Prise en charge anesthésique d’un patient en état de choc Dr LOUCIF
Introduction l’anesthésie du patient en état de choc s’avère bien souvent un exercice difficile et périlleux, le choix de la technique et de ses agents reste facile, car restreint. Il s’impose plus qu’il ne se choisit. La logique médicale est de ne pas aggraver par les options anesthésiques retenues, les manifestations cliniques et métaboliques induites par l’état de choc, et de ne pas compromettre les mécanismes compensateurs développés. L’induction anesthésique et l’assistance ventilatoire sont les phases potentiellement les plus dangereuses, car elles exposent à la survenue d’un arrêt circulatoire.
Effets de l’anesthésie sur les mécanismes compensateurs du choc Les agents anesthésiques ont un effet délétère sur l’hémodynamique et interfèrent sur les mécanismes compensateurs du choc. Hypoxie, acidose métabolique et libération de médiateurs cellulaires aggravent les répercussions hémodynamiques.
Le patient en état de choc développe des phénomènes compensateurs différents selon qu’il est éveillé ou anesthésié : – vasoconstriction prédominante à l’état de veille ; – tachycardie plus ou moins importante, d’origine baroréflexe, sous anesthésie. La synergie négative entre choc et anesthésie peut entraîner une décompensation hémodynamique brutale avec collapsus gravissime à l’induction.
Modifications de la pharmacologie des agents anesthésiques induites par le choc
Hypovolémie et vasoconstriction limitent l’espace de diffusion des médicaments administrés, augmentant concentrations plasmatiques et effets pharmacodynamiques mais aussi effets délétères. Ces effets sont renforcés par l’hémodilution habituelle chez ces patients, source d’hypoprotidémie et donc d’augmentation de la fraction libre des agents injectés ; l’acidose agit dans le même sens. Les doses administrées doivent être systématiquement réduites de moitié ou des deux tiers, et la vitesse d’injection ralentie
L’hypoperfusion hépatique et rénale peut diminuer les clairances, allonger les métabolismes et retarder les éliminations, d’où augmentation des durées d’action. Baisse du débit cardiaque, hypotension et anémie modifient la pharmacocinétique des agents inhalés (réduction de la concentration alvéolaire minimale).
En cas de choc décompensé, le bas débit allonge le délai d’endormissement (effet « bolus » retardé, parfois brutal), ce qui gène la réalisation d’une induction en séquence rapide (mauvaise protection des voies aériennes), circonstance au cours de laquelle la titration doit être abandonnée au profit de l’injection unique d’un hypnotique et d’une dose « normale » de curares d’action rapide sous couvert de la manoeuvre de Sellick.
CHOIX DE LA TECHNIQUE ANESTHÉSIQUE Les anesthésies locales et locorégionales ont très peu d’indications dans ce contexte d’urgence et de stress. L’intensité du bloc sympathique induit par les rachianesthésies et à un moindre degré par les anesthésies épidurales interdit le recours à de telles techniques chez le patient choqué. En outre, les mobilisations et les délais requis pour leur réalisation peuvent être funestes dans le cadre de l’urgence.
L’acidose est un facteur de résistance à l’activité anesthésique locale et de toxicité secondaire. Il peut également en résulter un effet de séquestration intraneuronale pouvant majorer l’intensité des différents blocs et leurs effets secondaires. Les patients en état de choc sont plus exposés aux complications cardiovasculaires et neurologiques en cas de surdosage. En pratique, la réalisation de blocs centraux est déconseillée chez les patients en état de choc.
L’anesthésie générale est préférable pour le patient et l’équipe soignante en terme confort et d’efficacité. Elle n’est pas de réalisation aisée. Malgré ses nombreux effets secondaires, elle reste la seule technique raisonnable dans ce contexte. Une fois installée et entretenue elle va instaurer un statut hémodynamique précaire, tributaire de la volémie et de l’inotropisme. Le choix des agents d’induction et d’entretien est difficile, car ils vont presque tous à l’encontre du bénéfice immédiat du patient. La volonté de réduire à l’extrême les doses injectées, pour améliorer la sécurité circulatoire, peut favoriser des épisodes de mémorisation ou de réveil per-anesthésique, ultérieurement très mal vécus.
