Université Paris Est Créteil, ERUDITE

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Université Paris Est Créteil, ERUDITE Ecole Nationale de la Magistrature Détachement de salariés et travail illégal : fraude socio-fiscale et emploi non-déclaré en France Philippe ADAIR Université Paris Est Créteil, ERUDITE 11 décembre 2015

1. Détachement : définition, faits et tendances Plan 1. Détachement : définition, faits et tendances 1.1. Définition (Code du travail) 1.2. Faits et tendances 2. Les causes du détachement 2.1. Coût horaire de la main d’œuvre et salaire minimum 2.2. L’optimisation socio-fiscale 3. Concurrence déloyale et travail dissimulé 3.1. Concurrence déloyale ? 3.2. Les types de fraude 3.3. Détachement et travail dissimulé 4. 4. Les méthodes d’évaluation   4.1. Les contrôles ciblés 4.2. Les contrôles aléatoires (audit Acoss 2011) 4.3. Les enquêtes sur les ménages (Eurobaromètre 2013) 4.4. L’extrapolation de la Cour des comptes 5. La législation française et européenne 5.1. Evolution de la législation française 5.2. Pistes d’amélioration de la directive européenne de 1996

1. Définitions 1.1. Le détachement de salariés La définition du détachement en droit français apparait avec la loi quinquennale du 20 décembre 1993 (Code du travail, art. L. 341-5). Il recouvre différentes formes  - Exécution d’un contrat de prestation de services transnationale entre deux entreprises : sous-traitance de travaux ou de fourniture de services (Code du travail, art. L. 1262-1-1). - Mobilité intra-groupe (entre deux établissements d’une même entreprise ou entre deux entreprises d’un même groupe). Ce détachement ne doit pas avoir pour objet la mise à disposition du personnel, à but lucratif et à titre exclusif qui caractérise le prêt illicite de main d’œuvre, ou causer un préjudice au salarié ou éluder une disposition légale ou conventionnelle qui caractérise le marchandage (Code du travail, art. L. 1262-1-1 2).

1. Définitions 1.1. Le détachement de salariés : différentes formes (suite) - Réalisation d’une opération pour compte propre. Détachement de salariés pour le compte d’un employeur établi hors de France, sans qu’il existe de contrat commercial, le bénéficiaire de l’opération étant l’employeur lui-même (Code du travail, art. L. 1262-1-3). Ne figure pas dans la directive européenne 96/71 CE. - Mise à disposition de salariés au titre du travail temporaire. Cas d’une entreprise de travail temporaire établie hors de France pour l’exécution d’une mission auprès d’une entreprise utilisatrice établie ou exerçant en France, dont l’objet et la durée sont définis préalablement (Code du travail, art. L. 1262-2).

1.2. Détachement : faits et tendances Au sein de l’UE, 1,34 million de travailleurs détachés en 2013 (déclarations dans les pays d’origine) : 0.61% des 220 millions de travailleurs européens (nos calculs). Selon les déclarations de détachement des entreprises prestataires de services en France (DGT, 2013), le détachement concerne 212641 salariés : 0.8% des 25,8 millions des travailleurs en emploi. Plus de 7,4 millions de jours détachés, soit 32000 emplois à temps plein. Selon nos calculs, la durée des détachements correspond en moyenne à 35 jours ouvrés (moins de deux mois). Le travail détaché est concentré dans certains secteurs à forte intensité de main-d’œuvre et dont la production ne peut être délocalisée : BTP, hôtellerie-restauration, transports, agriculture. Le BTP représente 43 % des déclarations en 2013, puis les ETT entreprises de travail temporaire (23 % des déclarations) qui elles- mêmes détachent pour une grande part dans le BTP : sur 1,7 millions de salariés du BTP en 2013, le travail détaché représenterait 7% des effectifs.  

Graphique1. Le recours au détachement s’accroît par paliers et double depuis 2010

Graphique1bis.

2. Les causes du détachement La proximité géographique est un facteur explicatif du détachement des échanges transfrontaliers (Alsace-Lorraine). Cependant, le détachement concerne avant tout des pays non limitrophes (Bulgarie, Pologne, Portugal, Roumanie). S’agit-il d’une stratégie d’optimisation du coût salarial, voire d’une concurrence déloyale ?

