Introduction : crise du modèle taylorien, nouveau(x) modèle(s) ? Le modèle taylorien, un modèle en crise ? Le souci d’une plus grande intégration transversale des activités La centralisation du pilotage de la performance L’homogénéisation des modèles économiques Thomas Reverdy
Le modèle taylorien (1950-1980) Un modèle fondé sur une culture scientiste et bureaucratique dominante dans les pays occidentaux à partir du début du XXe siècle. Planification à long terme des objectifs et des moyens de production La standardisation des produits permet des gains de productivité importants (effet d’échelle) Les agents des méthodes prescrivent en détail l’activité de production, développent les savoirs de production, appliqués ensuite de façon standardisée => La « technostructure » est toute puissante : elle concentre les savoirs industriels, conçoit les produits, définit les modalités de production. Firme intégrée ou quasi-intégrée : la logique de marché est absente en amont (sous-traitants fidèles) et en aval (marchés nationaux quasi-monopolistiques) Période de reconstruction, amélioration de la productivité et des conditions de vie progrès techniques, forte demande de biens manufacturés, marché de masse Ce modèle s’affirme contre le modèle de la sous-traitance commanditée, bref, d’une organisation industrielle fondée sur une division marchande du travail XXe : grandeur et décadence de l’organisation bureaucratique ! Très grande organisation militaire, un Etat surpuissant… un modèle organisationnel qui s’affirme au-delà de la seule entreprise Projet fondé sur une hypothèse forte : la science (en particulier les sciences humaines) permet d’organiser une société harmonieuse et efficace ! Hypothèse qui a donné l’organisation militaire, l’administration… mais aussi le totalitarisme… et la grande firme intégrée. S’oppose à une représentation de la société comme « héritée » : société de classe et de rang, fondée sur la tradition et sur la religion. Rôle dominant du planificateur : ministère de la planification pour la reconstruction… Celui qui, par sa connaissance scientifique, est en mesure d’organiser fait et geste … cela s’est aussi traduit dans l’urbanisme, dans l’architecture pour la vie quotidienne. Est-ce que vous avez été confronté, dans vos stage à une situation où le modèle taylorien fonctionne seul ? À quelle condition ? Quels sont les ajustements prévus, imprévus ? Aujourd’hui, nous percevons bien les limites : la société échappe à la planification : de même que lmes banlieue ont échappé au projet social qui les ont fait naitre. Dans le monde de l’entreprise, on a compris que les individus échappent à ce modèle : la réalité matérielle, économique, les individus échappent à l’effort de rationalisation. Thomas Reverdy
La crise du modèle taylorien (années 80) Crise économique, saturation de la demande, Concurrence internationale par les pays à bas coûts de main d’œuvre Les limites de la division formelle du travail et du travail prescrit (décrites par les sociologues depuis longtemps) sont de plus en plus tangibles : optimisations locales et non globales, écart au travail prescrit, qualité médiocre quand les savoirs informels sont absents, stocks d’encours importants Emergence de nouveaux principes d’organisation : Intégration transversale Flexibilité, décentralisation, évaluation Un haut niveau de qualité et de différenciation des produits permettent d’éviter de subir une compétition par les prix Changement de paradigme : la non quyalité, que l’on croyait négligeable est l’objet de toutes les attentions Attention : cette crise ne conduit pas à l’abandon du modèle taylorien : - Dans de nombreuses activités, la rationalisation taylorienne a progressé : PME, tertiaire - Amendement des principes tayloriens Nouveaux dispositifs organisationnels qui s’ajoutent aux organisations antérieures Accumulation de prescription, accumulation d’outils de pilotage et de gestion Informatisation et automatisation Thomas Reverdy
