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EVALUER LA VIDEOSURVEILLANCE DANS LES ESPACES PUBLICS

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1 EVALUER LA VIDEOSURVEILLANCE DANS LES ESPACES PUBLICS
Intervention de Tanguy le Goff Sociologue à l’Institut d’Aménagement et d’Urbanisme île-de-France Semaine de la Sécurité intégrale, Bruxelles, le 27 juin 2011

2 Plan de l’intervention
I - Mesurer les effets de vidéosurveillance sur la délinquance - méthodologie et résultats II - Analyser le facteur humain : le travail des opérateurs de vidéosurveillance

3 De l’inexistence des évaluations en France
En France , une absence d’études évaluatives sur la vidéosurveillance dans les espaces publics hormis des études réalisées par des cabinets de conseils demeurées confidentielles (Lyon, Strasbourg, Marseille) et une étude des inspections générales de l’administration, de la police et de la gendarmerie de juillet 2009 sur L’efficacité de la vidéoprotection affirme que : « Les dispositifs de vidéoprotection ont montré leur efficacité en matière de prévention de la délinquance et leur impact dépasse le périmètre des zones vidéoprotégées. » Au regard de la méthodologie adoptée et de la qualité des « preuves » présentées, le rapport ne prouve pourtant nullement l’efficacité dissuasive de la vidéosurveillance. Absence d’études mais cela ne veut pas dire que l’on ne sait rien sur l’efficacité de CCTV = regarder du côté des études produites à l’étranger.

4 I - Mesurer l’impact sur la délinquance
Les Standards évaluatifs internationaux (scientific methods scale –Sherman) 1 - Travailler sur des études de cas contextualisées Il s’agit, de la sorte, d’isoler l’effet propre à la vidéosurveillance au regard d’autres variables telles que l’amélioration de l’éclairage public, le renforcement des effectifs policiers, de leur surveillance sur un secteur, mise en place d’une police municipale, d’une équipe de médiateurs, recours à des sociétés privées :  contrôler les facteurs concurrents 2 - Analyser les statistiques policières par type de délit - analyser la délinquance générale n’a aucun intérêt - analyser la délinquance de la catégorie « atteintes aux personnes » s’avère peu pertinent dans la mesure où une grande partie des atteintes ont lieu dans la sphère privée  analyser par type de délit : cambriolages, vols de voitures, vols avec violence, infraction aux stupéfiants, agressions …

5 Mesurer l’impact sur la délinquance
3 - Prendre des périodes d’analyse avant et après l’installation des caméras suffisamment longues. Il est préconisé un minimum de deux ans avant la pose des caméras et de deux ans après. Une période suffisamment longue permet de mesurer à la fois les effets immédiats mais aussi les effets à long terme = continuité ou non du caractère dissuasif de la vidéosurveillance au-delà de la période initiale d’installation … mais ceci pose des difficultés techniques importantes dans la mesure où l’analyse à l’échelle de micro-quartiers nécessite, bien souvent, de retravailler les statistiques policières.

6 Mesurer l’impact sur la délinquance
4 - Etablir des comparaisons entre unités spatiales comparables Dans cette perspective comparative, chaque site étudiée comprend au minimum 3 périmètres d’étude = évaluation dite « quasi-expérimentale » La zone vidéosurveillée ou « zone cible » : c’est la zone d’influence directe des caméras. Le rayon est défini soit par la totalité de la zone couverte par la caméra, soit par l’aire géographique significative autour de la caméra (place, parking) qui ne se trouve pas nécessairement couverte par une caméra. Cette définition délimite un cercle possédant un rayon de 100 à 150 mètres maximum même si les caméras peuvent filmer au-delà.

7 Mesurer l’impact sur la délinquance
La zone tampon : le second rayon d’étude ( 100 mètres au-delà du premier cercle) constitue une zone , qu’elle soit visible ou non par les caméras, susceptible d’être influencée par un éventuel déplacement ou une baisse de la délinquance constatée dans la « zone cible ». Elle est supposée bénéficier de la vidéosurveillance si une baisse de la délinquance y est enregistrée. A l’inverse, elle peut enregistrer une augmentation des délits si un déplacement se produit.

8 Mesurer l’impact sur la délinquance
La zone de comparaison ou zone dite de « contrôle » : pas forcément en continuité des précédentes. Il s’agit d’un quartier, plus exactement d’une partie d’un quartier, présentant des caractéristiques sociologiques et urbaines comparables à la « zone cible  ».

9 Déplacement de la délinquance à l’intérieur de la zone cible
Enfin, sur cette question des déplacements de la délinquance, un autre enseignement particulièrement intéressant ressort de l’évaluation de Martin Gill et Angela Spriggs : les déplacements spatiaux de délinquance se font dans un périmètre étroit proche des zones couvertes par les caméras. C’est ce qui ressort de l’analyse du site appelé Eastcap Estate. Dans celui-ci, les auteurs constatent une baisse de 10% des vols de véhicules dans la zone cible (de 77 à 69) dans le même temps ils ont augmenté de 7% dans la zone de contrôle (de 27 à 29). Mais sur la base d’une analyse cartographique plus fine, ils mettent en évidence une baisse de 38 % dans une zone de 100 mètres entourant cette zone se trouvant sous la portée des caméras (soit une réduction de 23 délits). Parallèlement, toujours dans la zone cible, mais dans des espaces se trouvant au-delà de la portée des caméras, ils observent une augmentation de 94% de ce type de délit (soit 15 vols de voitures). Ils en concluent à un déplacement spatial de la délinquance dans la zone avoisinant les caméras.

