Fascisme, nazisme et stalinisme

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Transcription de la présentation:

Fascisme, nazisme et stalinisme Sixième cours : Propagande et société

Sixième cours : 1 – Les contenus 2 – Les contenants 3 – Entre enthousiasme et rejet

1 – Les contenus 1.1 – La propagande fasciste Le régime mussolinien mis plus de temps à organiser administrativement sa propagande. Jusqu’en 1937, un bureau de presse est responsable de la propagande, alors qu’à ce moment est créé un ministère de la culture populaire. Justifiant l’existence de ces organes propagandistes, le régime considérait nécessaire d’avoir une organisation dédiée à la diffusion de la vérité concernant le fascisme et donc, à la réfutation des mensonges des ennemis. Régime personnalisé, le fascisme met de l’avant son Duce et les efforts propagandistes du régime mettent d’abord l’accent sur sa personne.

Le Duce

Père de la nation, la figure de Mussolini permet de rallier la population derrière le chef, lorsque celle-ci se met à critiquer les responsables du régime : le régime et l’administration peuvent connaître des ratés, mais c’est parce que Mussolini ne peut pas tout gérer lui-même. La propagande mussolinienne présente le Duce comme une sorte de surhomme, même si par moment, il est aussi présenté comme un homme ordinaire. Dans tous les cas, on met l’accent sur sa force physique et son courage : les photos publiées de lui le montre skiant, nageant, combattant à l’épée, etc. Passionné d’aviation, il est souvent montré en uniforme de pilote. Le thème de l’unité nationale fait partie des éléments idéologiques les plus constamment répétés. Le symbole du faisceau du licteur lui-même illustre précisément l’idée selon laquelle l’individu isolé est beaucoup moins solide et puissant que lorsqu’il est en groupe.

Le faisceau du licteur

Dans le contexte de l’entre-deux-guerres, cela est d’autant plus approprié que le thème de l’unité nationale face à l’ennemi extérieur a été utilisé abondamment au cours de la guerre. Se prétendant la continuité de cet effort national, le fascisme récupère le thème du nationalisme et se l’approprie. Contester le fascisme, c’est aussi contester l’unité italienne. Cette exaltation de la puissance collective est aussi un rejet des valeurs libérales et de l’individualisme. Dans la foulée des guerres, cette idée de la supériorité intrinsèque du collectif sur l’individu prend tout son sens et est d’ailleurs abondamment utilisée. Liée au collectif et à la nation, s’inscrivant en plus dans une continuité historique, la référence à l’empire est fréquemment mise de l’avant par la propagande du régime, surtout dans le contexte des années 30, alors que le gouvernement se tourne vers l’Afrique pour s’étendre.

« L’Italie a enfin son empire »

La mer méditerranée est évoquée par le régime en tant que Mare nostrum La mer méditerranée est évoquée par le régime en tant que Mare nostrum. Ici encore, le recours au faisceau du licteur va dans le sens d’une appropriation par le régime fasciste de l’histoire romaine. Le régime utilise aussi à partir des années 30 le concept d’espace vital. La politique impériale du pays est présentée comme le rétablissement de la grandeur passé du pays et comme une nécessité vitale pour le développement futur. La nation italienne a donc besoin de plus de terres et plus d’espace, mais elle a aussi besoin de plus de membres : la fertilité et la reproduction occupent une place très importante dans le discours propagandiste. La « bataille des naissances » devient particulièrement importante au milieu des années 30, alors que la guerre menace. Le Duce lui-même avait coutume de répéter que la maternité était la forme suprême du patriotisme féminin.

À côté de ces thèmes positifs, la propagande mussolinienne a recours aussi à une foule d’éléments négatifs. Parmi les ennemis qui menacent la nation italienne, on compte d’abord bien sûr le bolchévisme et le communisme, qui servent de repoussoir ultime. C’est ainsi que la participation italienne à la guerre civile espagnole est présentée comme le devoir de résistance de l’Italie au communisme, afin de sauver le pays de la « bête bolchévique ». Les attaques contre les États-Unis et son « mode de vie » sont également très fréquentes. Ici, c’est encore une fois l’individualisme qui est visé et décrié. « L’américanisme », c’est-à-dire l’individualisme américain, est dépeint comme une « tache de graisse qui se répand sur tous les aspects de la vie de l’Europe ».

Enfin, un dernier thème négatif mérite d’être mentionné, parce qu’il met l’accent sur la spécificité du fascisme, en tant que réponse à la dégénérescence des sociétés occidentales : la démocratie libérale. Le régime s’emploie donc à démontrer la supériorité intrinsèque de l’organisation fasciste sur les systèmes politiques parlementaires. Par voie de conséquence, la « culture bourgeoise », liée aux systèmes politiques libéraux, est constamment ridiculisée : poignée de main, costume-cravates, thé de cinq heures, etc., font partie de ces manifestations extérieures de la culture bourgeoise que le régime rejette. À ce titre, une exposition anti-culture bourgeoise fut même organisée en 1937.