Intégration transversale (1) : la gestion par projet Modèle taylorien en gestion de projet : Division du travail par métiers techniques Processus séquentiels Nouvelles attentes du marché Différenciation par le design et l’innovation => remise en question des architectures des produits Fort souci d’optimisation économique Nouveaux principes d’organisation (conception intégrée de produit) Renforcement du rôle du chef de projet Plateau projet qui rassemble les différents métiers Débat sur la faisabilité des objectifs techniques et économique en amont Choix techniques maintenus « ouverts » plus longtemps Une pression accrue sur les activités de conception (objectifs de coût et de délai des projets) Division du travail : entre conception et marketing : le concepteur invente un nouveau produit et demande au marketing de le vendre … ou inversement, le marketing recueille des besoins des clients, va voir ses concepteurs : ce n’est pas possible à fabriquer (ou pas dans les délais… Autre exemple : le BE dessine la pièce, la donne à l’acheteur et demande de chercher un sous-traitant… le sous-traitant pense que la pièce pourrait être fabriquée beaucoup moins chère si elle était conçue un peu différemment… Division du travail claire lisible : une fois que l’on est intervenu, la responsabilité passe au suivant les pbs de coordination se gèrent par des échanges de bons procédés très dépendant dans la bonne volonté, du temps disponible… on peut gérer la charge de travail Conception intégrée : abandon des divisions du travail, chacun vient avec ses compétences techniques spécifiques dans un lieu le plateau projet, et contribue aux prise de décision. Concrétisation progressive du produit… mais les acteurs sont amenés à prendre position le plus en amont possible : on doit pouvoir remettre en question un matériau… il faut déjà dire si on pense que cela tiendra les différentes contraintes que l’on ne connait pas encore On prend conscience que les décisions prises en amont restreignent trop le champ des possibilités ! Elles étaient très pratiques pour les acteurs : à chaque fois, il suffisait de répondre dans l’espace de contrainte sdes décisions précédentes… Différenciation par le design et l’innovation (renforcement des acteurs du marché aval comme le marketing) Hybridation technologique (de l’électronique dans la voiture…) : intégration des fournisseurs dans la conception Ce qui est difficile à gérer, les effets en chaîne des décisions techniques, la décision de choix du matériau impact sur d’autres décisions, comme le volume de la pièce, on peut être obligé de reconcevoir la pièce d’à côté… Thomas Reverdy
Intégration transversale (2) : la gestion des processus industriels Evolution des techniques de production Très forte complexité et intégration des systèmes de production Optimisation des flux, juste à temps Nouvelles exigences managériales Fiabilité : démarche qualité, Flexibilité : polyvalence, variation des horaires de travail Réactivité : imprévus, initiative, Divers objectifs, portés par les directions fonctionnelles, se propagent jusqu’aux équipes de production, se transforment en exigences contradictoires Contrôle du travail « par le flux », intensification du travail sous la pression des clients Participation des exécutants à la définition et l ’organisation de leur travail (équipes autonomes, remise en question de la prescription traditionnelle) capacité de résolution de problème, y compris pour le personnel d’exécution (exemple d’une ligne d’assemblage automatisée) Exemple : Total Productive Maintenance Enquête « conditions de travail » par la DARES : Montre d’abord une extension du taylorisme dans les PME : avec un travail de plus en plus cadencé par les machines, celle-ci est significative aussi pour les ouvriers non qualifiés en production Augmentation du travail à la chaine (passé de 7 à 10 %, de 1984 à 1998) Aussi une extension du taylorisme dans le tertiaire, avec une augmentation massive du travail répétitif : restauration collective… Mais on constate aussi des évolutions qui montrent d’évolutions nouvelles, au-delà des activités de production stricto-sensus Forte réduction des délais dans le travail (le nombre de personnes qui répondent qu’elles sont soumises à des délais de moins d’une heure est passé de 5 % à 23 % toutes professions confondues, cadres compris, mais c’est dans la logistique que le changement est le plus important, de 7 % à 35 % env. selon les professions) Le nombre de personnes face à une demande à satisfaire immédiatement est passé de 28 à 54 %) Des questions nouvelles ont été posées en 1991 et 1998 pour évaluer le rôle de prescription : Baisse globale des personnes : Qui doivent appliquer des consignes, auxquelles on dit ce qu’il faut faire (42 à 37 %) Qui font appel à d’autres pour gérer les incidents (35 à 28 %) Qui ne peuvent faire varier les délais (37 à 33 % ) Autonomie des personnes, très liée à la proximité avec les clients Mais aussi augmentation du contrôle hiérarchique. La négociation des 35 heures a facilité l’adaptation des entreprises à ces nouvelles contraintes: bien souvent les 35 heures ont été échangées contre une annualisation du temps de travail. Cette adaptation a été source d’efficacité, même si elle a été aussi source de désorganisation du temps personnel, parfois de perte de revenu (perte des heures complémentaires). Thomas Reverdy
