Mutilations génitales féminines (MGF) : état des lieux, conséquences sur la santé et la sexualité des femmes Marie Lesclingand Démographe Maîtresse de.

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Transcription de la présentation:

Mutilations génitales féminines (MGF) : état des lieux, conséquences sur la santé et la sexualité des femmes Marie Lesclingand Démographe Maîtresse de conférence à l’UNS Unité de recherche « Migrations et Sociétés » Les mutilations génitales féminines (dont l’acronyme est MGF) plus connues en France sous le terme d’excision, sont l’une des nombreuses formes de violences faites aux femmes dans le monde. La protection contre le risque de MGF est d’ailleurs devenue un motif recevable de demande d'asile dans plusieurs pays européens : depuis 2009, le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR) reconnaît que la crainte d’une fille ou d’une femme d’être soumise à une MGF est l’un des cinq motifs permettant d’accéder au statut de réfugié. À la demande des organisatrices de la table ronde, je vais centrer ma présentation sur ces formes de violences avant la migration, en m’attachant à faire un état des lieux de la situation des MGF aujourd’hui dans le monde en répondant à quelques grandes questions : Quelles sont les justifications de ces pratiques ? Combien de femmes et fillettes concernées ? Où vivent-elles principalement ? Quelles sont les répercussions sur la santé des femmes concernées ? Et quelles sont les tendances récentes de la pratique ? Vendredi 30 mars 2018, table-ronde « Violences, asile et demandeuses d’asile »

Évolution des termes employés De la « circoncision féminine » envisagée comme une « pratique rituelle »… … aux « mutilations génitales ou sexuelles féminines » (MGF) Pratique inscrite dans un système inégalitaire de rapports entre les sexes Pratique aux conséquences néfastes sur la vie reproductive et sexuelle Définition des MGF (OMS, 1997) : « Toutes les interventions aboutissant à une ablation partielle ou totale des organes génitaux externes de la femmes pratiquées à des fins non thérapeutiques » Clitoridectomie : excision du prépuce, avec ou sans excision partielle ou totale du clitoris Excision : excision du clitoris avec excision partielle ou totale des petites lèvres Infibulation : excision de la totalité ou d’une partie de l’appareil génital externe et suture/rétrécissement de l’ouverture vaginale Autres : Toutes les autres interventions nocives pratiquées sur les organes génitaux féminins à des fins non thérapeutiques. Les termes utilisés pour nommer ces pratiques ont évolué en parallèle de la mobilisation internationale contre cette forme de violence faite aux femmes. En 1958, alors que l’ONU se saisit pour la première fois de ce sujet, ces pratiques vont être décrites comme « des opérations rituelles fondées sur la coutume ». Ce n’est qu’à partir du milieu des années soixante-dix, sous l’influence des mouvements féministes, que de nouvelles études vont, d’une part remettre en cause le parallélisme avec la circoncision masculine et appréhender ces pratiques comme des formes de violences de genre et d’autre part, mettre en exergue les conséquences néfastes sur la santé des femmes et des fillettes. Au cours des années 1990, le vocabulaire va se stabiliser et ces pratiques, désormais appréhendées comme une forme de violation des droits humains et une atteinte grave à la santé, vont être qualifiées de « mutilations ». Le terme de « mutilations génitales ou sexuelles féminines » désigne toutes les interventions aboutissant à une ablation partielle ou totale des organes génitaux externes de la femme et/ou toute autre lésion des organes génitaux féminins pratiquées à des fins non thérapeutiques (OMS, 1997). On distingue trois principales formes selon l’ampleur des tissus enlevés allant de la forme la moins invasive (clitoridectomie) en passant par l’excision (forme la plus répandue, notamment en Afrique de l’Ouest), jusqu’à l’infibulation (qui sont plus rares et localisées à l’est du continent africain).

