La dissociation : Distinctions avec les états du moi Outils diagnostiques Recherches particularités de prise en charge Julien BRUNO, psychologue clinicien.

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Transcription de la présentation:

La dissociation : Distinctions avec les états du moi Outils diagnostiques Recherches particularités de prise en charge Julien BRUNO, psychologue clinicien et de la santé, psychothérapeute Doctorant, laboratoire EPSaM-APEMAC ; Université de Lorraine, Metz Julien.bruno@univ-lorraine.fr

Distinctions avec les états du moi

Concept des états du moi John et Helen Watkins (1970,80,90) Trois piliers à cette théorie même si Watkins & Watkins n’approfondissent pas la manière dont ils ont intégré ces approches La psychanalyse selon Federn La dissociation de Janet Plus tard, ils ont également intégré le concept de néodissociation (Hilgard, 1973, 1977, 1984) L’hypnose

La psychanalyse de Federn Révision du concept du moi. C’est le premier à parler d’états du moi Développé par Weiss Souplesse des frontières du moi Même si ces frontières bougent au cours de la vie, le moi forme une continuité et lutte pour établir et conserver sa cohérence et son intégration. Les états du moi au plus jeune âge ne disparaissent pas mais sont seulement refoulés  l’hypnose peut aider à faire remonter les états antérieurs  dispositions, souvenirs et poussées émotionnelles de cet état. La partie inconsciente du moi est formée des couches stratifiées des états refoulés du moi. On obtient des personnalités dédoublées et multiples.

Qu’est-ce qu’un état du moi ? Un système organisé de comportements et d’expériences dont les éléments sont reliés entre eux par des principes communs, et qui est séparé des autres états par une limite plus ou moins perméable (Walkins & Walkins, 1997) Avec cette définition brève et vague, on peut facilement confondre théorie des états du moi (TEM) avec partie dissociative de la personnalité (ou PE) « Lorsque les limites deviennent rigides et imperméables, nous les nommons dissociés ce qui peut dans sa forme extrême devenir l’alter d’une personnalité multiple »

Qu’est-ce qu’un état du moi ? Les états du moi se placent sur un continuum : Dissociation adaptée Dissociation pathologique

Qu’est-ce qu’un état du moi ? « Les états du mois sont des énergies de la personnalité nées de l’interaction avec l’environnement et qui émergent souvent à partir du besoin de résoudre des problèmes ou des conflits. Ils sont les formations créatives à la fois du cerveau et de la personnalité alors que l’organisme humain s’évertue à naviguer dans le monde dans lequel il se trouve. Chaque état du moi a ses propres affects, sensations corporelles, pensées, souvenirs, fantasmes et comportements, relativement durable. Bien qu’ils soient séparés les uns des autres, ils s’impliquent dans la transmission d’informations, une communication continue, l’affection des rôles (y compris de rôles de leader), des coopérations et le partage des buts et de missions. Comme dans les familles, il peut y avoir des regroupements et des alliances ainsi que des hostilités et des conflits ».

Qu’est-ce qu’un état du moi ? Les affects, sensations corporelles, pensées, souvenirs, fantasmes et comportements correspondent au niveau de développement physique, intellectuel, psycho-sexuel de la personne au moment de l’apparition de l’état du moi. Cela aura des implications au niveau psychothérapeutique.

Développement des états du moi par intégration et différenciation Intégration  rassembler deux concepts (Vache et cheval font partis de la catégorie « animal ») Différenciation  diviser des concepts en unités (Animal = vache, chien, cheval…) Même processus pour les comportements (écouter en classe, jouer pendant la récréation) Un individu qui n’a pas développé suffisamment de capacités d’intégration/différenciation  un état du moi joueur qui s’active avec des amis (adapté), dans une situation pro (inadapté). La manière dont les états du moi sont intégrés et les liens entre eux sont une question centrale.

Différenciation et dissociation Différenciation = dissociation ? Degré différent du « processus de séparation » Lorsque séparation et dissociation deviennent excessives et mal adaptées nous les appelons dissociation.

