Chapitre Trois : Le siècle d’or Histoire du théâtre
Chapitre trois : Le Siècle d’Or Apogée du théâtre en Angleterre et en France
I- L’époque classique Au XVIIe siècle, la France connaît une grande prospérité politique et économique sous le règne de Louis XIV. Passionné des arts et particulièrement de théâtre, le roi sera un mécène et un protecteur pour de nombreux artistes. Il organise des fêtes somptueuses à Versailles et participe lui-même à des représentations théâtrales en tant qu’acteur et danseur. De nombreuses académies sont créées, destinées à fixer des normes et des règles esthétiques.
L’Institut de France 1635 : Académie Française 1648 : l’Académie Royale de Peinture et de sculpture 1663 : Académie des inscriptions et belles- lettres 1666 : Académie des sciences 1669 : Académie de Musique 1671 : Académie d’architecture L’Institut de France
Le Roi danse
II- Les Conditions de représentation au XVIIe
Au début du XVIIe, 3 salles uniquement à Paris 2 pour la tragédie : 1) les lieux : Au début du XVIIe, 3 salles uniquement à Paris 2 pour la tragédie : L’Hôtel de Bourgogne L’Hôtel du Marais 1 pour la Comédie : Le Théâtre Italien En Province : les troupes de comédiens vont de ville en ville et se produisent sur des scènes improvisées ou dans des jeux de Paumes. Les deux troupes ambulantes les plus célèbres sont celles de Floridor et celle de Molière.
2) Des conditions difficiles A la suite des guerres de religion, les mœurs françaises sont peu policées : les représentations sont souvent houleuses : risques de se faire voler, agresser, assassiner. Au tout début du siècle, les femmes ne vont pas au théâtre.
Les Spectateurs sont bruyants, n’hésitant pas à interpeller les comédiens, à discuter à voix haute, à rire à tout propos, à se battre entre eux… Le parterre : réservé aux hommes de classe modeste, qui s’y tiennent debout La bourgeoisie est placée dans les loges Au poulailler : le tout petit peuple De 1656 à 1766, selon une coutume anglaise, les spectateurs de marque sont assis sur des chaises de chaque côté de la scène. La scène est petite, peu éclairée par des chandeliers La salle est illuminée par des lustres dont on renouvelle les bougies à l’entracte .
Images du film Cyrano de Bergerac d’Andy Sommer
La comédie au début du siècle Début XVIIe : représentations sur les tréteaux des foires et sur le Pont Neuf Farces, dialogues satiriques qui connaissent un grand succès Les comédiens les plus célèbres : Tabarin (un bateleur) et Mondor ( un médecin ambulant) Molière lui-même, très friand de ces spectacles, parcourra les villes de province avec sa troupe, L’Illustre théâtre, avant de faire carrière à Paris. Au XIXe siècle, dans son roman Le Capitaine Fracasse, Théophile Gautier racontera la vie de ces troupes ambulantes.
Le Capitaine Fracasse de Théophile Gautier
La Tragi-comédie Grand succès en France au début du siècle, alors que la tragédie n’a pas encore été renouvelée La tragi-comédie met en scène des conflits héroïques et des personnages nobles soumis à des dilemmes, comme dans la tragédie, mais elle connaît une fin heureuse, comme dans la comédie. Elle tend à s’émanciper des règles et n’hésite pas à présenter des actions invraisemblables Le Cid de Corneille se situe à la jonction de la tragi- comédie et de la tragédie classique.
Le Cid de Corneille- Mise en scène de Philippe Daguerre au théâtre Michel
Quant à la tragédie : Au tout début du XVIIe siècle, elle n’a pas encore reçu ses lettres de noblesse : Elle repose sur de mauvaises imitations de tragédies grecques accommodées au goût du jour : elles finissent par être ridicules. Grand nombre de morts dans des conditions atroces. Cette exagération de mauvais goût fait rire le spectateur plus qu’elle ne l’impressionne.
III- Le rôle de Richelieu
Richelieu est passionné de théâtre à titre personnel et politique : moyen de propagande très efficace ( cf. Le Cid de Corneille et l’interdiction des duels) Dès 1635 : politique de revalorisation du théâtre. Il va rendre les salles de théâtre plus fréquentables au moyen d’opérations de police : rapidement, le théâtre devient un lieu mondain. Il assure par ailleurs sa renommée par un mécénat artistique et littéraire. Il s’entoure d’auteurs et de théoriciens. Les pièces sont lues dans son cabinet pour recevoir son approbation ou sa censure avant d’être jouées. Parallèlement, les auteurs prennent conscience de certaines erreurs dans leur création : il faut s’occuper davantage de l’ordonnance des péripéties, analyser les situations. Certaines règles et exigences d’écriture vont être édictées.
