Etre professeur aujourd’hui… Philippe Meirieu 11 octobre 2006 http://www.meirieu.com
L’éducation, un des trois métiers impossibles pour Freud… Parce que « l’action pour » ne peut pas être « l’action sur »… Parce qu’on est dans la praxis et non dans la poïesis… Parce que je dois simultanément postuler que… « tous les élèves peuvent apprendre. » « nul ne peur contraindre un élève à apprendre. » Parce qu’enseigner confronte en permanence à des apories théoriques qui ne sont surmontables que par des « dispositifs pédagogiques ».
et si l’Ecole s’était « désinstitutionnalisée ? » Mais ce métier ne serait-il pas devenu encore plus impossible aujourd’hui pour des raisons…. sociologiques ? politiques ? institutionnelles… et si l’Ecole s’était « désinstitutionnalisée ? »
Première partie UN CONTEXTE NOUVEAU, DE FORTES EXIGENCES SOCIALES, UNE INQUIETUDE DES ACTEURS… Deuxième partie QUELQUES PRINCIPES FONDATEURS DE L’INSTITUTION SCOLAIRE POUR REINSTITUTIONNALISER LE METIER D’ENSEIGNANT… Troisième partie QUELQUES REPERES POUR METTRE EN APPLICATION LES PRINCIPES DE L’ECOLE ET REDONNER SENS AU METIER D’ENSEIGNANT…
Première partie UN CONTEXTE NOUVEAU, DE FORTES EXIGENCES SOCIALES, UNE INQUIETUDE DES ACTEURS…
Un contexte éducatif nouveau… La disparition d’une référence morale unique. L’accélération de l’histoire et la déliaison transgénérationnelle. L’enfant entre bébé tyrannique et adulte prématuré. L’adulte entre crispation autoritariste et laxisme démagogique.
De fortes exigences sociales et politiques… La réussite scolaire « exigée » par les parents… L’échec scolaire mis hors-la-loi… L’économie sans cesse demandeuse de nouvelles qualifications… De nouvelles attentes dans de nombreux domaines où l’école est censée prendre le relais des institutions sociales défaillantes : éducation morale et civique, éducation à la santé, éducation sexuelle, etc.
Une grave inquiétude des acteurs… « Faire la classe » suppose que l’on entre dans un espace structuré dont les principes de fonctionnement sont définis, acceptés et mis en œuvre… Il fut, peut-être, possible, jadis, de « faire la classe » sans avoir, chaque jour, à « refaire l’Ecole »… Le « déclin des institutions » impose aujourd’hui, bien souvent, de « (re)faire l’Ecole » pour pouvoir « faire la classe »…
Deuxième partie QUELQUES PRINCIPES FONDATEURS DE L’INSTITUTION SCOLAIRE POUR REINSTITUTIONNALISER LE METIER D’ENSEIGNANT
La qualité d’un service se mesure à la satisfaction des usagers. Principe n°1 : L’École n’est pas seulement un service, c’est aussi une institution. La qualité d’un service se mesure à la satisfaction des usagers. La qualité d’une institution se mesure à sa capacité à faire vivre des valeurs. Un service est fondé sur la juxtaposition (ou la concurrence) des « intérêts individuels ». Une institution est fondée sur la définition possible et la mise en œuvre d’un «bien commun».
Principe n° 2 : Dans une démocratie, les valeurs de l’Ecole ne peuvent être ni imposées au nom d’une transcendance (théocratique), ni celles d’un groupe particulier qui chercherait à imposer ses intérêts… Elles ne peuvent pas, non plus, être relatives aux alternances politiques... « L’obéissance à la loi qu ’on s’est soi-même prescrite est liberté. » Jean-Jacques Rousseau
Dans une démocratie… les valeurs de l’Ecole sont celles qui rendent possibles l’exercice même de la démocratie. Les interdits anthropologiques fondateurs : interdit de l’inceste, interdit de la violence, interdit de nuire (ne pas mettre en péril les individus et le monde commun). L’exigence politique essentielle : la construction du « bien commun ». Le projet pédagogique : permettre à chacun de « penser par soi-même ». Les objectifs didactiques : disposer des connaissances pour « penser le monde » et « se penser dans le monde ».
