Syndromes neurotoxiques et encéphalopathies toxiques Bruno Mégarbane Réanimation Médicale et Toxicologique Hôpital Lariboisière INSERM U705 - Université Paris VII
Cas clinique 21/01/08: F 35 ans consulte aux urgences pour confusion, délire de persécution ATD: infection VIH, tuberculose, dépression et multiples TS depuis 1 an Traitement: Equanil, Seresta, Prozac Selon pompiers: « A ingéré des médicaments en excès » Examen clinique et biologique sans particularités TDM cérébral normal Transfert en clinique psychiatrique 22/01/08: Transfert en réanimation pour coma PA: 165/89, FC: 111 /min, Temp: 36,3 °C, Sp02: 89% AA, dextro: 11.3 mmol/l Score de Glasgow 9, sans déficit, ROT vifs, mydriase. Intoxication médicamenteuse ?
Cas clinique (1) Bilan biologique: lactates 17,4 mmol/l avec normalisation 3h plus tard BZD +++, méprobamate: 0 Hypothèse diagnostique: sevrage aux carbamates Réintroduction de l’Equanil 23/01/08 Crise convulsive généralisée Traitement Rivotril + Prodilantin Méprobamate en zone thérapeutique Consultation d’un épileptologue: Diagnostic d’une épilepsie partielle responsable des troubles psychiatriques résolutifs sous phénytoïne
Signes neurologiques et intoxication Coma Convulsions Agitation Délire Mouvements anormaux Céphalées Neuropathies périphériques Myopathies
Trois situations en toxicologie ... Le patient qui aurait été exposé à un toxique défini et dont l'examen initial est normal. Le patient qui présente des symptômes et une origine toxique est suspectée sans toxique défini. Situation 2 Le patient symptomatique qui aurait exposé à un toxique défini.
L’intoxication aiguë, processus dynamique aggravation des symptômes décès possible séquelles possibles intervalle libre guérison 24 à 72 h t 0 temps exposition Danel V, 2005
Classification des toxiques selon leurs effets Sévérité C sang t C sang I- Toxique fonctionnel: Majorité des médicaments psychotropes Signes de gravité II- Toxique Lésionnel: Majorité des toxiques chimiques Facteurs pronostiques t
Délai d’apparition de la détresse neurologique Minutes : Heures : Jours : Injection intraveineuse Inhalation de gaz toxiques < 6 h: Psychotropes usuels > 12 h: Alcools toxiques > 24 h: Paracétamol (encéphalopathie hépatique) Paraquat, plomb, PCCB
Évaluation du pronostic d’une encéphalopathie toxique L’évaluation du pronostic d’une intoxication doit tenir compte • des caractéristiques du toxique • de la dose supposée ingérée • de la formulation (libération prolongée) • du patient intoxiqué (âge et co-morbidités) • du délai entre l’ingestion et la prise en charge • de l’apparition retardée des symptômes (métabolisme activateur) • de la survenue de complications Conférence consensus SRLF, 2006
Conduite diagnostique • Préciser l’anamnèse: ATD, profession, contexte, traitements, toxiques à disposition, HDM, … • Préciser le tableau clinique et examens paracliniques • Cinétique des effets: délai, pic, évolution • Tests pharmacodynamiques • Analyse toxicologique La clinique et les résultats biologiques sont prééminents par rapport aux résultats analytiques toxicologiques Pour décider en urgence des indications thérapeutiques (symptomatiques ou antidotes)
Approche clinique par les toxidromes Un toxidrome (ou syndrome d’origine toxique) est un ensemble de symptômes cliniques, biologiques et/ou ECG évocateur d’une pathologie toxique. Caractéristique, constant, reproductible, reflet de l’action toxicodynamique du toxique « Presque jamais » pathognomonique Sensibilité, spécificité variables Pas de véritable « validation » scientifique Deux notions fondamentales : L’intoxication aiguë est un processus dynamique L’appréciation des signes cliniques doit être évolutive
Pharmacocinétique - pharmacodynamique Concentration TOXICOCINETIQUE TOXICODYNAMIQUE Encéphalopathie Coma Convulsions Tissu cible Temps Mortalité - Gravité Absorption - Distribution - Métabolisme - Élimination
L’approche clinique doit être orientée sur la recherche de toxidromes. Coma Bradycardie Forme frustre Forme typique Hypoventilation Hypotension