Une pratique inscrite dans un système de genre inégalitaire Pratique longtemps analysée comme un rite de passage, analogue à la circoncision masculine Approche remise en question dans les années 70 : Non-équivalence des deux pratiques (atteinte à l’intégrité corporelle, rituels différents) Disparition de cette dimension rituelle aujourd'hui Grande variété des justifications de la pratique selon les populations (ambivalence sexuelle à supprimer, impératif de « purification », condition nécessaire au mariage puis à la procréation, maitrise des pulsions sexuelles de la femme) Inscription de la pratique dans les rapports sociaux inégalitaires entre les hommes et les femmes Dé-viriliser la femme afin de la mettre en situation de subordination Maitrise d’une sexualité féminine perçue comme potentiellement excessive Pendant longtemps, ces pratiques ont été analysées comme des rites de passage, en comparaison avec la circoncision masculine. À partir des années 1970, ces approches vont être remises en question en contestant l’équivalence de la circoncision et de l’excision, en termes d’atteinte à l’intégrité corporelle, de formes de rituels – les rituels de circoncision masculine sont présentés comme des rituels collectifs, socialement très valorisés, ceux liés à l’excision sont présentés comme un rite abrégé, familial et centré sur l’individu. Cette dimension rituelle a d’ailleurs aujourd’hui quasiment disparu, les excisions étant réalisées en grande majorité avant l’âge de 10 ans et pratiquées de manière individuelle, non rattachées à des cérémonies collectives. Mais c’est surtout à partir des différentes justifications de la pratique, très variables d’une population à l’autre - ambivalence sexuelle ou androgynie originelle à supprimer, impératif de « purification », condition nécessaire au mariage puis à la procréation, obligation de maitrise des pulsions sexuelles pour préserver la virginité de la jeune femme puis la fidélité de l’épouse - que l’excision peut être rattachée à la question des rapports sociaux entre les sexes. Dans de nombreuses sociétés, le clitoris qui est, d’un point de vue anatomique, l’équivalent de la verge représente la « partie masculine » dont le sexe féminin est pourvu à la naissance. L’excision vise au final à dé-viriliser la femme afin de réduire son pouvoir au contraire de la circoncision qui sur-virilise l’homme pour accroître son pouvoir - le prépuce masculin représentant la partie féminine du sexe masculin -. En outre, il s’agit de maitriser une sexualité féminine perçue comme potentiellement excessive afin de préserver la virginité de la femme puis la fidélité de l’épouse. Il faut rappeler ici que cette représentation d’une sexualité féminine « dangereuse » n’est pas spécifique aux populations concernées par les pratiques d’excision. En effet, cet « en-trop » féminin à contrôler voire même à supprimer est symptomatique de la mise en œuvre des clitoridectomies pratiquées tout au long du XIXème en Europe et aux États-Unis pour soigner les maux et comportements jugés déviants de femmes manquant de tempérance sexuelle.

Une pratique mondialisée Environ 200 millions de fillettes et de femmes mutilées dans le monde en 2016 (UNICEF, 2016) Tous les continents concernés : 27 pays du continent africain Proche-Orient (Yémen, Irak) Asie du Sud-Est (Indonésie et Malaisie) Pays d’immigration (Europe, Amérique du Nord, Australie Une répartition géographique inégale liée au Niveau de la pratique dans le pays Poids démographique du pays La moitié des femmes et fillettes mutilées dans le monde résident dans 3 pays seulement (Indonésie, Éthiopie et Égypte) La dernière estimation réalisée par l’UNICEF (publiée en février 2016) évalue à environ 200 millions le nombre de fillettes et de femmes mutilées dans le monde aujourd’hui. Longtemps cantonnées au continent africain de par leur origine géographique et par le nombre important de pays africains concernés (27), ces pratiques sont aujourd’hui observées sur presque tous les continents, pour deux raisons : d’une part, des études récentes ont documenté l’ampleur du phénomène dans d’autres régions, comme dans certains pays du Proche et Moyen-Orient - Irak et Yémen notamment - et en Asie - particulièrement en Indonésie et en Malaisie - ; d’autre part, du fait de la mondialisation des flux migratoires avec l’installation de familles - originaires des régions où les MGF sont pratiquées - dans les pays européens ou de l’Amérique du Nord. La répartition géographique de ces filles et de ces femmes est à la fois liée au niveau de la pratique (mesurée par la proportion de femmes mutilées) et au poids démographique des pays. Ainsi, la moitié des femmes et fillettes mutilées dans le monde résident dans trois pays seulement : l’Indonésie (256 millions d’habitants et 51% des femmes mutilées), l’Ethiopie (98 millions, 74% de FGM) et l’Egypte (89 millions / FGM : 92%).