1.2 - La propagande nazie Hitler s’est personnellement intéressé à la question de la propagande idéologique et y a consacré quelques pages dans Mein Kampf. Il y pose entre autres les principes de base et les principaux objectifs. Pour Hitler, la propagande doit toujours être orientée vers les masses et à ce titre, elle doit s’employer à se mettre au niveau de celles-ci, précisément au niveau des moins intelligents des membres des masses. Elle doit s’adresser non à l’intelligence, mais aux émotions. Clairement subjective, la propagande n’a rien à voir avec la vérité et ne doit « présenter que les aspects de la vérité qui vont dans le sens de son opinion », surtout que « les capacités de compréhension des masses sont très limitées et que leur entendement est faible ».

Dès son ralliement à Hitler au milieu des années 1920, Joseph Goebbels devient le principal responsable de la propagande du parti et l’arrivée au pouvoir des nazis va marquer un accroissement de son rôle. Le 11 mars 1933 est créé le ministère du Reich à l’Éducation du peuple et à la Propagande. Modestes, le personnel et le budget du ministère vont croître au long des années 1930, passant de 350 à 2 000 employés, et de 14 millions à 187 millions de marks. Le Führer occupe une place prépondérante dans le discours propagandiste. Mais c’est autant le principe d’un führer que LE Fürher qui est exalté, même si bien sûr, l’appareil propagandiste nazi met de l’avant la personnalité du chef de l’État et du mouvement. La hiérarchie étant fondamentale, le führerprincip s’applique à toutes les organisations et l’obéissance au chef est exigée dans toutes les organisations. L’obéissance au chef suprême à plus forte raison.

Le führer

Antiintellectuel, le nazisme fait de l’action un principe moteur Antiintellectuel, le nazisme fait de l’action un principe moteur. La propagande accorde une attention à ce thème, qui passe entre autres par la glorification du sport. À l’inverse, lors des autodafés de livres furent brûlés nombre d’ouvrages « bourgeois » faisant l’apologie de « l’avachissement de l’âme », comme les œuvres de Shakespeare. La propagande nazie s’emploie aussi à exalter le sacrifice individuel et la mort « sacrificielle » et de nombreux films nazis en font l’apologie, même dans les années 1930. Le nationalisme est illustré par la promotion du Volkgemeinschaft, que l’on peut traduire par « communauté nationale ». Ce concept est différent du simple nationalisme, qui prône la défense prioritaire des intérêts de la nation.

Le Volkgemeinschaft fait appel à une conception mystique de la nation, dans laquelle les individus sont unis par une « âme nationale » plus grande que la somme de ses parties et qui justifie le sacrifice individuel. Le Volkgemeinschaft fait d’autre part appel au sang et au sol, conçus comme les bases de cette communauté. Le nazisme préfère la ruralité à l’urbanité et se déclare favorables à un retour à la terre, donc à une conception plus traditionaliste de la communauté. Le travail agricole permet de mettre en évidence certaines valeurs du nazisme. Quant au thème du « sang », il est mis en évidence par l’ensemble des travaux pseudoscientifiques portant sur la supériorité naturelle de la race allemande sur les autres, pendant qu’une littérature « accessible » s’emploie à démontrer aux lecteurs que l’Allemand est porteur d’un destin spécifique et unique.

Le thème de la fertilité et de la maternité est aussi très présent dans les campagnes de propagande et permet de mettre en évidence plusieurs des thèmes évoqués précédemment. Ayant pour objectif de nettoyer les terres slaves afin de les ouvrir à la colonisation allemande, les nazis s’emploient à stimuler la fertilité et la maternité des Allemandes et on considère que les familles de cinq enfants devraient être la norme. La propagande nazie a aussi ses objets de haine, qui sont avant tout les peuples appartenant à la catégorie des sous- hommes. Sans surprise, les Juifs sont l’objet d’une attention toute particulière. Outre les reproches habituels de l’antisémitisme européen de l’époque (peuple sans terre, individualistes, etc.), la propagande antisémite insiste sur le fait que les Juifs sont nuisibles et qu’ils sont vecteurs de maladies infectieuses.