Principe n° 3 : Pour faire exister un espace public dévolu à la formation du citoyen, l’École doit suspendre les contraintes de la production et considérer qu’il est toujours plus important de « comprendre » que de « réussir ». Célestin Freinet fut, dans toute son œuvre, travaillé par cette question...
« Réussir » et « comprendre » Réussir, c’est chercher à résoudre un problème « à l’économie », en faisant appel à des compétences préexistantes ou à des personnes déjà compétentes. Comprendre, c’est prendre le temps d’ «ouvrir la boite noire », de repérer les obstacles et d’intégrer les mécanismes. Comprendre, c’est apprendre pour transférer. Jean Piaget
Principe n°4 : L’École publique doit être à elle-même son propre recours. L’Ecole - à chaque niveau - doit proposer un recours possible en cas d’obstacle ou de difficulté… - en matière d’apprentissage, - en matière d’aide méthodologique, - en matière de ressources culturelles, - en matière d’orientation. Johann Heinrich Pestalozzi 1746 -1827
Principe n°5 : L’École contribue à délivrer ceux qui la fréquentent de toutes les formes d’emprise sur les esprits. La lutte contre toute les formes d’emprise dans l’école (y compris l’emprise de l’école elle-même ) est une définition possible du principe de laïcité pour aujourd’hui. Joseph Jacotot 1770 - 1840
Troisième partie QUELQUES REPERES POUR METTRE EN APPLICATION LES PRINCIPES DE L’ECOLE ET REDONNER SENS AU METIER D’ENSEIGNANT…
Repère n°1 : Afin de permettre à chacun d’apprendre, la classe est organisée comme un « espace hors menace ». On ne peut apprendre que si sont suspendues : - les menaces de l’humiliation, - les menaces de l’identification de la personne et de ses actes. - les menaces de l’aspiration par la production. - les menaces de ses propres débordements.
Repère n°2 : Dans la classe, les temps et les lieux sont spécifiés et correspondent, à la fois, à des activités à mettre en œuvre et à des comportements attendus clairement identifiés. Pour cela, l’organisation des temps et des lieux fait l’objet de rituels qui permettent de faire émerger les postures mentales exigées des élèves.
Repère n°3 : Le travail, dans la classe, s’effectue sur des objets. Un objet est « objet de savoir » dans la mesure où il résiste à la toute-puissance de l’imaginaire, se constitue comme une réalité extérieure au sujet et lui permet de s’exprimer « à son propos ».
Repère n°4 : La présence et l’arbitrage des objets permettent de dépsychologiser la relation pédagogique. Ils lestent les conflits d’opinions et confèrent à la parole du maître sa véritable autorité. La classe est un lieu où la vérité d’une parole n’est pas relative au statut de celui qui l’énonce.
Repère n°5 : Dépsychologiser le métier, c’est aussi le faire entrer délibérément dans une démarche culturelle… C’est offrir des « objets culturels » qui permettent de relier l’intime et l’universel.
Repère n°6 : La tâche à réaliser permet de mettre l’élève en projet Repère n°6 : La tâche à réaliser permet de mettre l’élève en projet. La tâche n’est pas, en elle-même, l’objectif à atteindre. C’est l’objectif qui doit être évalué à travers la tâche. Le réinvestissement dans une nouvelle tâche permet, à la fois, de mobiliser l’élève et de vérifier une acquisition.
Repère n°7 : La classe, dans l’ensemble de ses activités, est apprentissage de la démocratie. Elle doit permettre, aux élèves d’apprendre à se construire comme un collectif, d’identifier les objets sur lesquels ils peuvent légiférer légitimement, de définir les règles incarnant le bien commun et de les appliquer dans la durée.
Repère n°8 : Les sanctions contribuent non à exclure de la classe mais à y intégrer. Elles reconnaissent à l’élève la responsabilité de ses actes et, en même temps, lui permettent de revenir dans le collectif dont il s’est lui-même exclu.
Conclusion provisoire... Non seulement, on peut encore enseigner aujourd’hui…… Mais il faut absolument enseigner aujourd’hui, plus que jamais ! Pour aller plus loin : http://www.meirieu.com