La prise en charge thérapeutique de l’encéphalopathie hépatique DESC réanimation médicale DECOUCHON Corinne Décembre 2005
INTRODUCTION L’encéphalopathie hépatique est la conséquence d’une insuffisance hépatique aiguë ou chronique Elle représente l’ensemble des manifestations neuro-psychiques liées à l’insuffisance hépatocellulaire Elle est favorisée par les dérivations porto-systémiques spontanées ou interventionnelles 4 stades de gravité : I- confusion légère/ modification du sommeil, apathie, lenteur d’idéation Signe évocateur = astérixis, flapping tremor II- DTS intermittente, somnolence III- Coma vigile IV- Coma profond
INTRODUCTION Œdème cérébral : se développe chez 80% patients en stade IV d’encéphalopathie hépatique S’accompagne d’une HTIC 30 à 50% DC des patients en insuffisance hépatique aiguë Encéphalopathie hépatique et œdème cérébral = facteur pronostic majeur Physiopathologie complexe Plusieurs hypothèses avancées
ETIOLOGIES DES INSUFFISANCES HEPATIQUES AIGUES Hépatites virales : 40 à 70% VHB : 25 à 75% Co-infection virus delta : 30% cas VHC : rare VHE : en Afrique et Asie du SE Virus du groupe herpes: surtout chez immunodéprimé Autres Hépatites médicamenteuses : 20% Isoniazide Paracétamol: TS +++ AINS, antidépresseurs, anticonvulsivants : mécanisme immuno-allergique
ETIOLOGIES DES INSUFFISANCES HEPATIQUES AIGUES Hépatites toxiques : Amanite phalloïde Solvants industriels Autre Ischémie aiguë hépatique Maladie de Wilson Stéatose aiguë gravidique … Les insuffisances hépatiques aiguës s’accompagnent d’une encéphalopathie hépatique suraiguë
ENCEPHALOPATHIE HEPATIQUE CHEZ LES PATIENTS CIRRHOTIQUES 98% épisodes EH surviennent chez patients cirrhotiques 3 types d’EH : EH aiguë : survient en cas d’un facteur surajouté à la cirrhose; évolution favorable dans 60% cas si traitement de la cause déclenchante EH : complication terminale d’une cirrhose; survenue spontanée; pas de traitement efficace EH chronique : surtout chez patient porteur d’un shunt porto-systémique important spontané ou interventionnel (chirurgical, TIPS); poussées itératives
Facteurs favorisant EH chez cirrhotique - Hémorragie gastro-intestinale - Infections (en particulier du liquide d’ascite) - Déshydratation : diurétiques - Médicaments / benzodiazépines - Poussée d’hépatite alcoolique - Perturbations hydro-électrolytiques : Hypo/hyperkaliémie, insuffisance rénale… - Constipation sévère - Apport protéique excessif
L’ ENCEPHALOPATHIE HEPATIQUE PHYSIOPTHOLOGIE DE L’ ENCEPHALOPATHIE HEPATIQUE - Altération de la barrière hémato-encéphalique Non spécifique de la perméabilité - Responsable de l’œdème cérébral et de l’HTIC - Exposition à des substances neurotoxiques présentes dans le sang - Fuite des neurotransmetteurs Altération spécifique des système de transport Augmentation du transport des acides aminés neutres Diminution du transport du glucose, des corps cétoniques et des acides aminés basiques - Certains acides aminés sont nécessaires à la synthèse de neurotransmetteurs (tryptophane, …); d’autres sont eux-même des neurotransmetteurs (glutamate,…)
- Neurotoxines Hypothèse de l’ammoniaque NH3 = neurotoxine la mieux caractérisée Gagne le foie sous fraction libre ou masquée (glutamine) Le métabolisme hépatique transforme le NH3 en urée Lors de l’IH : dérivation porto-cave, d’ou accumulation de NH3 dans le sang et augmentation de la synthèse d’urée NH3 interfère à plusieurs niveaux dans le fonctionnement cérébral : - modification du transport d’acides aminés du sang vers le cerveau (majoration de la perméabilité de la barrière hémato- encéphalique) - diminution cérébrale en glutamate (neurotransmetteur excitateur), transformation du glutamate en glutamine - altération du métabolisme énergétique cérébral (diminution des taux d’oxygène et de glucose); stress oxydatif - dysfonction mitochondriale des astrocytes Pas de corrélation entre le taux de NH3 et la gravité de l’encéphalopathie
- Neurotoxines (2) Mercaptans (hypothèse du synergisme) Mercaptans : méthanethiol, diméthyldisulfure Composés neurotoxiques dérivés du catabolisme des acides aminés soufrés Synergie de toxicité entre le méthanethiol et l’ammoniaque Composés phénoliques