Importance de l’approche clinique par toxidromes À la découverte du patient (avant traitement) ++++ Optimisation du traitement spécifique
1- Orientation devant un coma présumé toxique
Présentation du coma présumé toxique • Calme : Sédatifs et tranquillisants BZD - Carbamates - Phénothiazines - Barbituriques - Imidazopyridines Opiacés • Agité : Psychostimulants Antidépresseurs - Cocaïne, amphétamines - CO - Alcools Hypoglycémie
Pupilles Mydriase peu aréactive Antidépresseurs tricycliques Cocaïne Phénothiazines antihistaminiques Butyrophénones Méthanol Haschich Carbamazépine Atropine Sympathomimétiques Chloralose et chloral Myosis serré Opiacés et opioïdes Anticholinestérasiques (insecticides, organophosphorés, carbamates) Phénothiazines sédatives Nystagmus Phénytoïne Barbituriques Gamma OH
Respiration Ample sans cyanose Hypopnée, apnée Acidose métabolique Ample avec cyanose Pneumonie d’inhalation Hypopnée, apnée Opiacés Barbituriques rapides Cyanure Curares Anticholinestérasiques Strychnine Hydrogène sulfuré
Haleine Particulière Urine brun-marron Méthémoglobinémie Éthanol Hémolyse intravasculaire Rhabdomyolyse Éthanol Éther Méthanol Trichloroéthylène Arsenic Cyanure Corps cétoniques
Examen neurologique d’un patient comateux Extension Indifférent Réflexe cutané plantaire ROT Tonus Vifs Diminués Hypertonie Hypotonie Syndrome extra-pyramidal Syndrome pyramidal Syndrome de myorelaxation - Hypoglycémie - BZD - Benzamide substituée - Antidépresseurs - Zopiclone, Zolpidem - Butyrophénone ISRS Carbamates - CO - CO - Phénobarbital - Phénothiazines anti-histaminiques Phénothiazines sédatives (Tercian®, Nozinan®) - Anoxie cérébrale - Opiacés - Éthanol
Coma toxique / non toxique (1) Plutôt toxique Terrain Pas de signe de localisation Apparition progressive Syndrome pyramidal extrapyramidal de myorelaxation Plutôt non toxique Terrain Signes de localisation Apparition brutale Syndrome méningé L’origine toxique d’un coma peut être évoquée devant l’absence de signe de focalisation. Les signes associés permettent d’évoquer une classe pharmacologique ou un médicament en particulier. Tout signe focal scanner cérébral
Coma toxique / non toxique (2) Coma lésionnel Coma toxique Motricité oculaire déviation conjuguée Errance ou position moyenne Réflexe photomoteur peut disparaître persiste longtemps Réponse motrice déficits systématisés hémiplégie, monoplégie tremblements, myoclonies pas de focalisation Réflexes du tronc niveau précis pas de niveau précis Évolution rostro-caudale non systématisée Pas de TDM, Pas de PL
Syndrome opiacé naloxone • Coma • Myosis • Bradypnée (FR < 12 /min) Possibles: bradycardie - hypotension naloxone Étiologies: - Héroïne - Morphine - Opiacés naturels: codéine, codothéline, pholcodine - Produits de substitution de l’héroïne (méthadone, buprénorphine) - Autres opioïdes: dextropropoxyphène, tramadol, … Attention: - Seuls les opiacés sont détectés par tests IC urinaires
Syndrome anticholinergique Syndrome central: • Confusion • Agitation • Hallucinations • Tremblements • Syndrome pyramidal • Convulsions • Fièvre Syndrome neurovégétatif: • Mydriase • Tachycardie • Sécheresse des muqueuses • Rétention d’urine Contre-indication du flumazénil Étiologies: • Antidépresseurs tricycliques • Antihistaminique H1 • Quinidine, disopyramide • Atropine, beladone, scopolamine
Syndrome cholinergique Syndrome muscarinique: • Myosis • Bronchorrhée • Bronchospasme • Bradycardie • Douleurs abdominales • Vomissements, diarrhées • Sueurs Syndrome nicotinique: • Fasciculations musculaires • Paralysie • Tachycardie • HTA Atropine Pralidoxime Syndrome central: Stimulation initiale puis dépression SNC Agitation, céphalées, tremblements, confusion, ataxie, convulsions, coma Étiologies: • Insecticides anticholinestérasiques (carbamates, organophosphorés) • Gaz de combats organophosphorés (G et V) • Agonistes cholinergiques: prostigmine, certains opiacés