Les Juifs et le typhus

Les manuels scolaires à partir du milieu des années 30 renferment une grande quantité de ces « informations », afin que les jeunes générations puissent comprendre la « logique » des lois de Nuremberg et l’antisémitisme viscéral du régime en général. Les autres cibles extérieures des nazis sont aussi dans la ligne de mire de Goebbels, au premier chef les Russes qui, en plus d’être sous la domination des communistes, sont des animaux, des « bêtes devant être exterminées ». La résistance des Soviétiques est tournée en dérision, alors qu’on l’explique par « l’âme obtuse et bestiale » de la population russe. Parmi les haines nationales des nazis, les Américains occupent une place particulière. Originellement proches des races supérieures, les Américains se sont éloignés de leur essence, de sorte que l’Amérique est considérée comme une perversion de la culture européenne.

Dès la prise du pouvoir, les communistes constituent le premier ennemi que les nazis vont s’employer à abattre. Outre qu’à ce moment, le parti communiste allemand est la seule force politique capable de s’opposer aux nazis, l’origine même de la théorie communiste permet aux nazis d’amalgamer matérialisme athée, Russie et « juiverie » dans le même ensemble conceptuel négatif. Le nombre de groupes sujets de propagande négative par les nazis ne s’arrête bien sûr pas là : les Polonais, les Tchèques, les Français et les Britanniques (variablement selon les époques) disputent ainsi l’attention du ministère de Goebbels à d’autres éléments comme l’intellectualisme ou le capitalisme.

1.3 – La propagande stalinienne   L’appareil de propagande de l’URSS stalinienne est moins centralisé que chez les fascistes et les nazis. Elle n’est pas moins présente, mais se structure différemment. L’URSS stalinienne a pour premier idéologue, non un proche collaborateur du chef, mais le chef lui-même. De sorte que les consignes en la matière viennent souvent directement du bureau du Petit père des peuples. De sorte qu’en URSS stalinienne, même si il y existe une structure chargé de coordonner les opérations de propagande (l’Agitprop), ce sont les ministères qui sont responsables de diffuser la propagande. C’est la raison pour laquelle l’appareil de censure stalinien est immense : le Glavlit, responsable de s’assurer de l’orthodoxie de tout ce qui est publié en URSS, emploie à la fin des années 1930 plus de 70 000 personnes.

Si Staline n’a pas théorisé la propagande du régime, les principes à la base de sa pratique ressemblent à ceux d’Hitler : marteler des thèmes simples pour susciter des émotions fortes. Ces émotions peuvent être positives ou négatives, selon que l’on veuille exalter quelque chose, ou au contraire le vouer aux gémonies. La propagande soviétique a grandement évolué dans son contenu et sa forme entre l’arrivée au pouvoir des bolcheviques et la prise en main stalinienne de la fin des années 1920. D’abord impersonnelle, elle devient dominée par l’image du chef. Ainsi, le premier thème de la propagande stalinienne, c’est Staline. D’abord encadré par celle des « pères fondateurs » du régime, l’image de Staline occupe de plus en plus de place. Il est représenté comme un bourreau de travail, qui consacre sa vie à son pays. Père sévère, mais juste, il veille sans relâche sur l’URSS.

« Au Kremlin, Staline prend soin de chacun de nous »

À côté de ce culte omniprésent de la personnalité du chef, la propagande soviétique martèle certains thèmes positifs afin de mobiliser la population dans l’atteinte des objectifs fixés par le régime. Le nouvel homme soviétique est abondamment dépeint dans les œuvres de propagande stalinienne. On y met l’accent sur la cohabitation entre la force physique et l’intelligence, qui doit permettre de contrôler les impulsions de la nature. L’esprit de sacrifice pour le bien de la collectivité d’un Stakhanov est mis de l’avant. Lié aussi à ce thème, se trouve celui du travail et de la production. Dans un contexte où l’Union soviétique est considérée en retard sur les États occidentaux, toute la population est appelée à travailler sans relâche afin de permettre au pays de rejoindre ses concurrents dans le domaine économique. De même, les grandes réalisations du régime sont exaltées.

« À chaque jour, la vie devient plus gaie ! »

Cette emphase sur le travail et l’effort va de pair avec la mise à l’avant-scène de la société future. Ainsi, cet univers utopique que le régime prétend être son objectif est dépeint sur les affiches, dans les manuels scolaires et dans les films produits par le régime. En attendant, les efforts de la population doivent être mobilisés dans ce but. L’individualisme est conséquemment décrié. Par ailleurs, la propagande stalinienne met l’accent sur l’internationalisme et l’amitié entre les peuples. État extrêmement complexe d’un point de vue ethnique, l’URSS se situe aux antipodes de la conception nationaliste de l’État des régimes fasciste et nazi. Cette faible importance du rôle de la communauté nationale trouve une illustration dans le fait que jusqu’en 1944, l’hymne national soviétique est justement l’Internationale. Autre exemple, l’utilisation du terme rossiski plutôt que rousski dans le nom de la RSFSR.

