De l’intérêt de l’approche comparée du lexique créole des Antilles

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Transcription de la présentation:

De l’intérêt de l’approche comparée du lexique créole des Antilles Dictionnaires et culture créole Marie-Christine Hazaël-Massieux Professeur à l’Université de Provence

Il existe plusieurs dictionnaires concernant le créole des Petites Antilles. Tous ont leurs limites : la principale étant qu’ils ne sont pour la plupart pas des travaux de lexicographes, mais le résultat de collectes effectuées par des curieux et/ou des lettrés. Mais leur comparaison est riche d’enseignements…

1°) Les principaux dictionnaires existant Pour la Guadeloupe : - Auguste Bazerque, 1969 : Le langage créole, ARTRA, Guadeloupe, 687 p. – - Ralph Ludwig, Danièle Montbrand, Hector Poullet, Sylviane Telchid, 1990 : Dictionnaire créole français (Guadeloupe), avec un abrégé de grammaire créole et un lexique français-créole, Servedit/Editions Jasor, 471 p. [réimpression 2002] Henry Tourneux et Maurice Barbotin, 1990 : Dictionnaire pratique du créole de Guadeloupe, suivi d'un index français-créole, Karthala/ACCT, 486 p. Maurice Barbotin, 1995 : Dictionnaire du créole de Marie-Galante, Allemagne, Hamburg, Helmut Buske Verlag, 231 p.

Pour la Martinique : - Elodie Jourdain, 1956 : Le vocabulaire du parler créole de la Martinique, Klincksieck, 303 p. - Pierre Pinalie, 1992 : Dictionnaire élémentaire français-créole, L'Harmattan / Presses Universitaires Créoles, 237 p. - Raphaël Confiant : Dictionnaire des néologismes créoles, tome 1, Ibis Rouge Editions, 2001, 199 p. - Un dictionnaire martiniquais de Raphaël Confiant en ligne (fichier .pdf, pour l'instant jusqu'à la lettre L en ligne). Vient de paraÎtre, 2007 : Ibis Rouge Editions, 2 tomes, 1472 pages. [aérées]

Pour la Dominique : - Marcel Fontaine, 1991 : Dominica's Diksyonnè. Kwéyol - Annglé / English - Creole Dictionary, Dominique, Roseau, 158 p. Pour Sainte-Lucie : - Jones E. Mondesir, 1992 : Dictionary of St. Lucian Creole, Allemagne, Berlin, Mouton de Gruyter, 621 p.

Sans oublier, parce qu’ils peuvent servir pour la Caraïbe [mais on devrait aussi citer des dictionnaires de l’OI, notamment le Dictionnaire étymologique des créoles français de l’Océan Indien d’A. Bollée] : Pour la Guyane : - Roseline Jadfard, 1997 : Kréol. Guide pratique de conversaton en créole guyanais, avec un mini-dictionnaire de 3000 mots, Guyane, Kourou, Ibis Rouge Editions, 117 p. Georges Barthelemi, 1995 : Diksyoner pratik kreol gwiyane - franse, ke eleman gramatikal / Dictionnaire pratique créole guyanais - français, précédé d'éléments grammaticaux, Guyane, Kourou, 285 p. -Georges Barthèlemi, 2007 : Dictionnaire créole guyanais-français, Ibis Rouge Editions, 461 p. [très aérées]

Pour Haïti : - Jules Faine, 1974 : Dictionnaire français-créole, Canada, Ottawa, Léméac, 479 p. - Bentolila, Alain, et al., 1976 : Ti diksyonnè kréyol-franse, Haïti, Port-au-Prince, Ed. Caraïbes, 511 p. - L. Peleman, 1976 : Dictionnaire créole-français, Haïti, Port-au-Prince, Bon Nouvèl, 209 p. - Albert Valdman et al., 1981 : Haitian Creole-English-French Dictionary, 2 vol., USA, Blommington, IN, Creole Institute, 582 p. + 142 p. - Albert Valdman, Charles Pooser, Rosevel Jean-Baptiste, 1996 : A Learner's Dictionary of Haitian Creole, USA, Bloomington, Creole Institute, Indiana University, 529 p. - Bryant Freeman, Jowel Laguerre, 1996 : Haitian - English Dictionary, USA, Lawrence, Kansas / Haïti, Port-au-Prince, Institute of Haitian Studies, University of Kansas / La Presse Evangélique, 621 p.

