Histoire de l’enseignement de la natation Thierry Terret – BEESAN 2006

Plan 1 – L’héritage des premières formalisations 2 – Entre école, sport et loisir : les modèle d’enseignement de la natation au 20ème siècle 3 – Savoir nager et motricité aquatique

1 – L’héritage des premières formalisations

1-1 L’invention d’une pédagogie de la natation Une conjoncture favorable : la Renaissance Ancienneté des pratiques Une eau qui transite dans un corps perméable L ’eau maléfique Les plaisirs du bain Le bain, un lieu de moins en moins légitime La double disqualification de l ’eau

Une conception technologique de la natation Le corps et la raison Le bateau et le progrès humain « L ’homme seul entre les animaux peut faire des barques et des ponts, ou passer des rivières à cheval » (Pelisson, 1647) La machine de Lanquer (Le naufrage sans péril, 1675) ; La cuirasse de liège de Bachstrom (L ’art de nager, 1741)

L ’habit de mer de Gelaci La soubrevest du Sieur Bonal, La jaquette de Wilkinson La ceinture de liège du Comte de Puysegur La machine de Ozanam Mallison: « Advice to all who are desirous of acquiring the art of swimming, in which is clearly shown the impossibility of an accident happening when equipped with the invention called the Seaman ’s friend and bather ’s companion », 1812

UP de Latour, Des patins-nageoires et de la natation en général, 2e éd

Le scaphandre de l ’Abbé de la Chapelle (1775) « Nager sur le champ sans jamais avoir appris » « marcher tout debout à la nage » La nature maîtrisée Ne pas se rabaisser au rang de l ’animal

1-3 Naissance d’une conception technique de la natation L ’intelligence au service de l ’apprentissage Nicolaus Wynman, Colymbetes, sive de arte natandi, 1538 Everard Digby, De arte natandi, 1587 La comparaison avec l ’animal et la conception elisabethaine du rapport au monde Une référence ambiguë à l ’animal

Des descriptions courtes et illustrées Un souci de précision Une référence incontournable

« Pendant l ’action de nager, l ’homme se soutient et avance sur l ’eau, par les mouvements des bras et des jambes qui se fléchissent et s ’étendent alternativement avec la plus forte contraction » (Tissot, 1780) « Il faut avoir soin en nageant que le mouvement des mains coïncide parfaitement avec celui des pieds. On approche d ’abord les mains vers le menton, ensuite on les avance en leur faisant décrire un demi-cercle à droite et à gauche, et en tournant la paume de la main en dehors. Quant aux pieds, on les rapproche d ’abord, en les tenant bien joints ; ensuite, on les étend en poussant l ’eau à droite et à gauche, et on avance ainsi » (Durivier et Jauffret, 1803) « Que vos talons se touchent et qu ’ils soient rapprochés des fesses ; que vos genoux soient éloignés l ’un de l ’autre le plus possible. Tenez-vous prêt à chasser vigoureusement de la plante des pieds l ’eau qui se retrouvera dans leur direction et, surtout, retenez bien ceci : comme si un même ressort faisait partir à la fois vos pieds et vos mains, que vos bras et vos jambes se déploient en un seul instant » (Anonyme, 1819) « Les mouvements simultanés des bras et des jambes déterminent la progression du corps ; les extrémités supérieures, rapprochées, se portent au devant du tronc pour rompre le fil de l ’eau et du courant, puis des mouvements de flexion et d ’extension refoulent le liquide sur les côtés et en arrière, tandis que les membres inférieurs exercent les mêmes mouvements de flexion et d ’extension et impriment à la masse liquide un mouvement rétropulsif plus fort et plus étendu en prenant leur point d ’appui sur l ’eau » (Debreyne, 1844)

1-2 Les bains et écoles de natation : s’entretenir Les bains du pauvre Toues et « bains à 4 sous » « On voit là, pêle-mêle, des femmes, des filles de tout âge ; une nudité complète les livre avec insouciance aux regards les uns des autres (...). Les jupes, les chemises, les bas, les fichus, les robes sont mis par paquets et fixés à des cerceaux que soutient la voile en demi-ceintre: plus d'une baigneuse, il est vrai, s'est vu ravir sa toilette » (Cuisin, 1822)

A chacun son bain « Des masses de batraciens à face humaine, grouillant et pataugeant dans cette vasque immonde » (Briffault, 1844)