Développement de l’évaluation de la performance Incapacité à prévoir à long terme (évolution technologique, évolution de marché…) => la planification industrielle à long terme, qui définit les objectifs et optimise les moyens, n’est plus la logique dominante. Développement d’une optimisation à court terme, combinée avec une logique de mise en compétition généralisée pour inciter à réduire les coûts Délégation et mise en place d’instruments de reporting Comparaison en interne et en externe, « double sourcing » Des métiers se renforcent : Contrôle de Gestion, Acheteur, Logistique intégrée, ils s’appuient sur une standardisation des indicateurs de gestion, grâce aux progiciels de gestion intégré => Accumulation d’indicateurs de performance, attente sans limite « insatiable », car toujours évaluée a posterori Passage de la planification à l’optimisation. Qu’est ce que cela signifie : traditionnellement, les décisions essentielles sont la décision d’investissement : on évalue le marché, l’investissement, la rentabilité, on décide et on applique. On sait à l’avnce ce que l’on va produire dans chaque usine, les volumes, les produits, les coûts, les prix de vente. Le marché est prévisible. Marché national assez bien contrôlé. Evolution actuelle : on a pris conscience de l’écart important entre ce qui est anticipé et ce qui est réalisé l’enjeu essentiel n’est plus de planifier à l’avance mais d’optimiser. On recherche par exemple à donner une polyvalence maximum à son outil industriel, pour pouvoir s’adapter à des évolutions brusques du marché. Ex : la fin des moquettes, remplacées par le marquet… Modèles d’optimisation domine le processus décisionnel : il n’y a plus personne qui décide, c’est le modèle qui décide !!! (alors qu’avant, on était davantage dans une logique à long terme et une logique plus globale, plus politique) En même temps, il n’y a pas d’autonomie complète sur les moyens : recrutement, investissements, sont décidés en central En contrôle de gestion : évolution de la comptabilité interne, décomposition des coûts indirects devenus de plus en plus importants. Le C de G est devenu un outil de pilotage (réactivité) et non simplement de contrôle / norme Exemple HP : cette activité d’optimisation est devenue l’activité dominante dans les PC. Ne conçoit rien, Ne fabrique rien Ne transporte pas Ne contrôlent pas Ne gèrent pas les flux au quotidien Pourquoi : phase de maturité, pas de réelle innovation de rupture Les composants clefs sont fabriqués par des grands producteurs de l’électronique (intel…) Les activités d’assemblage sont des activités de main d’œuvre où l’asie excelle, Les transporteurs maîtrisent leur métier En Europe de l’Est : délocalisation des activité administratives Que font-ils ? Ils optimisent ! D’un côté, il y a l’achat des composants, sur des places de marché, avec des valeurs qui fluctuent selon les prévisions de vente et les produits disponibles De l’autre, la vente, quelques semaines plus tard, en direct, ou par l’intermédiaire de la grande distribution Entre les deux, un délai incompressible de transport par bateau et une activité de fabrication en Asie ou en Europe (selon les modalités de vente) Le but du jeu : gérer un risque, acheter des composants qui risquent de prendre leur valeur trop vite, ne pas livrer les clients à temps… Pour cela un vaste système d’information que l’équipe optimise le mieux possible Thomas Reverdy
De l’automatisation de la production à l’informatisation des processus de gestion Evolutions majeures : Années 70-80 : l’automatisation de la production Années 90 : le développement de l’informatique et des réseaux Motivations : la productivité permise par l’automatisation des tâches, amélioration de la qualité, du service… => Effets sur l’organisation de travail Disparition de certains tâches peu qualifiées, mais pas de toutes les tâches non qualifiées (des tâches échappent à l’automatisation) Développement de nouvelles tâches très qualifiées Ex : manivelle au clavier : passage du réglage manuel à la commande numérique, du jour au lendemain, perte de pertinence du savoir faire de réglage traditionnel avec une machine programmée par le bureau des méthodes. Certains ouvriers parviendront à s’approprier la programmation et défendre leur savoir faire… à condition d’en apprendre un autre Autre exemple : mis en place d’un ERP. Savoir-faire logistique ou comptables remis en question. Rapprochement comptable fait automatiquement. Soit vous vous approprier le PGI et vous êtes capable de rechercher dans le système les sources d’erreur, soit vous devenez inutile. Le même mécanisme ! Thomas Reverdy
