METHODES D’ETUDE DES CRUES
X.1 - DEFINITION ET INTRODUCTION La défense contre les crues et les problèmes d'irrigation ont été historiquement à l'origine du développement de l'hydrologie. L'importance économique extrême de l'étude des crues s'explique en grande partie par des considérations de géographie : -les zones de fortes concentrations urbaines sont très fréquemment près des fleuves ; -les terres agricoles les plus riches sont généralement dans les basses vallées. D'autres considérations économiques justifient également une étude approfondie des crues : par exemple, -les ouvrages de franchissement représentent une part très importante des coûts des infra-structures routières ou ferroviaires, l -e coût de l'évacuateur de crue qui protège une retenue en terre peut très bien être du même ordre de grandeur que celui de la digue elle- même...
-L'homme de tout temps s'est donc intéressé aux crues, que ce soit à leur prédétermination ou à leur prévision ; -il en a résulté une foule de méthodes d'étude dont, bien sûr, certaines sont dépassées maintenant. Cependant, il en persiste un grand nombre encore et chaque année voit l'apparition d'une nouvelle méthode ou l'amélioration d'anciennes. Une conclusion s'impose : le problème des crues est loin d'être réglé. Dans la plupart des cas, plusieurs méthodes d'étude sont envisageables et ce n'est que la convergence d'un faisceau de présomptions qui justifie une certaine confiance.
Mais avant d'aller plus loin, qu'est-ce qu'une crue ? Quelle est son origine ? Comment la caractériser ? Les définitions s'articulent autour de deux concepts justifiés par l'existence de deux phénomènes qui peuvent être plus ou moins liés : la crue est une augmentation brutale du débit quel que soit ce débit (typiquement, la crue provoquée par un orage) ; la crue est la période durant laquelle le débit dépasse un certain multiple (2 à 3 par exemple) du débit moyen annuel. En fait, la définition peut changer en fonction de la taille du bassin et du phénomène engendrant la crue.
Les phénomènes engendrant les crues peuvent se ramener à trois grands types : les crues d'averses sont de loin les plus fréquentes sous nos climats ; elles sont provoquées par des averses exceptionnelles, soit par leur durée, leur intensité, leur extension géographique, leur répétition, ou la combinaison de plusieurs de ces caractères ; les crues de fonte de neige sont plus rares en France ; elles ne se rencontrent guère que dans les hauts bassins des Alpes et des Pyrénées. A la fin de l'hiver, ces bassins sont recouverts d'un manteau neigeux et l'arrivée d'un front chaud accompagné souvent de vent et de pluie, provoque une fusion rapide de la neige. Les eaux de fusion nivale et de la pluie s'écoulant sur un sol parfois encore gelé et sans végétation, peuvent provoquer des crues importantes ; les crues d'embâcle et de débâcle de glace: elles n'affectent généralement que les régions sub-polaires (nord du Canada et Sibérie par exemple).
Quelles sont par ailleurs les valeurs numériques qui permettent de caractériser une crue ? La réponse à cette question en nécessite une autre : quel est le problème posé ? Dimensionner l'évacuateur de crue d'une retenue au fil de l'eau (pas de stockage possible de l'eau en amont ; l'élément caractéristique de la crue est certainement son débit de pointe instantané. Dans certains cas, ce débit est méconnu et on est obligé de se rabattre sur le débit moyen journalier maximum, quitte à rétablir le débit instantané par un coefficient multiplicatif, dit "coefficient de pointe", plus ou moins empirique. Effectuer le recalibrage d'un cours d'eau en zone agricole ; l'élément caractéristique de la crue est la durée pendant laquelle le débit demeure supérieur au débit de débordement. Dimensionner un bassin de compensation ; c'est alors le volume de la crue qui est la caractéristique essentielle. Etudier l'amortissement de la crue à la traversée d'un barrage réservoir ; c'est alors tout l'hydrogramme de la crue qu'il est nécessaire de connaître. Bien d'autres cas sont encore possibles.
X.2 - METHODES EMPIRIQUES DE PREDETERMINATION DES CRUES La prédétermination du débit d'une crue consiste à associer au dépassement d'un certain débit une probabilité d'occurrence. Pendant très longtemps, les hydrologues ont travaillé avec l'idée qu'il existait sur un bassin versant, un débit maximum possible. Cette notion de crue maximale possible est généralement réfutée aujourd'hui. On considère que si la probabilité de dépassement d'un débit x tend vers 0, ce débit tend lui-même vers l'infini. Nous ne parlerons donc plus de crue maximale possible mais de débits de crue de fréquence donnée.
X Intérêts de la recherche historique Les crues sont un phénomène suffisamment important pour que l'on conserve le souvenir des principales catastrophes. Ce souvenir peut se traduire par -des descriptions écrites, -des repères de niveau marqués par l'homme, -des déplacements de blocs de rochers... La période sur laquelle portent ces souvenirs est variable de quelques dizaines d'années à quelques centaines. Généralement, les crues sont caractérisées par un niveau d'eau (les débits ne sont guère mesurés que depuis le début du siècle). Il nous faudra, pour dimensionner des ouvrages, passer des hauteurs aux débits. Ceci ne peut se faire que si une courbe de tarage, établie de nos jours, est valable pour les périodes anciennes. Une telle validité dans le temps n'est justifiée que si le site a été hydrauliquement stable. Cette stabilité est envisageable dans certains cas comme des passages de ponts anciens, des endiguements entre des quais...
De toute façon, le passage des hauteurs aux débits, lorsqu'il est possible, sera toujours entaché d'une forte incertitude. Que peut donc apporter la recherche historique ? Surtout l'ordre de grandeur du phénomène. L'étude des crues, basée sur d'autres méthodes s'appuie sur des observations plus ou moins longues, plus ou moins stables. Il se peut très bien que les observations chiffrées disponibles sur une période restreinte ne permettent pas d'envisager l'ampleur de crues excessivement rares et provoquées par des phénomènes tout à fait exceptionnels et d'une autre nature que ceux observés habituellement. Dans tous les cas, il est donc recommandé de procéder à une investigation "historique". Que ce soit dans des textes anciens ou tout au moins par interrogation des populations locales. Les résultats que l'on peut en espérer serviront essentiellement à vérifier que les estimations de débits de crues faites par d'autres méthodes permettent de rendre raisonnablement compte des différentes crues catastrophiques enregistrées.
X Evolution du débit avec la surface Les paramètres essentiels qui influent sur le débit de crue de fréquence donnée pour un bassin versant sont : la surface, la pluviométrie, la nature géologique du bassin. Dans une région restreinte où on peut supposer que "géologie" et surtout "pluviométrie" varient peu, il est possible d'étudier l'évolution du débit de crue de fréquence F en fonction de la surface du bassin. La quasi-totalité des études montrent qu'en première approximation, le débit Q F de fréquence F varie comme une fonction puissance de la surface : QF = a S b Le terme b est inférieur à 1, ce qui traduit l'amortissement du débit de pointe de crue en fonction de la surface. Le coefficient "a" est lui une variable régionale intégrant essentiellement "pluviométrie" et "géologie".
Comme le montre l'exemple ci-contre, on peut donc établir des formules régionales qui permettent d'évaluer sommairement les débits de crue. Aussi, à partir des observations faites sur 24 stations hydrométriques de Lorraine, on peut estimer que le débit de pointe de crue décennale varie comme S à la puissance 0,9 : Qi = a S 0,8 (Qi en m3/s ; S en km2 ; a est de l'ordre de 0,45 en moyenne et il est compris entre 0,25 et 1,0).