IV- Les Fonctions du théâtre : Plaire, instruire et émouvoir Au XVIIe siècle, le théâtre remplit des fonctions morales et politiques : Orientation de Corriger les Purger le L’opinion publique hommes en spectateur de ( Mécénat = les divertissant ses vices et de Propagande) ( La Comédie) ses passions ( La Tragédie)
1) Le mécénat de Richelieu Pour appliquer une politique culturelle efficace, Richelieu sait que l’écrivain doit contribuer à orienter l’opinion publique. Aussi, la protection et les pensions par lesquelles il s’attache les auteurs ne vont pas sans contrepartie : bon gré mal gré, les auteurs doivent contribuer à servir la propagande politique. Richelieu tient à l’effet moralisateur du théâtre : il s’agit d’ un bon moyen d’instruire le peuple et de lui inspirer le goût des vertus héroïques et morales.
2) La catharsis Aristote, dans La Poétique, est le premier à parler de la fonction cathartique ( = qui purge, qui produit une action purificatrice et libératrice) : " La tragédie est donc l'imitation d'une action noble, conduite jusqu'à sa fin et ayant une certaine étendue(...) ; c'est une imitation faite par des personnes en action et non par le moyen d'une narration, et qui, par l'entremise de la pitié et de la crainte, accomplit la purgation des émotions de ce genre" (chap. 1449 b25). Ainsi, la terreur et le pitié éprouvées devant le sort des personnages se dépassent dans la contemplation d'une action noble et belle : "Ce que le poète doit procurer, c'est le plaisir qui, par la représentation, provient de la pitié et la frayeur" ( chap.1453 b12). S'identifiant au héros par l'effet d'illusion, mais protégé du tragique par l'effet de distance, le spectateur éprouve et rejette en même temps ces passions génératrices de souffrances et de destruction.
3) La Comédie : Castigat Ridendo Mores Dans son premier placet au roi sur sa comédie Tartuffe, Molière attribue à la comédie la même fonction que celle précisée dans la devise latine "Castigat ridendo mores" (elle châtie les mœurs en riant) : « Les plus beaux traits d'une sérieuse morale sont moins puissants, le plus souvent, que ceux de la satire; et rien ne reprend mieux la plupart des hommes que la peinture de leurs défauts. C'est une grande atteinte aux vices que de les exposer à la risée de tout le monde. On souffre aisément des répréhensions; mais on ne souffre point la raillerie. On veut bien être méchant; mais on ne veut point être ridicule.» (préface de Tartuffe).
PREMIER PLACET Présenté au Roi sur la comédie du Tartuffe (1664) Sire, Le devoir de la comédie étant de corriger les hommes en les divertissant, j’ai cru que dans l’emploi où je me trouve, je n’avais rien de mieux à faire que d’attaquer par des peintures ridicules les vices de mon siècle ; et comme l’hypocrisie sans doute en est un des plus en usage, des plus incommodes et des plus dangereux, j’avais eu, Sire, la pensée que je ne rendrais pas un petit service à tous les honnêtes gens de votre royaume, si je faisais une comédie qui décriât les hypocrites…
Molière- 1622-1673
V- Les règles du théâtre Classique
1) L’Art Poétique de Nicolas Boileau La Poétique d'Aristote va servir de base, dès la Renaissance, pour édicter des règles strictes concernant la tragédie. Au XVIe siècle, Scaliger déduit de sa lecture de l'ouvrage la nécessité des trois unités : unité de temps, unité de lieu et unité d'action. En réalité, Aristote n'aborde que les unités de temps et d'action. Au XVIIe siècle, Nicolas Boileau reprendra, justifiera et imposera ces différentes règles dans son célèbre Art Poétique.