Développement des états du moi lors de traumatismes « Lorsqu’il est confronté à un trauma sévère, le rejet ou l’abus, l’enfant peut dissocier » (Watkins & Watkins, 1997) Création d’un état du moi « ami imaginaire » lors de solitude, ou pour les cas plus graves, « enfant blessé » Parfois par introjection  « mauvais parent » ou « agresseur »

Différents types de catégorisation des états du moi Trois catégories des états du moi Catégorie ressources  force intérieure, assistants intérieurs et observateur intérieur Catégorie « parties blessées »  états du moi traumatisés  parties formées à la suite de trauma et états du moi associés à des symptômes Catégorie « malveillants »  Critiques intérieures (1) ; les interdictions d’action (2) ; liés à l’agresseur (3) Agresseur = identification à l’agresseur, loyales à l’agresseur, agressives et auto-dommageables.

Conclusion Le concept d’état du moi est souvent pris en considération pour être comparé avec d’autres concepts. Pourtant issus de bases théoriques différentes donc attention aux comparaisons. Un souvenir agréable de l’enfance correspond à un état du moi, tout autant qu’un symptôme poster- traumatique, un alter dans un TDI, ou encore ce qu’on appelle une facette de la personnalité

Les outils diagnostiques

Les outils diagnostiques DES: Dissociative Experience Scale (EED) (Bernstein & Putnam, 1986; Carlson & Putnam, 1993) SDQ 20/5: Somatoform Dissociation Questionnaire (Nijenhuis et al. 1996, 1997, 1998b) MID: Multidimensional Inventory of Dissociation (Dell, 2002, 2006a) DIS-Q: Dissociation Questionnaire (Vanderlinden, 1993) SCID-D-R: Structured Clinical Interview for the DSM-IV Dissociative Disorders- Révisé (Steinberg, 1995, 2000) Questionnaire pour Troubles Dissociatifs et autres symptômes liés à des traumatismes (S. Boon, N. Drajer & H. Matthess, 2007)

DES: Dissociative Experience Scale (EED) Échelle des Expériences Dissociatives (Bernstein & Putnam, 1986) C’est un auto-questionnaire 28 questions : On calcule le score moyen Avec un score supérieur ou égal à 25 on peut commencer à se poser la question d’un trouble dissociatif. Score moyen de la population générale : Entre 3,7 et 7,8 Score moyen dans une population psychiatrique hospitalisée : entre 14,6 et 17,0. Ce questionnaire n’est a utilisé uniquement avec des personnes majeurs.

Le SDQ-20 peut avoir un score de 20 à 100  score seuil : 29 Somatoform Dissociation Questionnaire (Nijenhuis et al. 1996, 1997, 1998b) 20 questions centrées sur la perception du corps et une évaluation des perceptions sensorielles. Précaution : pour chaque question, il faut vérifier qu’il n’existe pas une cause organique connue. SDQ-5 :On peut utiliser une version courte comprenant uniquement les items 4, 8, 13, 15, and 18 du SDQ-20 Interprétation : Le SDQ-20 peut avoir un score de 20 à 100  score seuil : 29 Le SDQ-5  score de 5 à 25  score seuil : 8

Multidimensional Inventory of Dissociation (Dell, 2002, 2006a) MID Multidimensional Inventory of Dissociation (Dell, 2002, 2006a) Questionnaire en 218 items  168 sur la dissociation et 50 de validité On est que sur de la dissociation pathologique (par ex pas d’absorption) 23 symptômes dissociatifs différents Questionnaire long à passer  entre 30 et 90 minutes. Interprétation à l’aide d’un manuel et d’un logiciel Le logiciel est à demander à l’adresse suivante (possibilité de télécharger le manuel en anglais) http://www.mid-assessment.com/mid-and-manual/

La dépersonnalisation La déréalisation La confusion d’identité SCID-D-R Entretien Clinique Structuré pour le Diagnostic des Troubles Dissociatifs selon le DSM-IV. Évalue l’occurrence, la qualité, la fréquence et la sévérité des symptômes dissociatifs fondamentaux comme: L’amnésie La dépersonnalisation La déréalisation La confusion d’identité Et l’altération de l’identité Un instrument de diagnostic bien accepté (Steinberg, Hall, Lareau, & Ciccetti 2001) Excellentes propriétés psychométriques (Boon & Draijer, 1993; Rodewald, 2005; Steinberg, Rounsaville, & Cicchetti, 1990).