10 Quels enseignements des études évaluatives ?
Deux études de référence

11 … dont s’inspirent les études évaluatives actuelles notamment américaines (Los Angeles, San Francisco, 2008).

12 Un impact variable selon les espaces
Un impact dissuasif limité dans les espaces étendus et complexes comme les rues, les places publiques, les boulevards. Parmi les 22 évaluations portant sur des centre-ville répertoriées par Welsh et Farrington, seules 10 mettent en évidence un effet légèrement positif de la vidéosurveillance sur la délinquance. Pourquoi ?  dans ces espaces, le risque de se faire identifier et plus encore, interpeller, n’est pas jugé assez grand par les délinquants. « Sauf si t’es malchanceux et qu’ils ont une patrouille dans la rue, si les caméras t’ont trouvé et qu’ils ont appelé la police, t’es déjà loin, t’as peu de risques de te faire prendre. » Et un autre d’ajouter, « il y a tellement de caméras, ils ne peuvent pas tout voir. Ils doivent te trouver, deviner ce que tu vas faire et enfin faire quelque chose de ça . » (Gill, Loveday, 2003)

13 De l’efficacité de la vidéosurveillance dans les espaces fermés
En revanche, la vidéosurveillance a une efficacité dissuasive probante dans des espaces fermés comme les parkings. - « Méta-évaluation » de Welsh et Farrington (2008) .Sur les 6 études recensées, 5 concluent à des baisses des vols de voitures et/ou dans les voitures. Il faut cependant être prudent dans la présentation de ces résultats. Dans plusieurs études, les baisses sont en effet peu significatives dans la mesure où elles portent sur un nombre très réduit de délits (cf. étude de Nick Tilley, 1993). - Plus significatifs, en raison de la taille de l’échantillon et de l’ampleur des baisses constatées, sont les résultats obtenus par Martin Gill et Angela Spriggs dans leur étude des parkings souterrains londoniens (Hawkeye) = une baisse de 73 % des vols liés aux véhicules (de 794 à 214) au cours des 12 mois suivant l’installation par rapport au 12 mois antérieurs à l’équipement en vidéosurveillance.

14 Pourquoi cela marche dans les espaces fermés ?
Quatre raisons peuvent expliquer les résultats plus probants de la vidéosurveillance dans les parkings : Un quadrillage quasi-intégral ; Une unique finalité pour l’opérateur ; Un risque élevé au regard des difficulté pour fuir ; L’importance de la coopération étroite avec les forces de police. leur quadrillage quasi-intégral ; l’espace des parkings du site de Hawkeye se trouve ainsi couvert à 95 % par des caméras dont la présence est très visiblement signalée à l’entrée des parkings ; l’unique finalité de l’opérateur chargé de regarder les images est de repérer les délinquants potentiels qui commettent des vols de voiture ou dans les voitures, il n’a pas à discriminer parmi plusieurs finalités ; l’évaluation du risque par le délinquant qui mesure bien que, dans ces espaces où il n’y a guère de possibilités d’échapper à l’œil des caméras et de fuir, le risque est très élevé. Il aura donc tendance à changer de cible et de lieu. la coopération étroite avec les forces de police. Sur une année, elles ont dans ce site demandé la réquisition des images pour 143 incidents ayant conduit à plusieurs arrestations.

15 Une efficacité dissuasive très variable selon le type de délits
Un impact sur la prévention des atteintes aux biens qui peut être significatif. Si l’on regarde un peu plus en détail les études évaluatives, il apparaît que celles où l’on observe des baisses concernent trois types de délit concernant des biens : les vols de voitures, les vols dans les voitures (cf. point précédent) et les cambriolages. Martin Gill et Angela Spriggs montrent que, dans plusieurs de leurs sites d’enquête situés dans des zones résidentielles (4 des 14 sites), les cambriolages ont diminué de manière plus ou moins significative. La vidéosurveillance n’a qu’un impact dissuasif marginal sur les délits impulsifs comme les agressions, les bagarres et, plus globalement, sur les atteintes aux personnes. Le deuxième enseignement principal qui se dégage des études évaluatives conduites à l’échelle internationale est que la vidéosurveillance conduit parfois, dans les zonées équipées de caméras, à une baisse des atteintes aux biens enregistrées par les services de police. En revanche, son effet sur la baisse des atteintes aux personnes est quasi nul. Si l’on regarde un peu plus en détail les études évaluatives, il apparaît que celles où l’on observe des baisses concernent trois types de délit concernant des biens : les vols de voitures, les vols dans les voitures (cf. point précédent) et les cambriolages. Développons un peu cette idée en s’appuyant sur deux études évaluatives ayant adopté une méthodologie comparable : l’une anglaise conduite par l’équipe de Martin Gill et Angela Spriggs montrent que, dans plusieurs de leurs sites d’enquête situés dans des zones résidentielles (4 des 14 sites), les cambriolages ont diminué de manière plus ou moins significative. La vidéosurveillance n’a qu’un impact dissuasif marginal sur les délits impulsifs comme les agressions, les bagarres et, plus globalement, sur les atteintes aux personnes. On aurait même tendance, pour ce type de délits, à constater une hausse liée à une meilleure détection des faits si le dispositif fonctionne bien.

