Pandémie : comment la modélisation contribue t’elle à l’aide à la décision ? L’expérience de la France Daniel Lévy-Bruhl, Isabelle Bonmarin Journées de l’Institut de veille sanitaire - 28/04/07
Pourquoi des modèles mathématiques ? En reproduisant « in silico » la dynamique de diffusion d’une épidémie non encore advenue, ils permettent –d’anticiper ses conséquences épidémiologiques –d’estimer l’impact de mesures de contrôle sur cette dynamique –de tester simultanément l’effet de plusieurs mesures de contrôle et leur interaction –d’étudier l’impact des mesures de contrôle en fonction de leurs conditions de mise en œuvre (rapidité, couverture, population ciblée) –de prendre en compte les effets de l’incertitude sur les valeurs des paramètres Une pandémie grippale, inéluctable et potentiellement très sévère, est une situation idéale pour faire appel aux modèles, de par la nécessité de s’y préparer
Contexte des travaux de modélisation de la pandémie grippale en France A « froid » Effectués dans le cadre de la rédaction du plan gouvernemental de lutte contre une pandémie grippale Fruits d’une étroite collaboration entre l’Inserm U707 et l’InVS/DMI Dans le cadre du Comité de lutte contre la grippe (CLCG) et du Haut Comité de Santé publique –Place des antiviraux (AV) dans la lutte contre une pandémie : curatif/préventif ? à quelle phase ? constitution et dimension du stock ? –Pertinence et populations-cible d’une vaccination pre- pandémique H5N1 A « chaud » –Stratégies d’utilisation des vaccins pandémiques A(H1N1)2009 –Stratégie de vaccination post première vague –± Simulation de l’impact pour calibrer l’offre de soins (nationale et régionale)
Utilisation des modèles pour la définition de la stratégie d’utilisation des antiviraux – 1/2 Synthèse des travaux fin 2005 par le groupe « épidémiologie » du CLCG (InVS/Inserm) incluant un modèle statique réalisé par l’InVS en 2003 ( Doyle et al, influenza pandemic preparedness in France: modelling the impact of interventions, J Epidemiol Community Health, 2006) –Proposition d’un don de traitements en coopération internationale pour éteindre un foyer pandémique émergent (possible si Ro < 1,9 en zone urbaine ( Fergusson, Nature 2005) ou < 2,4 en zone rurale (Longini, Science 2005)) –Stock de 3,5 millions de traitements pour mise en place d’une prophylaxie AV en anneau en début de transmission inter-humaine –Stock destiné à la prise en charge thérapeutique des cas équivalent à 25 % à 30 % de la population
Utilisation des modèles pour la définition de la stratégie d’utilisation des antiviraux - 2/2 Nouvelle synthèse effectuée fin 2006 incluant un modèle dynamique réalisé par l’Inserm (Carat F et al. A small world-like' model for comparing interventions aimed at preventing and controlling influenza pandemics. BMC Med 2006; 4-26), (German, 2006), (Ferguson, 2006) –Prophylaxie des contacts familiaux ± sociaux à la place de la prophylaxie en anneau –Inefficacité de la suspension des vol aériens –Impact +++ traitement des cas et isolement + prophylaxie intrafamiliale et quarantaine des contacts –Nécessité d’une combinaison des stratégies pour Ro ≥ 2 Conclusions entérinées par le CLCG et le CSHPF / HCSP et intégrées dans les fiches du plan Concrétisées par la constitution d’un stock d’antiviraux d’environ 30 millions de traitements
Utilisation des modèles pour la stratégie de vaccination pre-pandémique Saisine du DGS au HCSP du 23/04/2008 concernant l’acquisition d’un stock de vaccins pré-pandémiques et l’estimation de l’impact épidémiologique attendu d’une vaccination d’une partie ou de l’ensemble de la population française Utilisation du modèle développé par l’Inserm U707 Etroite collaboration entre l’Inserm et l’InVS pour paramétrer ce modèle et répondre à la question
Estimation de l’impact et de l’efficience de différentes stratégies de pre-vaccination Scenario optimiste Couverture vaccinale à 100% Taux d'attaqu e Vaccins nécessaires (millions doses) Doses de vaccin / infection évitée Aucune intervention48%0,00,00 Traitement curatif de 100% des consultants44%0,0/ Seniors 2 doses39%19,96,8 Enfants 1 dose+ Seniors 1 dose35%23,54,4 Enfants 1 dose+ Seniors 2 doses33%33,45,2 Enfants 2 doses25%27,02,3 Enfants 2 doses+ Seniors 1 dose22%37,02,7 Enfants 2 doses+ Seniors 2 doses20%46,93,2 => Conclusions du CLCG (12/08) : Acquisition progressive d’un stock de vaccins pré-pandémiques commençant par 27 M doses pour la vaccination des enfants
Utilisation des modèles en per-pandémie Pas de possibilité de refaire tourner les modèles Utilisation de résultats déjà obtenus par le modèle Inserm Exemple : vaccination des sujets à risque plutôt que des enfants ou intérêt de la fermeture des écoles
Modélisation de la seconde vague Travail collaboratif Inserm U707/UPMC et InVS (Carrat F et al. Planning for the next influenza H1N1 season : a modelling study, BMC ID 2010, 10:301) Sur la base du modèle individu-centré déjà publié (Carrat F. BMC Med. 2006) Etapes du travail Estimation des taux d’infection durant la première vague sur la base des données épidémiologiques Calibration du modèle sur la proportion de sujets pré- immunisés Simulation de la re-inroduction du virus pour différents niveaux de protection croisée résiduelle et de couverture vaccinale
Ajustement du modèle à la première vague EnfantsAdultesSeniorsTous âges Immunité pré- vague 036 %85 % Taux d’infection estimé Taux d’infection simulé 38,3 %14,8 %1,62 %18,1 % 39,3 %14,8 %1,49 %18,2 % Immunité post- vague 44,6 %53,8 %87,4 %57,3 %
Taux d’infection (%) estimé durant la seconde vague selon la couverture vaccinale et le degré de protection croisée Protection résiduelle Sans vaccination Couverture vaccinale à 50 (%) 90 % Enfants Adultes Seniors Tous âges % Enfants Adultes Seniors Tous âges En l’absence de glissement antigénique - Seconde vague de grande ampleur peu probable - Vaccination hors groupes à risque peu pertinente
Conclusions En situation de grande incertitude, demande forte des décideurs pour les modèles Malgré toute leurs limites, les modèles ont été utiles dans la phase d’expertise pour la rédaction du plan Les ressources limitées en capacité de modélisation d’une pandémie grippale n’ont pas permis de modélisation en temps réel Un outil a été mis à disposition de l’InVS par l’Inserm pour lui permettre d’acquérir une autonomie dans l’utilisation de son modèle Avec la difficulté que chaque situation est spécifique et que l’outil ne sera peut-être pas adapté à la prochaine pandémie D’où nécessité de maintien d’une interaction forte modélisateurs / épidémiologistes, permise par la création en cours d’un « partenariat renforcé » entre l’InVS/DMI et l’Inserm U707/UPMC