Colloque « Les réformes de l’administration vues d’en bas » Colloque « Les réformes de l’administration vues d’en bas » Université Libre de Bruxelles, mai 2009 Le management fait-il sens pour les acteurs de la Justice ? Sur l’hypothèse d’un « archaïsme » de la magistrature en Belgique Joël FICET Université de Liège
L’essor du management judiciaire en Belgique Un contexte idéologique favorable au New Public Management (cf. le Plan Copernic) L’Affaire Dutroux crée une fenêtre d’opportunité pour l’introduction du management public dans le secteur de la Justice (accords « Octopus ») « Responsabilisation, motivation, contrôle interne et externe, mobilité, formation, nomination sur la base de projets et de profils, mandats à temps, dissociation de la fonction et de l’évolution du traitement, objectivation des nominations et promotions, informatisation, méthodes de gestion, circulation de l’information, résorption de l’arriéré, tels sont les maîtres-mots des réformes auxquelles nous devons contribuer » (Jean-Jacques Viseur, Rapporteur de la Commission Dutroux, 15 avril 1997) La loi du 22 décembre 1998 crée le Conseil supérieur de la Justice et instaure le mandat à temps pour les chefs de corps Juin 2005 : Adoption de la première « note Thémis » Loi du 26 avril 2007 modifiant le Code judiciaire en vue de lutter contre l’arriéré judiciaire
Un archaïsme de la magistrature ? L’enlisement relatif de la modernisation de la Justice en Belgique L’hypothèse d’une incompatibilité entre la culture professionnelle de la magistrature et les principes du New Public Management Reformuler la question : le discours managérial fait-il sens pour les magistrats ?
1. La réforme managériale comme injonction au changement culturel 2. Une réception différenciée de la culture managériale 3. Les dynamiques organisationnelles du changement culturel
Matériaux Une trentaine d’entretiens réalisés auprès de chefs de corps dans le cadre d’une enquête sur l’évolution de la fonction de chef de corps au regard des nouveaux impératifs managériaux ( ) ; Observations dans le cadre des formations en « techniques de management » dispensées aux magistrats ( ) ; Entretiens réalisés auprès de praticiens de la Justice concernant la mise en place de divers dispositifs de gestion (instrument de mesure de la charge de travail des magistrats du siège, démarches qualité, création de conseillers en gestion des ressources humaines dans la Justice…).
1. La réforme managériale comme injonction au changement culturel De nouvelles normes organisationnelles Efficacité, efficience, qualité, accountability… Un nouveau modèle professionnel : le « juge manager » Sens de la communication et du leadership, proactivité, « vision »…
Les profils généraux de chefs de corps : les valeurs professionnelles du chef de corps objectivées Les compétences générales (« caractéristiques humaines personnelles [et] aptitudes comportementales tangibles que l’on estime indispensables pour mener à bien la mission de chef de corps au sein de l’organisation judiciaire ») : Capacités de réflexivitéCapacités relationnellesAutres Vision Maîtrise du contexte extérieur Planification et organisation Analyse des problèmes Créativité Capacité de jugement Faculté d’adaptation Intégrité Aptitude à diriger un groupe Contrôle d’avancement Collaboration Délégation Aptitudes à l’écoute Énergie Épanouissement des collaborateurs Force de persuasion Sensibilité Sociabilité Esprit de décision Sens du service public Motivation Résistance au stress Sens de l’initiative Sens de l’organisation
2. Une réception différenciée de la culture managériale La culture professionnelle de la magistrature ne se présente pas sous la forme d’un répertoire fixe de traits partagés par tous les membres du groupe des magistrats mais comme un « espace professionnel de débat », une série d’enjeux autour desquels s’organise parmi les juges le pluralisme des opinions relativement à la nature et aux modes d’exercice de leur métier. Trois enjeux essentiels : La représentation du degré de spécificité de l’activité judiciaire : une dé-spécification de la Justice Le rapport à la loi : du légalisme à la prise en compte des attentes sociales Le rapport aux autres magistrats dans le cadre juridictionnel : de la hiérarchie à la coopération
3. Les dynamiques organisationnelles du changement culturel Les cadres culturels ne sont pas des structures transcendantes et coercitives mais des outils cognitifs et normatifs sur lesquels les acteurs s’appuient pour construire leur rapport à l’autre et pour maîtriser les jeux propres à l’action collective. « [la culture] est instrument, elle est capacité que les individus acquièrent, utilisent et transforment en bâtissant et vivant leurs relations et leurs échanges avec les autres. Valeurs, normes et attitudes font partie de cet ensemble. Elles ne sont ici que des éléments structurant les capacités des individus et des groupes et qui, par là, conditionnent mais ne déterminent jamais les stratégies individuelles et collectives » (Crozier, Friedberg) La culture professionnelle évolue dans le cours de l’action collective en fonction des perceptions individuelles des bénéfices escomptables du développement de nouvelles capacités normatives et relationnelles. Les messages normatifs extérieurs ne seront appropriés que s’ils « font sens » aux yeux des acteurs en leur proposant des anticipations de gains.
Une hétérogénéisation de la culture professionnelle des magistrats La structure organisationnelle génère des rapports différents au management. Les responsabilités exercées dans le corps La taille du corps L’appartenance au siège ou au parquet
Conclusion : transformer la perception de l’utilité du management dans l’ordre judiciaire C’est au management de démontrer qu’il peut aider les magistrats à remplir leurs missions… Pour favoriser un changement de culture professionnelle, il faut transformer la perception de l’utilité du management dans l’ordre judiciaire. Donner un contenu opérationnel aux formations en management Développer des outils managériaux pertinents Donner à l’ordre judiciaire les moyens de sa gestion