16 La question des déplacements spatiaux de la délinquance
Sur la base de comparaisons de la délinquance entre ces différentes zones, trois types de scénario sont envisageables. la diffusion des bénéfices : la baisse de la délinquance dans la zone test couverte par les caméras et la zone tampon, non couverte. le déplacement à l’intérieur de la zone de caméras : une augmentation des délits à l’intérieur de la zone de caméra dans des lieux que les caméras ne peuvent voir. le déplacement dans la zone tampon : une baisse dans la zone de caméras et une augmentation dans la zone tampon. 14 sites d’analyse : un seul - celui de Northern Estate - tend à corroborer la thèse selon laquelle la vidéosurveillance déplacerait la délinquance dans des espaces avoisinants la zone placée sous caméras. A Northern Estate, les auteurs ont bien constaté une baisse de 47 % (de 33 à 20, soit 13 cambriolages) dans l’année qui a suivi l’installation des caméras dans la zone cible. Dans le même temps, ils ont noté un accroissement de 11% des cambriolages dans la zone tampon. Pour les deux criminologues la « dissuasion de ce type de délits dans la zone cible a conduit à un déplacement de cette délinquance vers les zones non couvertes par les caméras . » En revanche, aucun des sites étudiés ne met en évidence qu’une baisse de la délinquance dans la zone cible s’accompagnerait également d’une baisse dans la zone tampon = pas de preuves dans cette étude que l’équipement d’un espace public en vidéosurveillance aurait des bénéfices sur la zone couverte par les caméras et sur les zones adjacentes comme c’est le cas pour d’autres mesures préventives – (Clarke, Weisburd, 1994). Un autre enseignement particulièrement intéressant ressort de l’évaluation de Martin Gill et Angela Spriggs : la principale diminution de la délinquance enregistrée aurait lieu dans le voisinage immédiat des caméras (dans un rayon de moins de 100 mètres) tandis que les délits augle dans la zone cible elle-même

17 II - De l’importance d’étudier le travail des opérateurs de vidéosurveilllance
Les opérateurs de vidéosurveillance : une invisibilité sociale inversement proportionnelle à la visibilité de la vidéosurveillance dans l’espace public … et pourtant ils jouent un rôle clé dans le « bon fonctionnement » de cet outil. Invisibilité tient au fait que le facteur humain est souvent éludé des discours politiques sur l’efficacité de la vidéosurveillance en raison d’une forme naïve de déterminisme technologique. Gavin Smith « la plupart des auteurs semblent oublier que les caméras de surveillance ne sont pas conscientes, ni autonomes et requièrent, pour être effectives, un contrôle constant par des êtres humains en situation de travail (…) . »  de l’intérêt des études ethnographiques dans les salles de vidéosurveillance pour comprendre comment s’exercent ce travail de « surveillance à distance ».

18 Les missions des opérateurs
1 - Assurer une surveillance générale des espaces sous caméras 2 - Faire du flag 3 - Sécuriser les agents de police municipale