De même, dans la propagande de guerre, la lutte des Soviétiques n’est pas présentée comme une lutte contre les Allemands, les Italiens ou les autres, mais bien une lutte contre le nazisme et le fascisme : on distingue ainsi les peuples de l’idéologie des dirigeants. Conséquence de l’internationalisme, l’URSS se prétend éprise de paix et condamne la guerre « impérialiste ». Jusqu’au pacte Ribbentrop-Molotov qui est présenté à la population comme une mesure visant à garantir la paix. Une bonne propagande ne saurait être exclusivement positive, surtout lorsqu’elle est utilisée pour expliquer les difficultés du pays. Tout comme le fascisme et le nazisme, le stalinisme se définit tout autant par ses ennemis que par ses caractéristiques propres. L’ennemi de la propagande soviétique est diffus. Corollaire obligé de l’exaltation de l’homme nouveau, la haine de l’ennemi de classe joue un rôle très important.

Au cours de la guerre civile, les ci-devants et les bourgeois sont présentés comme les ennemis, mais la victoire des Rouges impose une réévaluation : ceux-ci ayant été défaits, ils se cachent désormais dans la société. Comment expliquer autrement que l’excellente direction du pays ne parvienne pas à réaliser les objectifs du plan? Le recours à un ennemi intérieur qui se livre à des actes de sabotage est fort utile. C’est la raison pour laquelle on retrouve ce concept d’ennemis de classe dans toutes les grandes opérations diligentées par le régime : les koulaks sont des ennemis de classe, mais même d’anciens hauts dirigeants du pays sont en fait des ennemis. Ces individus « corrompus » sont l’objet de toutes les haines et la propagande contre les koulaks, les ennemis du peuple, etc. s’emploie précisément à déshumaniser les ennemis du régime, en suscitant des sentiments de colère et de rejet dans la population.

« Prudence ! »

Si les peuples ne sont que rarement attaqués par la propagande, ce n’est pas le cas des systèmes politiques. En fait, on présente souvent les peuples comme des victimes de ces systèmes. De sorte qu’il n’y a pas d’antiaméricanisme en URSS, mais une haine tenace du système ploutocratique américain. De la même façon, le fascisme est dépeint comme un stade supérieur du capitalisme. État athée, les sentiments religieux sont l’objet d’une attention particulière de la propagande, d’autant qu’ils demeurent très importants dans les années 20 et 30. À ce titre, afin de lutter contre les préjugés religieux, une foule de publication sont créées, de même que certaines organisations de promotion de l’athéisme, telle que la Société des sans-dieux.

2 – Les contenants 2.1 – L’affiche : l’accessibilité d’abord L’affiche constitue l’art propagandiste par excellence au début du XXe siècle. Il correspond au mode de vie et au degré de développement de sociétés en voie de développement intellectuel. L’affiche est composée de deux éléments : une image et un texte. Très stylisée, l’affiche de propagande illustre de façon simple et souvent caricaturale quelques éléments de contenu, appuyé par un texte court et simple, martelant en quelques mots une idée forte. Les sociétés de l’hémisphère nord au début du XXe siècle sont en voie d’alphabétisation. Seulement, la majorité de ces gens sachant lire et écrire n’ont pas eu l’occasion de faire des études très poussées.

Ainsi, leur alphabétisation demeure superficielle et ils ne sont pas toujours en mesure de comprendre des idées complexes. C’est précisément à cette classe de la population qu’est destinée l’affiche de propagande. Les coûts de production de ce support propagandiste sont très faibles, ce qui en fait une « propagande de pauvres ». L’affiche ne réclame que très peu de moyens humains et techniques : un illustrateur, une imprimerie et des gens disponibles pour aller coller les affiches un peu partout. En fait, seul le slogan peint sur les murs est moins dispendieux, mais il est aussi moins efficace. Sa localisation précise présente des avantages et des inconvénients. Ainsi, si elle ne peut être vue que par des gens passant sur le lieu où elle est affichée, l’affiche peut cependant être collée presque partout, de sorte que sa visibilité peut être très grande si la campagne d’affichage est puissante.

2.2 - Les médias : rejoindre les populations les plus diverses Le rôle de la propagande écrite est fondamental dans les régimes à tendance totalitaire. Même avant la prise de pouvoir, le PNF, le NSDAP et le POSDR ont tous eu recours massivement aux journaux pour diffuser leurs idées. À ce moment, instrument de lutte, ils servent à critiquer les autorités en place et accessoirement, à mettre de l’avant leur solution aux problèmes. La prise du pouvoir change la dynamique, alors que les journaux, qui servent aussi à attiser la haine de l’ennemi de classe, de l’ennemi de race ou de l’ennemi de la nation sont surtout utilisés pour exalter le régime. L’esprit critique, qui n’était déjà pas très manifeste chez les principaux organes de presse des partis, cesse complètement d’exister.

