Hiérarchie des normes et négociation collective : un changement de modèle ? Christophe Guitton 12 mars 2018 Laboratoire d’Économie et de Sociologie du Travail UMR 7317 - France - www.lest.cnrs.fr
Titre de la Présentation > Titre de la partie 14/10/2018 Introduction Objectifs des deux ordonnances consacrées à la négociation collective (ordonnances n°2017-1385 et n°2017-138 du 22 sept. 2017) Réviser le droit de la négociation collective dans ses différentes dimensions (acteurs, domaines de négociation, articulation des niveaux, autorité des accords, négociations obligatoires, etc.) Faciliter la négociation dans les entreprises dépourvues de représentation syndicale (PME-TPE) Rationalité de la réforme Poursuivre le mouvement de recul de la loi au profit de la négociation collective et l’étendre au-delà du temps de travail (laboratoire historique de l’évolution du droit du travail français depuis 1982) Renforcer la primauté des accords d’entreprise sur les accords de branche et les contrats de travail Plan de l’intervention Rappel de la situation antérieure aux ordonnances Panorama de la réforme du droit de la négociation collective Perspectives ouvertes aux relations professionnelles
I – Hiérarchie des normes et principe de faveur (situation antérieure à la réforme) 1 – Les sources du droit du travail Sources institutionnelles La Constitution Les normes internationales, européennes et communautaires Les lois (et les ordonnances) La jurisprudence (principes généraux du droit du travail) Les règlements (décrets, arrêtés) Les actes administratifs (circulaires) Sources professionnelles Les accords collectifs : accords nationaux interprofessionnels (ANI), accords de branche (AB), accords d’entreprise (AE) Les usages et engagements unilatéraux de l’employeur Le règlement intérieur Le contrat de travail Alternance : Question maturité des apprentis et des lycéens Travail-formation auprès des maîtres d’apprentissage ou tuteurs (référents) Quel statut de l’alternance CFA / LP ? Alternance en lycée pro ne pose pas problème / alternance en CFA, temps importants présuppose autonomie etc. CFA : mesure de raccrochage pour jeunes ayant déjà décrochés ? Ou voie d’excellence ? Que fait la région ? On rentre par les établissements mais la question des parcours des jeunes est importante.
2 – La hiérarchie des normes et l’ordre public social Titre de la Présentation > Titre de la partie 14/10/2018 2 – La hiérarchie des normes et l’ordre public social Les normes internationales ont une autorité supérieure aux lois Les lois doivent être conformes à la Constitution Les règlements doivent être conformes aux lois Les rapports entre la loi et les accords collectifs sont régis par la notion d’ordre public : Ordre public absolu : les accords ne peuvent déroger à la loi même dans un sens plus favorable aux salariés Ordre public social : les accords peuvent déroger à la loi dans un sens plus favorable (principe de faveur) Les rapports entre accords collectifs sont régis par l’ordre public social (principe de faveur) : les AE peuvent déroger aux AB dans un sens plus favorable Les rapports entre le contrat de travail et les accords collectifs sont régis par l’ordre public social (principe de faveur) : les dispositions d’un accord collectif se substituent à celles des contrats de travail en cours sauf si elles sont moins favorables
3 – Dérogations légales au principe de faveur Titre de la Présentation > Titre de la partie 14/10/2018 3 – Dérogations légales au principe de faveur Le principe de faveur, d’origine jurisprudentielle, a une valeur légale (principe général) mais pas une valeur constitutionnelle, ce qui autorise le législateur à l’écarter dans certains domaines : L’ord. de 1982 et les lois de 1986 et 1987 autorisent les accords collectifs à déroger à la loi dans certaines matières : modularisation, annualisation du temps de travail… (ordre public dérogatoire) La loi du 4 mai 2004 autorise les AE à déroger aux AB, y compris dans un sens moins favorable aux salariés, sauf clauses dites de verrouillage. Le caractère impératif de l’AB est préservé dans 4 domaines : salaires minimas, classifications, protection sociale complémentaire, mutualisation des fonds de la formation (amorce d’une spécialisations des AB) La loi Travail du 8 août 2016 complète la liste des matières dans lesquelles l’AB prévaut en ajoutant la prévention de la pénibilité et l’égalité professionnelle et – surtout - consacre la primauté de l’AE sur l’AB en matière de temps de travail (interdiction des clauses de verrouillage) Des lois de 2012, 2013 et 2015 prévoient que, dans certains cas (accords dits de restructuration), un AE peut s’imposer au contrat de travail dans un sens moins favorable aux salariés