19 Les missions des opérateurs
1 - Assurer une surveillance générale Exercice d’une surveillance passive visant par un travail préventif à gérer « le bon ordre et la tranquillité publique ». 20 % du temps consacré à cette mission. 2 - Faire du flag Ciblage de personnes dans le cadre d’une « surveillance active » (initiative personnelle ) ou d’une « recherche active » (à la suite d’une demande). Principales cibles des opérateurs : « les jeunes » qui sont discriminés en fonction de leurs tenues vestimentaires jugées relever d’une « culture de la déviance ». Le flag alimente une représentation jugée valorisante de leur travail car les rapproche de ce qu’ils estiment être le « vrai travail policier » : arrêter les délinquants. Le flag : un acte rare … mais qui donne sens au travail de l’opérateur : construction d’une utilité sociale de son rôle. Mission de surveillance générale consiste à regarder les images des caméras afin d’identifier et d’alerter les policiers en cas de comportements ou d’éléments suspects repérés = se traduit par un balayage général des caméras de manière régulière (en moyenne deux fois lors d’une vacation de 8 heures) visant à vérifier que tout est en ordre sans cibler précisément les caméras sur un lieu ou une personne. Systématique, en début de vacation d’un opérateur, il est ensuite réalisé de manière très aléatoire et partielle au gré des envies de chaque opérateur. En général, ce balayage des caméras qui s’accompagne d’une vérification de leur bon fonctionnement dure de 20 à 30 minutes ; la durée dépend toutefois de l’opérateur et du nombre de caméras dont dispose le système. Avec cette première tâche prescrite, on est bien là dans l’exercice d’une surveillance passive visant par un travail préventif à gérer « le bon ordre et la tranquillité publique ». On est bien là dans le cadre des missions dévolues au maire qui est le responsable de ce système municipal de vidéosurveillance. Dans la pratique, peu de temps est dévolu à cette mission. Non quantifié mais cela représente, au grand maximum, de l’ordre de 20 % du temps de travail d’un opérateur si l’on considère que l’opérateur réalise deux balayages de 30 minutes dans sa vacation et qu’il a 3 ou 4 plages de 10 minutes où il sera entièrement consacré à regarder les écrans, soit 90 minutes sur 8 heures). Faire du flag Une deuxième mission consiste à chercher à prendre en flagrant délit des individus préparant ou commettant un délit. Travail pro-actif se traduit par des périodes d’intense activité où les opérateurs « chouffent », c’est-à-dire qu’ils cherchent les délinquants en action, concentrent leur attention sur les deux ou les quatre écrans placés au centre de leur mur d’images. Et ciblent des individus sur la base de critères flous qu’ils se sont construits en fonction de leur expérience et de leurs préjugés (jeunes, groupes, individus qui courent). Ce ciblage peut découler de leur initiative, on parlera de « surveillance active » ou résulter d’une information transmise par un partenaire (polices ou, plus rarement, par un autre service), on parlera alors de « recherche active ». Etude du système de vidéosurveillance de la ville australienne de Gold Coast, Paul Wilson et Hélène Wells, évaluent ces phases actives de ciblage réalisées par les opérateurs à 16,43 % de leur temps de travail dont (1,95%) pour la recherche active et 14,48% pour la surveillance active . CIBLER « LES BONS CLIENTS » Quels sont les critères de sélection à partir desquels ils priorisent leurs « cibles » ? Des critères qui reposent tout autant sur des représentations personnelles, des stéréotypes, des émotions que sur leurs connaissances de la délinquance locale - acquises au travers des témoignages et des histoires de leurs collègues policiers - et de ce qu’ils estiment être des comportements suspects ou déviants. Sur la base de ces critères, quel que soit le site et les opérateurs, les principales cibles sont les « jeunes » dont les faits et les gestes sont surveillés, scrutés et interprétés quand bien même la sécurité d’autrui ne semble pas en jeu.. Parmi les jeunes, comment parviennent-ils à distinguer ceux qui ont un profil « délinquant » = assimilent certaines tenues vestimentaires comme étant intrinsèquement liées à des pratiques déviantes. Ils les associent à une culture de la déviance. « Je crois qu’il faut sentir les choses. Quand je vois quelqu’un avec la casquette sur les yeux, la capuche et qu’on voit à peine son visage je vais le suivre. Certaines attitudes, certains vêtements et certains comportements ne trompent pas. » Toutefois, la surreprésentation des jeunes comme cibles des opérateurs ne tient pas aux seuls stéréotypes et à leurs représentations sur les auteurs des crimes et des délits. Deux autres éléments peuvent expliquer le ciblage de cette catégorie de la population.  L’entrée et l’environnement immédiat des lycées comme des collèges, dans les deux sites étudiés (c’est souvent le cas ailleurs), sont des lieux parmi les mieux couverts par des caméras. Et les opérateurs ont pour injonction d’y être particulièrement attentifs. Dans leur travail de surveillance, cela signifie qu’ils doivent systématiquement braquer les caméras sur les établissements scolaires à l’heure des principales entrées et sorties. Il n’est dès lors pas étonnant que ces lieux, tout comme les jeunes qui les fréquentent, soient plus fortement vidéosurveillés que d’autres.  Les jeunes sont aussi ceux qui par leurs comportements sont « naturellement » suspectés par les opérateurs en quête de l’événement qui animera leur journée. Les jeunes courent, souvent en petits groupes à la sortie des établissements scolaires, ils s’interpellent, se poursuivent, se bousculent sur un mode parfois ludique, parfois pour régler des comptes. Bref, leurs corps occupent l’espace public, ils bougent et donnent à voir une image plus animée de l’espace placée sous surveillance. Cette « animation » attire plus facilement le regard de l’opérateur qui, par prudence, braque les caméras sur ces scènes de rue jugées « vivantes » plutôt que sur les rues désertes. Le fait d’être jeune et habillé selon un certain style vestimentaire constitue donc des raisons suffisantes justifiant pour la majorité des opérateurs de prendre cette catégorie de population comme principale cible de leur surveillance. Il y a là, de la part des opérateurs, une indéniable partialité. 2.2.2 PARTICIPER A LA « CHASSE AUX DELINQUANTS » Considérées comme particulièrement éprouvantes pour les yeux, les phases de « chasse» pro-actives ne durent, au mieux, que quelques minutes dans une heure . Au-delà, la fatigue est jugée trop grande par les opérateurs . « C’est fatiguant. On va dans les coins et recoins, on zoome, on dézoome, on se déplace, on suit quelqu’un qui court, c’est assez stressant. » (Entretien avec chef de salle vidéosurveillance, Bétaville, juillet 2010) Qu’il y ait ou non des injonctions données par les élus et la hiérarchie administrative, le flag est valorisé, recherché et attendu par les opérateurs. Assurément, il alimente chez eux une représentation jugée particulièrement valorisante de leur travail. En participant à cette « chasse aux délinquants », ils se perçoivent comme investis d’une mission de police judiciaire qui les rapproche de ce qu’ils estiment être le « vrai » travail policier: l’arrestation. Le flag est le gage de leur réussite et, plus encore sans doute, de leur utilité sociale. C’est bien d’ailleurs cette représentation que leur renvoie leur hiérarchie. « La responsable des opérateurs d’Alphaville considère ainsi qu‘une bonne journée pour un opérateur c’est si « grâce à son travail on a fait arrêter quelqu’un, s’il est tombé sur un flag, une agression et a donné assez de renseignements aux policiers municipaux pour qu’ils choppent l’auteur un peu plus loin. » (Entretien avec un brigadier principal, Alphaville, 19 juillet 2010,) A en croire cette même policière, ces occasions sont plutôt rares. A la question - avez-vous déjà pu identifier des personnes avec les caméras ? - elle nous a répondu, « je crois que c’est déjà arrivé » … cela ne l’a pas marquée en tous les cas ! Tend à accréditer l’idée que le « flag » est rare. Durant, nos 120 heures de présence dans les salles, nous n’avons assisté à aucune identification sur le fait d’un délinquant et pas plus a posteriori. 2.2.3 LE « FLAG » : LA VALORISATION D’UN ACTE RARE La « belle affaire » apparait comme un gage de leur utilité professionnelle mais elle est rare. Contrairement à une idée fortement ancrée chez nombre de citoyens et véhiculée par les promoteurs de la vidéosurveillance, la démultiplication du regard ne se traduit pas par une augmentation exponentielle du nombre de flags et d’arrestation . Il apparaît qu’il est pour le moins fantaisiste d’imaginer que les agents passent leur temps à voir et plus encore à déclencher une procédure d’arrestation d’un délinquant. Si le regard des opérateurs est démultiplié par les caméras, il reste pour des raisons tenant aux capacités physiques des opérateurs et du périmètre du territoire communal placé sous vidéosurveillance (guère plus de 3% dans la plupart des villes françaises) - limité à des espaces réduits. Les flags sont donc de l’ordre de l’exceptionnel dans le travail d’un opérateur quand bien même il est extrêmement vigilant. On serait tenté de dire qu’il donne sens au travail de l’opérateur, même s’il relève de l’exceptionnel, car il lui permet de se construire une image utile de son rôle.