La presse permet de rejoindre des populations diverses si on se donne la peine de mettre en place différents organes de presse spécifiques pour toutes les classes de population. Par rapport à l’affiche, le journal a une vie utile plus grande. Il est souvent conservé par les lecteurs, qui peuvent s’y référer. Même si l’objectivité de ces médias est nulle, ils permettent d’expliquer des éléments plus complexes que l’affiche, qui parle avant tout aux émotions : en plus d’invectiver les ennemis de classe, les journaux soviétiques permettent de donner des arguments aux gens et de leur expliquer pourquoi il convient de les haïr. On parle ici davantage à l’intelligence qu’à l’instinct. Antiintellectuels, le fascisme et le nazisme accordent une place moins grande aux médias écrits que le régime stalinien, qui fait de l’alphabétisation un combat personnel.

Le nombre de publications dans les années 1930 s’élève à plusieurs centaines. Outre les journaux sous le contrôle direct du gouvernement (comme les Izvestia) ou du parti (comme la Pravda), on trouve un grand nombre de journaux dédiés à des groupes spécifiques, comme la Krasnaïa zvezda, le journal de l’Armée, ou la Komsomolskaïa pravda. Il faut mentionner que toutes les républiques fédérées disposent d’organe de presse de l’État et du parti dans leur langue, ce qui accroit le nombre de publications. La fusion du parti et de l’État est ici plus manifeste chez le nazisme et le fascisme, dans la mesure où, au lendemain de leur arrivée au pouvoir, les journaux des partis (Völkischer Beobatcher et Populo d’Italia) deviennent en quelque sorte les organes de presse officiels de leur État respectif.

Cela étant, ces deux grandes publications ne sont pas, ici non plus, les seuls journaux publiés et à côté de ceux-ci, on trouve aussi des organes de presse plus spécialisées. À mentionner par exemple le Stürmer nazi, journal destiné aux masses qui est particulièrement utilisé pour attiser l’antisémitisme, alors que le Das Schwarze Korps est, comme son nom l’indique, destiné aux SS.

2.3 – Les événements de masse En application du principe selon lequel la propagande doit parler aux cœurs avant de parler aux têtes, les « grandes messes » idéologiques sont particulièrement prisées par les régimes à tendance totalitaire. En plus de rassembler la nation, ces événements permettent au régime de faire sentir à sa population sa force personnelle, mais aussi la force de la nation. Dans le cadre des grands projets téléologiques de ces régimes, les rassemblements de masse permettent de motiver les populations et de présenter au monde extérieur le front uni du peuple et de ses dirigeants. Hitler a particulièrement un faible pour ce genre de manifestations. Les congrès du parti à Nuremberg entre 1923 et 1938 jouent le rôle de vitrine de l’unité du parti, puis après 1933, de la nation.

Les Jeux olympiques de Berlin en 1936 ont joué aussi ce rôle de projection de la puissance allemande aux yeux du monde extérieur, tout en permettant aux Allemands eux- mêmes leur valorisation en tant que grande nation. Les expositions publiques sont une autre technique utilisée fréquemment pour permettre la diffusion de masse des valeurs du régime. Mussolini appréciait particulièrement cette façon de rejoindre le peuple. Puis il y a les grandes fêtes nationales, au cours desquelles on recourt systématiquement aux forces armées du pays, de même qu’aux organisations de jeunesse, qui servent à démontrer la puissance de l’État. La levée fasciste dans l’Italie mussolinienne, qui symbolise la relève générationnelle du mouvement, appartient à cette catégorie.

Chez les Soviétiques, ce sont les fêtes du régime qui donne l’occasion de faire cette démonstration de force : fêtes de la révolution, fête des travailleurs, puis fête de la victoire après 1945. Et bien sûr, au fur et à mesure du développement du culte de la personnalité, l’anniversaire de naissance de Staline occupe une place de plus en plus grande dans cet ensemble d’événements politiques. Cela devient particulièrement évident après 1945.

2.4 – Le cinéma Au moment où se mettent en place les trois régimes étudiés, le cinéma commence peu à peu à s’imposer comme art. Son grand avantage en matière de propagande, c’est qu’il ne nécessite aucune connaissance, ce qui en fait un art grand public. Que ce soit par des longs métrages ou de courts films d’actualités, le cinéma permet de rejoindre un public que la plupart des autres formes d’art laissent indifférent. Le cinéma a un grand défaut, qui est aussi un avantage : il nécessite de très importants moyens. L’État « totalitaire » concentrant les ressources financières du pays, ce n’est pas un problème pour lui. Ainsi, le cinéma ne peut pas être utilisé par les opposants, qui peuvent placarder des affiches ou publier des ouvrages d’opposition, mais ne peuvent pas tourner de films.

