Les marchés scolaires améliorent-ils le service éducatif ?

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Transcription de la présentation:

Les marchés scolaires améliorent-ils le service éducatif ? Georges Felouzis Chaire Francqui 2015 – Université de MONS Un mot sur mon absence de la dernière fois: c’est extrêmement frustrant pour moi et pour vous aussi je pense. Aborder la question des « marchés scolaires » revient à se questionner sur les politiques éducatives, leur fonctionnement, leurs conséquences sur les inégalités scolaires.   C’est aussi une façon d’expliciter un débat qui me semble très vif aujourd’hui sur la meilleure organisation possible des systèmes éducatifs, la place de l’État, de l’offre et de la demande… . Ce débat se présente (trop) souvent sous forme dichotomique : Gestion étatique vs gestion locale de l’éducation Libre choix des parents vs aucun choix Hétéronomie vs autonomie des établissements Régulation par le marché vs par l’État

Introduction Débats vifs sur les marchés scolaires: Pour certains c’est une « provocation » (l’éducation n’est pas un bien marchand) Pour d’autre c’est une évidence (On n’a rien trouvé de mieux pour l’instant pour organiser l’échange de biens). Pour d’autres encore, le libre choix de l’école s’inscrit dans une longue tradition nationale.   Penser les marchés scolaires implique aussi de traiter de questions connexes : L’autonomie des établissements Le choix des parents La place de l’action publique

Introduction (2) Quatre questions: Comment définir les « marchés scolaires » ? Comment fonctionnent les marchés scolaires ? Quelles sont leurs conséquences ? Quelle régulation ? La dimension internationale est ici très déterminante, tant les marchés sont ancrés (encastrés) dans les spécificités nationales et prennent des formes différentes selon ces traditions.

Introduction (3) Source principale: G. Felouzis, C. Maroy, A. van Zanten, Les marchés scolaires. Sociologie d’une politique publique d’éducation, Puf, 2013 Je présente ici les analyses et résultats de l’ouvrage co-écrit avec Christian Maroy et Agnès Van Zanten sur lesmarchés scolaires.   J’ai fait une découverte lors de l’écriture de ce livre à trois : nous pensions au début être d’accord sur tout, nous nous sommes aperçus en court d’écriture que nous n’étions d’accord sur rien, et en définitive nous avons réussi à nous mettre d’accord sur l’essentiel. Ce qui montre les réelles capacités théoriques des échanges d’idées. Cela dit, c’était une expérience intellectuellement très stimulante !

I. « Marchés scolaires »: de quoi parle-t-on ? Marché: concept clé de l’économie. Offre et demande régulées par les prix. Est-il directement applicable à l’éducation (bien singulier) ? « Marchés » et « quasi-marchés »: concurrence entre établissement, choix des familles, régulation. « L’éducation est un bien très particulier où l’incertitude sur la qualité est grande, l’information difficile à obtenir et où l’ensemble des acteurs en présence participe du fonctionnement du marché de la qualité éducative » (Felouzis et Perroton, 2007) Ce concept de « marché » peut-il s’appliquer à l’éducation ?   OUI car offre et demande d’éducation OUI car une gestion étatique marche mal (Fiedman, 1951 ; Chebb and Moe, 1991) NON car l’éducation n’est pas un bien marchand NON car c’est un « bien singulier » (Kaprik, 2006); la perception de la qualité est difficile à établir. Le prix ne dit rien ou presque sur la qualité. Les différents acteurs qui participent au marché: les parents le choix), les élèves leur qualité), les établissements scolaires (comment recruter une clientèle ?), l’administration scolaire (régulet ET participer au marché)

Marchés et traditions scolaires Les marchés scolaires prennent des formes très différentes selon les politiques éducatives et les traditions scolaires de chaque pays: France: marchés non officiels Belgique: liberté de choix inscrit dans la constitution; quasi marchés Angleterre: quasi-marchés depuis le Education Reform Act de 1988 Etats-Unis: premières formes avec les vouchers, crédits d’impôt, Charter School.