S’inspire du SCID-D et du SDQ-20 SCID-D-R Questionnaire pour Troubles Dissociatifs et autres Symptômes liés à des Traumatismes (S. Boon, N. Draijer & H. Matthess ; 2007) S’inspire du SCID-D et du SDQ-20 Cotation par rapport aux catégories diagnostiques de la CIM-10 et du DSM-IV 24 dimensions questionnées: des troubles somatiques et somatoformes, en passant par l’usage de substances, des troubles du sommeil, du comportement alimentaire, de l’humeur, d’anxiété, TOC, auto-destruction, dissociatifs Contient des indications pour le clinicien d’évaluation d’une suspicion d’imitation ou de diagnostic erroné de TDI Évaluation non-verbale de l’interviewé par le clinicien

Pour aller plus loin Vous pouvez retrouver les différents questionnaires, de l’aide pour les coter, des formations... Ici : http://www.irpt.ch/fr/infos-utiles--documents.html

Dissociation et Recherche

Hippocampe et TDI Chalavi, S., Vissia, E. M., Giesen, M. E., Nijenhuis, E. R. S., Draijer, N., Cole, J. H., … Reinders, A. A. T. S. (2015). Abnormal hippocampal morphology in dissociative identity disorder and post-traumatic stress disorder correlates with childhood trauma and dissociative symptoms: Hippocampal morphology in DID and PTSD. Human Brain Mapping, 36(5), 1692‑1704. Le volume de l’hippocampe est plus petit chez les enfants TDI qui chez les enfants tout venant  article complète celui de Ehling et al. (2007)  Hippocampe chez l’adulte Structures impliquées dans la mémoire autobiographiques et les fonctions intégratives.

Hippocampe et TDI Après une psychothérapie longue, les personnes TDI ont retrouvé des volumes normaux (Ehling et al. ; 2003) Des personnes TDI montrent des différences EEG anormales par rapport à des personnes tout venant (Hopper et al. 2002, Kowal 2005, Putnam et al. 1993)

Diminuée dans les régions orbito-frontales TDI et biologie (Sar et al. 2001): Des personnes TDI, comparées avec des sujets non dissociés, avaient une circulation sanguine : Diminuée dans les régions orbito-frontales Le cortex orbitofrontal (OF) est une région du cortex cérébral qui entre en jeu dans le processus de décision.  Augmentée dans les régions temporales latérales G Chez l'Homme, c'est une zone importante pour de nombreuses fonctions cognitives, dont l'audition, le langage, la mémoire et la vision des formes complexes.

TDI et biologie Revue de Nijenhuis, Van der Hart & Steele (2002): les parties dissociatives chez le sujets DID montrent des différences de mesures psychobiologiques, qui ne peuvent pas être reproduites par des personnes contrôle à qui on a appris à simuler ce tableau clinique Conductance de la peau Potentiels évoqués visuels La mesure des potentiels évoqués visuels (PEV) repose sur l'enregistrement des modifications de l'activité cérébrale liées à une stimulation visuelle. Variables du système nerveux autonomes (sympathique et parasympathiques) Fréquence cardiaque, pression artérielle, respiration, digestion… Activation physiologique  état d’alerte, sensibilité perceptive, rapidité du traitement cognitif et réponses motrices plus rapides.

Etudes Reinders et al. 2003  Les pattern de circulation sanguine (PET) sont différents chez PAN et PE dans une groupe de femme TDI 2006  On propose à des femmes TDI de lire scripts neutres et des scripts lié à un trauma dont uniquement une PE avait connaissance. On observe plusieurs choses : Lors de la lecture du script traumatique, le débit sanguin est différent entre PAN et PE alors qu’il n’existe pas de différence pour le script neutre. Lors du script traumatique, la PAN réagit de manière neutre. La PE est elle fortement activée (pouls augmente, tension artérielle augmente, la fréquence cardiaque diminue…) La PAN montrait plus d’activation dans les zones préfrontales, pariétales et occipitales La PE avait plus d’activation dans l’amygdale, l’insula et les cortex sensorimoteurs.

Particularités de la prise en charge

Méthode psychothérapeutique de Pierre janet La méthode psychothérapeutique de Pierre Janet comprenait les étapes suivantes : La stabilisation L’exploration de la modification de réminiscences traumatiques La réintégration de la personnalité et la réhabilitation

La stabilisation Il faut tout d’abord stabiliser les symptômes. Repos (hospitalisation), simplification du rythme de vie, formation de relations thérapeutiques… On peut aussi des techniques psychothérapeutiques comme l’hypnose pour soulager les insomnies, les états amnésiques… Les succès à ce stade améliorent le rapport avec le thérapeute et facilite la récupération des souvenirs traumatiques (par hypnose, EMDR, ICV…) L’idée est de garder le sujet dans le fenêtre de tolérance.