Surtout : Valdman, Albert, dir., 2007 : Haitian Creole-English Bilingual Dictionary, Creole Institute, Indiana University, 781 p. Pour la Louisiane : - Albert Valdman, Thomas A. Klingler, Margaret M. Marshall, Kevin J. Rottet, 1998 : Dictionary of Louisiana Creole, USA, Bloomington, Indiana University Press, 656 p. En outre : quelques glossaires, lexiques divers… On ne manque pas de sources et ressources en matière de lexique. Que peut-on en tirer ?

2°) Résultats d’une première observation Un seul dictionnaire ne peut suffire de fait, car souvent les dictionnaires ne relèvent qu’un sens ou un usage – ce qui ne permet guère d’avancer (et ceci en soulignant un certain nombre d’erreurs d’interprétation. Nous soulignerons ici au moins trois domaines où la comparaison peut donner des éléments intéressants : les sources non françaises. Ex. de « bichi-bichi » ; « kyòlòlò »… les sources françaises anciennes (vocabulaire rural, vocabulaire de la pèche…) cf. « golèt »… l’apport de données culturelles : « blan kochon »…

Bichi « Bichi ! / mequié la pas bon ma chere / millors vous changé zami » = entre nous, l’affaire (ou le métier ?) n’est pas bon ma chère ; il vaudrait mieux pour vous changer d’ami. (dans Jeannot et Thérèse de Clément, opéra en Vaudeville, 1783) Un seul dictionnaire de la zone mentionne le terme ; dans Barbotin, on trouve : Bichi-bichi : palé bichi-bichi : parler en aparté.

golèt « Taille à li semblé gaulette » (cf. Réponse à Lisette dans Moreau de St-Méry) Allusion à « une grande perche » ? Cf. Barbotin : golèt = 1) Grande gaule fine terminée par une petite fourche, utilisée pour cueillir les fruits ».

Blan cochon « Tété li c’est blan cochon » toujours dans la Réponse de Lisette qui continue à détailler les traits physiques peu avantageux de sa rivale : « Bonda li c’est paquet zos. Li pas teni dents dans bouche. Tété li c’est blan cochon… » = Son derrière est un paquet d’os, elle n’a pas de dents dans la bouche… Blan : 3e entrée dans Barbotin : « Tête de canne à sucre ; si on veut la donner à manger aux cochons on laisse un ou deux nœuds en plus, si on veut l’utiliser comme plant de canne à sucre on ne lui laisse aucun nœud à la base. Tout kochon ka émé blan a kann : Tous les cochons aiment bien le blanc de canne à sucre. » Cela veut dire que les seins de l’amie de celui dont Lisette pleure l’absence sont comparés à ces déchets laissés après récupération et utilisation de la canne pour la confection du sucre.

Le contexte francophone et ses dangers : réinterprétation unique et contemporaine, à travers le français des dictionnaires (français) et de l’école. Intérêt de regarder lexique dans les îles plus isolées et au parler conservateur : cf. Marie-Galante Intérêt de regarder le lexique dans les îles anglaises : le créole le plus ancien a pu se maintenir malgré la colonisation anglaise et en l’absence de contact avec le français : les évolutions se révèlent parfois différentes de celles qui ont eu lieu dans les îles voisines francophones.