- Altération de la neurotransmission Par activation d’un système GABAergique L’acide gamma-aminobutyrique = neurotransmetteur inhibiteur le plus important Lors IH : - augmentation nombre de récepteurs GABA post- synaptiques, - augmentation du GABA produit par les intestins, - passage de la barrière hémato-encéphalique Les récepteurs post-synaptiques au GABA sont liés à 2 autres protéines réceptrices (pour les benzodiazépines et la picrotoxine) Dans IH : interactions synergiques avec les récepteurs agonistes des benzodiazépines Donc les benzodiazépines et les barbituriques majorent l’inhibition neuronale GABAergique
- Altération de la neurotransmission (2) Par déplétion d’un système activateur : système glutaminergique Glutamate = neurotransmetteur le plus puissant du cerveau Sert de transporteur au NH3 Hyperammoniémie provoque une déplétion cérébrale en glutamate Catécholamines (neurotransmetteurs) IH : diminution de concentration en noradrénaline intracérébrale Résultats contradictoires sur concentration en dopamine Apparition de faux neurotransmetteurs : acides aminés aromatiques Leur taux augmentent dans la circulation sanguine, avec inondation des extrémités nerveuses Ils sont capables de se substituer aux vrais, provoquant une altération marquée de la neurotransmission dopaminergique
- Altération du métabolisme énergétique cérébral Un apport énergétique et un métabolisme énergétique non perturbé sont un pré-requis à une fonction cérébrale normale Glucose : combustible énergétique cérébral le plus important Dans IH au stade terminale : hypoglycémie conséquence d’une néoglucogénèse altérée Dans IH : augmentation de la vitesse du métabolisme du glucose dans le cerveau
L’ ENCEPHALOPATHIE HEPATIQUE TRAITEMENT DE L’ ENCEPHALOPATHIE HEPATIQUE - Traitement étiologique de la cause de l’insuffisance hépatique aiguë Traitement antiviraux des hépatites virales B, C - N-acétylcystéine dans intoxication au paracétamol = précurseur du glutathion
- Prévention et traitement des facteurs de décompensation des cirrhoses - Hémorragie gastro-intestinale - Infections (en particulier du liquide d’ascite) - Déshydratation : diurétiques - Médicaments / benzodiazépines - Poussée d’hépatite alcoolique - Perturbations hydro-électrolytiques : Hypo/hyperkaliémie, insuffisance rénale… - Constipation sévère - Apport protéique excessif
- Maintien d’une perfusion cérébrale correcte / prévention de l’œdème cérébral - Maintien d’une PAM > 70 mmHg - Optimisation de la volémie - Recours aux catécholamines si hypotension persistante - Mannitol pour HTIC : diurèse osmotique - Maintien d’une PCO2 basse : 35 à 40 mm Hg - Hypothermie : pour contrôler l’œdème cérébral
- Traitement médicamenteux spécifiques de l’EH Traitements basés sur l’hypothèse de l’ammoniaque Diminution des substrats générateurs d ’ammoniaque 50% NH3 intestinal est produit par des bactéries coliques - Nettoyage colique par des laxatifs ou des lavements - Réduction de l’apport alimentaire en protéines :40 g/j Inhibition de la production intestinale d’ammoniaque Traitement ATB utilisé pour réduire la production d’ammoniaque par les bactéries ATB non absorbables / néomycine : 2 à 8 g/j en 4 prises Problème ototoxicité et néphrotoxicité Autres : métronidazole, aminopénicillines, vancomycine Etude italienne : Zeneroli ML, Chemotheray, 2005 Utilisation de la rifaximin : ATB non absorbable permet la prévention des épisodes EH chez patients cirrhotiques
Traitements basés sur l’hypothèse de l’ammoniaque Inhibition de la production intestinale d’ammoniaque Disaccharides de synthèse Lactulose (duphalac); lactilol (importal) Molécules arrivant inchangées au niveau colique, entraînent une acidification au niveau intestinal avec un ralentissement du temps de transit DIMINUTION DE L’ABSORPTION DU NH3 Modes d’administration : po, lavements Lactulose : problème de météorisme, surdosage conduit à une diarrhée avec déshydratation Lactilol : moins sucré, mieux toléré Etude française : Blanc P, Hepatology, 1992 Comparaison entre duphalac et importal dans prévention EH chronique
Traitements basés sur l’hypothèse de l’ammoniaque Stimulation de la fixation métabolique de l’ ammoniaque Dans le foie, l’ammoniaque est détoxifié grâce à la formation de l’urée et dans les autres organes par la synthèse de la glutamine à partir du glutamate Ornithine alpha cétoglutarate et l’ornithine aspartate ont un effet sur la diminution de l’ammoniaque Idem pour le benzoate Pas d’études randomisées et contrôlées Etude chinoise : Chen MF, Juin 2005 Etude randomisée / placebo montrant l’intérêt de l’utilisation de L-ornithine-L-aspartate chez 40 patients cirrhotiques présentant une EH Diminution significative du taux NH3 et amélioration des fonctions hépatiques