2.1. Le coût de la main-d'œuvre Les coûts du travail recouvrent la rémunération des salariés (les salaires et les traitements en espèces et en nature, ainsi que les cotisations sociales à la charge des employeurs), les frais de formation professionnelle et toute autre dépense : les frais de recrutement ou le coût des vêtements de travail, ainsi que les impôts relatifs à l'emploi considérés comme coût de main-d’œuvre, moins les subventions obtenues (Eurostat, 2014).

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Coût horaire de la main d’œuvre Comparativement à la France en 2004, le coût horaire de la main d’œuvre est respectivement : 14 fois moins élevé en Bulgarie et en Roumanie, 5.6 fois moins élevé en Pologne et 2.5 moins élevé au Portugal. L’écart des coûts s’est substantiellement réduit mais demeure attractif en 2013 : le coût horaire de la main d’œuvre est respectivement : 8.5 fois moins élevé en Bulgarie, 6.8 fois moins élevé en Roumanie, 4.25 fois moins élevé en Pologne et 2.8 moins élevé au Portugal.

Coût horaire du travail dans l’UE, 2014 .

Salaire minimum La comparaison des salaires minimums peut être pertinente pour les industries de main d’œuvre. Au regard du salaire minimum mensuel brut en France pour 2013, celui-ci est respectivement : 9 fois moins élevé en Bulgarie et en Roumanie, 3.6 fois moins élevé en Pologne et 2.5 moins élevé au Portugal.

Le salaire minimum dans les États membres de l’UE varient entre € 184 et € 1923 par mois en janvier 2015 En janvier 2015, 22 des 28 États membres de l’UE (exceptés Danemark, Italie, Chypre, Autriche, Finlande et Suède) avaient fixé un salaire minimum national. Le premier groupe se compose de dix États membres de l’Union (Bulgarie, Roumanie, Lituanie, République tchèque, Hongrie, Lettonie, Slovaquie, Estonie, Croatie et Pologne) dont le salaire minimum est inférieur à € 500 par mois. Le deuxième groupe comprend cinq États membres de l’UE (Portugal, Grèce, Malte, Espagne et Slovénie), avec un salaire minimum compris entre € 500 et € 1 000  par mois. Le troisième groupe comprend sept États membres de l’UE (Royaume-Uni, France, Irlande, Allemagne, Pays-Bas, Belgique et Luxembourg) dans lesquels le salaire minimum mensuel s’élève à € 1 000 ou plus.

Salaire minimum dans l’UE, 2015

2.2. Le niveau très inégal des charges sociales selon les pays d’origine ouvre aux opérateurs la possibilité d’une optimisation légale non négligeable. Régime fiscal et social des travailleurs détachés Au Portugal : frais de déplacement exonérés d’impôt sur le revenu et de cotisations sociales ; allocations liées au détachement sont soumises aux cotisations sociales. En Bulgarie : revenus du travail détaché soumis à l’impôt sur le revenu, dépenses au titre du détachement non soumises aux cotisations sociales. En Roumanie : salaires et indemnités du travail détaché soumis à l’impôt sur le revenu et aux charges salariales et patronales. En Pologne : rémunération soumise à l’impôt sur le revenu, allocations de détachement exonérées de cotisations sociales et d’impôt sur le revenu.

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3. Concurrence déloyale au sein de l’UE et travail dissimulé  « Le dumping social est une pratique impliquant l’exportation de biens depuis un pays aux normes de travail souples ou mal appliquées, dans laquelle les coûts de l’exportateur sont artificiellement inférieurs à ceux de ses concurrents de pays aux normes plus strictes, ce qui consti­tue un avantage injuste dans les échanges internationaux (…), avec éventuellement des conséquences négatives sur les normes sociales et du travail de pays tiers. » Une directive européenne sur le temps de travail adoptée en 1993 fixe une limite de 48 heures hebdomadaires (heures supplémentaires comprises). La durée de travail moyenne pour les travailleurs à temps plein de l’UE est inférieure à 42 heures.

Selon la théorie économique, les coûts de la protection de l’emploi (conventions collectives par exemple) ne pèsent pas nécessairement sur la compétitivité d’un pays. Soit les entreprises assument les coûts de ces garanties si les travailleurs acceptent en contrepartie des salaires plus bas, soit l’Etat assure ces garanties. Une protection de l’emploi aboutit à un partage des risques entre l’employeur et l’employé sans modifier le coût du travail dans le pays. Cependant, la protection varie selon les pays de l’UE. L’écart de protection n’est pas significatif entre la France et le Portugal, mais s’avère substantiel avec la Pologne, la Bulgarie ou la Roumanie.

