Epidémiologie clinique et moléculaire de l’infection par le virus de l’hépatite A (VHA) en Tunisie S.Gargouri(1), L.Feki-Berrajeh(1), I.Ayadi(2), H.Karray-Hakim(1), A.Hammami(1) (1) Laboratoire de microbiologie, CHU Habib Bourguiba, Sfax, Tunisie. (2) Centre de biotechnologie de Sfax, Tunisie. INTRODUCTION : L’infection par le virus de l’hépatite A est une affection endémo-épidémique en Tunisie. La séroprévalence de l’hépatite A a nettement diminué ces dernières années conduisant à un net recul dans l’âge de la primo-infection et à une augmentation de l’incidence de l’infection aigue chez l’adulte. Ce changement d’épidémiologie a conduit à l’éclosion de véritables épidémies avec la survenue de formes symptomatiques voire même sévères. L’objectif du travail a été d’étudier les caractéristiques épidémio-cliniques de 140 patients, originaires du gouvernorat de Sfax (sud tunisien), infectés par le VHA durant la période allant de janvier 2007 jusqu’à décembre 2009 et de caractériser génétiquement les souches de VHA circulantes de manière sporadique ou épidémique durant cette période. MATERIEL ET METHODES : 3. Etude moléculaire: Population d’étude : 140 patients infectés par le VHA répartis en 125 cas épidémiques et 15 cas sporadiques. Les cas épidémiques ont été diagnostiqués durant 3 périodes différentes. Des données épidémiologiques incluant l’âge, le sexe et les sources de contamination probables ont été recueillies. Diagnostic de l’hépatite A : établi au laboratoire de microbiologie du CHU Habib Bourguiba à Sfax par détection des IgM-anti-VHA (ELISA de type immunocapture, DiaSorin, Italie). Etude moléculaire : amplification par RT-PCR au niveau de la région VP1/2A du génome viral (utilisant les amorces 2870-3381 et la trousse QIAGEN® One Step RT-PCR (QIAGEN, France)), suivie d’un séquençage nucléotidique automatisé pratiqué pour 90 souches positives par RT-PCR. L’analyse phylogénétique des souches virales a été effectuée à l’aide du logiciel MEGA 4.0.2 en utilisant l’algorithme Neighbor-joining. La reproductibilité de l’arbre a été estimée avec un bootstrapping de 1000 fois. Étude statistique: effectuée par SPSS.17, le test de Student a été utilisé pour la comparaison des moyennes. Un p < 0.05 a été considéré comme significatif. La RT-PCR s’est révélée positive dans 107 cas parmi les 140 étudiés, taux de positivité a été égal à 76.4%. Les séquences étudiées ont des pourcentages d’identité entre elles allant de 96% à 100%. L’analyse phylogénétique a montré que toutes les souches cliniques étudiées qu’elles soient sporadiques ou épidémiques ont appartenu à un sous-génotype unique, qui est le IA, avec une valeur de bootstrap élevée (98% avec la souche de référence GBM). Cependant, une hétérogénéité génétique a été observée permettant de définir 3 regroupements de souches étroitement liées: * le 1er et le 2ème cluster : regroupant essentiellement les souches qui ont été isolées durant la période 1 à l’exception d’une seule souche isolée durant la période 2 (6849) ainsi que les souches sporadiques. Toutes les souches isolées à partir d’épidémies intrafamiliales ont 100% d’identité ce qui peut être expliquée soit par la présence d’une seule source de contamination au sein du foyer soit par la transmission du virus d’un membre de la famille à un autre. * le 3ème cluster : regroupant les souches isolées durant la période 2. Toutes les souches isolées à partir des 2 épidémies scolaires ont 100% d’identité témoignant de la présence d’une source commune de contamination. En effet, l’enquête épidémiologique a montré la présence d’un puit représentant la source majeure de boisson dans ces régions rurales, l’examen bactériologique de l’eau du puit a mis en évidence une contamination fécale témoignant que ce puit serait très