Titre de la Présentation > Titre de la partie 14/10/2018 II – Mutations du système de négociation collective 1 – Les rapports entre la loi et la négociation collective L’ordre public social (principe de faveur) demeure la règle : Des accords collectifs peuvent prévoir des dispositions plus favorables que la loi (ex. un niveau de salaire supérieur au Smic) Des accords collectifs ne peuvent prévoir des dispositions moins favorables que la loi (ex. une durée du travail effectif hebdomadaire supérieure à 48 heures) L’ordonnance renvoie à la négociation collective de branche certaines dispositions relatives aux modalités de conclusion des contrats spéciaux (CDD, CTT, CDI de chantier) : durée totale, renouvellement, délais de carence (à l’exclusion des cas de recours) Lorsque la loi l’autorise, un accord collectif peut prévoir des dispositions moins favorables que les dispositions législatives Des AB peuvent prévoir des durées de périodes d’essai plus longues que les durées légales Des AB ou AE peuvent ramener l’indemnité de fin de CDD de 10% à 6%
Titre de la Présentation > Titre de la partie 14/10/2018 2 – Les rapports entre accords collectifs : une logique de répartition des compétences entre niveaux de négociation Bloc 1 – Du seul ressort de la branche 13 domaines Salaires minima Classifications Mutualisation des fonds de la FP Mutualisation du financement du paritarisme Protection sociale complémentaire Durée du travail (certaines mesures) CDD et CTT (durée totale, renouvellement, délai de carence) CDI de chantier Egalité professionnelle F/H Période d’essai (contions et durée de renouvellement) Transfert des contrats de travail en cas de changement de prestataire Deux cas de mise à disposition d’un salarié temporaire / ent. utilisatrice Rémunération minimale / portage salarial Bloc 2 – Verrouillage par la branche 4 domaines Prévention de la pénibilité Insertion professionnelle et maintien dans l’emploi des travailleurs handicapés Primes pour travaux dangereux et insalubres Délégués syndicaux : effectif à partir duquel ils peuvent être désignés, nombre et valorisation de leur parcours syndical Bloc 3 – Du seul ressort de l’entreprise Tous les thèmes ne relevant ni du bloc 1 ni du bloc 2 Ex : durée de la période d’essai initiale Ex : préavis et indemnité de rupture du CT Ex : prime d’ancienneté Ex : prime de 13ème mois
Une ré-articulation favorable aux accords d’entreprise Titre de la Présentation > Titre de la partie 14/10/2018 Une ré-articulation favorable aux accords d’entreprise Renforcement du poids des accords d’entreprise Bloc 1 – Impérativité de l’accord de branche : l’AB prévaut sur l’AE (les dispositions de l’AB constituent un plancher) Bloc 2 – Impérativité de l’accord de branche s’il le prévoit : des clauses de verrouillage sont possibles mais uniquement dans les 4 matières (auparavant dans toutes les matières hors durée du travail) Bloc 3 – Primauté de l’accord d’entreprise : les dispositions de l’AE prévalent sur celles de l’AB, qu’elles soient plus favorables ou moins favorables (exit le principe de faveur) le champ de la primauté de l’AE, jusque là limité à la durée du travail et aux congés, est considérablement élargi Principe de faveur vs « garanties au moins équivalentes » Dans les domaines ou l’accord de branche prime sur l’accord d’entreprise (blocs 1 et 2) ce dernier s’applique dès lors qu’il « assure aux salariés des garanties au moins équivalentes » L’appréciation ne se fait plus avantage par avantage mais domaine par domaine (par exemple, à l’échelle de l’ensemble des primes et non plus prime par prime comme précédemment)
Titre de la Présentation > Titre de la partie 14/10/2018 3 – Les rapports entre les accords d’entreprise et les contrats de travail Unification des 4 dispositifs antérieurs au profit d’un régime unique d’accords d’entreprise primant sur le contrat de travail : AE conclus « afin de répondre aux nécessités liées au fonctionnement de l’entreprise ou en vue de préserver ou de développer l’emploi » (accords dits de compétitivité) Les dispositions de l’AE se substituent à celle du contrat de travail, qu’elles soient plus favorables ou moins favorables, y compris dans les matières dont la modification requiert l’accord du salarié (qualification, durée du travail, rémunération, mobilité géo) Le refus du salarié constitue une cause de licenciement : Le salarié peut se prévaloir de la force obligatoire du contrat de travail pour s’opposer à la modification de son contrat Mais son seul refus constitue une cause réelle et sérieuse de licenciement (cause préconstituée) : l’employeur n’a pas à motiver le licenciement et le salarié ne peut le contester