Des niveaux de la pratique très contrastés sur le continent africain Sur le continent africain, la moitié des pays (27) sont concernés par les MGF avec des niveaux très contrastés entre les pays. Tout d’abord, toute l’Afrique australe et l’Afrique du Nord (à l’exception de l’Égypte) ne sont pas concernés. Les MGF sont pratiquées dans des pays formant une large bande centrale d’ouest en est avec des zones où le niveau de la pratique est très élevé, comme dans plusieurs pays à l’Ouest du continent (Mali, Guinée, Sierra Leone) et à l’Est (Égypte, Soudan, Éthiopie, Somalie). À l’inverse, dans plusieurs pays, la pratique touche des populations minoritaires (Cameroun, Togo, Bénin, Niger). Source : Enquêtes EDS et MICS les plus récentes

Les conséquences des MGF sur la santé reproductive et sexuelle et leur prise en charge Distinction de trois types de complications sanitaires (OMS, 2000) Risques immédiats Risque de long terme Risques spécifiques aux pratiques d’infibulation Conséquences les plus fréquentes : Risque immédiats : saignements excessifs, rétentions d’urine, inflammations et problèmes de cicatrisation Risques à long terme : infections et problèmes uro-génitaux, dysfonctions sexuelles, risques obstétricaux (césarienne, hémorragies post-partum, détresse respiratoire des nourrissons) Deux principales formes de prise en charge des séquelles des MGF Les dé-infibulations (pratiquées dans les pays concernés et dans les d’immigration) recommandées par l’OMS Les réhabilitations clitoridiennes (pratiquées dans quelques pays d’immigration et quelques pays africains) en cours d’évaluation Il est maintenant clairement établi que les MGF ont des conséquences délétères sur la santé et la sexualité des femmes. L’OMS distingue trois types de complications sanitaires : les risques immédiats qui sont consécutifs à l’acte de mutilation lui-même ; les risques de long terme ; les risques spécifiques liés aux pratiques d’infibulation (problèmes urinaires et menstruels majeurs, des dé-infibulations forcées lors des rapports sexuels et des accouchements, des douleurs et dysfonctions sexuelles systématiques). Si les complications immédiates sont difficiles à mesurer, d’après les enquêtes fiables disponibles, on peut estimer que les conséquences les plus fréquentes sont les saignements excessifs et les rétentions d’urine, suivies par les inflammations et les problèmes de cicatrisation. Concernant les risques à plus long terme, plusieurs études montrent que les MGF entrainent des infections et des problèmes uro-génitaux tout au long de la vie ainsi que des dysfonctions sexuelles (allant du manque de désir sexuel à des douleurs systématiques lors des rapports sexuels). Enfin les complications obstétricales sont aussi très fréquentes : césarienne, hémorragies post-partum, détresse respiratoire des nourrissons, mortalité néo-natale qui double pour les femmes mutilées. A partir des années 1990, la prise en charge des séquelles des MGF a été développée sous différentes formes : Les opérations permettant de traiter les séquelles liées aux MGF de type III (avec couture des grandes lèvres) ont été évaluées dans le cadre de recherches cliniques et font maintenant l’objet de recommandations médicales validées par l’OMS : il s’agit des opérations de dé-infibulation (chirurgie reconstructive du tissu cicatriciel causé par la suture des grandes lèvres lors de l’infibulation) ; Les opérations permettant de traiter les séquelles liées aux clitoridectomies sont en cours d’évaluation par les autorités de santé internationales et nationales : il s’agit des opérations de réhabilitation clitoridienne, chirurgie développée par un urologue français, Pierre Foldès. L’opération consiste à libérer le moignon clitoridien et à lui faire retrouver une position physiologique. En Europe, jusqu’à très récemment, elle n’était pratiquée qu’en France (maintenant aussi en Belgique et en Suède) et elle est également pratiquée au Sénégal, au Burkina-Faso et en Côte d’Ivoire. Mais ces prises en charge, plutôt développées dans les pays d’immigration, ne touchent au final qu’une minorité des femmes mutilées.