La modification de réminiscences traumatiques Exposition des souvenirs traumatiques 1. Réduction directe, utilisation une technique appelée la neutralisation 2. Substitution, où les souvenirs traumatiques sont remplacés par des images neutres ou positives 3. Thérapie par reformulation (reframing)

Réintégration de la personnalité et réhabilitation L’assimilation des idées fixes traumatiques est nécessaires mais insuffisante Prévention de la rechute Réintégration de la personnalité Gestion du restant des symptômes Réutilisation de la stabilisation pour prévenir les rechutes et continuer le travail thérapeutique

Amnésie L’amnésie dissociative est souvent rétrograde. Rétrograde  amnésie d’évocation  problème de mémoire à long terme Détérioration partielle ou totale de : La mémoire sémantique : connaissance actuelle sur le monde, définitions des concepts abstraits… La mémoire épisodique (ou iconique) : processus par lequel l’humain se souvient de ce qu’il a vécu avec leur contexte (date, lieu et état émotionnel). Très rarement antérograde (ce qui suit l’événement) Cela peut poser problème lors de la prise en charge (peur de ne pas être cru…) ou lors d’un éventuel dépôt de plainte (difficultés à être clair dans les faits…)

Réticences Les patients peuvent avoir des réticences à divulguer l’information même connue De la honte Familiarité importante Convictions fortes  « si vous me connaissiez vraiment, vous ne voudriez même plus parler » Symptômes schneideriens Voix qui blâment par exemple Dimension transgénérationnelle des traumatismes Inceste qui se répète dans la famille Suicides Conflits familiaux …

particularités Peur d’une déstabilisation majeure Accentue l’évitement Ce qui peut poser problème : travailler trop rapidement avec ce type de patient peut amener le patient à ne plus consulter de peur d’être déstabiliser (ce qui amène ce type de patient à multiplier les thérapeutes…) Dysfonctionnement devenu familier Les patients dissociés s’habituent à leurs dysfonctionnements, ils deviennent familier. Lorsque ces dysfonctionnements disparaissent, les patients peuvent entrer en état de méfiance/stress/malaise L’investigation des troubles dissociatifs est en soi déstabilisante Les circonstances de vie souvent chaotiques : précarité, déficit social, culturel…

Trouble de personnalité borderline Dépression Particularités Comorbidité: Trouble de personnalité borderline Dépression Troubles traumatiques du développement Troubles de conversion Autres troubles de la personnalité: narcissique, paranoïaque Délimitation avec les psychoses … Thérapies longues: de nombreux facteurs extérieurs, difficilement contrôlables

Pourquoi la thérapie centrée sur la parole ne suffit pas Pourquoi la thérapie centrée sur la parole ne suffit pas ? (Delucci, 2010) Il existe deux types de mémoire différents: (Brewin, 2001, Brewin et al. 1996) mémoire sémantique contenant le discours, les représentations, les croyances, mémoire iconique qui contient du matériel non verbal comme des images, des émotions, des sensations physiques Si une personne a des réseaux neuronaux traumatiques, des émotions débordantes peuvent être déclenchées, ce qui peut être handicapant, et mener à l’épuisement Plus les personnes souffrent de troubles dissociatifs, plus elles déconnectent leurs émotions et sensations corporelles de leurs contenus mentaux Tant que des réseaux neuronaux non stabilisés existent, il y a un risque de décompensation

Conclusion (Piedfort-Marin (2017) La réponse n’est pas la définition qu’on donne aux souvenirs traumatiques : état du moi, mode, mémoire stockée de manière dysfonctionnelle ou partie émotionnelle de la personnalité… Les questions à se poser sont plutôt les suivantes : Quelles sont les capacités de régulation émotionnelles? Capacités à entrer en contact VS éviter le trauma Capacités à retraiter ou intégrer le trauma ? Degré d’émancipation de la PE ou de l’état du moi ? Actions mentales et motrices de la PE ? Empathie et acceptation des PE entre-elles ?