Une typologie des marchés scolaires Diversité des formes de marchés scolaires. Démarche analytique pour en définir les différentes formes (place de l’action publique, critères de jugement, acteurs prépondérants) Trois formes simples peuvent être distinguées: Compétition entre le public et le privé. Quasi-marchés. Marchés officieux. Ces formes « élémentaires » peuvent coexister dans un seul et même pays.

Source: Felouzis, Maroy, van Zanten, 2013, p 33

a. Les marchés scolaires comme compétition entre public et privé Rapports de concurrence entre le secteur public et le secteur privé d’éducation Diversité du secteur privé selon les pays (subventionné ou pas notamment). Pourquoi cette concurrence est-elle profitable à tous ? Parce qu’elle permet, selon les tenants de cette théorie, d’améliorer le service éducatif du public comme du privé par le jeu de la concurrence. Débat aux Etats-Unis: John Chubb et Terry Moe (1990), Politics, Markets and America’s Schools, : réflexions pour démontrer qu’un système de marché « pur » appliqué à l’éducation permettrait d’améliorer l’enseignement dans son ensemble.

Argumentation de Chubb et Moe pour les marchés scolaires Leur idée: la concurrence produit une amélioration de la qualité des biens proposés. M. Friedman (1955) The role of Governement : le gouvernement doit financer l’éducation des individus, à eux – et à leur famille - de choisir l’institution qu’ils jugent la plus adéquate pour remplir ce rôle. Ce système est censé améliorer l’offre d’éducation pour tous par le jeu de la compétition sur le même modèle que dans l’offre de biens marchands. Pourquoi en serait-il autrement dans le domaine de l’éducation ? Chubb et Moe: La concurrence améliore le service éduc atif comme toute forme de service en général. Cohésion des écoles privées car le leadership est assuré par le chef d’établissement qui recrute les enseignants, cohésion des équipes, loyauté envers l’établissement, mobilisation sur la réussite des élèves, etc. Chubb and Moe: dans le cas d’une gestion publique la loyauté des enseignants va aux syndicats (défense de leurs intérêts propres). Les tenants d’une privatisation de l’éducation défendent non seulement l’idée que les établissements privés fonctionnent mieux que les publics, mais ils en tirent aussi des conclusions plus radicales: dès lors que les écoles privées sont plus efficaces, pourquoi ne pas totalement privatiser l’éducation de façon à améliorer l’ensemble du système ?

Coleman, Hoffer et Kilgore, (1982), High School Achievement : Public, Catholic and Private Schools Compared Coleman, Hoffer et Kilgore, (1982), High School Achievement : Public, Catholic and Private Schools Compared À partir d’une analyse de cohorte, ils montrent que les écarts entre élèves tendent à s’amenuiser lorsqu’on avance dans le cursus dans le privé, alors qu’elles augmentent dans le public. Pour les auteurs, les écoles catholiques se rapprochent de l’idéal américain des common school, ( écoles publiques ouvertes à tous). Pourquoi est-ce ainsi selon les auteurs ? D’abord continuité des valeurs entre famille et école, plus marquée dans les établissements privés que publics Ensuite les relations de travail et la nature de l’investissement pédagogique des enseignants du privé agissent sur les performances des élèves. À l’appui de la thèse de Chubb et Moe

Trois critiques de ce modèle: 1. Conception simpliste des marchés en éducation dont la régulation se ferait par une « main invisible ». L’éducation est ici considérée comme un bien marchand comme les autres. 2. La concurrence ne produit pas obligatoirement une offre mieux adaptée aux demandes des consommateurs, chaque « firme » agissant en fonction des autres « firmes » et non en fonction des « besoins » des consommateurs. Stephen Ball (1993) et de Sharon Gewirtz et al. (1995) 3. Postule que le choix des familles est « libre ». Or, ce choix dépend de l’information disponible et du capital culturel.