Les tendances récentes Des pratiques moins fréquentes dans les jeunes générations Notamment dans les pays où la pratique n’était pas majoritaire; Stabilité dans plusieurs pays où la pratique est très élevée La médicalisation de la pratique Des MGF pratiquées majoritairement par des praticiennes « traditionnelles »… Mais une tendance récente à la médicalisation de la pratique (Égypte, Kenya, Guinée, Nigeria, Soudan du Sud, Indonésie, Yémen : entre 30 et 80%) Des MGF pratiquées à des âges plus jeunes Dans la plupart des pays où des informations sont disponibles à plusieurs dates, les pratiques apparaissent en diminution au fil des générations. Leur baisse semble plus rapide dans les pays où elles sont peu répandues : c’est par exemple le cas de la Côte d’Ivoire, du Nigeria ou du Kenya où la pratique tend à être de moins en moins valorisée et une grande majorité de la population ne la reconnaît plus comme une obligation sociale. Dans les pays à forte prévalence, les MGF restent encore une norme sociale très forte : c’est le cas par exemple du Mali et de la Guinée, deux pays dans lesquels plus de 9 femmes sur 10 sont mutilées, où aucune évolution entre générations n’est encore perceptible et où les opinions des hommes et des femmes en faveur de la perpétuation de la pratique sont également toujours élevées et stables dans le temps. Si dans la majorité des cas, les mutilations continuent à être faites par des praticiennes « traditionnelles » (exciseuses ou matrones), dans plusieurs pays (Égypte, Guinée, Indonésie, Kenya, Nigeria, Soudan du Sud, Yémen), de plus en plus de filles sont excisées par des professionnel·le·s de santé en milieu médical. Il s’agit d’un dévoiement des premières campagnes de sensibilisation axées sur les conséquences néfastes sur la santé des petites filles de l’excision traditionnelle, laissant penser que les risques sanitaires seraient réduits si l’acte était pratiqué par un·e professionnel·le de santé. Enfin, en parallèle de cette tendance à la médicalisation de la pratique, il est à noter que les MGF se pratiquent à des âges plus jeunes : dans la moitié des pays disposant de données sur l’âge à l’excision des filles, la majorité des filles l’auraient subie avant 5 ans. Ces données sur les filles doivent néanmoins être interprétées avec prudence car ce rajeunissement est en partie dû à un effet de césure, sachant que parmi les filles non encore mutilées, certaines le seront plus tard.

MGF et asile Effectifs des demandes d’asile de mineures accompagnantes originaires d’un pays à risque de MGF et effectifs des filles protégées contre le risque de MGF. Période 2011-2016 Source : Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides (OFPRA) Pour terminer et pour faire le lien avec les interventions qui suivront sur la situation spécifique des femmes dans les demandes d’asile, je voudrais vous présenter quelques données que j’ai récupérées à la fin de l’année 2017 auprès de l’OFPRA dans le cadre d’une expertise européenne et qui sont relatives à la situation des mineures demandeuses d’asiles et originaires des pays à risque de MGF. La courbe en rouge présente l’évolution des effectifs des demandes d’asile de mineures accompagnantes originaires de pays à risque de MGF : elles concernent principalement (plus de 80%) des mineures âgées de moins de 10 ans. Jusqu’en 2013, les principaux pays d’origine concernés sont la Guinée (FGM : 97%), le Mali (FGM : 92%), le Nigeria (FGM : 25%) et la Côte d’Ivoire (FGM : 38%). A partir de 2014, l’Irak (FGM : 8%) fait partie des 4 pays les plus représentés (avec toujours la Guinée et le Mali). Selon les années, l’OFRPA accorde la protection contre le risque de MGF entre un tiers et près de la moitié des fillettes originaires des pays à risque dont les 2/3 sont originaires du Mali et de la Guinée. Pour les femmes majeures demandeuses d’asile, originaires des pays à risque et qui sont déjà « mutilées », la protection contre le risque de MGF n’est plus pertinente mais la question des conséquences des MGF sur leur santé reproductive et sexuelle et celle de la potentielle prise en charge de ces séquelles pourrait être davantage prise en compte dans l’évaluation de la vulnérabilité des femmes demandeuses d’asile.