Médecine, limites et société : Questions éthiques et pistes pratiques Congrès de la SFPO Lille, 2015 Donatien Mallet, François Chaumier USP de Luynes-CHU de Tours Équipe de recherche « Éducation, éthique, santé » UFR François Rabelais
Une tension inéluctable de l’ordre du combat Un corps luttant – « agôn » ≠ « moribundus » Un désir infini Une « persévérance à être », avec et malgré tout – « Du fond de la vie une puissance surgit qui dit que l’être est être contre la mort » (P Ricœur, 2009)
Une société du « toujours plus » La flèche ascendante / rond grec – « Reculer les bornes de l’empire humain en vue de réaliser toutes choses possibles » F. Bacon Un rapport opérationnel : dépasser la limite Un système technicien qui s’autonomise – « Un monde sans sujet » J. Ellul
Le désarroi solitaire de l’individu contemporain Une dimension solitaire Une carence de la solidarité collective Une vacance du langage et du symbolique – « Passage d’une société symbolique, visant à produire du sens, à une société technologique, visant à maîtriser de manière rationnelle le tout de la vie, nature aussi bien qu’humains » (P. Boitte,2014)
La médecine doit - elle construire un rapport à la limite ? Une solitude angoissante et mortifère Un destin, individuel et collectif, à assumer Un enjeu de justice distributive
Coût des nouvelles molécules en hématologie de 2000 à 2014 (Gyan, 2014)
Le médecin est-il le mieux placé pour établir un rapport à la limite ?
Complexité de la décision médicale : Faits, objectif thérapeutique et communication Sur-estimation du pronostic en cancérologie malgré l’existence de score pronostic validé Chimiothérapie dans le mois précédent le décès – 20 à 40 % (C. Bouleuc, 2009) – Effet secondaire grave lié à la CT : 40 % – Cause ou accélération du décès : 27 % (Agence nationale britannique pour la sécurité des patients, 2008)
Limites de l’identité personnelle Formation médicale et structuration personnelle orientées vers le savoir, l’action, le dépassement Confrontation psychique épuisante face aux limites et à l’angoisse
Paradoxe du soignant Enquête sur 2475 soignants européens – Maintien ou non de l’alimentation artificielle pour les personnes cérébro-lésés depuis plus d’un an ? « Le corps médical a un travail à faire sur lui-même, car il ne me parait ni moral, ni éthique de ne pas accorder à autrui ce qu’on aimerait voir appliquer à soi » (S. Laureys, 2011) Arrêt alimentation PatientPatient =soignant EVC66 %82 % État conscience minimale 28 %67 %
Qui d’autre ? Une construction sociale avec différents niveaux de responsabilités 1. Personnelle → Clinique et « sagesse pratique » 2. Collective → Délibération collective 3. Disciplinaire → Recommandations 4. Sociétale et politique → Médiatisation
1. Clinique Anticiper – Inscrire la délibération sur les limites dans la continuité du parcours de soin Adapter le discours médical – « S’engager sur un contrat d’objectifs – Positionner les limites de l’action médicale en prenant soin de ne pas créer de dépendance entre un type de traitement et l’espoir du malade » (F. Goldwasser, 2010) Construire des projections de trajectoire
Assumer sa responsabilité professionnelle – « La médecine est la science des limites des pouvoirs que les autres sciences prétendent lui confier » G. Canguilhem Déplacer le cadre de la justification morale – Un impératif technique : « la perte de chance » – Un impératif hippocratique : primum, non nocere (J.-C. Mino, 2015) – Tenter de créer du sens dans une optique du « moindre mal » Dégager un espace de liberté par rapport à l’institution … et Sagesse pratique
Directives anticipées et cancérologie Fonction éthique : – Sollicitation et respect de l’autodétermination Fonction psychique – Réassurance Difficultés / épreuves / impossibilités des patients Un moyen ≠ pas une fin
2. La délibération collective Les RCP : une expertise nécessaire ≠ délibération éthique – « Sitôt que les choix techniques remplacent les choix éthiques, la technique, bien loin d’être éthiquement neutre, se révèle éthiquement neutralisante » (D. Folscheid, 1997) « Un processus de délibération collective » (CCNE, 2014) – Articulation d’éléments biomédicaux, contextuels et existentiels – Délibération impliquant patient, soignants et entourage avec le respect des responsabilités de chacun – Processus continu, formel et informel – Travail langagier sur les représentations et les significations – Apprentissage et organisation collective
3. Une responsabilité disciplinaire S’appuyer sur des recommandations des sociétés savantes, de l’HAS…
4. Une nécessaire médiatisation : reconnaissance de la limite et justice distributive Médiatiser la nécessité de construire collectivement un rapport aux limites Assumer des choix et leurs mises en œuvre – « Des choix clairs, courageux, explicites aux yeux des citoyens » (CCNE, 2011) – « Prendre en compte de façon concrète et non hypocrite les contraintes d’ordre social et économique dans la détermination des choix collectifs » B. Cadoré
Une nouvelle responsabilité sociale Trois fonctions médicales – L’ « accompagnateur » – Le « médiateur » – Un des créateurs d’un « éthos » contenant, dialoguant, ouvert, assumant et respectant l’énigme de la condition humaine