20 Les missions des opérateurs
3 - Sécuriser les agents de police municipale Observer ce qui se passe lors des interventions policières pour prévenir tout risque d’agression ou de vandalisme d’un véhicule policier. Un regard protecteur … qui peut se transformer en un regard inquisiteur - Quand la vidéosurveillance devient un outil de management du service de police = le regard de l’opérateur ressenti comme une menace, une source de tension dans l’exercice du travail policier. Des stratégies policières d’évitement de l’œil de la caméra.  L’acceptation de l’outil par les policiers dépend d’une double relation de confiance : avec leur hiérarchie et avec les opérateurs Un troisième type de missions est, lui, déterminé par l’action des policiers municipaux. Les opérateurs sont en effet chargés de les « sécuriser » dans leur intervention si celle-ci a lieu dans le champ de vision de l’une des caméras. UN REGARD PROTECTEUR … En contact avec eux via les ondes-radio, leur travail vise dans ce cas à observer ce qui se passe autour du micro-territoire dans lequel les policiers municipaux interviennent afin de prévenir tout risque d’agression sur eux-mêmes ou sur leur véhicule. « Dès que les agents (de police municipale) sont sur le trottoir, on est leurs yeux un peu éloignés pour anticiper les événements et les sécuriser dans leurs déplacements. Systématiquement, on assure leur protection quand ils sont sur le terrain. C’est pour cela qu’on est en constante communication avec eux.» (Conversation informelle avec un opérateur, extrait du carnet de terrain, site 1, ). Ce volet « sécurisation» est, selon les sites et les acteurs, plus ou moins valorisé et apprécié. QUI PEUT SE TRANSFORMER EN UN REGARD INQUISITEUR Ce regard des opérateurs sur les policiers municipaux qui les placent de fait en situation « d’observés » peut en effet être négativement perçu = négativement perçu lorsque CCTV est utilisé comme un outil de management d’un service comme un outil de flicage sous couvert d’une meilleure : cas de l’un de nos sites. Heures de présence des agents, heure de prise de fonction, temps pour une intervention : l’action des policiers aurait ainsi été placée sous observation. Une utilisation jugée inacceptable et illégale par les policiers municipaux d’un de nos sites. Et leurs représentants syndicaux n’ont pas hésité à le dénoncer auprès de la CNIL qui a diligenté une enquête de contrôle de la légalité des usages de ce dispositif de vidéosurveillance. On le voit, la CCTV peut renforcer la défiance de la hiérarchie policière à l’égard des agents de terrain, une suspicion sur la qualité de leur travail, en les plaçant, de fait, dans la posture « d’observés » et non plus d’observateur de ce qui se joue dans l’espace public. Le regard de l’opérateur n’est dès lors plus tant ressenti comme un regard protecteur que comme une menace, une source de tension dans l’exercice du travail policier. Il peut d’autant plus être mal vécu qu’il accentue le sentiment des policiers d’être sous observation permanente, sans possibilités de relâchement, du fait de la multiplication des « regards » qui pèsent sur eux. Il est vrai que, traditionnellement placée sous le regard des citoyens lorsqu’ils interviennent dans la rue, leur action se trouve aussi placée de manière croissante ces dernières années sous l’objectif d’un nombre plus large de « spectateurs » via l’usage de vidéos prises notamment par des mobiles susceptibles de donner une visibilité médiatique à de banales interventions policières. Or, les caméras publiques constituent, elles aussi, potentiellement une mise en visibilité supplémentaire de leurs interventions en captant des images, des scènes d’intervention, qui pourront être vues par les opérateurs mais surtout par la hiérarchie policière, les élus voire un citoyen s’il est sur l’image, qu’il en fait la demande au maire … et que celle-ci soit acceptée ! Pour les policiers, le risque est que sur la base de ces images, il leur soit demandé de rendre des comptes, de justifier leurs actes. On peut dès lors comprendre que pour se protéger de ce regard extérieur, les policiers municipaux donnent aux opérateurs - qui leur sont souvent subordonnés – des consignes précises sur la manière de filmer. Il est ainsi recommandé aux opérateurs de faire des plans larges des scènes filmées lorsqu’elles mettent en jeu des policiers municipaux plutôt que de faire des zooms sur la scène où ils opèrent. On mesure ici les usages ambivalents de la vidéosurveillance qui peut aussi bien servir à sécuriser les agents qu’à contrôler leur activité sous couvert d’une meilleure gestion du service. Enseignement important sur l’efficience de cet outil : son acceptation par les policiers dépend donc très fortement d’une double relation de confiance : avec leur hiérarchie et avec les opérateurs. .