probablement la source potentielle de la 2ème épidémie. Une seule souche isolée durant la période 1 a été regroupée dans le 3ème cluster (906). Les investigations épidémiologiques ont montré que la patiente s’est déplacée à une région rurale avec notion de consommation de fruits de mer, suggérant que la contamination par le VHA a eu lieu lors de son voyage. La souche isolée chez la fillette ayant une hépatite fulminante a été regroupée dans le 3ème cluster, avec 100% d’identité avec les autres souches isolées durant la même période et dans la même localité. Dans les régions rurales, où les conditions d’hygiène et socio-économiques sont défavorables, les souches isolées, même dans des localités différentes et à des moments différents ont été étroitement liées. Ceci suggère la circulation endémique presque exclusive d’une seule souche dans ces régions du gouvernorat de Sfax. Au contraire, dans les régions urbaines, les modes de transmission et d’évolution du VHA sont plus complexes, du moment où différentes souches co-circulent au cours d’une même épidémie, ceci suggère que plus qu’une seule source de VHA ont été à l’origine de cette épidémie. RESULTATS ET COMMENTAIRES : 1. Description des épidémies survenues durant la période d’étude: Durant la période d’étude, 3 épidémies différentes touchant plusieurs délégations du gouvernorat de Sfax ont été observées: * la 1ère période: octobre 2007 - mars 2008, il s’agit d’épidémies familiales touchant essentiellement la grande ville de Sfax (zone urbaine), nombre de cas = 62. * la 2ème période: octobre 2008 - février 2009, il s’agit d’épidémies scolaires touchant des régions rurales du gouvernorat de Sfax, nombre de cas = 44. * la 3ème période: juillet 2009 - décembre 2009, touchant à la fois des régions urbaines et rurales, nombre de cas = 19. 2. Caractéristiques épidémio-cliniques des patients: Le sexe: Parmi les patients étudiés, 47.9% ont été de sexe masculin versus 52.1% de sexe Féminin. Le sexe ratio a été égal à 0.9. b. L’âge: La moyenne d’âge des patients étudiés a été de 12.33 ans (extrêmes : 1 – 30 ans). En prenant compte des périodes épidémiques, l’âge moyen des patients a été de 14.58 ans, 8.46 ans et 12.4 ans durant la 1ère, la 2ème et la 3ème période, respectivement. La différence en terme d’âge a été hautement significative entre la 1ère et la 2ème période (p < 0.001) d’une part, et la 2ème et la 3ème période d’autre part (p = 0.014). Le recul dans l’âge de la primo-infection a été plus marqué dans les régions urbaines en rapport certainement avec l’amélioration des conditions socio-économiques. Le 1er cluster Le 2ème cluster Le 3ème cluster Figure N°1. Répartition des cas d’hépatite A selon l’âge IA IA c. Formes cliniques: IA IB Les souches de référence de génotype connu Durant la 1ère épidémie, deux cas d’hépatite fulminante ont été observées. Les deux patients ont été hospitalisés dans un tableau d’ insuffisance hépato-cellulaire avec atteinte neurologique. IB IIA IIB IIIA IIIB Tableau N°I. Caractéristiques des patients atteints d’hépatite fulminante Sexe Age (ans) Origine Source de contamination probable Délai entre l’ictère et l’atteinte neurologique Évolution Patient N°1 Masculin 15 Urbaine Consommation de légumes crus 50 jours Décès Patient N°2 Féminin 4 Rurale Inconnue 2 jours Favorable Figure N°2. Arbre phylogénétique des séquences VP1/2A (394 nucléotides) de 28 isolats cliniques. Les séquences ayant 100% d’identité entre elles n’ont pas été illustrées afin de simplifier la représentation graphique ( N=62). CONCLUSION : L’analyse de séquences des souches de VHA isolées dans la région du sud tunisien a montré qu’elles sont étroitement liées, appartenant au sous-génotype IA, suggérant une circulation endémique des mêmes souches de VHA dans cette région.