Repères pratiques et théoriques sur la délibération collective Master de « Recherche clinique en médecine palliative » 2016-17, Paris Donatien Mallet USP de Luynes-CHU de Tours
Plan Repères généraux sur la délibération Repères pratiques pour délibérer collectivement Quelques autres fonctions de la délibération
1. Repères généraux sur la délibération Repère légal La loi Léonetti : le pari d’une éthique de la discussion La loi ne dit pas le bien La loi fixe un cadre à la délibération L’approche est procédurale « Lorsque coexistent dans une société démocratique, des personnes ayant des philosophies différentes, les solutions procédurales sont celles qui prévalent s’il faut définir une règle qui s’impose à tous » A. Fagot-Largeault
La délibération selon Aristote (B. Birmelé) Le choix d’une chose jugée préférable Un choix en vue d’une fin Un désir articulé avec la raison Une intégration des limites « Le choix sera un désir délibératif des choses qui dépendent de nous » Une attention au temps « S’il faut exécuter avec rapidité ce qu’on décidé de faire, la délibération elle-même doit être lente »
La délibération s’opère selon trois modes distincts : L’intuition : mode de délibération quasi immédiat où j’ai les idées claires sur l’option à choisir L’intelligence émotionnelle : alliance à part égale entre le travail de la raison et celui des émotions éprouvées par les divers scénarios envisagés (par exemple, envisager successivement deux options d’un choix et prendre note des satisfactions, regrets, bénéfices apparus) Le libre jeu de la raison : analyser rationnellement les avantages et les inconvénients de chaque solution L Falque, B Bougon
La co-construction d’une décision La construction individuelle et collective d’une représentation de la situation dont va découler la décision Délibérer : action de réfléchir en soi-même ou à plusieurs sur une décision à prendre « Face à une décision qui m’engage, je suis comme réuni en ’assemblée’ pour étudier mes volontés, mes arguments, ceux des autres, mes pensées, mon désir, mes passions et mes craintes… je délibère sur les moyens pour tendre vers une finalité » L Falque, B Bougon, pratiques de la décision
Un enjeu humain, individuel et collectif Une manière d’habiter la complexité en tenant compte des enjeux humains et sociaux Une « pratique réflexive » D. Schön « Cette sorte de jugement ne suppose pas qu’il faille être doué d’une intelligence particulière, ni versé dans les questions éthiques. Il suffit d’avoir l’habitude de vivre avec soi-même sur un mode explicite, c’est-à-dire de se livrer à ce dialogue silencieux avec soi-même que, depuis Socrate et Platon, nous avons coutume d’appeler penser » H.Arendt Un enjeu de subjectivation « C'est dans l'éthique entendue comme responsabilité que se noue le noeud même du subjectif » E. Lévinas
2. Repères pratiques pour une délibération collective
Accepter le malaise Sortir du systématisme de l’opératoire Vivre une « In-quiétude éthique » E.Levinas Honorer la question
Construire un rapport au temps Anticiper si possible Ne pas séparer investigations diagnostiques et orientations thérapeutiques Anticiper les prises de décision (alimentation et hydratation, transfusion, sédation, passage en réanimation, retour au domicile, transfert…) Graduer le rapport à l’urgence Tout n’est pas urgent et l’urgence ne justifie pas tout
Inscrire la délibération dans l’organisation collective Réunions institutionnalisées Régulières Interdisciplinaires Engagement des responsables hiérarchiques Médecins, cadres Graduation possible du plus simple au plus complexe Apprentissage individuel et collectif
Formaliser le déroulement de la réunion Préciser la visée de l’échange Délibérer ou décider Définir les responsabilités de chacun Responsabilité de chaque participant / Responsabilité du décideur Énoncer les règles formelles du dialogue Parler une personne à la fois, laisser l’interlocuteur s’exprimer jusqu’au bout, ne pas répéter ce qui a été précédemment énoncé, être synthétique… Mais, contexte d’apprentissage Parfois, favoriser artificiellement l’expression de certaines professions Définir le cadre formel Durée de la rencontre Nombre de situation étudiée
Prendre un temps « émotionnel » Question ouverte « Qu’est ce qu’il vous vient immédiatement à propos de cette situation ? Qu’est ce que vous ressentez ? » Laisser chacun parler en liberté, sans rechercher un contrôle de la raison