b. Les marchés scolaires régulés par la puissance publique: les quasi-marchés Un deuxième type de marché scolaire consiste à reconnaître la spécificité des biens éducatifs et la nécessaire régulation par la puissance publique. Les « quasi-marchés » sont « quasi » parce que la rencontre entre l’offre et la demande est régie par l’État qui devient l’opérateur principal de ces marchés. Il s’agit de concilier le libre choix de l’école par les familles avec une nécessaire régulation: les programmes, conditions d’admission des élèves, information sur les établissements, salaires des enseignants, etc. sont définis par la puissance publique. Deux cas en Europe étudiés ici : Le Royaume-Uni et la Belgique

Pour le Royaume-Uni, il s’agit d’une réforme mise en place par le gouvernement Thatcher dans la perspective d’améliorer le fonctionnement du système éducatif avec l’Education Reform Act de 1988 (Glennerster, 1991). En Belgique, le libre choix de l’école s’inscrit dans la longue durée car le principe de « liberté d’enseignement » est affirmé dès la création de l’État belge en 1830 (Delvaux et Maroy, 2009). De façon plus concrète, l’État garantit une certaine unité éducative en définissant les curricula, les rythmes scolaires, l’âge d’entrée dans les différents niveaux de formation et en contrôlant l’ouverture et la fermeture des établissements.

Il définit aussi la formation des enseignants et sa durée, les objectifs pédagogiques pour les établissements. Il met en place un système d’évaluation qui mesure chaque année les « résultats » des établissements en matière scolaire, comme le font les school league tables en Grande-Bretagne pour l’enseignement primaire et secondaire. ( évaluation par l’OFSTED: sanctions, recommandations, contrôle) Les écoles ne peuvent refuser un élève dès lors que ses effectifs ne sont pas complets. Ce système de définition étatique des objectifs et des moyens de l’éducation est complété par la liberté des familles de choisir leur établissement, de façon à privilégier une concurrence entre écoles dans la perspective d’en améliorer le fonctionnement. Le financement des établissements est assuré par la puissance publique en fonction du nombre d’élèves inscrits.

c. Les marchés scolaires officieux Résultat complexe de l’action d’un ensemble d’agents intervenant dans le champ éducatif et poursuivant des buts qui leur sont propres. Cette situation est illustrée par le cas français: une carte scolaire est censée régir les affectations alors que le choix de l’établissement est de fait très important, créant les conditions de véritables marchés scolaires . L’aspect « officieux » renforce l’opacité de ces marchés scolaires: la perception de la qualité éducative est plus complexe à définir et à évaluer, seule la « réputation » et les « on dit » servent de critères. La « réputation » est perçu aussi par les parents en fonction du public des établissements, notamment les caractéristiques ethniques et sociales des élèves.

Le cas de la France illustre bien ce type de marché: Dans le secondaire: système unifié dit « collège unique » Carte scolaire, « assouplie » à partir de 2007 Gestion chaotique de la carte scolaire : dérogations nombreuses et selon des critères variables, stratégies parentales de choix d’options rares, politiques de diversification des établissements par la création de classes à thème, blocages bureaucratiques (gestion des flux d’élèves et « mixité sociale »)

Le cas de la France: suite Opacité de la qualité éducative des établissements: L’offre scolaire est censée être uniforme La différenciation des établissements est extrêmement marquée (Paty, 1982; Felouzis et Charmillot, 2012) L’information sur la qualité des écoles est fortement verrouillée: « réseaux de jugement » et réputations (van Zanten, 2009).