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Les types de fraude La directive européenne de 1996 utilise à la fois les termes de « taux de salaire minimum horaire » et de « salaire minimum » (légal ou conventionnel). Un type courant de fraude consiste en la production d’une fiche de salaire au minimum légal mensuel et pour un volume d’heures enregistré dans une double comptabilité qui dépasse le volume horaire légal. Le taux horaire effectif est alors inférieur au taux horaire correspondant au salaire minimum applicable. C’est le cas de chantiers employant des salariés détachés le samedi et le dimanche en plus des autres jours de la semaine. Une autre pratique consiste à faire payer aux salariés détachés, soit par un prélèvement sur leur salaire qui est versé dans le pays d’origine, soit par un engagement à travailler au-delà du temps de travail légal, les frais connexes au détachement liés à l’hébergement, voire au transport. Aucune trace de cette infraction ne peut être décelée autrement que par un contrôle effectif de l’horaire de travail, car le bulletin de salaire affiche une rémunération au salaire minimum.

Le « travail dissimulé » Les types de fraude évoqués précédemment renvoient notamment à la caractérisation de travail dissimulé Le « travail dissimulé » Activité légale qui contrevient au Code du travail : dissimulation d'une activité exercée à titre de non-salarié et dissimulation (partielle ou totale) d’un emploi salarié : absence de contrat de travail, falsification du bulletin de paie, non paiement des cotisations sociales. Il fait partie du travail illégal (sous-traitance fictive, prêt illicite de main-d'œuvre, emploi d’étranger sans titre de travail et cumul irrégulier d’emplois). Il est distinct d’une activité criminelle (trafic d’êtres humains). La fourchette d’estimation du travail illégal serait comprise entre 8 à 16 milliards €, soit 0.5% à 0.8% du PIB (Tian, 2011).

4. Les méthodes d’évaluation. Dans la mesure où les fraudes au détachement relèvent largement du travail dissimulé, une pléiade d’administrations publiques et d’organismes de sécurité sociale est impliquée dans les contrôles, visant soit au recouvrement d’impôts ou de cotisations (fisc, Urssaf, Mutualité sociale agricole), soit pour exercer la prévention et la répression des délits et des crimes (justice, police, gendarmerie). Les contrôles effectivement réalisés relèvent de deux méthodes. 4.1. Les contrôles ciblés. Les organismes compétents tendent à cibler les agents économiques les plus susceptibles de frauder ou les montants les plus importants. Cette méthode comporte donc un biais de sélection qui tend à surestimer la fraude et un biais de détection qui tend à sous-estimer la fraude, sans que l’on puisse en conclure que ces deux effets se compensent.

4.2. Les contrôles aléatoires : l’audit ACOSS 2011 L’ACOSS (2011) a réalisé un audit sur un échantillon de 4159 établissements enregistrés employant 13424 salariés. Cet audit confirme que l’emploi non-déclaré est particulièrement répandu dans les secteurs d’activité tertiaire intensifs en main-d’œuvre. La fraude affecte 7,3% des établissements: elle est plus élevée dans l’hôtellerie-restauration, le commerce de détail alimentaire et les activités artistiques et de spectacles. Le travail dissimulé concerne 2,4% des salariés. Le taux est plus élevé dans l’hôtellerie-restauration, le commerce de détail alimentaire, et affecte d’autres secteurs. La fraude n’est pas distincte selon le genre ; la probabilité de dissimulation selon l’âge est significative pour les jeunes de moins de 18 ans et les salariés de plus de 60 ans (courbe en U inversée). En raison des biais de sélection (exclusion de certains secteurs d’activité - BTP et services aux ménages - horaires de contrôle limités et couverture statistique restreinte aux seules entreprises enregistrées), il n’est pas possible d’extrapoler sans précaution une estimation globale de l’emploi non-déclaré.