CHOIX DES MÉDICAMENTS _ Hypnotiques Le choix des agents d’induction est sujet à controverse, car aucun ne provoque une perte de conscience tout en préservant l’intégrité des paramètres hémodynamiques et des facteurs d’adaptation. Toutefois, et malgré leur risque cardiovasculaire, il est légitime d’administrer un hypnotique pour l’induction, l’intubation et l’entretien de l’anesthésie.
Deux agents d’induction seulement sont recommandés chez les patients en état de choc : – l’étomidate ; – la kétamine. La diversité des terrains concernés et de la gravité des états de choc impose une personnalisation au cas par cas de la conduite anesthésique, rendant une titration individuelle obligatoire pour mesurer la susceptibilité particulière du terrain. Le recours à ces agents ne vise qu’à éviter la mémorisation : elle doit se faire à concentrations liminales.
Curare et morphinique Le cisatracurium semble être actuellement le curare le mieux adapté. Tous les morphiniques induisent une bradycardie vagale, antagonisée par l’atropine ; le choix repose sur des préférences personnelles. L’effet inotrope négatif du fentanyl, du sufentanil, de l’alfentanil et du rémifentanil est minime, même lorsque ces agents sont utilisés à fortes doses Cet effet inotrope négatif se manifeste bruyamment sur le volume d’éjection systolique, le débit cardiaque, la fréquence cardiaque, la pression capillaire et les résistances artérielles systémiques et pulmonaires
INDUCTION ANESTHÉSIQUE Elle ne devrait se faire, à 2 personnes, qu’après correction au moins partielle de la détresse circulatoire, ce qui n’est pas toujours possible. Elle doit être lente et progressive, avec, à portée de main et prêts à l’emploi, les médicaments de première urgence. Les agents d’induction retenus seront les moins dépresseurs myocardiques, les moins vasodilatateurs, et ceux ayant le moins d’effet sur le baroréflexe.
Les deux risques majeurs sont : -le collapsus grave secondaire aux effets cardiovasculaires des agents administrés ; – l’inhalation du contenu gastrique, prévenue par la manœuvre de Sellick. L’induction à séquence rapide se réalise au mieux avec l’administration de succinylcholine. Le monitorage de la pression artérielle par voie sanglante est souhaitable quand il est possible. L’existence d’une alternance électrique ou d’une variabilité de l’amplitude des complexes QRS est souvent le témoin d’une hypovolémie
ENTRETIEN ANESTHÉSIQUE Il est assuré par l’association d’un morphinique (bolus itératifs de 50 μg de fentanyl ou de 5 μg de sufentanil) et d’un myorelaxant. Une narcose est recommandée pour éviter tout souvenir : – le protoxyde d’azote ne peut s’utiliser qu’après normalisation hémodynamique – la kétamine et l’étomidate en débit continu et à doses faibles sont les seuls hypnotiques utilisables tant que l’état de choc n’est pas corrigé.
La ventilation sera au mieux assurée par un ventilateur de réanimation en mélange air-oxygène. Des bilans itératifs seront réalisés en fonction de l’état clinique et des lésions à la recherche : – d’une anémie et de troubles de coagulation ; – d’une acidose, d’une détresse respiratoire ; – de perturbations ioniques : dyskaliémies, troubles glycémiques, hypocalcémie.
PRISE EN CHARGE POSTOPÉRATOIRE Le réveil sera différé et réalisé en service réanimation pour garantir au patient les meilleures conditions de récupération et de stabilisation cardiovasculaire. Le transfert ne sera entrepris que quand les constantes hémodynamiques seront redevenues proches de la normale et stables.
Le transport en réanimation se fait sous le contrôle de l’anesthésiste qui a assuré l’intervention, en poursuivant le monitorage, la sédation, la ventilation et les traitements vitaux en cours. Une transmission directe et précise au réanimateur chargé de l’accueil du patient est indispensable pour permettre une prise en charge rapide et de bonne qualité.
Conclusion L’anesthésie d’un patient choqué est l’une des situations les plus difficiles à laquelle peut être confronté un anesthésiste. Dans tous les cas, l’induction anesthésique d’un patient choqué expose celui-ci à une décompensation brutale, potentiellement létale, car tous les agents d’induction ont des effets hémodynamiques néfastes. Malgré ces effets négatifs, l’anesthésie générale reste la meilleure méthode de prise en charge des patients, les risques encourus lors de la réalisation d’une anesthésie épidurale ou spinale étant très supérieurs.