L’école inclusive Une réponse aux défis de la diversification des personnels de l’enseignement ? Recherche-action à Bruxelles Altay Manço et Charlotte Gouverneur
« Le but ultime de l’éducation inclusive est d’en finir avec toute forme de discrimination et de favoriser la cohésion sociale » (UNESCO) L’école comme lieu de travail – dont les travailleurs, à l’image des ses utilisateurs, sont culturellement hétérogènes Inspiration théorique des travaux de Pichault et Nizet (1995, 2000) – gestion des contraintes imposées à l’organisme par l’environnement socioculturel Les contraintes poussent les organismes (les écoles) à agir en matière de gestion des diversités : – Actions planifiées, suivant une charte ? – Le plus souvent, écoles réactives plutôt que proactives – Par à-coup, en ordre dispersé – Chaque organisme est constitué de sous-structures porteuses de sensibilités différentes, pouvant entrer en concurrence les unes avec les autres
Critères d’inclusivité des écoles en matière de gestion des ressources humaines Dimension organisationnelle : assurer la représentation et le brassage des diversités – Favoriser et valoriser la diversité et la mixité au sein du personnel (origines, cultures, philosophies, etc.) – Développer de projets réunissant le personnel – Proposer des actions transversales entre les « sous-structures » de la communauté scolaire Dimension développementale : assurer à tous des chances égales d’évolution, de bien-être en veillant à l’équité – Promouvoir le développement personnel et professionnel de chacun (formation continue, accompagnement) – Inciter à la citoyenneté active et à la prise d’initiative (ouverture sur la cité, les parents, les associations…) Dimension gestionnaire : assurer la confiance, le dialogue et la participation de chacun – Proposer des espaces de concertation à l’ensemble de la communauté scolaire – Obtenir la participation effective des différentes catégories
La question principale de la recherche-action Comment accompagner les communautés éducatives afin de favoriser la participation, le bien-être et le développement de tous, en veillant au besoin de sécurité et de reconnaissance de chacun ?
Méthodologie Mise en place de plans d’actions, de concertation, de médiation et de coordination – pour faire rencontrer, coopérer et progresser le système, ses sous-systèmes et ses acteurs Présence d’un accompagnateur externe : le faire faire – concentrer les énergies – faire émerger les projets souhaités par le personnel – renforcer les acteurs dans la résolution des problèmes Diagnostic d’entrée – identifier les dynamiques, les racines des malentendus et dysfonctionnements, les désirs, les potentialités au sein de l’école – 30 interviews, examens de documents, forums Renforcer ce qui s’y fait déjà en termes d’inclusion, l’ouvrir vers d’autres cercles, pérenniser Régénérer des pratiques de négociation et de médiation Eviter un fonctionnement dépendant de la recherche-action, la surcharge de tâches non soutenables Formation continuée in situ Diagnostic de sortie et comparaison inter sites (une autre école à Charleroi) – à venir Systématisation des connaissances produites Recommandations pour les décideurs en matière de formation continue des enseignants Développement d’une offre d’accompagnement et d’outils de pilotage d’école : – Outils d’intervention, d’évaluation, référentiel pour un poste de coordinateur… – Publications diverses formes
Description de l’école cible à Bruxelles Ecole secondaire de 570 élèves et 75 enseignants sur 3 sites – Humanités générales (60 % des élèves) – Humanités technologiques de qualification (20 %) : infographie… – Enseignement professionnel (20 %) : habillement, électricité, bois – Enseignement « différenciée » durant le premier cycle des humanités générales : élèves en difficulté ou primo- arrivants (14 %) Un élève sur dix de nationalité étrangère 60 % de Belges d’origine marocaine – 45 % des délégués de classe sont belges d’origine marocaine Une des quatre écoles secondaires de Bruxelles (sur 98) à autoriser le port du foulard islamique – Polémique : une douzaine d’articles en 2012
Enseignants : Plus de 40 % sont belges d’origine marocaine Belges d’origine marocaineBelges d’origine belge 80 % d’hommes Plutôt jeunes enseignants Plutôt branches techniques « Article 20 » (métiers en pénurie, formations complémentaires, recherche de stabilisation par l’action syndicale) Habitant la proximité de l’école Rapport de proximité aux familles (remarques sur l’accoutrement et le comportement ; organisation des parents…) 60 % de femmes Plutôt enseignents expérimentés Plutôt branches littéraires Enseignants statutaires Habitant en dehors de Bruxelles (temps de présence réduit à l’école) Rapports professionnels avec les élèves/parents
Prolongation de la zone de démarcation entre familles et école au sein du personnel « Lutte des places » ? – Quand la « minorité » devient peu à peu la « majorité » – Nombre d’élèves dans les différents cours de religion et de morale – Question sur l’origine des professeurs de religion islamique (Turcs/Arabes) Ethnicité ? Concurrence entre générations de professionnels ? Apparition récente de membres d’origine marocaine au sein de l’équipe de direction Changement récent de la délégation syndicale, actuellement tous d’origine marocaine Moins de 20 % des membres de l’Amicale de l’école (coopérative financière) sont belges d’origine marocaine Relais constant vers la presse locale de faits internes à l’école