21 Une surveillance discontinue
1 - Des dysfonctionnements techniques Des problèmes liés au matériel Des problèmes liés aux conditions météorologiques Des problèmes liés à l’aménagement urbain Bien sûr, une partie du travail quotidien d’un opérateur est consacré aux trois principales missions qui leur sont confiées. Mais qu’on ne s’y trompe pas, il ne passe pas son temps les yeux rivés sur les écrans de contrôle, au mieux ces missions de surveillance à distance occupe 60 % de son temps et, en règle générale, c’est plutôt autour de 30 % estiment Angela Spriggs et Martin Gill dans leur analyse de 13 dispositifs. Nous n’avons pas comptabilisé le temps dévolu précisément à chaque activité par les opérateurs observés, on ne peut donc donner de chiffre précis. En revanche, ce que l’on peut dire avec certitude, sur la base de nos 120 heures d’observation, est que le temps passé par les opérateurs aux missions de surveillance (qu’elles soient actives ou passives) n’excède pas les 50 %. Beaucoup d’autres activités prescrites ou qu’ils se créent pour rompre l’ennui de la seule surveillance, occupent leur temps de travail. Elles contribuent, avec les dysfonctionnements techniques des systèmes de vidéosurveillance, à limiter le temps effectivement consacré par les opérateurs à leurs missions de « surveillance à distance ». 3.1 DES DYSFONCTIONNEMENTS TECHNIQUES 3.1.1 DES PROBLÈMES LIÉS AU MATÉRIEL En dépit de la très nette amélioration ces dernières années de la qualité des dispositifs techniques de vidéosurveillance et de leur fiabilité, ces problèmes sont encore d’être négligeables. Dans nos deux sites, chaque jour au minimum 5% des caméras connaissent un problème technique qui les rend inutilisables. Le problème peut être lié : • à l’alimentation des caméras, • à des coupures totales du système parce que le stockeur d’images n’est plus en mesure d’accumuler toutes les informations enregistrées ; • à des travaux sur la voirie qui occasionnent une coupure d’une ou plusieurs caméras ou créent des vibrations les faisant bouger. Du coup, ces caméras se trouvent à filmer le sol ou le ciel. Ceci oblige les opérateurs à reprogrammer systématiquement les parcours des caméras. Il y a aussi les mauvais paramétrages des masques dont le rôle est de protéger les espaces privés des caméras. Ils sont parfois très mal configurés prenant plus de la moitié de l’écran ou, au contraire, ne protégeant pas assez les espaces privés. On peut y ajouter également, le mauvais réglage des caméras sur des pré-positions, c’est à dire sur des lieux précis du parcours de la caméra pivotante – dont les opérateurs se plaignent car ce qui est filmé n’est d’aucun intérêt. 3.1.2 DES PROBLÈMES MÉTÉOROLOGIQUES Un nombre important d’éléments météorologiques peuvent diminuer sensiblement la qualité de la surveillance des opérateurs : Les fortes pluies réduisent la visibilité, l’eau ruisselant sur les globes protecteurs des caméras et formant des goutellettes ; La neige qui s’accumule sur les globes ; Le gel comme les fortes chaleurs provoquent des court-circuits dans les armoires électriques se trouvant au pied des mâts et servant à les alimenter électriquement ; Les rayons du soleil couchant réverbèrent sur les globes empêchant toute visibilité. Des problèmes liés à l’aménagement urbain Trois exemples pour illustrer ce type de problème. Dans les deux sites étudiés, plusieurs caméras avaient leur champ de vision complètement masqué par le feuillage des arbres. Notre observation s’étant déroulée, pour partie durant l’été, les feuillages étaient au maximum de leur croissance. Tous les opérateurs ont insisté sur cette difficulté, certains s’emportant devant l’inaction de la municipalité à ne pas gérer ce problème qui pourrait, estiment-ils, être facilement résolus. - un panneau signalitique de travaux qui bouche totalement le champ de vision d’une caméra placée sur un endroit considérée comme stratégique - les décorations de Noël qui limitent très fortement la visibilité des caméras les ayant dans leur champ de vision. « Il y a les décorations de noël. J’ai fait une telle comédie la première fois parce qu’ils les avaient installées en octobre pour les retirer fin février. J’ai fait une comédie à l’adjoint au maire, en plus c’étaient des endroits comme le métro, c’étaient des espèces de toiles d’araignées, on ne voyait rien. Un jour, on en cherchait un qui avait agressé un policier, je zoome, je zoome et … je tombe sur une banderole Joyeuse année. Elles cachent tout, ça ébloui, c’est une horreur pour nous. » (Entretien opératrice, Alphaville, juillet 2010). Tous ces problèmes paraissent simples à résoudre mais, dans la pratique, ce n’est pas le cas car ils nécessitent de mobiliser différents services municipaux (ex. les services techniques pour l’élagage des arbres si tant est que celui-ci soit suffisant, certains arbres obstruant la vue d’une caméra appartiennent aussi à des propriétés privées). Or le difficulté est que la « voix » des opérateurs dans l’organisation municipale est peu « entendue en raison de leur absence de légitimité, de la non-reconnaissance de leur rôle : « On est pris pour des cons au même titre que ceux qui font le stationnement » déplore un opérateur. Ainsi, l’ensemble de ces dysfonctionnements concoure à limiter le nombre de caméras réellement actives pour un travail de surveillance. Prenons simplement ici l’exemple de l’une de nos villes, pourtant nouvellement équipé. Sur les 28 caméras installées, 3 lors de nos observations ne fonctionnaient, 3 avaient un champ de vision très limité en raison du feuillage des arbres, seules 22 étaient donc pleinement utilisables sans compter celles qui étaient mal paramétrées ou bien encore les caméras dont le seul intérêt était de donner une idée de la circulation sur un secteur.