Les bains du Sieur Turquin "La première leçon, qu'on appelle obligatoire, aura pour objet tous les mouvements qu'on est obligé de faire pour nager. Pour cette raison, elle se donnera à sec, c'est-à-dire le corps vêtu, hors de l'eau, couché et suspendu dans le milieu sur des machines imaginées à cet effet (...). Les membres ainsi disposés aux mouvements de la natation, les leçons seront répétées dans le bassin destiné à nager et seront dirigés par d'habiles maîtres (...). La 3° leçon sera d'apprendre à nager tout habillé (...). La 4° consistera à faire prendre aux élèves l'habitude d'apprendre à nager en pleine rivière contre le vent et le courant d'eau (...). La 5° sera l'art de plonger » (Turquin, 1786)

Les bains de l'aristocratie

Les écoles de natation de la bourgeoisie

Les bains de mer Une fonction hygiénique renforcée : le bain de mer comme cure la gestion médicale d'une réaction de l'organisme « ceux qui ne savent pas nager peuvent se tenir par la main et, en groupe, faire des rondes dans l'eau » (Dr. Amat, 1883) Les conditions de l ’immersion

Nager ou se baigner Roulottes et « baigneurs » L ’immersion entre plaisir et cure

1-3 les sociétés de sauvetage : survivre Permanence des naumachies Une culture à part force et solidarité au cœur des naumachies Rivière et solidarité « prendre toutes les mesures nécessaires pour prévenir ou éviter les accidents maritimes, et d'encourager par tous les moyens en son pouvoir les œuvres humanitaires » Une composition sociale circonscrite La fête et la natation Joutes et natation La reconversion de certains experts

1-4 L’institution militaire : obéir De Courtivron… Une tradition ancienne Le Vicomte de Courtivron, « Traité complet de natation. Essai sur son application à l'art de la guerre », 1823, 1824, 1836. 18 « manières de nager » « l'art de se soutenir sur l'eau, de s'y diriger en divers sens et d'y plonger » « la natation est une lutte constante, c'est bien parce que l'eau est une ennemie formidable avec laquelle il faut lutter sans cesse, qu'il faut toujours vaincre, toujours dominer pour ne pas être sa victime »

Une typologie utilitariste un décalage avec Amoros

Art de la natation et art de la guerre : les compétences du nageur-soldat

… A d’Argy l ’étape de l ’apprentissage terrestre Le natateur de Lechevallier

Au-delà de la fonction stratégique et utilitaire : trois options l ’option hygiénique l ’option disciplinaire l ’option roborative

2 – Entre école, sport et loisir : les modèle d’enseignement de la natation au 20ème siècle

Source : Terret, INSEP 1999 Conjoncture Une natation... Pourquoi ? (enjeux) Quoi ? (contenus) Comment ? (procédures didactiques) Où ? (conditions matérielles) Qui ? (conditions humaines) ...disciplinaire (1882-1918) La discipline et l’hygiène La brasse et le geste Le simple et le complexe L’eau et la terre Le maître et le marinier ...utilitaire (1918-1960) L’adaptation et l’hygiène La brasse et les nages essentielles L’instrument et l’élève L’eau et le petit bain L’instituteur et le professeur de natation ...sportive (1960-1975) Le champion et la technique L’équilibre, la respiration et la propulsion Le débutant et l’expert L’eau et le bassin d’apprentissage L’instituteur et le MNS ...ludique (1975-1990) Le jeu et la motricité Le répertoire moteur aquatique L’essai et l’erreur L’eau et le milieu ...de loisir (1990-1997) Le loisir et la culture L’ERPI L’action, la réflexion et la régulation L’eau et la vague Le Professeur des Ecoles et le MNS Source : Terret, INSEP 1999

2-1 Une natation disciplinaire (1882-1918) La natation devient une gymnastique Une référence au modèle militaire qui valorise la phase terrestre. Des objectifs patriotiques "On soutient l'élève au moyen de deux cordes, l'une à la ceinture, l'autre aux épaules (...). Le professeur fera exécuter les mouvements en donnant lui-même la cadence; lorsque l'élève exécutera bien, il l'abandonnera peu à peu à lui-même en lâchant un peu les cordes" (Lequenec, 1886) La brasse : seul modèle technique