Transformation des organisations économiques Homogénéisation des modèles économiques modèle anglo-saxon fondé sur une indépendance de la finance et un renforcement de l’intensité concurrentielle modèle rhénan fondé sur une forte interdépendance entre acteurs économiques et sociaux, un tissu important de PME en réseau modèle français fondé sur l’intervention de l’Etat et les investissement des grandes entreprises publiques Mondialisation des entreprises modularisation des activités industrielles recentrage sur les “compétences clefs”, externalisation des activités développement de l’ “off-shoring” : délégation de tâches précises à des entités localisées dans les pays à bas coûts de main d’œuvre Intensification de la concurrence au profit du “consommateur”… au détriment du “producteur” ? Thomas Reverdy
Quelles conséquences en termes de conditions de travail et de mobilisation des salariés (F. Dupuy) ? L’organisation taylorienne offrait aux salariés et aux cadres des protections face au client, face à l’actionnaire, face à ses collègues : les règles formelles, une division précise du travail, la structure hiérarchique, le travail prescrit… Aujourd’hui, l’organisation devient à la fois plus flexible et plus intégrée, : Elle expose davantage les salariés aux demandes des clients Elle les soumet à l’obligation de coopérer avec leurs collègues avec une remise en question permanente des frontières des activités Elle ne garantit pas la pérennité de l’activité, ni l’appartenance à une entreprise Elle les soumet à une évaluation permanente de leur performance, la comparaison avec la concurrence => D’où un sentiment de dégradation des conditions de travail, de subir des injonctions contradictoires… baisse de la motivation, stress, rapport plus distant à l’entreprise, reconstruction de nouvelles protections, résistance aux changements Division du travail claire lisible : une fois que l’on est intervenu, la responsabilité passe au suivant, et les pbs de coordination se gèrent par des échanges de bons procédés très dépendant dans la bonne volonté, du temps disponible… on peut gérer la charge de travail Dans une équipe projet : l’ingénieur technique doit se mouiller, il est poussé à prendre des risques, autoriser une modif d’un produit, à valider un nouveau fournisseur pour réduire les coûts Enquête sur les conditions de travail : augmentation massive des interruptions dans le travail par des demandes urgentes, issues des clients Autre exemple : les spin off dans la chimie Chimie de transformation : activité mondialisée avec une forte compétititon, des prix très variables, selon capacité investissement et besoins du marché Forte incertitude liée à la croissance de la Chine Investisseurs deviennent de plus en plus méfiant, veulent contrôler avec précision la rentabilité de chaque activité Chaque activité se caractérise par un marché amont, un marché aval, des variations de prix de marché et est en concurrence benchmarké L’organisation a pour but de faciliter l’évaluation de la performance et la revente des unités de production. Industrie de transformation du type activité : ligne de production non spécialisées, séparation entre les BU (orientée marché aval) et les activités de production (les usines, qui prennent en charge les commandes. L’usine n’a plus le contrôle de sa production : elle devient une fonction de coût : on sait ce que chaque usine sait produire, le coût, la qualité, le délai, et l’objectif est de faciliter l’allocation des activités de production en fonction de ces critères, Thomas Reverdy
Bibliographie Weltz Pierre, Le nouveau monde industriel, Gallimard, 2000. Segrestin Denis, Les chantiers du manager, Armand Colin, 2004 Dupuy François, La fatigues des élites, le capitalisme et ses cadres, Seuil, 2005 Chiapello Eve, Boltanski Luc, Le nouvel esprit du capitalisme, Gallimard, 1999 thomas.reverdy.free.fr Thomas Reverdy