22 Une surveillance discontinue
2 - Le poids des activités connexes La relecture des images Alimenter la « main courante » Gérer le standard de la police municipale Un autre élément influe sur le travail de surveillance des opérateurs, c’est le poids des activités connexes prescrites ou non par leur hiérarchie ; on parlera dans ce dernier cas d’activités hors-travail bien que se déroulant dans l’espace même de travail. DES ACTIVITES CONNEXES PRESCRITES - Assurer des relectures d’images à la demande des policiers nationaux. L’analyse sur une période de 6 mois du « journal de bord » du CSU d’Alphaville met en évidence que les opérateurs réalisent, en moyenne, une relecture par jour d’images pour un vol voiture, un vol à la roulotte, un vol à la carte bleue, le jet par un lycéen lors d’une manifestation d’un coktail molotov …. Il s’agit donc d’un travail quotidien pour les opérateurs bien qu’ils n’en aient pas légalement la compétence. assurer la main courante informatisée ou non de la police municipale ; gérer standard de police municipale.

23 Une surveillance discontinue
3 - L’ennui : générateur d’activités « occupationnelles » - le « hors travail dans le travail » L’invention de tactiques et pratiques plus ou moins « clandestines » pour rompre l’ennui Utiliser des caméras à d’autres fin que la surveillance de l’espace public ; S’aménager des temps de pause ; L’invention d’histoires et la surévaluation de la réalité DES ACTIVITÉS CONNEXES RELEVANT DU « HORS TRAVAIL » = ACTIVITÉS « OCCUPATIONNELLES » Comme chacun peut l’imaginer, il est long et pénible de rester assis à regarder des images où les incidents sont rares. L’un des opérateurs interrogés estime que dans « 95% du temps, il ne se passe rien ». Si les opérateurs ne se consacrent qu’à cette seule activité de surveillance, l’ennui lié à la monotonie des images visionnées les gagnent rapidement. L’ennui se fait plus ou moins ressentir selon les périodes de la journée. De l’avis des opérateurs, la vacation la plus vivante est celle de (15h00 à 23h00), celle du matin est la plus ennuyeuse et celle de la nuit (23h00-7h00) la plus éprouvante d’autant qu’il ne se passe pas grand-chose, l es ondes-radio de la police municipale semblent « mortes », la visibilité est plus difficile. De surcroît, les opérateurs doivent résister au sommeil qui assomme, peu à peu, leur vigilance. Certains reconnaissent d’ailleurs qu’ils en profitent pour dormir un peu, d’autres pour se maintenir éveillé se rendent régulièrement à leur casier pour s’avaler quelques pastilles de vitamines. Cet ennui est bien exprimé dans les propos de cet opérateur au regard distancié sur un métier qu’il fait par obligation, qu’il n’a choisi que pour pouvoir à court terme, espère-t-il, être intégré dans la fonction publique territoriale en qualité d’agent de catégorie C. « On raisonne comme les mecs en prison. On compte les heures et on tire des traits sur des bâtons pour faire passer le temps, pour voir ce qu’il nous reste à tirer dans notre journée. Bon, et puis pour alimenter un peu le temps, comme on n’a pas le son, on blague entre-nous, on se vanne, on interpelle les gens qu’on voit. On tente de se distraire » (Journal de terrain, Alphaville, novembre 2010) Or, ce « facteur ennui » (the borodom factor) comme le qualifie Gavin Smith influence directement la qualité du travail de surveillance à distance. Progressivement, il altère l’attention des opérateurs qui, pour rompre cet ennui, élaborent de tactiques ou stratégies, plus ou moins officielles et formalisées, plus ou moins intégrées à leur activité de surveillance, ainsi qu’à s’aménager des temps de pause et de divertissement. La conséquence de ces activités est une discontinuité dans la surveillance. 3.3.1 Des activités tolérées qui s’intègrent au temps de travail Utiliser des caméras à d’autres fins que la surveillance de l’espace public Il y a tout d’abord des moments où les caméras sont utilisées à d’autres finalités que la seule surveillance de l’espace public où elles sont, en quelque sorte, détournées de leurs usages prescrits sans pour autant que cela mette en question l’organisation même du travail. Le temps de quelques minutes, un opérateur va s’attarder sur des femmes comparant leurs qualités esthétiques respectives ou se félicitant d’une « soirée tee-shirt mouillés ». Un autre braquera, de manière régulière, une caméra sur le parking où se trouve sa voiture afin de s’assurer qu’elle n’a pas été volée ou qu’elle n’est pas en train de faire l’objet d’un acte de vandalisme. S’aménager des temps de pause Il y a ensuite, pour lutter contre l’ennui et le stress, divers moments de pause que s’aménagent les opérateurs plus ou moins considérés comme licites par leur hiérarchie. Ils se traduisent par un partage régulier, au sein même de la salle de surveillance, d’un café ou d’un thé. Manger constitue un autre moyen d’occuper la vacuité de certaines vacations. A l’occasion d’une conversation, la chef de salle m’indique ainsi qu’elle fait désormais attention à sa ligne car, dans son poste précédent de vidéo-opérateur, elle avait pris plus de 9 kg parce qu’elle mangeait en permanence : « Quand il pleut la nuit, vous n’avez rien à faire, alors, vous mangez. (…) Il y a des fois où l’on s’emmerde, des journées où c’est vraiment mort, alors on mange, cela occupe. » Les pause-cigarettes sont également l’occasion de rompre la monotonie pour les fumeurs qui sont majoritaires parmi les opérateurs (6 sur 10). Même s’ils ne doivent normalement pas quitter la salle de vidéosurveillance, les opérateurs prennent le droit, dans les deux sites étudiés, de s’absenter durant plusieurs minutes pour fumer une cigarette à l’extérieur ; la loi ne les autorisant pas à fumer sur leur espace de travail. « En général, explique la chef de salle de Bétaville, on a une pause de 10 minutes toutes les 2 heures mais il se peut que l’on ait quelque chose et pendant 