L’incertitude sur la qualité devient telle, que l’opérateur du choix est la réputation (ou le statut) bien plus que l’efficacité scolaire des écoles. La réputation est perçue par la nature du public scolaire des établissements. La « qualité » des établissements est perçue au travers de son public, davantage qu’en fonction du service éducatif qu’ils proposent (Broccolichi et van Zanten, 1996) Le rôle de l’action publique est dans ce cas très ambigu: elle favorise la diversification de l’offre par la création d’options tout en défendant une conception officielle du « collège unique ». Donc grande diversité des formes des marchés scolaires. Mais il s’agit toujours, à des degrés divers, des résultats de l’action publique: les politiques scolaires ont un poids énormes sur les marchés scolaires, même si c’est de façon « négative » comme en FRance

II. Le fonctionnement des marchés scolaires Les travaux qui étudient le fonctionnement des marchés se questionnent sur les stratégies des acteurs en présence. Les parents et les modalités du choix Les établissements face à la concurrence La régulation par les performances Cela revient à faire une sociologie des marchés, c’est- à-dire à montrer comment les pratiques sociales varient selon les valeurs individuelles, les contextes locaux, les stratégies différenciées, etc. Une économie des marchés postule que tous les acteurs cherchent à optimiser leurs gains en fonction de l’information dont ils disposent sur les différentes options offertes. Une sociologie des marchés va s’attacher à montrer les variations sociales, locales, contextuelles qui orientent les choix.

a. Tous les parents ne choisissent pas Agnès van Zanten, Choisir son école, Puf, 2009 Étude sur le cas français, Paris et région parisienne. Les parents qui choisissent le font en fonction de « visées » socialement construites, de « valeurs », de stratégies éducatives. Les choix sont donc nécessairement socialement différenciés en fonction de ces dimensions.

Quatre fractions des classes moyennes et les choix scolaires Technocrates: Diplômés supérieur du privé Instrumentalisme, Méritocratie de classe et intégration par cloisonnement Ressources économiques et culturelles entre-soi de classe, préférence pour le privé, Libéralisme affiché Intellectuels Diplômes supérieur du public Instrumentalisme et réflexivité, Équité et intégration par côtoiement, ressources culturelles et sociales, enclave « gentrifiée », alternance public/privé, libéralisme honteux. Techniciens Diplômés médians du privé Instrumentalisme et expressivité de repli, méritocratie et intégration par côtoiement, ressources limitées,,quartiers mélangés, alternance public/privé, libéralisme contextuel Médiateurs Diplômés médians du public Expressivité d’ouverture, équité et intégration par côtoiement, ressources sociales, enclave « gentrifiée » et quartiers mélangés, préférence pour l’enseignement public, libéralisme contextuel. Du côté des classes défavorisés (pas de diplômes, faibles moyens, habitat populaire, économiques notamment): les choix existent mais ils sont rares, plus souvent guidés par la proximité. Contrainte forte de la carte scolaire. Logiques de reproduction sociale – Grandir entre pairs à l’école : recherche du « même » plutôt que du « différent » surtout au plan ethnique, mais aussi social.

Illustration de mon article avec Joëlle Perroton, Grandir entre pairs à l’école dans Actes de la recherche en sciences sociale, 2009. On est ici dans un cas différent: non choix, marché officieux, inégalité de l’offre scolaire, de la qualité de l’offre scolaire. Contrainte de la carte scolaire

b. Les stratégies des établissements Comment les établissements agissent-ils dans les situations de marchés scolaires, de concurrence et de choix des parents ? Des stratégies de marketing: travail sur l’image plus que sur l’amélioration des pratiques d’enseignement; Les établissements s’adaptent plus à la concurrence qu’aux attentes des familles et des élèves. Qui choisit ? Les parents ou les établissements ? Les plus attractifs (réputés, demandés, etc.) filtrent les candidatures. Au moment des inscriptions, des exclusions. Soit directement, soit en « refroidissant » certains parents (affichage de priorités, insistance sur les exigences scolaires, etc.) Rappelons que l’idée défendue par les tenant des marchés scolaires est que la concurrence permet d’améliorer l’offre de formation. Chacun a intérêt à donner le meilleur pour garder, voire gagner, des élèves.