Titre de la Présentation > Titre de la partie 14/10/2018 III – Perspectives ouvertes aux relations professionnelles 1 – La négociation d’entreprise Primauté de l’AE contre généralisation de l’accord majoritaire (au 1er mai 2018). La conclusion d’un accord d’entreprise est subordonnée : A sa signature par une ou plusieurs organisations syndicales de salariés représentatives ayant recueilli plus de 50% des suffrages exprimés au 1er tour des dernières élections des représentants du personnel (CE, DUP, DP) Ou à sa signature par une ou plusieurs organisations ayant recueilli plus de 30% des suffrages, sous réserve que l’accord soit approuvé par les salariés à la majorité des suffrages exprimés (référendum demandé par les organisations signataires ou désormais par l’employeur) L’avènement d’accords collectifs sans syndicats (PME-TPE) Dans les entreprises de moins de 11 salariés dépourvues de délégué syndical, l’employeur peut proposer directement aux salariés un projet d’accord portant sur n’importe quel thème ouvert à la négociation d’entreprise (approbation par référendum par au moins 2/3 du personnel) Dans les entreprises entre 11 et 49 salariés dépourvues de délégué syndical et de « conseil d’entreprise », les AE peuvent être négociés soit avec des salariés mandatés par des syndicats soit avec des membres de la délégation du personnel du comité social et économique (CSE)
2 – La négociation de branche Titre de la Présentation > Titre de la partie 14/10/2018 2 – La négociation de branche Dans le système français de relations professionnelles, la branche occupe (occupait) une place centrale à un double titre : Fonction normative (la branche législateur de la profession) Fonction régulatrice (la branche espace de régulation de la concurrence entre entreprises d’un même secteur d’activité) La fonction normative de la négociation de branche est passée d’une rationalité substantielle (production de normes) à une rationalité procédurale (encadrement des négociations d’entreprise). La réforme amplifie le recul de la fonction normative de la négociation de branche : Les ordonnances mettent fin à la logique d’encadrement des AE par les AB (primauté de l’AE et recul du principe de faveur) Les branches sont renvoyées à une régulation de service (prestation de services aux entreprises, en particulier les PME-TPE) La fonction régulatrice de la branche, classique niveau d’harmonisation des politiques sociales et salariales, est soumise à un paradoxe : La régulation de la concurrence entre les entreprises d’un même secteur d’activité demeure l’une des missions dévolue à la branche Mais le ministre du travail peut désormais refuser l’extension d’un accord de branche « pour atteinte excessive à la libre concurrence »
3 – La négociation interprofessionnelle Titre de la Présentation > Titre de la partie 14/10/2018 3 – La négociation interprofessionnelle La démocratie sociale comporte deux volets : Le partage du pouvoir législatif entre le parlement et les partenaires sociaux (loi négociée, négociation légiférante) L’association des partenaires sociaux à la gestion des garanties sociales / assurance chômage et formation (paritarisme de gestion) Le recours aux ordonnances revient à écarter les partenaires sociaux de la réforme du droit du travail, et singulièrement du droit de la négociation collective « Le droit de la négociation collective constitue désormais un des rares domaines rebelles à la négociation collective » (Antoine Lyon-Caen) Les réformes en cours de l’assurance chômage et de la formation consacrent la reprise en main par l’Etat Les réformes s’écartent du schéma de la loi négociée (ex FPC) La gestion de l’assurance chômage est tripartite, la gestion de la formation professionnelle continue est passée du paritarisme au tripartisme avec la création du compte personnel de formation (CPF) Quid de l’hypothèse d’une nationalisation de l’Unedic et du FPSPP au nom de l’intervention de l’Etat dans la sécurisation des parcours en contrepartie de la flexibilité accrue du marché du travail ?