Déroulement Dialoguer afin de constituer une représentation de la situation Croisement des différentes informations, interprétations, savoirs Insertion du vécu et des paroles du patient dans le temps avec constitution d’un récit Insertion de la situation médicale dans le contexte relationnel et social du patient Insérer la perspective scientifique dans une dimension existentielle
Identifier des questions Prudence dans la formulation des questions La question délimite le spectre de la réponse Tendre vers un questionnement sur la finalité globale du soin
Identifier des scénarii Pour chaque scénario, définir les avantages, les inconvénients, et si possible les repères éthiques en jeu Être créatif Sortir du binaire et chercher des alternatives Avoir en arrière fond les grilles de décision éthique Mais ne pas chercher à les appliquer
Ne pas oublier les exclus potentiels Membres de la situation (conjoint, enfants…) Membres de l’équipe ou du projet de soins (médecin traitant, médecin référent, équipe de nuit…) Reconnaître les espaces d’ignorance, l’incertitude, les tensions, l’absence de réponse complète Ne pas chercher systématiquement le consensus Ne pas chercher obligatoirement à conclure ou à décider
Fonctions de l’animateur Rôle majeur de l’animateur Possibilité d’être assisté par un acolyte Intérêt de préparer la réunion mais sans la formater en anticipation Différentes fonctions → Gestion du dialogue dans le temps Aide à la circulation de la parole Reconnaissance de la différence des acteurs Cadrage dans le temps → Qualité de délibération Faciliter l’organisation de la pensée : concepts, scénarii, enjeux, tensions Tendre à améliorer la qualité de la délibération (contenu, forme, intervenants…) Faire des synthèses, intermédiaire et finale → Insertion de la réunion dans le déroulement du soin
Au terme de la réunion Faire un bilan Une synthèse si cela est possible Sinon, énoncer des points de synthèse S’assurer de la transmission aux autres membres de l’équipe Indiquer la prochaine étape Possibilité d’appel à des tiers externes Si décision, veiller à la mise en œuvre de la décision et à son évaluation
Décider Au terme d’un processus décisionnel et non pas obligatoirement d’une réunion collégiale En acceptant l’incertitude de la décision En acceptant que la décision puisse être modifiée « Toute décision est réversible, sujette à l’incertitude » J M Lassaunière Argumenter votre position Préciser les objectifs au patient, à son entourage et à l’équipe Écrire et justifier sa décision
Après… Relecture De la situation Du processus de délibération Des arguments sollicités Si possible, de son vécu personnel
3. Quelques autres fonctions de la délibération collective
Délibérer, c’est construire un rapport au temps « Décider, c’est lier le présent au passé et au futur, c’est ordonner » A. Berthoz « Une synthèse de l’hétérogène » P. Ricoeur
Délibérer, c’est articuler différents temps par la parole L’évolution de la maladie L’intégration du patient Le médecin Le présent pour anticiper et construire l’avenir Les soignants L’ici et maintenant Les « psy » La réémergence du passé, la répétition, l’adaptation au présent L’institution « Faut que ça tourne »
Délibérer, c’est construire un rapport aux données d’existence (non-savoir, incertitude, finitude, limites…) Éprouver, nommer et assumer collectivement les données d’existence « La médecine semble convoquer à répondre techniquement au désir, dont la nature est, par essence, sans limite » B Cadoré
Délibérer, c’est construire un rapport au sens Avant d’être un acte concret, la délibération est un processus relationnel, langagier et symbolique Processus continu Dimension individuelle et collective S’appuie sur des relations Action d’abord sur les représentations, les significations par la médiation du langage Tentative de co-construction d’un sens à l’action
Délibérer, c’est construire une reconnaissance des acteurs Mais, vigilance sur la dimension politique de la délibération
Délibérer, c’est construire des repères collectifs Une culture de service Habitudes collectives Repères éthiques
Conclusion La décision médicale comme espace de créativité Entre le « tout scientifique » et le « tout juridique » La décision médicale : Une co-construction temporelle élaborée par des soignants en relation avec patients et entourage Au sein d’un contexte social et normatif Afin de faire le choix d’une orientation jugée préférable Responsabilité éthique du médecin, figure de médiation entre l’homme et lui-même, l’homme et autrui, l’homme et les autres Entre science et existence