Le concept d’abus fiscal à l’épreuve de la pratique

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Transcription de la présentation:

Le concept d’abus fiscal à l’épreuve de la pratique Thierry AFSCHRIFT Professeur ordinaire à l’Université Libre de Bruxelles Président de l’Executive Master en Gestion Fiscale (Solvay Brussels School of Economics and Management) Avocat aux Barreaux de Bruxelles, Anvers, Fribourg et Madrid, inscrit aux Barreaux de Genève et de Luxembourg, Foreign lawyer à Hong Kong

Le contexte Loi du 29 mars 2012. Dérogation limitée au principe du choix de la voie la moins imposée. Ce principe est maintenu. Une dérogation y est apportée. Interprétation restrictive.

Arrêt Brepols (6 juin 1961 « Il n’y a ni simulation prohibée à l’égard du fisc, ni partant fraude fiscale, lorsque, en vue de bénéficier d’un régime fiscal plus favorable, les parties, usant de la liberté des conventions, sans toutefois violer aucune obligation légale, établissent des actes dont elles acceptent toutes les conséquences, même si la forme qu’elles leur donnent n’est pas la plus normale » (Cass., 6 juin 1961, Pas. 1961, I, 1088 ; voir aussi l’arrêt Au vieux Saint Martin du 22 mars 1990, JDF 1990, p. 116). - rejette la théorie de la fraude à la loi Pourquoi ? Parce que la fraude à la loi n’existe que si la loi exige un comportement obligatoire, est impérative (Vidal)

Or, « la loi fiscale est impérative en ce sens seulement que la taxe est due pour tout acte présentant les caractères qu’elle prévoit, mais ... elle n’ordonne pas de faire tels actes plutôt que tels autres, et que les contribuables, s’ils commettent une violation de la loi en se soustrayant au paiement d’un impôt dû, ne font qu’user de la liberté des conventions et ne réalisent aucune fraude en empêchant l’impôt de naître, en choisissant parmi plusieurs procédés qui leur permettent d’aboutir au résultat désiré, celui qui est le moins onéreux ... En empêchant l’impôt de naître, le contribuable n’élude aucune règle obligatoire et ne commet aucune fraude. Entre la violation de la loi fiscale et l’habileté licite, il n’y a pas place pour la théorie de la fraude » (Vidal, Essai d’une théorie générale de la fraude en droit français, p. 204).

La loi de 2012 n’y change rien La loi de 2012 n’y change rien. Elle prévoit seulement qu’il y a abus, non seulement si on enfreint la loi elle-même, mais aussi, si on agit « en violation des objectifs » d’une disposition légale.

Le libre choix de la voie la moins imposée est un corrolaire de l’article 170 de la constitution. « Aucun impôt au profit de l’Etat ne peut être établi que par une loi » (pas le Roi, ni le fisc, ni les tribunaux). On n’est donc pas taxé si on accomplit un acte non prévu par la loi fiscale. Franchise générale des personnes et des choses.

Le nouvel article 344 CIR 92 « §1er. N’est pas opposable à l’administration, l’acte juridique ni l’ensemble d’actes juridiques réalisant une même opération lorsque l’administration démontre par présomptions ou par d’autres moyens de preuve visés à l’article 340 et à la lumière de circonstances objectives, qu’il y a abus fiscal. Il y a abus fiscal lorsque le contribuable réalise, par l’acte juridique ou l’ensemble d’actes juridiques qu’il a posé l’une des opérations suivantes :   1° une opération par laquelle il se place en violation des objectifs d’une disposition du présent Code ou des arrêtés pris en exécution de celui-ci, en dehors du champ d’application de cette disposition ; ou 2° une opération par laquelle il prétend à un avantage fiscal prévu par une disposition du présent Code ou des arrêtés pris en exécution de celui-ci, dont l’octroi serait contraire aux objectifs de cette disposition et dont le but essentiel est l’obtention de cet avantage.

Il appartient au contribuable de prouver que le choix de cet acte juridique ou de cet ensemble d’actes juridiques se justifie par d’autres motifs que la volonté d’éviter les impôts sur les revenus. Lorsque le contribuable ne fournit pas la preuve contraire, la base imposable et le calcul de l’impôt sont rétablis en manière telle que l’opération est soumise à un prélèvement conforme à l’objectif de la loi, comme si l’abus n’avait pas eu lieu ».

