Exercer son autorité et pratiquer la sanction… Circonscription de Bezons - mercredi 27 avril 2011 Exercer son autorité et pratiquer la sanction… dans une perspective éducative Bruno ROBBES Maître de conférences en Sciences de l’éducation Université de Cergy-Pontoise/IUFM de Versailles Laboratoire EMA (Ecole, Mutations, Apprentissages) EA 4507
Plan de l’intervention Clarifier la notion d’autorité à travers ses différentes conceptions La notion de sanction éducative Deux exemples de situations de classe, où des enseignants s’efforcent d’exercer leur autorité et de sanctionner dans une perspective éducative
Autorité évacuée (1) Profond mouvement d’évacuation des contraintes sociales visibles. Montée croissante d’une revendication individualiste. Affaiblissement des cadres institutionnels traditionnels. Rupture ce qui faisait consensus et lien social. Crise du sens et de la transmission de la norme (« libre service normatif », Legendre, 1990).
Autorité évacuée (2) Décalage grandissant entre les valeurs prônées par notre société et les exigences sur lesquelles l’institution scolaire se fonde (« capitalisme pulsionnel », Stiegler, 2006). Parents, enseignants et éducateurs parviennent de plus en plus difficilement à poser des limites. Les adultes n’assument plus l’asymétrie inhérente à leur position générationnelle (confusion, « inversion des places », Marcelli, 2003). Refus de toute situation conflictuelle.
Autorité évacuée (3) Tendance à refuser l’idée même d’autorité et de son exercice, au nom de son caractère prétendument illégitime et anti-éducatif. Enfant (ou adolescent) considéré comme sujet prématurément responsable de ses actes. Crise de la transmission, déficit d’exercice de la fonction sociale d’éducation.
Autorité évacuée (4) L’exigence sociale actuelle de réponses à court terme et souvent exclusives… …symptôme du fait que les éducateurs ne parviennent (ou ne veulent) plus tenir leur place de garants de la loi symbolique, dans sa double dimension éducative et limitante ? L’enjeu majeur de la fonction éducative dans notre société
Autorité autoritariste (1) La conception autoritariste est l’autorité dans son sens commun. Le détenteur d’une fonction statutaire, d’une position institutionnelle exerce une domination sur l’autre afin d’obtenir de lui une obéissance inconditionnelle, sous la forme d’une soumission.
Autorité autoritariste (2) L’autorité autoritariste a recours à différents moyens Usage de la force physique. Pressions psychologiques diverses exercées sur l’individu, qui jouent sur la séduction (autorité dite « naturelle » ou « charismatique »), sur la culpabilisation et le chantage à l’amour en réactivant l’angoisse d’abandon du sujet (« phénomène autorité », Mendel, 1971). Manipulations exercées sur le groupe.
Autorité autoritariste (3) « L’autorité exclut l’usage de moyens extérieurs de coercition : là où la force est employée, l’autorité proprement dite a échoué » (Arendt, 1972, p. 123). « L’autorité est le pouvoir d’obtenir, sans recours à la contrainte physique, un certain comportement de la part de ceux qui lui sont soumis » (Burdeau, 1995, p. 578).
« Autorité » autoritariste et « autorité » évacuée… se traduisent par l’abandon de la relation éducative… L’enjeu de l’autorité éducative : maintenir quoiqu’il arrive la relation d’éducation
Autorité éducative (1) L’autorité n’est pas un « mal nécessaire » de la relation humaine. Elle est un fait institutionnel et une relation qui se construit dans et par l’action. Elle est un lien anthropologique consubstantiel de l’existence de l’espèce, fondatrice de l’humanisation, principe régulateur du lien social (Marcelli, 2003 ; Blais, Gauchet et Ottavi, 2008).
Autorité éducative (2) L’autorité se révèle au fondement de l’humain, comme un phénomène à la fois personnel et relationnel. Une triple signification indissociable (Obin, 2001) : Etre l’autorité (autorité légale, statutaire – potestas) Avoir de l’autorité (autorité de l’auteur – auctor – qui s’autorise et autorise l’autre – augere) Faire autorité (autorité de capacité et de compétence)
1er sens : l’autorité statutaire La dimension statutaire (asymétrique) de l’autorité est une condition nécessaire à son exercice, mais non suffisante. Elle pose le non négociable de ma place générationnelle. Elle pose le non négociable de ma fonction institutionnelle.
Les statuts du professeur et de l’élève… posent le non négociable « ici, c’est une classe. Le professeur enseigne et l’élève apprend ». « ici, je ne suis l’enseignant d’aucun élève en particulier, mais celui de tous les élèves ». « ici, on échange, mais pas n’importe comment. On est entre êtres humains et on est là pour vivre ensemble ».
2e sens : l’autorité de l’auteur, qui s’autorise et autorise l’autre (1) La personne qui a de l’autorité est d’abord celle qui, par l’acquisition de compétences, de savoirs, conquiert la capacité d’être son propre auteur, c’est-à-dire de s'autoriser à accéder à la responsabilité personnelle, à l’autonomie sur sa propre vie dans ses relations aux autres.