Un exemple : Kyòlòlò Dans tous dictionnaires où cela paraît : mauvais café, café clair ; par extension (moderne) on trouve : « kréyol kyòlòlò » = mauvais créole ! Origine inconnue, et donc signification première est difficile à saisir. [de fait il s’agit là, comme on va le voir, d’une comparaison !] C’est par l’usage à la Dominique, où l’on a conservé un usage plus proche de la signification étymologique (l’évolution sémantique se révèle souvent différente en raison de l’absence de contact avec le français et donc d’un certain « conservatisme » linguistique) que notre compréhension sera éclairée. « Kyòlòlò » y désigne une vilaine diarrhée ! Sens étymologique que l’usage courant en Guadeloupe a complètement perdu. A méditer pour la nouvelle expression « Kréyol kyòlòlò » : pourrait-on, retrouvant l’origine, traduire par « créole-caca » ! Quand on cherche « kyololo » dans Google : on trouve un extrait de Boukman où il est question de « diskou kyòlòlò ». Les auteurs savent-ils ce qu’ils disent ?!?

Conclusions partielles : on ne manque pas de lexique créole (le créole des Petites Antilles n’est pas une langue pauvre !), mais simplement souvent on ne le connaît pas (faute de l’avoir cherché !)… On crée des néologismes (cf. Dictionnaire des néologismes de R. Confiant) sur modèle français, faute d’avoir recueilli du lexique auprès des usagers réels. Une tâche urgente pour les chercheurs : recueillir le lexique usuel, un peu partout, mais notamment dans les lieux un peu isolés, chez des personnes qui ont le créole courant et n’utilisent le français que dans des circonstances particulières. Sauver ce vocabulaire de l’oubli ! Insister tout particulièrement sur les usages métaphoriques, les sens dérivés, adaptés à la nomination des réalités quotidiennes contemporaines.

3°) Quelques remarques sur une polysémie possible En matière de dictionnaire, la règle n’est pas le mot à sens unique (cas particulier de l’usage terminologique), mais bien le mot polysémique. La notion d’extension de sens en lexicographie. TLF : « … Fait de donner à un mot (par généralisation et abstraction) outre son sens premier (original et spécifique) un sens secondaire plus général ; la relation entre le sens de base et le(s) sens secondaire(s) étant motivée. Extension de la signification d'un mot ; mot qui subit une extension… » Comment se développent les sens ? Si l’on veut préciser la forme prise par l’extension, on évoque diverses techniques : métaphore, métonymie, synecdoque…

Les dictionnaires créoles n’indiquent souvent qu’un sens, et très souvent en référence avec un objet concret ; il est nécessaire de recourir à plusieurs dictionnaires pour atteindre la totalité des sens. Ex. de ba. Cf. mon cours sur le web : http://creoles.free.fr/Cours/exdico.htm Mais cf. également l’exemple passionnant de l’interprétation/réinterprétation de « mabolo » qui a pu nécessiter même le recours aux dictionnaires de l’Océan Indien ! Cf. aussi dans Barbotin : des mots plus ou moins techniques qui risquent d’être vite oubliés : mots traditionnels tels bambot, basteng, flaj, fòl, groskay, kaybot, milé/milèt, nansou…

Eléments de conclusion On ne peut ici conclure, mais seulement ouvrir sur des études nombreuses et indispensables à effectuer sur tout le vocabulaire à disposition, en étudiant bien sûr évolutions et emplois divers. A retenir surtout : Importance de la langue populaire, qui favorise divers glissements de sens, évolutions, extensions… Certitude que les créoles ne sont pas des langues « pauvres » mais qu’elles comportent la richesse de toutes les langues pour tout dire… même si chaque langue a ses spécificités. Jakobson : Les langues diffèrent non pas par ce qu’elles ne peuvent dire mais parce qu’elles doivent dire…

Pour contacter Marie-Christine Hazaël-Massieux : hazael@up.univ-mrs.fr Site Cours sur les créoles (et quelques articles) : http://creoles.free.fr/Cours