Syndrome adrénergique Troubles neurologiques: • Agitation • Tremblements • Convulsions • Mydriase Syndrome neurovégétatif: • Palpitations • Tachycardie • Hypotension (effet b+) • Hypertension (effet a+) • Troubles du rythme (TSV, TV) • Insuffisance coronaire Troubles neurologiques: • Hyperglycémie • Acidose lactique • Hypokaliémie de transfert • Hypophosphorémie Contre-indication des bêta-bloquants hors labétolol Étiologies: • Effet alpha-mimétique: cocaïne, crack, amphétamines, ecstasy éphédrine, ergotamine, phénylpropanolamine • Effet bêta-mimétique: théophylline, salbutamol, xanthines, caféïne
Syndrome sérotoninergique (1) Notion d’ingestion d’un agent sérotoninergique Présence de 3 ou plus des signes suivants : Confusion, hypomanie Fièvre Agitation Tremblements Myoclonies Frissons Hyperréflexie Incoordination motrice Diaphorèse Diarrhée Exclusion d’une autre étiologie (infection, métabolique, sevrage) Absence d’introduction ou de modification de posologies d’un neuroleptique (adapté de Sternbach, Am J Psychiatr 1991 ; 148 : 705-713)
Syndrome sérotoninergique (2) Boyer EW. NEJM, 2005
Syndrome sérotoninergique (3) Étiologies les plus fréquentes: - IRSRS - Antidépresseurs tricycliques, IMAO et associations, tryptophane - Ecstasy Lejoyeux, Acta Psychiatr Scand 1993 Risques chez les patients non traités: rhabdomyolyse, IRA, I hep, CIVD, collapsus, décès. TTT: Réa symptomatique + BZD + refroidissement externe Si fièvre > 39°C: AG + curarisation + VM Si échec: Cyproheptadine (Périactine®) 4-8 mg x3/j Henry JA. Lancet 1994 Lappin RI. N Engl J Med 2005
Syndrome Syndrome Syndrome Hyperthermie sérotoninergique anticholinergique malin NL maligne Toxique Prosérotoninergique Anticholinergique Agoniste dopaminergique Anesthésique inhalé Délai < 12h < 12h 1 à 3 jours 30 min – 24 h Signes vitaux +++ + +++ ++++ Pupilles Mydriase Mydriase N N Muqueuses Sialorhée Sécheresse Sialorhée N Peau Diaphorèse Erythème sec Diaphorèse Motte, diaphorèse Bruits digestifs N ou Tonus , Mbres inf , N Rigor mortis ROT Hyperréflexie, clonus N Bradyréflexie Hyporeflexie Vigilance Coma, agitation Délire, agitation Stupeur, mutisme coma Agitation
Sevrage en anxiolytiques ou en hypnotiques Inversion du rythme nycthéméral Insomnie Céphalée Agitation, agressivité Hallucinations visuelles, auditives Confusion Coma Convulsions Psychotropes à l’origine d’un sevrage: - Éthanol Benzodiazépines Méprobamate Opiacés
Valeur diagnostique vis-à-vis d’une intoxication par CO ou CN Exemple d’orientation diagnostique devant une encéphalopathie toxique: Inhalation de fumées 80% des décès dans un incendie : inhalation de fumées toxiques Le signe fondamental est la présence de suies dans les voies aériennes supérieures (nez, bouche, expectorations). Valeur diagnostique vis-à-vis d’une intoxication par CO ou CN
Intoxications par le cyanure (dont inhalation de fumées d’incendie) Neurologique Respiratoire Cardiovasculaire Métabolique Vertiges Agitation Anxiété + Confusion Coma Convulsions Polypnée + Apnée centrale Œdème pulmonaire HTA + Choc Arrêt cardiaque glucose Lactate Acidose métabolique Rhabdomyolyse Insuffisance rénale 6
Valeur prédictive des lactates au cours des inhalations de fumées d’incendie Chez une victime d’incendie, une lactacidémie ≥10 mmol/l est un signe d’intoxication cyanhydrique définie par une concentration de cyanure sanguin ≥ 40 µmol/l Sensible : 87 % VPP : 95 % Spécifique : 94 % BAUD et coll. NEJM 1991;325:1761-1766
Comparaison des 2 principales antidotes du CN: EDTA (Kelocyanor®) Hydroxocobalamine (Cyanokit®) Efficace Efficace Tolérance médiocre : Hypo- et hypertension Tachycardie Nausées / vomissements Diarrhée Réactions anaphylactoïdes Tolérance bonne : Réactions allergiques rares Coloration rouge du patient et des urines Effets d'autant plus sévères que le patient n'est pas intoxiqué ... Dose : 5 g renouvelable
2- Autres manifestations neurologiques
Crises convulsives Fréquents Antidépresseurs Cocaïne (body packer) Lithium Carbamazépine Hypoglycémie toxique Sevrages BZD barbituriques carbamates alcool Moins fréquents Amphétamines / ecstasy Dextropropoxyphène Chloroquine Acide valproïque Ethanol (hypoglycémie) CO Chloralose Isoniazide