Vers 1630, les 3 unités finissent par s’imposer: 2) La règle des 3 unités Vers 1630, les 3 unités finissent par s’imposer: Unité de temps Unité de lieu Unité d’action Ne pas dépasser 24h. Un seul décor, Une seule intrigue Le temps de l’histoire également par souci afin que l’action ne doit pas être trop de crédibilité soit facilement éloigné de celui de compréhensible de La représentation tous les spectateurs
3) Bienséance Le mot "bienséance" désignait, au XVIIe siècle, un ensemble de règles tacites qui avaient pour objectif de ne choquer le public ni sur le plan moral ni sur le plan esthétique. Comment cette préoccupation se traduit-elle concrètement dans les tragédies? : - unité de ton : on ne mélange pas la comédie et la tragédie. Ce sont deux genres quasiment antithétiques . L'univers de la tragédie doit toujours s'exprimer d'une manière noble. On évite toute référence trop claire aux fonctions biologiques et à la sexualité. - art de la litote : on dit moins que ce que l'on pense. - pas de violence physique sur scène. La tragédie a recours au "récit", développé dans une longue tirade, pour évoquer une scène de combat et/ ou de mort.
4) Vraisemblance L'intrigue, les personnages doivent être crédibles pour toucher le spectateur et lui inspirer de la pitié et de la terreur. Mais l'on doit également bannir des situations qui, bien que théoriquement possibles dans le vie réelle, sont trop rares ou extraordinaires : "Le vrai peut quelquefois n'être pas vraisemblable" écrit Boileau.
VI- Les auteurs se rebellent De grands dramaturges s'interrogent sur la pertinence de la règle des 3 unités quand ils ne cherchent pas à s'y soustraire. 1) Corneille L'unité d'action gêne considérablement Corneille qui préfère les pièces qu'il appelle "implexes", c'est-à-dire chargées de péripéties et à l'intrigue compliquée, comme dans Le Cid. l'unité de temps pose également problème : ainsi que le fait remarquer Michel Viegnes, pour respecter l'unité de temps et limiter la durée de l'intrigue à 24 heures, "Corneille fait vivre à son héros une journée d'enfer". Rodrigue se bat deux fois en duel, il conduit toute une armée à l'assaut des Maures ( "Nous partîmes cinq cents mais par un prompt renfort nous nous vîmes trois mille en arrivant au port"), il a de longues entrevues pathétiques et délibératives avec son père, son roi et son amante, et le tout en moins de vingt-quatre heures ! On ne peut que crier à l'invraisemblance !
2) Molière Molière lui-même se rebelle contre les règles que l'on veut voir pareillement respectées dans la Comédie. Dans La Critique de l'Ecole des Femmes, il donne la parole à Dorante, un personnage qui se moque avec humour des défenseurs intégristes des règles : "Vous êtes de plaisantes gens avec vos règles, dont vous embarrassez les ignorants, et nous étourdissez tous les jours. Il semble, à vous ouïr parler, que ces règles de l'art soient les plus grands mystères du monde ; et cependant ce ne sont que quelques observations aisées, que le bon sens a faites sur ce qui peut ôter le plaisir que l'on prend à ces sortes de poèmes ; et le même bon sens qui a fait autrefois ces observations, les fait aisément sans le secours d'Horace (poète latin) et d'Aristote. Je voudrais bien savoir si la grande règle de toutes les règles n'est pas de plaire, et si une pièce de théâtre qui a attrapé son but n'a pas suivi son chemin".
3) Racine : Racine, lui aussi, revendique une certaine liberté. A ceux qui lui reprochent la trop grande simplicité de l'intrigue dans sa tragédie Bérénice, il répond : "Je les conjure d'avoir assez bonne opinion d'eux- mêmes pour ne pas croire qu'une pièce qui les touche et qui leur donne du plaisir puisse être absolument contre les règles. La principale règle est de plaire et de toucher : toutes les autres ne sont faites que pour parvenir à cette première. "
Le goût du spectacle En effet, pour ces dramaturges, la première règle est de plaire et de toucher. Le public, quel qu’il soit , adore le grand spectacle, avec de la musique, des danses, de magnifiques costumes, de multiples décors. On aime la comédie-ballet, surgie de la collaboration entre Molière et Lully, mais aussi les pièces à machines, comme la Médée de Corneille ou Dom Juan, de Molière.
