Master de recherche clinique en médecine palliative, Donatien Mallet

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Transcription de la présentation:

Le droit à la sédation profonde et continue Réflexions éthiques et pistes pratiques Master de recherche clinique en médecine palliative, 2016-17 Donatien Mallet USP CH Luynes-CHU Tours

Plan Eléments contextuels Présentation de la loi Argumentation éthique de la loi Retour sur la clinique Repères pratiques et éthiques Une mutation du mourir En guise de conclusion

I. Eléments contextuels Une demande sociale (Jury citoyen, 2013) Le souhait de droits pour gérer son mourir « Mettez votre technique à mon service lorsque j’exprime une volonté durable » La demande d’un mourir sans souffrance « Soulagez moi par tous les moyens possibles »

Une construction politique avec le choix d’un prisme légal Une succession de débats et rapports Démocratie participative et législative La question rémanente de l’encadrement législatif de la médicalisation du mourir Droits des patients Décisions médicales et crainte de « l’acharnement » « Souhaits de mort » : sédation, euthanasie, suicide assisté L’option du compromis : loi Claeys-Léonetti (2016)

Un constat clinique Une hétérogénéité des pratiques de sédation Une variété des représentations et significations

Un vécu « singulier » des soignants Une tension éthique entre les visées du soin Respecter la volonté du patient et soulager sa souffrance / Soutenir la relation et la vie Une mobilisation des affects Peur, culpabilité, jouissance et puissance, projections, solitude et non dits… L’appréhension d’assumer un mourir artificiellement endormi L’euthanasie comme un arrière plan contaminant Une clinique de l’incertitude : clinique, relation, sens du soins (Leboul, 2009)

II. Présentation de la loi Qu’est la sédation profonde et continue ? Sédation profonde et continue + arrêt de traitement : « A la demande du patient d’éviter toute souffrance et de ne pas subir d’ obstination déraisonnable, une sédation profonde et continue provoquant une altération de la conscience maintenue jusqu’au décès associée à une analgésie et à l’arrêt de l’ensemble des traitements de maintien en vie est mise en œuvre »

Quels types de situation? a) Lorsque le patient peut exprimer sa volonté « Lorsque le patient atteint d’une affection grave et incurable et dont le pronostic vital est engagé à court terme présente une souffrance réfractaire au traitement Lorsque la décision du patient atteint d’une affection grave et incurable d’arrêter un traitement engage son pc à court terme et est susceptible d’entrainer une souffrance insupportable » b) Lorsque le patient ne peut exprimer sa volonté « Lorsque le patient ne peut pas exprimer sa volonté et au titre du refus de l’obstination déraisonnable… dans le cas où le médecin arrête un traitement de maintien en vie… »

Quelle procédure ? « Mise en œuvre selon la procédure collégiale … qui permet à l’équipe soignante de vérifier préalablement que les conditions d’application prévues… sont remplies » Inscription de la procédure dans le dossier médical Possibilité de mise en œuvre au domicile ou dans un établissement de santé

Quelle protection juridique ? « Le médecin met en place l’ensemble des traitements analgésiques et sédatifs pour répondre à la souffrance réfractaire du malade en phase avancée ou terminale, même s’ils peuvent avoir comme effet d’abréger la vie. Il doit en informer le malade… la personne de confiance, la famille ou à défaut, un de proches du malade »

III. Argumentation éthique de la loi Promotion de l’autodétermination Lutte contre la souffrance Création du « droit à une fin digne et accompagnée du meilleur apaisement possible de la souffrance » Prévention de la souffrance « au bénéfice du doute » Compromis sociétal : Respect de l’autodétermination Soulagement de la souffrance Maintien de l’interdit de l’homicide

La sédation profonde et continue modifie-elle les repères actuels de la loi ? Un cadre légal respecté Refus de l’obstination déraisonnable Maintien de l’interdit de l’homicide Refus de sédation avec intention ou geste létal Mais… Cadre légal qui norme la pratique et évince la réversibilité Dissensus possible sur   « phase terminale … souffrance réfractaire » Souffrance existentielle ou réfractaire ? Incertitude sur son application