Si le régime mussolinien a peu eu recours à l’art cinématographique pour diffuser son idéologie, Hitler et Staline sont en revanche de grands cinéphiles. Hitler s’intéresse au potentiel propagandiste du cinéma dès la fin des années 20. Avant même de prendre le pouvoir, il crée un département de cinéma au sein du NSDAP. Par la suite, l’ensemble de l’industrie cinématographique et des moyens de production sera centralisé sous le contrôle de Goebbels et de son ministère de la propagande, alors qu’une association des producteurs de films patronnée par le parti-État est aussi mise en place. Helene Bertha Amalie Riefenstahl est le plus connue des réalisateurs de l’Allemagne nazie. Son « Triomphe de la volonté », un film « documentaire » filmé lors du congrès du NSDAPen 1934 est en quelque sorte l’archétype du film de propagande politique.

Si le cinéma nazi est particulièrement orienté sur la production de films exaltant le parti et l’État nazi, donc surtout son présent, le cinéma de propagande soviétique est différent, s’employant à remodeler certains des événements de l’histoire de la Russie. Sergueï Eisenstein est le principal réalisateur de films soviétiques exaltant la lutte révolutionnaire. Le Cuirassé Potemkine, mais surtout Octobre, prennent de très grandes libertés avec la réalité historique, mais c’est justement ce que demande Staline : il ne s’agit pas de films documentaires, mais bien de réécritures des événements qu’ils relatent. Le cas du Ivan Le Terrible est différent et d’une certaine façon encore plus significatif des intentions du régime lorsqu’il en commande la production à Eisenstein. Personnage fondamental de l’histoire de l’État russe, Ivan le Terrible constitue de toute évidence l’une des références historiques de Staline.

2.5 - Les autres arts Quelques mots sur les autres formes d’expression artistique, où l’architecture joue un rôle très important. Comme le cinéma, l’architecture, qui réclame aussi de très grands moyens, est utilisée pour illustrer la grandeur et la puissance des régimes en place. Du côté des nazis, le nom à retenir est celui d’Albert Speer. Tout au long des années 30, Hitler s’intéresse à l’aspect architectural de la reconstruction de l’Allemagne et exige de l’architecture les mêmes choses que ce qu’il exige de la population : puissance et grandeur. À ce titre, les réalisations de Speer sont assez convaincantes, comme en témoigne le complexe de Nuremberg destiné à accueillir la grand-messe annuelle du NSDAP, qui peut réunir 340 000 personnes.

Le territoire des congrès du parti à Nuremberg

Paris, 1937

L’université de Moscou

La sculpture compte aussi au nombre des arts de prédilection du IIIe Reich, pour les mêmes raisons que l’architecture, car c’est aussi un art qui peut réclamer peu de connaissances pour savoir l’apprécier. À noter que Staline partage avec Hitler cet intérêt pour l’architecture et la sculpture. Les canons du réalisme socialiste dans ces deux domaines sont assez peu distincts de ce que l’on trouve dans l’art nazi, alors que l’aspect monumental et l’impression de puissance qui s’en dégage constituent les principales caractéristiques. Même si le régime mussolinien s’est aussi intéressé à l’architecture, il n’en a pas fait un élément de propagande aussi manifeste, bien que certaines constructions de l’époque mussolinienne, clairement néo-classique, peuvent aussi être vues comme exaltant le passé glorieux de la Rome antique, qui est aussi un élément de propagande mussolinienne.

Pour le reste, en ce qui concerne l’URSS stalinienne, l’ensemble de la production artistique se trouve solidement encadré par les dogmes du réalisme socialiste, dont la tâche n’est pas de dépeindre la réalité telle qu’elle est, mais telle qu’elle devrait être. Bien sûr, par voie de conséquence, tout ce qui ne cadre pas avec ces canons esthétiques est tout simplement rejeté comme étant bourgeois, individualiste ou cosmopolite, terme infamant de l’immédiat après-guerre. Dans les autres disciplines artistiques, la main du parti nazi est moins évidente. Ce n’est pas qu’il n’y a pas ici de critères esthétiques définis par le régime, mais le contexte particulier de l’Allemagne hitlérienne, alors que de nombreux créateurs vont quitter le pays après 1933, permet de ne pas être aussi attentif à la scène artistique. Ce n’est bien sûr pas universel, mais ceux qui restent en Allemagne après 1935 partagent pour beaucoup le point de vue esthétique du régime.