Tremblements Myoclonies Mvts anormaux Anticonvulsivants Valproate de Na Valproate de Na BZD Carbamazépine Phénytoine Carbamazépine Phénytoine Psychotropes Lithium Antidépresseurs Amphétamines Lithium Antidépresseurs Amphétamines Gamma OH Lithium Antidépresseurs Neuroleptiques Divers Anticholinergiques Caféine Amiodarone Inhibiteurs Ca Beta-mimétiques Théophylline Post-anoxique Anti-histaminique Amantadine Strychnine Bromure de methyl L-Dopa Methyl-dopa Dompéridone Métoclopramide Propranolol
Neuropathies Sensitives Sensitivomotrices Motrices Antimicrobiens Chloramphenicol Colistine Thiamphenicol Chloroquine Ethambutol, INH Metronidazole Nitrofurantoïne Amphotéricine B Dapsone Sulfonamides Anticonvulsivants Antidépresseurs Antimigraineux Ergotamine Methylsergide Phénytoïne Amitriptyline Amitriptyline Imipramine Cardiovasculaires Rhumatologie Gastro-entérologie Hydralazine Amiodarone Chloroquine, or Colchicine Pénicillamine Or Cimétidine Cytotoxiques Cytarabine Procarbazine Vincristine Chlorambucil, Vinblastine
3- Situations plus complexes … Place pour un diagnostic interniste
Délai d’apparition des symptômes signes cholinergiques Intoxications par les champignons Délai d’apparition des symptômes < 6 heures > 6 heures Troubles digestifs acrosyndrome (24 heures) isolés rhabdomyolyse (1-6 jours) non hallucinations (peu fréquent) oui insuffisance rénale syndrome acromélalgien flush hépatite convulsions hémolyse hémolyse syndrome de rhabdomyolyse syndrome narcotinien “ ébriété ” signes atropiniques signes cholinergiques hépatite aiguë syndrome orellanien syndrome coprinien syndrome gastro intestinal (sévère : jusqu’à 8 heures) syndrome proximien syndrome paxillien syndrome gyromitrien syndrome panthérinien syndrome muscarinique syndrome phalloïdien Danel V, 2005
Atteinte multisystémique Exemple de l’arsenic inorganique Cutanées : érythèmes, papules, vésicules Muqueuses : œil, nez, voies aérienne supérieures (VAS) Hépatique : cirrhose, maladie veino-occlusive Troubles neurologiques : polynévrite sensitivo-motrice Cardio-vasculaire : QT long, syndrome de Raynaud Troubles gastro-intestinaux : vomissements, diarrhées/constipation Pancréas : diabète (cofacteur) Cancérogène : cancers cutanés, poumon, foie, vessie, rein, prostate Tératogène : avortements Hématologique : GB, GR, Plaquettes
Exemple des diphényl-polychlorés (PCB) Lipophiles, stables toxicité cumulative Japon Yusho disease : huiles contaminées Cutanée : chloracnée Hépatique : Induction enzymatique Perturbations du bilan hépatique Excrétion de la bile, bilirubine, phosphatases alcalines Synthèse : facteurs de coagulation, albumine, glycémie Lyse cellulaire : transaminases SNP : Neuropathie périphérique SNC : Altération transitoire des fonctions cognitives
Séquelles des intoxications Périphériques Compressions nerveuses Rhabdomyolyse Centrales Syndrome extra-pyramidal (CO, organophosphorés) Encéphalopathie myoclonique (anoxie cérébrale, bromure de méthyle) Troubles cognitifs (CO, cyanure) Syndrome tardif des organophosphorés
Conclusions (1) • Les intoxications aiguës sont la cause la plus importante d’admission aux urgences et en réanimation. • Les complications vitales sont parfois présentes dès l’admission. • La démarche diagnostique s’appuie sur les toxidromes. • La prise en charge des intoxications relève de l ’urgence et est principalement basée sur les traitements symptomatiques et les antidotes.
Les syndromes toxiques sont utiles … Conclusions (2) Les syndromes toxiques sont utiles … OUI !!!! Parce qu’aucun symptôme isolé n’est spécifique Pour le diagnostic positif et différentiel Pour indiquer un traitement spécifique d’urgence Pour demander des dosages spécifiques Pour ne pas demander d’examens complémentaires
Les syndromes toxiques sont utiles … Conclusions (3) Les syndromes toxiques sont utiles … NON ??? Toxidromes peu fiables, trop peu caractéristiques Formes incomplètes, formes frustes Intoxications poly-xénobiotiques Une intoxication n’a pas de signes caractéristiques Intérêt décisionnel limitée si traitement symptomatique L’analyse toxicologique peut tout …