Sous-structures de l’école Concertation syndicale (décret) Conseil de participation (décret) Amicale des enseignants Conseil de directionAssociation des parents Espace parole Commissions sections Conseil des élèves
Manque d’un plan d’ensemble et d’un médiateur/coordinateur Certains espaces sont inutilisés, d’autres sous investis, d’autres focalisées sur des questions pratiques Aucune commission n’aborde réellement les questions relationnelles au sein de l’école Les dimensions relationnelles sont également absentes des formations continues que suivent les enseignants L’inspection apparait peu disponible et peu sensible aux dimensions psychosociales de la gestion scolaire Le projet de l’établissement répond aux attendus administratifs présente des activités qui ne sont pas à jour Les dimensions émotionnelles et les besoins de sécurité identitaire et de reconnaissance ne sont pas pris en compte Certaines de ces sous-structures sont en concurrence les unes avec les autres – Les instruments de la construction d’une cohésion sociale sont présents, de même que les acteurs motivés dont une partie non négligeable est issue de l’immigration
Mise en œuvre d’une « cellule participative » Rencontres mensuelles (1/2 j) Un noyau de participants : enseignants des cours philosophiques, éducateurs, représentants des parents, représentants de la direction Implications des enfants à partir d’un forum sur les relations enfants/adultes Large diffusion des notes via un ling Mise en lien aves des ressources externes (associations, anciens…) Accompagnement individualisé de certains acteurs
Objectifs de l’intervention de 3 ans (3 e année en cours) : Mieux identifier les objectifs, la composition, les forces et les faiblesses de chaque instance interne Contribuer au fonctionnement plus durable, plus inclusif, plus valorisant de chaque instance Contribuer à construire des coopérations durables entre ces instances Travailler l’intégration des trois sites de l’école Contribuer à construire des coopérations durables avec des entités extérieures – Fédérations d’associations de parents, d’autres écoles et associations Identifier et renforcer un ou plusieurs acteurs « coordonnateurs » pour pérenniser les synergies
Résultats Cellule participative = espace durable de partage d’informations, de concentrations, de débat, de soutien moral, matériel Actions : – Mise en place d’une association de parents – Mise en place d’un association d’anciens – Mise en place d’un forum « dialogue adultes/enfants » Menées en concertation avec plusieurs sous-structures et associations externes Début de réponse pour l’ensemble des critères d’inclusivité En 2014, 5 articles de presses ont parlé de l’école dont 4 à propos de ses réalisations et 1 sur ces problèmes, la proportion inverse des années précédentes Pour 2015, le souhait de la direction de travailler l’homophobie au sein du forum enfants/adultes…
Ce qui reste à faire Consolider les liens entre les diverses sous- structures de l’école Pérenniser le processus participatif Effectuer le diagnostic de sortie afin de mesurer le chemin parcouru Sur le long terme, vérifier si les innovations initiées résistent au retrait progressif des chercheurs Effectuer un travail de systématisation du modèle, tout en souplesse pour l’adaptation à d’autres contingences locales
Conclusions et perspectives Le modèle d’école inclusive offre une réponse concrète et cohérente aux défis de la diversification socioculturelle du personnel de l’enseignement La gestion participative des actions avec les acteurs est la dimension qui permet de les pérenniser, car les acteurs intègrent des connaissances et des expériences qui peuvent les aider à dupliquer (Pichault, 2008) Les écoles sont prises entre un discours vantant la participation et la citoyenneté, d’une part, et la diminution des moyens et du soutien réels à la concrétisation de ce discours Elles en arrivent à dire des contrevérités dans les rapports qu’elles adressent aux inspections qui ne les contrôlent pas toujours sur ces dimensions-là Si certaines réalisations dans les écoles sont pourtant remarquables, elles sont le fruit de l’acharnement de quelques enseignants ; elles disparaissent aussitôt que ces personnes partant ailleurs Les outils ne manquent pas tant au niveau institutionnel que pédagogique, mais ils sont sous-utilisés ou vidés de leurs contenus comme le conseil de la participation ou l’offre de formation continue pas assez centrée sur les compétences relationnelles Les transversalités existant dans le système scolaire touchent d’autres urgences (manque de locaux scolaires à Bruxelles, accueil des primo-arrivants…)
On note – Le besoin de coordination et d’une intervention extérieure à l’école – La participation croisée des membres de la communauté scolaire aux diverses instances internes – La diversification et la négociation des activités proposées pour embrasser diverses sensibilités – L’adaptation de la formation initiale et continue des personnels éducatifs à la gestion collaborative – Le développement de l’expertise en ce domaine – La constitution d’un corps de modérateurs intervenant durablement dans les écoles