L’Europe fiscale : progrès ou menace ? Thierry AFSCHRIFT Professeur ordinaire à l’Université Libre de Bruxelles Président de l’Executive Master en Gestion Fiscale (Solvay Brussels School of Economics and Management) Avocat aux Barreaux de Bruxelles, Anvers, Fribourg et Madrid, inscrit aux Barreaux de Genève et de Luxembourg, Foreign lawyer à Hong Kong
I. Les principes Certains impôts sont européens : - droits de douane Certains sont réglementés dans le détail au niveau européen : - TVA (sauf … les taux : minima prévus, pas de maxima) - droits d’enregistrement sur les rassemblements des capitaux
Pour le reste : souveraineté fiscale des Etats sous réserve des règles propres à d’autres politiques communes (ex. : règles sur les aides d’Etat en matière de droit de la concurrence) Logique du système : le « grand marché » implique des règles communes pour les impôts indirects liés à la consommation, pas pour les impôts directs
Comparaison avec les règles classiques d’Etats fédéraux (… mais l’Union Européenne n’est pas un Etat fédéral). Etats-Unis : chaque Etat a son système fiscal; droits de douane fédéraux, pas de TVA fédérale, mais un impôt sur le revenu et un impôt des sociétés fédéral Suisse : chaque canton a son système fiscal (mais accords fixant les règles communes), TVA fédérale, impôt des sociétés fédéral (réduit), impôt sur les revenus fédéral (réduit), perception par les cantons.
Pas de règle absolue « une monnaie unique implique une fiscalité unique » : - pas exact sur le plan international - l’Euro n’est pas une monnaie unique pour toute l’Union.
L’offensive récente de l’Europe en matière d’impôts directs Depuis 2008, offensive généralisée des Etats contre : la fraude l’évasion (ou l’optimisation fiscale) Les Etats ont « besoin » d’argent
« Modèle social » européen. Merkel : l’Europe a : - 7 % de la population - 25 % de la richesse - 50 % des prestations sociales Alternative : - remettre en cause le système (non) - financer encore davantage les Etats (choix implicite)
Les mesures prises Sans nouvelle législation utilisation du droit européen de la concurrence contre les régimes fiscaux avantageux (rulings) : B, L, NL, IR, … doutes quant à la justification (s’agit-il d’ « aides sélectives » si toute entreprise y a droit ?) de fait, attaque contre les « petits » pays (leur marché est plus réduit; ils ont besoin) Menace du point de vue sécurité juridique (changement de doctrine à la Commission)
Nouvelles législations Disparition des secrets bancaires Participation de l’UE au mouvement mondial pour la « transparence » au niveau de l’épargne – Echange automatique d’informations. Notion de « transparence » dévoyée … Depuis le 01/01/2016 : communication obligatoire de solde de comptes, intérêts, dividendes, plus-values … par les banques, assureurs, SICAVS, … au fisc du pays de résidence.
Autres textes Problèmes de base : La règle de l’unanimité en matière fiscale L’impôt des personnes physiques n’est pas couvert en tant que tel par les dispositions des Traités D’où : progression en matière d’impôt des sociétés surtout contre fraude et évasion (« 1.000 milliards sont perdus chaque année … ») Éventualité de « coopération renforcée ».
Objectifs : lutte contre planification fiscale agressive (prix de transfert) empêcher la « concurrence fiscale délétère » (auparavant : « dommageable ») à long terme : assiette commune consolidée pour l’impôt des sociétés (ACCIS). « En cours de négociation, sans avancée significative » Idée générale « système d’imposition des sociétés juste et efficace »
Les 5 domaines d’action prioritaires ACCIS : assiette commune Imposition effective là où les bénéfices sont réalisés prix de transfert pas de « double non-imposition » permettre la compensation transfrontalière des pertes plus de « transparence fiscale » en Europe et dans les pays tiers meilleure coordination des contrôles fiscaux et des transmissions d’informations
« Réalisations » concrètes a) Réforme de la directive « mère-filiale » Principe de la directive : exonération de retenue à la source et impôt des sociétés sur les dividendes Exclusion des dispositifs hybrides Surtout : mesure anti-abus beaucoup plus large disposition « anti-abus » belge (art. 344, § 1er CIR) Notion de « substance »
b) Accès par les autorités fiscales aux informations relatives à la lutte contre le blanchiment de capitaux (directives 2011/16/UE du 6 décembre 2016)
Directive contre l’évasion fiscale fait partie du projet BEPS (Base Erosion & Profit Shifting) limitation de la déduction d’intérêts à 30 % de l’EBITDA de la société (sauf à concurrence de 3.000.000 €) Imposition à la sortie des plus-values si transferts d’actifs hors d’un Etat membre ou du transfert de résidence fiscale
mesure anti-abus générale obligation de taxer les sociétés étrangères contrôlées (SEC) à faible imposition
Portée générale des mesures renforcer l’accès aux informations pour les administrations fiscales éviter les opérations permettant de réduire la substance fiscale (la base imposable)
Taux L’Union Européenne n’intervient pas au niveau des taux Réaction des Etats : faire de la concurrence fiscale en réduisant les taux Il faut alors les réduire pour toutes les sociétés ayant leur siège dans ces Etats (pas de « sélectivité »).
Les points faibles Rien n’est fait pour assurer les droits de la défense des contribuables Flou dans certaines règles (mesure anti-abus, « substance » des filiales étrangères), d’où une insécurité juridique. Voulue ? ACCIS : loin d’être réalisée, et pousse déjà à la « guerre des taux » !
La question fondamentale : faut-il lutter contre la concurrence fiscale ? Les « 1.000 milliards » perdus le sont pour les Etats. Pas pour la société civile. L’Union apparaît comme un « cartel d’Etats ». Seule la concurrence fiscale empêche les Etats d’augmenter systématiquement les impôts. Exemple de la TVA : des taux minima, pas de maxima …
CONCLUSION