Traitements basés sur l’hypothèse des faux neurotransmetteurs Perfusion d’acides aminés à chaîne ramifiée dans le traitement à long terme des EH Bromocriptine : ttt basée sur la théorie d’une diminution de l’activité dopaminergique Résultats contradictoires Traitements fondés sur l’hypothèse GABA Antagonistes des benzodiazépines = flumazénil Utilisé dans IH aiguë et chronique Bons résultats
Antagonistes des benzodiazépines = flumazénil Etude suisse : Dursun , Swiss Med WKLY 2003 Étude prospective, randomisée en double aveugle 47 patients présentant une EH dans le cadre d’une hépatite virale Groupe traité : flumazenil 1 mg/H IV en continu pendant 5 heures / groupe placebo Avant randomisation 12 H traitement avec lactulose et diète protidique - diminution significative du score de gravité EH entre avant et après ttt dans groupe flumazenil - diminution d’un score de gravité neurologique entre avant et après ttt par flumazenil - pas de variation significative de l’EEG
Antagonistes des benzodiazépines = flumazénil Etude italienne : Barbaro , Eur J Emerg Med, 1998 Étude multicentrique, randomisée en double aveugle 236 patients patients cirrhotiques admis en réanimation Résultats : - amélioration du score neurologique chez 23% patients dans le groupe flumazenil / 2% groupe placebo (p<0.001) - amélioration de l’EEG chez 33% patients dans le groupe flumazenil / 3.8 % groupe placebo (p<0.001)
Antagonistes des benzodiazépines = flumazénil Als-Nielsen, Cochrane Database Syst Rev, 2004 Reprise de 39 études comportant 805 patients avec une cirrhose hépatique Etudes en double aveugle flumazenil / placebo Effet bénéfique du flumazenil sur amélioration EH à court terme Pas d’effet sur la mortalité : 93% groupe flumazenil / 92% groupe placebo Pas de recommandation d’utilisation en pratique quotidienne
- MARS : foie artificiel (Molecular adsorbent recirculating system) Permet un support hépatique temporaire dans le cadre des IH fulminantes ou des décompensations aiguës des IH chroniques : - dans la perspective d’une éventuelle régénération du foie natif, - ou dans l’attente d’une transplantation orthotopique 2 circuits de dialyse : 1 avec albumine et 1 avec bicarbonate Wai Kwan Lai, Intensive Crit Care, 2005 Avec le traitement médical seul : < 15% survie si EH grave 10 patients admis pour IH aiguë avec EH grade III ou IV MARS pendant 8H 2j consécutifs 70% DC Majoration résistance vasculaire systémique lors 1° séance Baisse de l’index cardiaque Pas d’effet retrouvé sur la baisse de pression intracrânienne Thrombopénie importante
Nécessité d’études prospectives, randomisées M-H Tsai, J Clin Pract, 2005 10 patients présentant une hépatite fulminante suite à infection à VHB Diminution significative du grade EH, taux bilirubine, taux NH3, et taux créatinine Mais diminution significative du taux de plaquettes 1 patient transplanté avec succès 3 en vie à 3 mois HK Tan, Ann Acad Med Singapore, 2004 13 patients avec cirrhose 8 dans groupe MARS, 5 dans groupe contrôle 100% DC dans groupe contrôle, 75% mortalité à J30 dans groupe MARS Nécessité d’études prospectives, randomisées - Pour connaître les indications et le moment optimal pour débuter ce traitement - Pour connaître ces bénéfices
- La transplantation hépatique Indications : hépatite fulminante cirrhose avec encéphalopathie rebelle Seul traitement curatif de l’encéphalopathie hépatique Taux de survie à 1 an = 60 à 80% si greffe pour IHA Permet une correction de l’encéphalopathie hépatique avec une amélioration des scores psychométriques et de la qualité de vie Corrélation avec une correction de l’atteinte neurophysiologique vue en IRM spectroscopie, EEG et tomodensitométrie à émission de positron Tarter, Arch Intern Med, 1992 Cordoba, J Hepatol 2001 Rose, Liver transplantation, 2004
Traitement de l’encéphalopathie hépatique CONCLUSION Traitement de l’encéphalopathie hépatique Traitement étiologique de l’insuffisance hépatique aiguë Prévention et traitement des facteurs de risque de décompensation des cirrhoses = FONDAMENTAL Traitement médicamenteux de l’insuffisance hépatique demeure peut efficace : Il est basé essentiellement sur le rôle central de l’ammoniaque dans la physiopathologie de l’encéphalopathie hépatique - lactulose ou lactilol - régime pauvre en protides - intérêt de la L-ornithine ??, des ATB non absorbables ?? Intérêt à court terme du flumazenil dans IH aiguë ou chronique Place du MARS est à définir Transplantation hépatique demeure le seul traitement curatif