Comme d’habitude, c’est le régime mussolinien qui apparaît le plus ouvert ou à tout le moins, le moins contrôlant. Ici encore, les critères existent et il est difficile de peindre, de publier ou de chanter une œuvre qui ne s’inscrit pas dans le « génie romain », mais ce n’est pas tant à cause de la contrainte que de l’absence de réseau de diffusion à l’extérieur du parti-État, car bien sûr le ministère de la Culture populaire accapare l’ensemble des réseaux de distribution.

3 – Entre enthousiasme et rejet 3.1 - Enthousiasme et neutralité Les comportements des populations soumises aux régimes à tendance totalitaire sont variés. Le principal écueil qui se dresse devant une compréhension des différentes attitudes est que notre univers mental du début du XXIe siècle n’a que peu de chose en commun avec le monde dans lequel ces populations ont vécu. Pour nous, les projets téléologiques de ces régimes apparaissent impossibles ou dangereux. Il nous est difficile de croire que des peuples entiers, au moins partiellement alphabétisés, ont pu souscrire à de telles idées.

Les travaux portant sur les sociétés civiles témoignent d’une forte adhésion populaire. Le problème est de comprendre les raisons de cet appui. La réaction spontanée est de mettre cette adhésion sur le dos de la peur qu’aurait éprouvée la population, ou encore sur le lavage de cerveau qu’aurait subi ces populations. Cette peur existe, mais ne peut à elle seule rendre compte de cette adhésion. Même chose pour la thèse du lavage de cerveau : même si on sait qu’un nombre important de citoyens étaient peu alphabétisés, la présence parmi les soutiens aux régimes de gens appartenant au contraire à l’élite intellectuelle de leurs sociétés pose le problème sous un autre angle. Car comment supposer que l’une des lumières de la philosophie allemande du XXe siècle, Heidegger, ait pu subir un lavage de cerveau, appuyé simplement par une campagne de propagande, aussi puissante soit-elle?

Donc, si des gens aussi brillants qu’Heidegger ou Gorki ont pu souscrire avec enthousiasme, comment croire que la majorité silencieuse soit restée neutre ou dubitative? La question est compliquée par la durée de vie de ces régimes : si la population allemande à la veille de la guerre semblait refroidie, qu’en était-il en 1937, alors que l’Allemagne avait réglé ses problèmes de chômage et reprit sa place de puissance en Europe? L’appui réel est difficile à évaluer. Nous disposons de peu de moyens pour connaître le pourcentage d’appuis de la population : les quelques consultations politiques n’ayant pas été menées avec rigueur, les résultats n’ont pas vraiment de valeur scientifique. Si les organisations sociales jouissaient d’une réelle popularité, puisque que l’adhésion était fortement suggérée ou obligatoire, on ne peut pas utiliser les statistiques pour avoir une idée de l’appui réel.

Dans tous les cas, nous ne serons jamais en mesure d’évaluer précisément la part de la population qui souscrivait aux idéaux des régimes. Cela étant, la faiblesse de la dissidence et des mouvements d’opposition est patente. D’où la nécessité d’admettre que la majorité de la population devait soutenir, ou au moins tolérer le régime. Pour quelles raisons? La première est sans doute les succès, relatifs, auxquels sont parvenus ces régimes. Après le chaos politique et les crises économiques et inflationnistes des années 1920, est-il vraiment étonnant que les Allemands, peut-être sans souscrire totalement aux délires idéologiques, se soient satisfaits d’un régime politique ayant résolu les problèmes de base? Car, pour la majorité de la population, c’est d’abord la gestion de l’économie, de la société et de la politique qui importe avant tout.

Si elle mange normalement après avoir subi des conditions économiques épouvantables, comment s’étonner que la population apprécie la stabilité, même si cela passe par un écrasement des libertés politiques? La situation en Italie au début des années 1920, moins catastrophique qu’en Allemagne, est très difficile. La politique économique autoritaire de Mussolini, les grands projets de construction du régime, de même que, ici encore, la politique de grandeur nationale du Duce, peuvent expliquer le ralliement de la population. Le cas soviétique est plus difficile à cerner, car les conditions de vie de la population en URSS en 1928 sont supérieures à celles de 1935. Pourtant, la population fait bloc derrière le régime et c’est ici en fait que la dissidence et l’opposition sont les plus faibles. Doit-on mettre cet appui sur l’habitude de populations soumises à un pouvoir dictatorial depuis toujours?