3 heures les opérateurs sont devant l’écran. Lorsqu’on fait de la relecture durant une journée complète, les yeux sont fatigués, donc je vais fumer une cigarette et je reviens continuer ma recherche. (Entretien avec la chef de salle, Bétaville, le ). La nuit, seuls dans les locaux, les opérateurs ont une plus grande latitude d’action encore et ils n’hésitent pas à passer outre à l’interdiction de fumer. Ouvrant grand les fenêtres pour éviter que l’odeur n’imprègne trop fortement les lieux, ils font de régulières pauses tout en jetant un œil distrait sur les écrans ou, le plus souvent, sur leur téléphone portable. Enfin, une pause « moins classique » que l’on a rencontré est celle prise par un opérateur pour aller promener son chien, qui l’accompagne exceptionnellement durant sa vacation, à l’extérieur du bâtiment durant 10 petites minutes. La hiérarchie a connaissance de ces pratiques mais préfèrent fermer les yeux sur celles-ci dès lors qu’elles ne mettent pas en cause le fonctionnement du service. Elles sont d’autant plus facilement admises qu’elles apparaissent comme une compensation à la pénibilité du travail surtout de nuit. De la sorte, on assiste à une forme de privatisation de l’espace de travail qui va de pair avec un style à la fois physique et langagier relâché. Les pratiques « clandestines » apparaissent d’autant plus importantes que le contrôle de la hiérarchie est lâche, voire inexistant, que les opérateurs sont livrés à eux-mêmes. En l’absence de la hiérarchie, à Bétaville, un moyen de contrôle a posteriori visant à vérifier que les opérateurs ne s’adonnent pas à des activités « clandestines » a été mis en place : la mise sous surveillance des surveillants. Les opérateurs sont en effet placées permanence sous l’œil d’une caméra les filmant et enregistrant ces données … contrairement à ce qu’ils pensaient ( cf. infra) ! L’invention d’histoires et la surevaluation de la realite Pour occuper le temps, pour rendre plus vivant le travail de surveillance, il n’est pas rare que les opérateurs tout en regardant les images des caméras, inventent des histoires à partir des personnes filmées qu’ils n’hésitent pas à interpeller verbalement. Cette activité est bien acceptée parce qu’elle s’intègre dans le travail même de surveillance des opérateurs. Mme J. zoome sur un jeune qui circule sans à scooter sans casque. Il s’arrête à un croisement, en plein milieu de la circulation, et se met à discuter avec une jeune fille qu’il semble connaître. Mme J. laisse la caméra braquée sur eux durant 5 minutes. Ils discutent, le garçon semble demander quelque chose à la jeune fille. « Allez s’énerve Mme J à son adresse ne donne pas ton numéro de portable, ne te laisse pas avoir par ce … c’est un reubeu non ? Je n’ai pas l’impression que cela soit un africain. » La jeune fille est réticente, mais finalement donne un numéro de portable au garçon, c’est du moins l’interprétation que fait la chef de salle des échanges entre les deux jeunes. Dépitée par cet épilogue, elle décide de sortir une photo de ce dernier et de l’afficher parmi ses « trophées » qui sont attachés sur le tableau blanc de son bureau. Autrement dit, c’est un jeune à surveiller. (Journal de terrain, le 24 juillet 2010) De même, à force de voir régulièrement sur leurs images certains individus, ils se familiarisent avec eux et quelques-uns deviennent de véritables personnages auxquels, parfois, ils attribuent des noms, des sobriquets, et dont ils inventent parfois leur vie. C’est le cas par exemple de cette chef de salle qui, à de multiples reprises s’adresse à des individus qu’elle voit sur ses moniteurs dont certains lui sont désormais familiers  « Tiens voilà Rosette (parlant d’un adolescent d’une quinzaine d’années revêtu d’un sweet rose). Il est généralement avec un copain. On ne le voit pas avec lui aujourd’hui. On le connaît bien, parce qu’il cherche régulièrement la bagarre. Une fois qu’on l’a dans notre champ de vision, il faut donc pas le lâcher, il faut le surveiller. » (Journal de terrain, juillet 2010). Une manière pour l’opérateur, estime Gavin Smith, de « briser les barrières technologiques en instaurant « un dialogue », une interaction entre le regardant et le regardé ». Il sort du rôle institutionnel et officiel qui lui est assigné. Il n’est plus simplement un observateur distancié mais, au contraire, un observateur investi d’émotions, de représentations, de jugements. Cette propension à inventer des histoires, à se construire une image déformée de la réalité avec laquelle les opérateurs n’ont, dans le cadre de leur travail, qu’un contact médiatisé par l’image, s’accompagne d’une tendance à surévaluer les « événements », les incidents dont ils ont connaissance sans pour autant qu’ils aient eu à intervenir.

24 En conclusion : - un travail de surveillance à distance … qui ne participe que de manière limitée à la gestion des désordres et de la délinquance. Pourquoi ? Parce que l’idée que les espaces vidéosurveillés sont en permanence sous la vigilance des opérateurs est une illusion : c’est une illusion parce que les opérateurs ne consacrent en réalité qu’une partie réduite de leur temps de travail à une surveillance passive (balayage des caméras) ou active (recherche du flag). c’est une illusion parce que cette « quote-part » du temps de travail consacrée à la surveillance est fortement limitée dans son efficience par différents facteurs : des facteurs techniques, météorologiques, humains (tenant à leurs relations avec les policiers qu’ils soient nationaux ou municipaux). une part importante consacrée au « hors travail » dans le travail pour combler l’ennui de ce travail et la faible reconnaissance par la hiérarchie.  Dotés de pouvoirs de surveillance importants tout en étant des travailleurs sans-pouvoirs : telle est l’étonnante situation des opérateurs de vidéosurveillance


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