4.3. Les enquêtes sur les ménages (particuliers employeurs) Il n’existe pas d’enquête sur les ménages donneurs d’ordre. La 2ème édition du baromètre européen (2013) questionne la demande de biens et de services non déclarés, l’offre de travail non déclaré et la perception de la fraude. L’échantillon comprend 26563 individus âgés de 15 ans et plus des 28 pays membres, dont 1027 individus en France. Il s’agit d’un ordre de grandeur mais non une estimation, étant donné la taille réduite du sous-échantillon pour la France. 9% des individus déclarent avoir acheté au moins une fois au cours de l’année un bien ou un service non déclaré. 5% des individus déclarent exercer une activité non déclarée (6% dans le baromètre en 2007). Cependant, 38% déclarent connaître au moins une personne exerçant une activité non déclarée. La perception du risque de sanction pour activité non déclarée est faible : seul un tiers estime le risque est élevé, deux tiers pensent que la pénalité encourue relève d’une simple contravention. Cependant, 90% estiment la fraude sociale inacceptable. .

4.4. Détachement dissimulé : l’extrapolation de la Cour des Comptes La Cour des comptes (2014) s’appuie sur une estimation du rapport du Sénat (Bosquet, 2013) faisant état de 300 000 salariés détachés non déclarés en France en 2010 (temps plein non précisé) . La perte de recettes sociales atteindrait 380 millions €, sous l’hypothèse que ces emplois reviendraient, en l’absence de fraude, à des travailleurs non-détachés rémunérés au SMIC. Cette estimation ne comprend pas le manque à gagner lié aux travailleurs détachés déclarés mais placés indûment sous ce statut. 380 millions € représentent environ 2% des 20 milliards de cotisations éludées (soit 1% du PIB) résultant du travail dissimulé. Le travail dissimulé concerne principalement les secteurs du BTP (3,8 milliards € de cotisations éludées, un taux de fraude de 22%), du commerce (3,3 milliards € de cotisations éludées et un taux de fraude de 12%) et des transports (taux de fraude de 10%). .

5. La législation française et européenne sur le détachement 5. 1 5. La législation française et européenne sur le détachement 5.1. Evolution de la législation française Loi « Savary » (11 juillet 2014), décret n° 2015-364 (30 mars 2015) et loi « Macron » (août 2015) : 4 mesures juridiques visant à lutter contre les fraudes au détachement. 1. Renforcement des formalités de détachement : obligation de déclaration préalable, désormais par télé-déclaration en ligne. 2. Accroissement de la responsabilité des donneurs d’ordre vis-à-vis de leurs co-contractants et sous-traitants: vérification des déclarations des prestataires. 3. Création d’une sanction administrative nouvelle : suspension de la prestation de services prononcée par l’autorité administrative (sans rupture, ni suspension du contrat de travail, ni aucun préjudice pécuniaire pour les salariés concernés). 4. Elargissement de l’action en substitution des syndicats à la défense des travailleurs détachés ou victimes de travail dissimulé.

5.2. Pistes d’amélioration de la directive européenne de 1996 Conseil Economique Social et Environnemental (Grosset, 2015). 1. Mention explicite que les frais liés au détachement (hébergement, nourriture, transports) sont à la charge de l’employeur. 2. Préciser la durée maximale de détachement (« période limitée ») : un grand chantier implique plusieurs années de sous-traitance tandis qu’un transport routier couvre quelques jours. 3. Condition de résidence non prévue : à l’exception des travailleurs frontaliers, un salarié est considéré comme travaillant habituellement sur le territoire d’un Etat s’il y réside. 4. Intégrer la notion d’activité substantielle de l’entreprise prestataire : par exemple, un seuil de 25% du chiffres d’affaires au-dessous duquel des contrôles peuvent être déclenchés. 5. Vérification par les autorités compétentes de l’affiliation du salarié détaché au régime de sécurité sociale d’origine (en qualité de salarié ou de demandeur d’emploi), pour délivrance de déclaration de détachement et être supérieure à un minimum d’un mois, durée minimale qui devrait être significativement étendue.

Références ACOSS (2011) La lutte contre le travail illégal, rapport d’activité thématique, www.acoss.fr BIT (2013) Mesurer l’informalité: Manuel statistique sur le secteur informel et l’emploi informel, OIT, Genève Bocquet É. (2013) Rapport d’information fait au nom de la commission des affaires européennes sur les normes européennes en matière de détachement des travailleurs, n° 527, Sénat, 18 avril Code du travail (2014) Article L8211-1, LegiFrance, Loi n°2014-288 du 5 mars 2014, article 20 (V), Journal Officiel CNLTI (2015) Bilan du Plan de Lutte contre le Travail Illégal, Commission Nationale de Lutte contre le Travail Illégal, 12 février. Commission Européenne (2012) Résumé de l’analyse d’impact relative à l’exécution de la directive 96/71/CE concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d'une prestation de services, Document de travail SWD 64 final, Bruxelles, 21 mars. DGT (2014) Analyse des déclarations de détachement des entreprises prestataires de services en France en 2013, novembre, Direction Générale du Travail, www.travailemploi.gouv.fr