Les éléments constitutifs de l’abus fiscal Il y a 4 éléments constitutifs : un acte juridique ou un ensemble d’actes formant une « opération » se placer hors du champ d’application d’une disposition (ou dans le champ d’une exception) agir en « violation des objectifs » d’une disposition du Code ou d’un arrêté d’exécution agir volontairement dans le but d’éviter ou de réduire l’impôt

Preuve Le fisc doit prouver ces 4 éléments Preuve Le fisc doit prouver ces 4 éléments. S’il le fait, le contribuable peut démontrer qu’outre le but fiscal, il poursuivait aussi un autre but (civil, familial, commercial, …). Celui-ci ne doit pas être essentiel, mais il doit vraiment avoir existé.

Aucune discussion en doctrine sauf sur la portée de la 3ème condition : « Agir en violation des objectifs d’une disposition »

  Comment faut-il la comprendre ? il faut démontrer que la disposition précise avait un objectif c’est-à-dire un objectif précis, propre à la disposition ce n’est pas simplement « taxer » - cet objectif doit être : * certain * conscient (avoir été exprimé quelque part)

Cet objectif doit définir un « champ d’application voulu » distinct du champ d’application réel de la loi. Le SDA ne prend pas la peine de rechercher si l’on agit en « violation des objectifs » de la loi et ne recherche même pas les objectifs de la loi.

Décisions du SDA à propos des ventes d’actions de sociétés ne possédant qu’un immeuble « Les actions d’une société ne détenant, suite à la réalisation de certaines opérations préalables, plus qu’un immeuble et n’exerçant plus d’activité, sont vendues par une personne physique à un tiers acquéreur. La vente des actions vise notamment à éviter l’imposition à l’ISOC de la plus-value relative à l’immeuble (abus de l’article 192 CIR 92) et la taxation à l’IPP du boni qui résulterait de la liquidation de la société (abus de l’article 18, 2°, ter, CIR 92). Le SDA est d’avis qu’une telle vente d’actions est constitutive d’un abus fiscal au sens de l’article 344, § 1er, CIR 92 ».

Le SDA Le SDA déduit du seul fait que le contribuable vendeur voulait éviter l’application d’un impôt sur la plus-value de l’immeuble, la conclusion qu’il s’agit d’un abus. Dès qu’il constate que le contribuable se place hors du champ d’application d’une loi d’impôt (2ème condition), et qu’il le fait de manière intentionnelle (4ème condition), il conclut à l’existence d’un abus fiscal, sans même énoncer la troisième condition, le fait d’agir « en violation des objectifs » des textes légaux dont il est prétendument abusé.

  Décision du 23/12/2014 Ruling favorable dans une vente d’actions d’une société immobilière mais seulement parce qu’il s’agit d’une société qui avait une activité destinée à être maintenue (soit l’exception d’un objet non fiscal) - Donc le SDA ne cherche pas non plus s’il y a une violation des objectifs de la loi.

  Décision erronée Le SDA devait chercher s’il y avait une violation des objectifs d’une disposition précise Donc chercher son champ d’application voulu, donc de « déterminer le champ d’application que le législateur voulait effectivement, consciemment et certainement donner à la disposition légale invoquée » et qu’il n’a pas atteint par une rédaction malencontreuse ou insuffisante du texte. Aucun texte ne dit que la loi voulait taxer les sociétés sur des plus-values d’actifs lorsque les actionnaires font des plus-values sur actions.

  Conséquences les vendeurs ont en général intérêt à vendre les actions; les acheteurs ont en principe intérêt à acheter les actifs (pour les amortir) si un acheteur demande un ruling pour amortir les actifs, le SDA devrait s’il est cohérent, refuser en disant que les vendeurs auraient pu vendre les actions (choix de la voie « la plus imposée »).

  s’il y a vente d’actions, comment taxer la société sur la vente d’actifs ? Il faudrait que le contribuable (art. 344) ait posé un acte juridique abusif. Mais la société n’accomplit aucun acte juridique !

  Dans d’autres domaines Décisions du SDA réduction de capital : refus parce que les opérations « ne sont pas justifiées par d’autres motifs que l’évitement de l’impôt sur les revenus sans rechercher la violation des objectifs

  Scission partielle : « les demandeurs ne démontrent d’aucune manière que le choix de l’ensemble des actes juridiques se justifie par d’autres motifs que la volonté d’éviter les impôts sur les revenus » (de plus la décision inverse la charge de la preuve)

- Idem à propos d’un profit participating loan (en 2012)

CONCLUSION le SDA ignore l’élément constitutif (acte en violation d’une disposition) de l’abus fiscal il n’est pas nécessaire de demander l’avis du SDA danger : instauration progressive d’une pratique administrative au mépris du principe de la légalité de l’impôt