Bruno Jetin, IRASEC, Université Sorbonne Paris Cité,

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Transcription de la présentation:

Bruno Jetin, IRASEC, Université Sorbonne Paris Cité, bjetin@yahoo.fr Impact de la Belt & Road Initiative sur les entreprises françaises en Malaisie et en ASEAN Bruno Jetin, IRASEC, Université Sorbonne Paris Cité, bjetin@yahoo.fr

La stratégie chinoise des “nouvelles routes de la soie” (NRS) La stratégie des nouvelles routes de la soie (en anglais, Belt and Road Initiative, BRI, anciennement OBOR) a été annoncée en octobre 2013 par le President Xi Jinping au Kazakhstan, (routes terrestres), et en Indonésie (routes maritimes). C’est de loin le projet d’interconnexion le plus ambitieux entre l’Asie, l’Europe et l’Afrique. Transport, logistique, énergie. Il s’agit d’une stratégie de long terme de la Chine, visant à créer les infrastructures nécessaires pour assurer sa prédominance en Asie. La Chine en fait une priorité et lui donne une grande visibilité: Forum de coopération 14-15 mai 2017, forums réguliers à Hong Kong.

Une stratégie globale Diplomatique: Diplomatie du “carnet de chèque”. Construire d’abord discuter ensuite. Mer de Chine du sud et division de l’ASEAN. Géostratégique: Garantir les approvisionnements (énergie) en diversifiant les routes contournant le détroit de Malacca. Les infrastructures peuvent avoir un usage militaire en cas conflit. Economique: L’UE et les Etats-Unis se focalisent sur les accords commerciaux et d’investissement. La Chine y ajoute des flux d’investissement dans les infrastructures en appui aux investissements directs dans les autres secteurs économiques. Politique: La Chine veut consolider son influence quelque soit les régimes et les alternances. Exemple de la Malaisie.

Un coût pharaonique à la hauteur d’un potentiel gigantesque La zone géographique concernée regroupe 75% du produit intérieur brut du monde, 70% de la population mondiale et 75% des réserves connues en énergie. Le coût total des NRS pourrait s’élever à 1400 milliards de US$, l’équivalent de 12 fois le plan Marshall, estimé à 120 milliards de dollars en valeur d’aujourd’hui (B. JETIN, 2018). Ce flux d’investissement aura nécessairement un impact positif sur la croissance en Chine et dans les pays où les infrastructures seront construites.

La Chine dispose des moyens financiers de sa politique Elle possède des réserves de changes d’environ 3 trillions de US$. Ni l’UE, ni les USA, ne disposent de ressources équivalentes. La Chine s’est dotée des institutions financières nécessaires à cette stratégie. En 2009, création du Fonds d’investissement pour la coopération Chine-ASEAN, au capital de 10 milliards US$ et 15 milliards de US $ de ligne de crédit pour les projets d’infrastructure dans l’ASEAN. En octobre 2014, la Chine remporte un succès diplomatique majeur avec le lancement de la Banque asiatique d’investissement dans l’infrastructure (AIIB) avec un capital de 100 milliards de US$ dont la moitié apportée par la Chine.

Des institutions financières multilatérales et nationales L’action de l’AIIB est complétée par le “Fonds de la Route de la Soie” doté d’un capital de 40 milliards de US$ et d’autres institutions financières chinoises comme la Banque chinoise du développement et la Banque pour l’exportation-importation. Les investissements sont financés par des prêts que les pays d’accueil devront rembourser ce qui peut conduire à un surendettement (Laos, Cambodge). Cela donne à la Chine un moyen de pression sur les pays d’accueil. Le taux d’intérêt peut être réduit si les investissements sont réalisés par des entreprises chinoises qui peuvent être aussi opérateurs des infrastructures. Exemple de la Malaisie. En cas de difficulté de remboursement, les entreprises chinoises peuvent devenir propriétaires, acquérir des terres et développer des activités économiques. Exemple du Sri Lanka.