Un art du mouvement Privilégier la discipline collective Des espaces conformes aux objectifs

2-2 Une natation utilitaire (1918-1960) L’adaptation et l’hygiène : "Le véritable nageur est celui qui nage dans toutes les situations, ne se reposant d'une manière que par une autre et qui, ayant beaucoup de chemin à faire et craignant d'être saisi d'une crampe, variera son attitude pour donner de l'action aux muscles qu'il sent près de se raidir (Poulaillon, 1904)

Phase d’apprentissage en sept étapes chez Hébert: apprentissage de la brasse sur le ventre (« l’alphabet de la natation »), brasse sur le dos, plongée sous l’eau, plongeon par les pieds et par la tête (ici, le débutant est en mesure d’aborder la leçon-type), flotter en s’aidant des membres, nage sur le côté, nages de vitesse. Chaque nouvelle nage est d’abord exécutée à sec, puis en eau peu profonde, avec ou sans aide, puis en eau profonde avec sangle, bouée, ou un autre appareil

L’instrument et l’élève : les innovations de Paul Beulque

La brasse et les nages essentielles: “La brasse, c'est la marche, l'over arm stroke, c'est le pas gymnastique. Le trudgeon et le crawl, c'est la course. Dès que l'écolier connaîtra la brasse, il devra donc essayer les nages spéciales” (G. Rigal, L. Vénard, La natation moderne enseignée à tous, Paris, 1921) L’instituteur et le professeur de natation L’eau et le petit bain Schoebel et la familiarisation au milieu aquatique

2-3 Une natation sportive (1960-1977) Le champion et la technique : R. Catteau, G. Garoff, L'enseignement de la natation, Paris, Vigot, 1968 L’équilibre, la respiration et la propulsion Le débutant et l’expert L’instituteur et le MNS Les bassins d’apprentissage mobiles

2-4 Une natation ludique (1977-1990) Le jeu et la motricité : Guy Azemar et l’aventure motrice Alain Vadepied et le jardin aquatique Pierre Arnaud et Gérard Broyer et le développement de l’intelligence Le répertoire moteur aquatique. Les 17 « repères » Une démarche par essai et erreur L’eau devient un « milieu aquatique » L’instituteur et le MNS

2-5 Une natation de loisir (1990-2006) Le loisir et la culture Le système ERPI : L’action, la réflexion et la régulation L’eau et la vague Le Professeur des Ecoles et le MNS

3 – Savoir nager et motricité aquatique

3-1 Les trois savoirs un savoir minimal et utilitaire un savoir fondamental des savoirs spécifiques

3-2 Référence culturelle et motricité aquatique EFAS: une nouvelle modélisation de la natation

Quelques conséquences Sur le choix de la programmation Sur le choix des espaces Sur la cohérence contenus d'apprentissage-évaluation Sur la place des techniques de nage et des règlements fédéraux

3-3 Cohérence des conceptions Patrick Schmitt (1990), Nathalie Gal (1993) Patrick Pelayo, Dominique Maillard, Denis Rozier et Didier Chollet Jean-Luc Ubaldi (1998), Richard Reffugi (1996), M. Verger (1993), M. Payen et G. Denis (1993) Roland Michaud et les CPD du Rhône Tests…

Une relance officielle de l’enjeu sécuritaire circulaire du 31 mai 2000 pour la pratique des sports nautiques : « apprécier la capacité de l’élève à se déplacer dans l’eau, sans présenter de signe de panique, sur un parcours de 20 mètres, habillé de vêtements propres (tee-shirt et, si possible, pantalon léger, de pyjama par exemple) et muni d’une brassière de sécurité conforme à la réglementation en vigueur, avec passage sous une ligne d’eau, posée et non tendue ». Programmes scolaires… et alternatives

Visée culturelle dominante Exemples de propositions pédagogiques pour l’apprentissage de la natation chez l’enfant selon la nature de l’objectif et le type de motricité valorisé Visée culturelle dominante Culture corporelle Culture sportive Culture aquatique Motricité valorisée Adaptation A. Vadepied, G. Azémar, M. Piednoir, V. Delaune, FAEL J.Vallet, J. Fouace Y. Depelseneer Nager, réussir et comprendre « Pechomaro » Efficience Agir dans le monde (Cycle 1) R. Catteau, « Digne Dingue D’eau », les « 17 repères » N. Gal, P. Pelayo