IV. Retour sur la clinique

Une décision complexe pour le patient La souffrance : un chaos identitaire Une ambivalence nécessaire Dans ce tumulte, L’impératif d’une décision à prendre La réaffirmation d’une autodétermination Une demande graduée Ne plus souffrir / Etre endormi / Mourir / Mettre fin à sa vie Une tension décisionnelle : « la fin sans la fin » La réaffirmation du moi, puis la sédation du moi L’entière remise à d’autres Corps, vigilance et esprit Le maintien de l’agonie

Un déplacement de la relation soignant-soigné Pour le patient Une demande ouverte et indéterminée la revendication d’un droit Pour le soignant : Une décision imposée qui peut être solitaire Ex de l’accueil aux urgences Une inversion de l’asymétrie relationnelle Pouvoir sur… Service de… Un soignant convoqué par un contrat potentiellement externe Être le bras opérationnel d’une volonté individuelle Mettre en œuvre, devenir responsable et assumer dans le temps la volonté d’un autre

Une pratique possible mais complexe Difficultés techniques 17 % de soulagement insuffisant (Morita, 2005) Impossibilité dans de nombreux lieux (EHPAD, domicile) Nécessité d’une organisation collective «Le dernier au revoir » Vécus, émotions, représentations, significations hétérogènes La sédation ne supprime pas l’agonie « Accompagner dans le temps celui que l’on a artificiellement endormi » Équipe formée, compétente, capable d’échanger dans le temps sur des situations complexes et souffrantes

V. Repères pratiques et éthiques

Repères pratiques Créer une relation Accueil de la demande et instauration d’une relation marquée par une double reconnaissance Informer clairement et anticiper Explication du cadre de la loi et exposé des conséquences de la mise en œuvre d’une sédation (patient, entourage, soignants) avec les incertitudes Elaborer collectivement Analyse de la demande, contextualisation avec délibération en équipe et ouverture à des tiers si besoin Évaluation de la conformité au cadre légal Co-construction d’une temporalité (patient, entourage, soignants) Décision de mise en œuvre ou non de la sédation S’organiser collectivement Organisation de l’induction de la sédation (patient, entourage, soignants) Mise en œuvre continue de la sédation : poursuite des soins, évaluation du niveau de vigilance, adaptation des thérapeutiques, respect du cadre légal, accompagnement des proches, élaboration en équipe… Relire Relecture clinique, organisationnelle, psychique et éthique

Une éthique à construire Une éthique de la double reconnaissance Une éthique de l’inachevé, des limites, du tragique Une éthique du moindre mal

VI. Une mutation du mourir : 1980 / 2016

1980 : une tension entre deux modèles L’euthanasie : un combat pour un nouveau droit Une autodétermination souveraine Une autoévaluation de sa dignité Une maitrise de son existence biologique Les soins palliatifs entre réalités, caricatures et idéalisation Vivre au mieux son quotidien en son corps Soutenir la vie psychique et la relation Promouvoir la capacité d’autodétermination Délibérer sur l’usage des techniques Laisser le futur ouvert sans nier la limite Consentir à l’inachevé

2016 : La fin de vie, un « espace-temps médicalement et juridiquement assisté » La fin de vie comme espace d’abord légal plus que temps existentiel La conduite de sa fin de vie par l’usage de nombreux droits L’anticipation de sa fin de vie avec le présupposé d’une action possible Un temps soumis à la responsabilité et à la décision du patient La fin de vie comme espace médical Un mourir anticipé, anesthésié, confié à la médecine et approuvé par la loi

Un pas de plus vers une médicalisation réductrice, normative, extensive et légaliste de l’existence humaine ? «  Toute douleur devient le résultat d’une technologie fautive, d’une législation injuste ou d’un manque de médecine antalgique » (Illich, 1975)

En guise de conclusion Construire un « parcours de la reconnaissance » (Ricoeur, 2004) plutôt qu’une juridicisation de la relation soignant-soigné Construire une pratique qui articule Singularité de la situation Prise en compte du cadre légal Réflexion éthique

Maintenir la distinction entre prévision, anticipation et maitrise (R, Zittoun, 2015) Soutenir une dimension existentielle au-delà du prisme légal Consentir à une clinique du « service » et de l’inachevé