L’impact sur l’ASEAN: l’exemple de l’AMPC L’ASEAN a adopté en 2010 un « schéma directeur pour la connectivité de l’ASEAN » (ASEAN Master Plan for Connectivity, AMPC) réactualisé en 2016 au sommet de l’ASEAN de Vientiane. Les besoins de financement sont de 60 milliards US$ d’investissement d’infrastructure par an (BAD, 2016). Or, le Fonds de l’ASEAN pour l’infrastructure (AIF) possède un capital de seulement 485,3 millions de $, ce qui est largement insuffisant pour réaliser les prêts nécessaires. La capacité de prêt de la Banque Asiatique du Développement, (BAD), est limitée à 13 milliards de US$ par an pour une zone beaucoup plus large. En conséquence, beaucoup de projets d’investissement n’ont jamais vu le jour. La Chine, sous le couvert des NRS, a commencé à financer les projets de l’AMPC qui l’intéressent.

Des investissements chinois en ASEAN qui vont au delà de l’infrastructure Depuis le sommet de Vientiane en 2016, Chine et ASEAN recherchent officiellement la synergie entre la BRI et l’AMPC. On verra donc se mettre en place des réseaux de transport et d’énergie qui servent d’abord les intérêts de la Chine et pas nécessairement ceux de l’ASEAN. Le Japon tente de résister en finançant des projets est-ouest (Myanmar-Vietnam) et en proposant des projets de « qualité ». Il n’y a pas de liste officielle des projets BRI à l’échelle de l’ASEAN et par défaut on peut considérer que tous les investissements chinois sont BRI d’autant plus qu’ils font système.

Flux annuels d'investissements directs en ASEAN (source: ASEAN Secretariat)

La répartition des investissements chinois dans l’ASEAN. Milliards de $ 2005-2017 2014-2017 Post-BRI, % Brunei 4,11 0,53 12,9 Cambodge 10,55 3,47 32,9 Laos 22,57 11,96 53,0 Indonésie 39,28 22,04 56,1 Malaisie 42,20 26,20 62,1 Myanmar 7,37 2,89 39,2 Philippines 11,18 6,90 61,7 Singapour 36,86 25,35 68,8 Thaïlande 7,65 5,87 76,7 Vietnam 22,45 4,84 21,6 Source: Calculs de l’auteur d’après American Enterprise Institute and Heritage Fondation

Les investissements chinois à Singapour Ils s’élèvent à 37 milliards de dollars, derrière la Malaisie, et sont assez diversifiés, même si la logistique domine.

Les investissements chinois en Indonésie En Indonésie, le montant cumulé sur la période 2005-2014 est de 39,28 milliards de $. Les investissements chinois sont beaucoup plus concentrés dans l’énergie et sont plus faibles dans les transport et l’immobilier. Source American Enterprise Institute and the Heritage Foundation.

Les investissements chinois en Thaïlande Les investissements chinois en Thaïlande sont beaucoup plus faibles: 7,65 milliards de $ et fortement concentrés dans les transports.

Les investissements chinois en Malaisie Sur la période 2005-2017, le montant total cumulé se monte à 42,2 milliards de $. Sur la seule période 2014-2017, il se monte à 26,2 milliards de $, soit environ 62%. L’énergie et le transport sont de loin les premiers secteurs. Il y a donc bien un effet BRI. Source American Enterprise Institute and the Heritage Foundation.