C’est sans doute une part de la réponse, et les conditions politiques de l’URSS n’ont pour les Soviétiques rien d’extraordinaire. Pour des gens pour qui, par expérience historique, pluralisme politique est égal à chaos social, la lourde main de Staline peut avoir quelque chose de rassurant. Même que d’un point de vue strictement économique, le stalinisme des années 30 présente un avantage par rapport à la NEP des années 1920 : le chômage n’existe pas. Les conditions de vie sont difficiles, mais elles le sont pour tous. Et ici plus qu’ailleurs, le projet très positif du régime, qui évoque la paix perpétuelle et la promesse de jours meilleurs paraît une raison suffisante pour comprendre l’enthousiasme, ou au moins la neutralité bienveillante de la majorité de la population.

3.2 - Dissidence et opposition Cela ne veut pas dire que toute la population se range derrière le régime. Des intellectuels allemands ont rejeté le régime en quittant l’Allemagne ou en opposant une sourde résistance. Mais les attitudes clairement négatives demeurent le fait d’une minorité. Que le nazisme et le fascisme aient été défaits de l’extérieur en dit assez long sur la force de l’opposition politique. Il convient de distinguer deux attitudes négatives possibles face à un régime politique : le rejet passif et l’ opposition. La dissidence consiste à ne pas s’opposer de front à des régimes par essence violents, soit que l’on craigne les conséquences pour soi et sa famille d’une opposition directe, soit que l’on n’ait aucun espoir qu’une action puisse avoir des impacts réels sur la situation.

Il s’agit sans aucun doute de l’attitude de la majorité des gens non favorables aux régimes. C’est sur celle-ci qu’ont pu compter les Anglo-Américains en 1943. Compte tenu des risques que fait peser sur un individu son implication dans un mouvement d’opposition, il faut un grand courage et une foi inébranlable dans ses convictions pour aller de l’avant ; l’opposition franche est le fait d’une infime minorité de la population. Un autre élément doit être évoqué pour expliquer cette faiblesse d’une opposition structurée : la nature de ces régimes fait en sorte que les moyens de diffusion et les méthodes traditionnelles utilisés pour fédérer des groupes sont tous entre les mains de l’État. Pas de presse libre, pas d’associations à l’extérieur des organisations officielles. Il devient impossible pour les opposants de « se compter ». En URSS, la situation est compliquée par l’immensité du territoire et la grande diversité des populations.

C’est en Allemagne que cette opposition structurée est la plus forte C’est en Allemagne que cette opposition structurée est la plus forte. Cependant, il faut constater que c’est surtout la guerre qui va susciter une opposition se traduisant par les tentatives d’assassinat contre Hitler. Une fois détruite l’opposition politique, ce n’est que dans la clandestinité que tout mouvement d’opposition structuré peut exister. Inconnus de la population, ne disposant pas de moyens de faire connaître leur existence, les groupes d’oppositions sont peu nombreux et ne rallient que quelques dizaines de membres. Si l’organisation de la Rose blanche émeut par son courage et ses convictions, il faut constater que ses membres sont bien seuls. En fait, même si l’ensemble des forces politiques a participé à différents groupes d’opposition, cela demeure encore le fait d’une minorité et c’est dans l’armée qu’Hitler fait face à l’opposition la plus structurée.

En Italie, où le contrôle du régime était plus faible, il faut constater une absence quasi complète d’opposition organisée à l’intérieur de l’État après l’affaire Matteotti. Les opposants potentiels sont alors nombreux à quitter le pays, d’où ils vont poursuivre leur opposition. Comme en Allemagne, c’est dans les hautes sphères qu’apparaît une opposition politique : elle reste dans le cadre du PNF et ne survient qu’au moment où le régime chancelle, en application de la devise selon laquelle les rats sont toujours les premiers à quitter le navire. Tant que tout allait bien, il n’y avait tout simplement pas d’opposition à Mussolini dans le parti. En URSS stalinienne, il n’y existe à ce jour aucune trace d’une opposition civile organisée à Staline. L’ouverture des archives du KGB à la fin des années 1980 a permis de se rendre compte d’un sentiment d’opposition diffus important dans la population, mais rien qui laisse supposer une organisation structurée.

Les propos de cuisine antistaliniens sont fréquents, si on en juge par les archives, mais cela demeure peu important eu égard à l’assentiment général de la population. Encore ici, c’est à l’intérieur du parti que l’opposition relève la tête : dans la foulée de la catastrophe économique que fut la collectivisation, Staline est mis en minorité en 1932 lors d’un plénum du comité central. On sait en outre que jusqu’en 1935, il y existe une cellule trotskyste importante au sein de l’armée, dans laquelle le maréchal Toukhatchevski joue un rôle important. On connaît la suite : l’État-major militaire est saigné à blanc en 1937, alors qu’à partir de 1934, les organes répressifs de l’État éliminent les « opposants » de 1932. Il faudra attendre que le Petit père des peuples soit mort pour qu’une réelle fronde contre son système puisse renaître.