VI- La Séparation des genres La Comédie classique La Tragédie classique Les origines : Le genre comique va trouver ses lettres de noblesses, grâce à Molière: Il mêle les ressorts élémentaires de la farce à la forme la plus noble de la grande comédie en 5 actes, chargée d’une dimension polémique qui fait écho aux préoccupations et débats de l’époque. C’est pourquoi ses comédies connurent à la fois le succès et la contestation, voire la censure. Molière donne au genre comique un prestige comparable à celui de la tragédie : elle devient le miroir critique de la société. Les origines : Corneille et Racine s'inspirent des préceptes d'Aristote et du théâtre antique pour écrire des tragédies dont les sujets sont le plus souvent issus de la mythologie ou de l'Histoire romaine. Dans les années 1640-1680, la tragédie classique sera le genre littéraire le plus prestigieux et l'un des divertissements favoris du roi, de la cour et du public mondain
Comédie classique Tragédie classique Les sujets : Spectacle de la vie ordinaire et quotidienne : relations entre parents et enfants, maîtres et valets, mariage, amour, argent… Jeunes amants cherchant à surmonter l’opposition de barbons tyranniques Représentation d’excès de la nature humaine à travers des personnages monomaniaques Satire de certains types sociaux ou des mœurs d’un groupe social… Les sujets : empruntés à la mythologie grecque ou à l’histoire gréco-latine. Les héros, face à une situation de crise ou de conflit, doivent prendre une décision cruciale impliquant un sacrifice ou risquant d’entraîner la mort.
Tragédie classique Comédie Classique Les Personnages : ils sont de condition moyenne ou modeste. bourgeois, paysans, valets, « petits marquis ». Types traditionnels : le vieillard jaloux, le valet rusé…issus de la comédie latine et de la commedia dell’arte. Les Personnages : personnages nobles. rois, empereurs, princes, héros mythologiques, confidents ( précepteurs ou nourrices) Ils sont en prise avec leur destin, révoltés contre la volonté des dieux, le pouvoir ou leur propre passion. À la fois coupables et innocents, lucides et aveugles.
Le dénouement en est toujours heureux. Comédie Classique Tragédie Classique Le dénouement : Le dénouement en est toujours heureux. On peut faire éventuellement appel au Deus ex machina pour dénouer l’intrigue. Le dénouement : Le dénouement est le plus souvent malheureux, voire sanglant ( assassinat dans Britannicus, suicide dans Phèdre) Néanmoins, il n’est point nécessaire qu’il y ait une mort à la fin du dernier acte.
Racine- Préface de Bérénice, 1671. « Ce n’est point une nécessité qu’il y ait du sang et des morts dans une tragédie ; il suffit que l’action en soit grande, que les acteurs en soient héroïques, que les passions y soient excitées, et que tout s’y ressente de cette tristesse majestueuse qui fait le plaisir de la tragédie ». Racine- Préface de Bérénice, 1671.
VII- Corneille vs Racine Pierre Corneille- 1606-1684 Jean Racine- 1639-1699
Les différences entre Corneille et Racine Dans la société aristocratique de la France du XVIIe siècle, l'honneur est une notion fondamentale, qui confère véritablement son existence à l'individu. Aussi la vengeance, souvent associée à la jalousie amoureuse, constitue-t-elle un thème tragique essentiel, susceptible de se substituer à la malédiction divine. Nombre de drames, en Angleterre, en Espagne et en France, prennent la forme d'une tragédie de l' honneur : on peut citer Le Cid de Corneille. La passion opposée à la raison et la folie, constituent également les thèmes privilégiés de la tragédie au XVIIe siècle : en effet, dans le théâtre baroque, le pouvoir de la passion est tel qu'il conduit souvent les personnages jusqu'à la folie. "Dans un tel contexte, une question revient régulièrement : un héros , doué d'une liberté et d'une volonté, se doit de se révolter contre l'asservissement causé par l'amour" ( W. Troubetzkoy).
Corneille Racine Chez Corneille, ce combat grandit le héros qui y gagne son honneur et sa liberté. L'amour occupe une seconde place par rapport à des valeurs plus nobles et plus viriles, comme l'honneur et la vengeance. Chez le protagoniste, la raison et le devoir l'emportent sur l'amour. Le héros cornélien suscite l'admiration car il est maître de son destin et de ses passions. Il incarne le côté noble de l'âme humaine Au contraire, chez Racine, l'homme est esclave de ses passions. Comme dans le théâtre antique, l'homme est victime de son destin, il se sent coupable mais soumis à une fatalité qui le dépasse. Il est faible, impuissant, incapable de se soustraire à sa passion. Cette vision pessimiste de l'homme est fortement influencée par l'éducation janséniste de Racine : ses tragédies illustrent la misère de l'homme abandonné de Dieu.
Poétique, Aristote-Editions du livre de poche classique. Sources : Poétique, Aristote-Editions du livre de poche classique. Le Théâtre, problématiques essentielles, Michel Viegnes- Profil Histoire Littéraire, Hatier. Histoire des spectacles, sous la direction de Guy Dumur- Encyclopédie de La Pléiade. Littérature comparée, sous la direction de Didier Souiller et Wladimir Troubetzkoy- Presses Universitaires de France. V.PALMA