Les investissements chinois en Malaisie Distribution sectorielle des investissements chinois en Malaisie  2005-2014 Millions $ % Energie 12290 100 Charbon 1580 12,9 Energie renouvelable 720 5,9 Hydro 1860 15,1 Gaz 360 2,9 Pétrole 1470 12 Electricité 6300 51,2 Immobilier 6790 Construction 3180 46,8 Property 3610 53,2 Transport 13870 Automobile 3560 25,7 Rail 7140 51,5 Maritime 3170 22,9 Source: calculs de l'auteur avec les données de l'AEI

L’effet « boule de neige » des investissements chinois Les autorités provinciales et les entreprises privées chinoises imitent les décisions des autorités centrales et des grandes entreprises publiques en matière d’investissement à l’étranger. C’est particulièrement vrai depuis l’annonce de la stratégie NRS. Comme la Chine, finance l’essentiel des investissements, elle impose ses entreprises et sa technologie. Cela exerce un effet d’éviction des entreprises locales, particulièrement des PME, et des entreprises étrangères. L’effet d’éviction est d’autant plus fort que les entreprises chinoises importent une grande partie de leurs inputs de Chine. C’est ce que l’on observe en Malaisie avec le port de Kuantan, qui a obtenu le statut de zone franche, et des parcs industriels tout proche.

Le port de Kuantan et le MCKIP, jumelé avec le China–Malaysia Qinzhou Industrial Park (CMQIP) au Guangxi en Chine sera desservit par la voie de chemin de fer Est-Ouest, ECRL, et la nouvelle autoroute au port de Klang. Si le projet est complété, (problème des 60 km manquants entre Gombak et Port Klang), il ferait gagner un jour et demi par rapport à la route maritime passant par le détroit de Malacca. Le nouveau Premier Ministre Mahatir promet de revoir le projet, jugé trop onéreux.

Pourquoi investir en Malaisie? Les investissements étrangers ont un effet positif sur la croissance du pays d’accueil lorsque les entreprises étrangères font appel aux fournisseurs locaux, transfèrent de la technologie et emploient la main d’œuvre locale. La Malaisie attirait peu d’investissements chinois avant l’annonce des NRS, en particulier dans l’industrie manufacturière, ce qui reflétait la perte de compétitivité de la Malaisie: marché domestique modeste et coût salarial élevé comparé aux pays de la région. Les entreprises chinoises voient dans la Malaisie une porte d’entrée dans la communauté économique de l’ASEAN et une plateforme d’exportation vers les Etats-Unis permettant de contourner le protectionnisme américain.

La Malaisie, plateforme d’exportations chinoises C’est le cas des panneaux solaires chinois fabriqués en Malaisie qui font l’objet de mesures anti-dumping aux Etats-Unis lorsqu’ils sont exportés de Chine. Le textile chinois en Malaisie avait pour but de profiter du TPP à l’époque où les Etats-Unis devaient en faire partie. La sidérurgie chinoise à Kuantan n’a pu s’implanter que sous la condition que l’essential de la production soit exporté. Seuls les aciers non produits en Malaisie pourront être vendus sur le marché domestique. L’investissement de Geely dans Proton doit lui fournir des moteurs respectant les standards de pollution Euro 6, des moteurs hybrids et électriques sans lesquels les véhicules ne pourraient être exportés dans l’ASEAN et au delà.

La Malaisie sera-t-elle gagnante? L’effet sur la balance commerciale sera peut être positif, mais le contenu en importations des exportations sera probablement très élevé. L’effet d’entrainement sur les entreprises locales sera donc réduit d’auant plus que les emplois occupés par des travailleurs malaisiens sont en faible nombre. A cela s’ajoute les risques que font peser le financement des mega-projets si la rentabilité n’est pas au rendez-vous. Les prêts sont chinois mais l’Etat malaisien apporte sa garantie.

La Malaisie sera-t-elle gagnante? Reprenons le cas emblématique de l’ECRL. Il ne s’agit pas à proprement parler d’un investissement direct étranger. La banque d’import-export de Chine va prêter à China Communications Construction Company (CCCC) environ 80% des 18 milliards de dollars. CCCC est seulement tenu de mener à bien l’ensemble de la construction de la ligne avant d’en transférer la propriété à la Malaisie, qui en assumera les risques financiers.