Les marchés scolaires, p 120 Ces effets de filtrage des candidatures de certains élèves par des dispositifs d’inscription ou d’entretien organisés directement par les établissements ont conduit certaines autorités éducatives locales ou nationales à réguler davantage ces procédures, afin d’éviter des dérives discriminatoires. Ainsi en Angleterre (West, 2006), en Belgique (Delvaux et Maroy, 2009 b) ou dans certains grands districts états-uniens comme New York ou Boston (Robert, 2007), des dispositifs de « choix régulé » des écoles ont été mis en place. Ils se basent sur des expressions de préférences de la part des parents, qui sont traitées centralement par les autorités éducatives à l’aide de logiciels cherchant à optimiser l’allocation des élèves aux écoles en tenant compte, d’une part, d’un certain nombre de règles de l’autorite éducative et, d’autre part, des préférences des parents. Même si ces solutions ne sont pas absolument parfaites, elles montrent que la régulation des comportements collectifs permet de limiter ces phénomènes de choix par les établissements. Notons que cette régulation ne peut intervenir que si un système officiel de choix existe. Notons aussi que ces travaux sur le fonctionnement des marchés visent à désenchanter les marchés scolaires tels que promus par les tenants de ce type d’organisation. Ce désenchantement, nous le verrons en conclusion est extrêmement profitable car il permet de mettre en place des régulations des marchés. Passons avant cela à la question des conséquences des marchés sur l’efficacité et l’équité

III. Conséquences des marchés scolaires Au plan empirique, il est possible de mesurer les effets des marchés scolaires selon deux grands critères Sur la qualité et l’efficacité de l’offre éducative Sur la ségrégation et les inégalités d’apprentissage Les débats sont très vifs au sein de la recherche sur ce point. Les résultats empiriques sont souvent contradictoires d’une étude à l’autre, d’un contexte à l’autre. Les débats les lus vifs sur les marchés scolaires concernent plus particulièrement leurs effets, leurs conséquences, ce que cela produit en termes d’efficacité et d’équité.

Efficacité des marchés Belfield et Levin, 2002: Méta-analyse de 41 articles empiriques sur les effets de la concurrence entre écoles. Cette concurrence peut se faire entre écoles privées et publiques, entre écoles publiques d’un même districts, ou de districts différents. Les effets sont mesurées sur: Résultats académiques des élèves; taux de décrochage, de diplômation, essentiellement.

« Une simple évaluation indique que plus d’un tiers des 206 estimations distinctes signalent une corrélation statistiquement significative entre une concurrence accrue et un meilleur résultat académique dans les écoles publiques » (Belfield et Levin, 2002, 283) La taille de l’effet est modes te, puisque l’effet moyen d’une augmentation d’un écart-type de l’indice de compétition tend à augmenter les résultats aux tests d’un dixième d’écart-type. Pas d’effet sur les taux de décrochage. Une augmentation de l’indice de concurrence augmente le taux de diplômation des écoles publiques de 0,08 à 0,18 écart-type (42 % des 52 estimations sont significatives).

Efficience des écoles Caroline Hoxby est une économiste. Plusieurs de ses publications portent sur els marchés scolaires et leurs effets sur l’efficience de l’éducation (rapport coût/bénéfice). Dans « School Choice and School Productivity », elle démontre un accroissement de la productivite des écoles publiques dans les districts les plus « concurrentiels ». « En définitive, l’effet de choix de l’école privée sur la productivite est important et survient uniquement par un effet sur la réussite : les dépenses par élève dans les écoles publiques ne changent pas, mais leur efficacite est plus élevée. » (Hoxby, 2000, 314.)

Marchés, ségrégation et inégalités Les inégalités scolaires constituent un point de débat important sur la question des marchés scolaires. Les approches économiques « oublient souvent cette dimension pour rendre compte des effets des marchés Les approches plus sociologiques tendent à privilégier cet objet. Idée de départ: Marchés scolaires => Ségrégation en hausse => inégalités accrues. Comment l’établir au plan empirique ? Comparaison dans le temps pour un pays donné.