Eurostat (2015a) Statistiques sur le salaire minimum, Statistics explained, février Eurostat (2015b) Salaires et coût de la main-d’œuvre, Statistics explained, mars Grosset J. (2015) Les travailleurs détachés, rapport, septembre, rapport au Conseil Economique Social et Environnemental (CESE) Maslauskaitė K. (2013) Concurrence sociale dans l’UE : mythes et réalités, Etudes & rapports, 97, juin, Institut Jacques Delors Savary G. (2014) Rapport fait au nom de la Commission des affaires sociales sur les propositions de loi visant à renforcer la responsabilité des maîtres d’ouvrages et des donneurs d’ordre dans le cadre de la sous-traitance et à lutter contre le dumping social et la concurrence déloyale, Assemblée nationale, 11 février Tian D. (2011) Rapport d’information en conclusion des travaux de la mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale sur la lutte contre la fraude sociale N° 3603, Commission des Affaires Sociales, Assemblée nationale, 29 juin. TNS opinion & social (2014) Undeclared work in the European Union, Special Eurobarometer 402 April–May 2013, European Commission, March

Annexe Économie Non Observée (ENO) et emploi informel Typologie élaborée par Eurostat (2005) pour assurer l’exhaustivité des comptes nationaux : 7 composantes (de N1 à N7) qui peuvent être agrégées en 5(4) catégories de production (marchande). La production illégale (N2) correspond à l’activité prohibée non enregistrée par nature : trafics de biens légaux (cigarettes, alcool) biens réglementés ou prohibés (armes, drogue, êtres humains …) La production souterraine (N1+N6) recouvre l’activité (enregistrée et non enregistrée) échappant aux obligations fiscales et de sécurité sociale : fraude socio-fiscale. La production informelle regroupe l’activité à compte propre des ménages non enregistrée (N3) et des (micro) entreprises non enregistrées ou enquêtées (N4+ N5) La déficience statistique (N7) correspond aux activités non couvertes et non incluses parmi les catégories précédentes (ex. : commerce de rue) .

5 catégories et 4 types de production Marchande Non-marchande Tableau : ENO : definitions et nomenclature 5 catégories et 4 types de production Marchande Non-marchande Légale Illégale Déficience Souterraine Informelle + A compte propre statistique (Emploi salarié & non salarié) N2 N7 N1 N4 N3 + + Usage final (ménages) N6 N5 Source: Eurostat (2005)

PIB ajusté et emploi informel en France La production souterraine (N1+N6), trois quart de l’ENO, réalisée par des entreprises déclarées. La production informelle (N3+N4+N5) est le fait de l’activité des entités économiques non enregistrées : production à compte propre des ménages et production non déclarée des (micro)entreprises et des ménages non tenus d’être enregistrés et non couverts par les enquêtes. La production illégale (N2), notamment la prostitution de rue et le trafic de drogue, n’est pas comptabilisée à l’exception de la contrebande de tabac (rattachée à tort à la production informelle). La déficience statistique (N7) correspond aux entreprises absentes qui fait l’objet d’un redressement préalable.

. Tableau : Catégories de l’ENO et % du PIB redressé en France Source : INSEE (2014) et OECD (2014), 2010 ; Rimbert (2002), 1995 ; Willard (1989),1985 . Années 1985 1995 2010 Milliards € Montant % PIB Entreprises déclarées (N1+N6) 26,65 3,1% 33,7 3,3% 51,9 2,6% Fraude fiscale (CA et VA) 20,73 2.4% 22,71 2.3% 40,7   2% Écart TVA 5,33 0.6% 10,06 1.0% 11,2 Entités économiques non déclarées (N3 N4+ N5) 9,6 1,1% 9,4 0,9% 16,2 0,8% Entreprises sans activité juridique 7,622 0.9% 7,31 0.7% 13,4 0,67% Travail au noir des ménages 1,98 0.2% 2,13 2,2 0,1% contrebande sur le tabac (N2)* 0,6 0,03% Total hors entreprises absentes 37,2 4,1% 42,2 4,2% 68,1 3,4% Entreprises absentes (N7) 22,86 2.7% Total 6,7%