La Malaisie sera-t-elle gagnante? Le coût du projet, 18 milliards de dollars, soit 30,4 million du km, est probablement surestimé (Guanie Lim, 2018). La ligne Gemas-Johor Bahru, d’un montant de 2,4 milliards de $, coûtera 13,2 milliards du km. La ligne Padma Railway (Bangladesh), d’un montant de 4,9 milliards de $, coûtera 22,5 millions du km. La phase 2A de la ligne Mombasa à Malaba (Kénya) d’un montant de 2,4 milliards de $, coûtera 20,3 million du km. Une étude commandée en 2009, pour un projet Est-Ouest de 545 km estimait le montant total à 9,6 milliards, soit la moitié de l’ECRL. L’absence d’appel d’offre conduit certainement à une surfacturation.

La Malaisie sera-t-elle gagnante? La viabilité de l’ECRL est aussi discutable. Seules les entreprises exportant des produits à forte valeur ajoutée et sensible au temps seront intéressées à payer un srcoût de 6$ la tonne par rapport à la route maritime passant par Malacca. Beaucoup d’entreprises ne voient pas d’un bon oeil la multiplication des chargements-déchargements bateau-rail. Cela ne correspond pas à la pratique actuelle des affaires. L’absence de publication de l’étude de faisabilité alimente le doute sur la rentabilité.

La Malaisie sera-t-elle gagnante? Autrement dit, on voit bien l’intérêt de la Chine dans ce projet, mais l’intérêt de la Malaisie est moins evident. Il y a un danger “d’éléphant blanc” et on comprend pourquoi le nouveau gouvernement veut revoir le projet. Sans adhésion de la population convaincue du bien-fondé de ce type de projet et de ses avantages, on peut assister à la manifestation d’un mécontentement pouvant devenir violent. Voir les manifestations au Vietnam en 2014, tournant à l’émeute.

Vers la création d’enclaves chinoises? A cette arrivée massive d’investissements chinois, réalisés par des entreprisses chinoises avec des ouvriers chinois, s’ajoutent des projets de “villes” chinoises comme Forest City dans l’Etat de Johor. Dans le contexte ethnique compliqué de la Malaisie, cette arrivée massive de très riches chinois vivant en vase clos, alors que nombre de malaisiens ont des difficultés à se loger, va nécessairement créer des tensions. Cet aspect a été mis en avant par Mahatir dans sa campagne et laisse augurer des infléchissements dont il est difficile d’évaluer la portée.

Que peuvent faire les entreprises françaises? Tout d’abord, il faut se rappeler que toutes les entreprises chinoises ne sont pas compétitives. Cas de Cherry en Malaisie qui n’obtient que 1% de part de marché après plusieurs années de presence (2008). Les entreprises françaises peuvent évidemment essayer de profiter des opportunités créer par les NRS en proposant leur savoir-faire dans les domaines spécialisés que ni les entreprises chinoises, ni les entreprises malaisiennes ne possèdent ou pour lesquels elles ne sont pas compétitives. C’est l’exemple de Lafarge, qui a obtenu un contrat de fourniture de ciment pour le projet de train ECRL pour un montant de 69 M USD. Elles peuvent aussi profiter des infrastructures créées pour developper leurs propres activités.

Références Bruno Jetin (2018). “One belt-One Road Initiative and ASEAN Connectivity: Synergy Issues and Potentialities”. In B.R. Deepak (editor): “China’s Global Rebalancing and the New Silk Road”. Springer, Singapore.  Guanie Lim (2018). “Resolving the Malacca Dilemma: Malaysia’s role in the Belt and Road Initiative”. In Arduino, Alessandro, Xue, Gong (Editors.) “Securing the Belt and road Initiative: Risk Assessment, Private Security and Special Insurances along the New Wave of Chinese Outbound Investments”. Tham Siew Yean (2018). ”Chinese Investment in Malaysia: Five years into the BRI”. ISEAS Perspective, n°11, February.