Angleterre – Pays de Galles Education Reform Act de 1988 (quasi-marchés scolaires) Gorard – Frits – Taylord (2001): ce qui a changé depuis l’application de cette réforme. Ségrégation sociale des écoles secondaires en Angleterre baisse entre 1989 et 2001. L’indice de dissimilarité passe de 34,7 à 32,6 Cette baisse n’est pas linéaire: augmentation légère les 3 premières années; diminution forte entre 1992 et 1997; augmentation entre 1998-2001. Quid des acquis des élèves ?

La réussite des élèves « Les différences de réussite ont diminué, qu’on les mesure entre les meilleurs élèves et les plus faibles, entre groupes ethniques, entre garçons et filles, entre régions économiques et entre secteurs scolaires... le système dans son ensemble devient donc de plus en plus équitable dans la répartition de la qualification » (Gorard, Fitz et Taylor, 2001, 21). Le débat n’est pas pour autant clos: D’autres indicateurs et analyses peuvent montrer des résultats plus nuancés Dans d’autres pays, les résultats ne vont pas dans le même sens. Cette amélioration de l’équité est-elle le seul résultat de la réforme de 1988: difficile à dire. Mais montre que les marchés scolaires n’ont pas un effet systématiquement négatif de ce point de vue.

Dans d’autres contextes nationaux Dans d’autres contextes nationaux, les résultats ne vont pas dans le même sens En CFB, le consensus s’établit sur les effets ségrégatifs très forts des quais-marchés scolaires et sur leurs conséquences négatives sur l’équité du système (Demeuse et al, 2007; Dumay, Dupriez, Maroy, 2010) Même phénomène aux Pays-Bas (Karsten, 2003) En France: libéralisation de la carte scolaire à partir de 2007, réforme de l’éducation prioritaire. Cela entraine une augmentation nette de la ségrégation scolaire et des inégalités (Felouzis, 2014).

En définitive Dans la plupart des pays – européens en tous cas - les phénomènes de marchés scolaires tendent à accentuer les inégalités d’acquis par le biais de la ségrégation scolaire qu’ils induisent Variations importantes selon les pays, les périodes, les modalités précises de fonctionnement. En CFB par exemple: décret « inscription » qui tente de limiter les effets ségrégatifs du choix de l’établissement par une régulation selon des critères visant la mixité sociale. Le cas de la France montre que le pire des cas est probablement celui des marchés officieux: aucune régulation n’est alors possible.

Conclusion: Quelle régulation ? La question qui se pose désormais n’est plus tant de savoir si les marchés scolaires produisent ou non des inégalités, mais comment faire en sorte de concilier liberté de choix des familles et équité des systèmes éducatifs. Plus généralement, comment concilier quatre objectifs, souvent considérés comme contradictoires ? Efficacité – Équité – liberté de choix – cohésion sociale Comment concevoir une régulation des comportements (des parents, des établissements, etc.) qui concilient ces quatre objectifs ?

Quelle régulation ? Nos conclusion nous conduisent à l’idée qu’il n’y a pas de marchés scolaires sans régulation par l’action publique. Par la définition de standards à atteindre par les écoles et les élèves. Par des règles d’affectation des élèves aux établissements dans le respect de la mixité sociale. Par des modes de financement incitant les établissements à être « vertueux », c’est-à-dire à accueillir la plus grande diversité possible d’élèves (Demeuse et al, 2007; Friant, 2012) Marc Demeuse, Christian Monseur, Friant, …, Étude exploratoire sur la mise en place de nouvelles mesures visant à lutter contre les phénomènes de ségrégation scolaire, Thèse de Nathanaël Friant: les modélisations individus centrées comme outil de régulation à partir des stratégies individuelles. Système OFSTED en Angleterre

MERCI DE VOTRE ATTENTION