2e sens : l’autorité de l’auteur, qui s’autorise et autorise l’autre (2) L’augere : L’auctor accepte de se confronter à l’autre avec son savoir et ses manques, en ayant le souci de lui ouvrir des voies non tracées à l’avance vers l’autonomie, de l’aider à poser des actes lui permettant de s’essayer à être à son tour auteur de lui-même. L’éducation, « une relation dissymétrique nécessaire et provisoire, visant à l’émergence d’un sujet » (Meirieu, non daté, p. 2).
3e sens : l’autorité, capacité fonctionnelle (1) Le « comment ? », le « faire », c’est-à-dire les savoirs d’actions mobilisés par l’enseignant dans sa pratique de l’autorité.
3e sens : l’autorité, capacité fonctionnelle (2) Le « faire » autorité s’exerce dans deux domaines : Les savoirs en terme de communication. Les savoirs en terme de dispositifs pédagogiques.
Notre définition de l’autorité éducative L’autorité éducative est une relation statutairement asymétrique dans laquelle l’auteur, disposant de savoirs qu’il met en action dans un contexte spécifié, manifeste la volonté d’exercer une influence sur l’autre reconnu comme sujet, en vue d’obtenir de sa part et sans recourir à la violence une reconnaissance qui fait que cette influence lui permet d’être à son tour auteur de lui-même.
Deux tensions de l’autorité éducative Soumission, contrainte/autonomie, liberté. Soumission,contrainte/obéissance, consentement/autonomie, liberté. Nécessité d’une mise en question, d’une instabilité permanente/recherche de solidité, de sécurité.
Sanction éducative « La sanction (ou la punition) au sens large (est) l’acte par lequel on rétribue un comportement qui porte atteinte aux normes, aux lois, aux valeurs ou aux personnes d’un groupe constitué » (Prairat, 1997, p. 11). Quatre formes de punitions/quatre postures corporelles : La punition-expiation/le corps meurtri ; La punition-signe/le corps marqué ; La punition-exercice/le corps dressé ; La punition-bannissement/le corps évincé.
Buts de la sanction éducative (1) Finalité psychologique La sanction est un moyen par lequel un enfant élabore sa culpabilité, se réconcilie avec lui-même puis avec l’autre. La sanction est un coup d’arrêt à la spirale du « faire mal/se faire mal ». La sanction vise à laisser une trace psychique, pas à se venger.
Buts de la sanction éducative (2) Finalité éthique La sanction aide, à un moment donné, un sujet singulier à grandir, à être davantage auteur de lui-même. Elle est un moyen pour promouvoir l’émergence de la liberté d’un sujet en lui imputant les conséquences de ses actes.
Buts de la sanction éducative (3) Finalité politique La sanction vise à réhabiliter l’instance de la loi, garante du vivre ensemble. Elle rappelle la primauté de la loi, non la prééminence du détenteur de l’autorité statutaire. La sanction fait lien entre l’individu et le collectif. Elle doit permettre à l’élève de retrouver sa place dans le groupe.
Caractéristiques de la sanction éducative Elle s’adresse à un sujet. Elle est tournée vers l’avenir d’un sujet considéré comme éducable : on punit pour ne plus avoir à punir. Elle porte sur des actes, pas sur des intentions. Elle est privation de l’exercice d’un droit. Le ressort de la sanction éducative est la frustration, pas l’humiliation. Elle s’accompagne d’une procédure réparatoire. La sanction doit s’accompagner d’une mesure, d’un geste ou d’un signe en direction de la victime (ou du groupe).
Caractéristiques des sanctions qui fonctionnent Galand, B. (coord.) (2009). Les sanctions à l’école et ailleurs. Serrer la vis ou changer d’outils ? Bruxelles : éditions couleur livres (Changements pour l’Egalité – mouvement sociopédagogique) www.couleurlibres.be Etat d’esprit Culture Valeurs Projet de (micro-)société Vision de l’éducation
Efficacité Une façon de gérer bénéfique pour la socialisation et l’apprentissage. Locale, circonstanciée, attachée à un groupe particulier.
Etat d’esprit des éducateurs Une dédramatisation de la transgression : les infractions aux règles, les sanctions sont considérées comme faisant partie du processus d’éducation. Une logique éducative, plutôt que judiciaire. Des dispositifs pour ne pas trop se sentir personnellement visé et gérer ses émotions.
Cohérence dans l’équipe Les rôles et les responsabilités sont clairement définis, les procédures sont explicites et partagées. « Qui fait quoi, où quand, comment, pourquoi ? » Les éducateurs vivent eux-mêmes ce qu’ils prônent.
Ecoute, dialogue Instaurer un espace de parole. « Traiter » non seulement les actes, mais également le sens de ces actes. Les règles peuvent être modifiées selon des procédures explicites.
La sanction Rappeler la règle et vérifier la compréhension de son fondement. Retrait de certains droits, toujours dans un délai limité et avec une évaluation et une gradation prévues. Ne pas humilier.
Exclusion Une source de questionnement. Différentes formes, différentes significations.
Pour conclure… Autorité et sanction éducatives… « Qu’est-ce que je cherche à obtenir avec les règles ? » « Qu’est-ce que je vise avec cette sanction ? » Autorité et sanction éducatives… maintenir le lien à l’autre.