documents de conformité par exemple.
Indicateurs Part de la main-d’œuvre non diplômée dans l’effectif total (entreprise ou ensemble des entreprises d’un secteur) Part de la main d’œuvre locale dans l’effectif total (entreprise ou ensemble des entreprises d’un secteur) Ratio « valeur du capital utilisé » / volume de la main d’œuvre (entreprise ou ensemble des entreprises d’un secteur). Part des entreprises ne disposant pas d’une comptabilité complète au sein des entreprises d’un même secteur
3ème sous dimension : caractéristiques spécifique du marché pour le produit final - extension géographique du marché Les entreprises du secteur informel vendent leurs biens et services sur le marché local, par oppositions aux entreprises du secteur formel qui s’intéressent au marché national ou même international. Exemple du micro-crédit qui concerne une clientèle locale ne présentant pas suffisamment de garanties pour être en mesure d’obtenir des crédits auprès des réseaux bancaires traditionnels.
-Degré de réglementation du marché Les entreprises du secteur informel vendent sur des marchés peu réglementés, ce qui facilite leur accès au marché. -Degré de complexité des biens ou services proposés Les entreprises du secteur informel, compte tenu des caractéristiques de leurs facteurs de production, se limitent à des produits ou des services simples. Exemple de la micro-assurance dans le domaine agricole, où le versement d’indemnités se fait « automatiquement » lorsque des indicateurs « météorologiques » ont atteint un certain seuil.
Indicateurs Pour caractériser l’extension géographique du marché : Part des clients « proches » (par exemple du quartier ou de la commune) dans l’ensemble des clients. Le degré de réglementation des marchés est plus délicat à apprécier : on pourrait se référer au nombre de documents administratifs nécessaires pour exercer une activité donnée.
En conclusion : Application de la grille d’analyse proposée à différentes organisations susceptibles de relever, tout ou partie, de l’économie informelle. Pour chaque catégorie d’organisations, les sous dimensions ou, le cas échéant, les subdivisions de ces sous dimensions ont été retenues (marquées d’un X dans le tableau suivant)
1. Non respect de la réglementation 1.1 Non-respect de la légalité dans l’exercice de l’activité X 1.2 Non-respect de la légalité dans l’emploi des facteurs de production : le travail et le capital X 1.3 Non-respect de la légalité dans le domaine fiscal X INDICE DIMENSION 1 2. Non-conformité (ou déviance) par rapport aux principes, règles et normes de l’économie formelle 2.1 Non-conformité avec les objectifs de profit des entreprises de l’économie formelle X 2.2 caractéristiques des facteurs de production Degré de qualification de la main-d’œuvre X Localisation des ressources en main-d’œuvre et en capital X Type de technologie mobilisée X Techniques de gestion X 2.3 caractéristiques du marché Extension géographique du marché X Degré de réglementation du marché X Degré de complexité des biens ou services proposés X INDICE DIMENSION 2 INDICE GENERAL
Chaque organisation a reçu la note 1 pour chaque sous dimension ou subdivision de ces sous dimensions, si la caractéristique présente un certain « degré d’informalité », sinon note zéro. Addition des différentes notes pour obtenir un indice global.
Classement des organisations selon leur indice global d’informalité : Rangs Organisations Indices 1. Entreprise informelle d’un PED Entreprise d’insertion …………… 7 2. SCIC ………………………………… SEL …………………………………… 7 5. Banques de microcrédit………… 4 6. Coopératives de producteurs…… Coopératives de consommateurs.. 2
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